Conflits entre associés : décision du 12 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05382

Conflits entre associés : décision du 12 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05382

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRET DU 12 JANVIER 2023

(n° 2023/ , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05382 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCH2Y

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 19/00705

APPELANTE

S.A.R.L. LLIS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jacques-michel FRENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0322

INTIME

Monsieur [F] [H]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Alicia PHILIBIN-KAYSER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-José BOU, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

– signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [H] a été engagé verbalement par la société Llis, ci-après la société, à compter du 1er octobre 2004 en qualité d’ingénieur commercial.

En septembre 2007, M. [H] a racheté les parts détenues par l’un des associés fondateurs de la société.

Le 4 mai 2018, la société et M. [H] ont signé une rupture conventionnelle du contrat de travail moyennant une indemnité spécifique de 14 817,22 euros, laquelle rupture a été homologuée le 23 mai 2018.

M. [H] a par ailleurs cédé les parts qu’il détenait dans la société le 29 juin 2018.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC).

La société occupait à titre habituel moins de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Le 27 mai 2019, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil en rappel de salaires et dommages et intérêts. Cette juridiction a, par jugement du 7 juillet 2020 auquel la cour renvoie pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties :

– dit qu’il est compétent pour rendre un jugement dans cette affaire ;

– condamné la société à verser à M. [H] les sommes suivantes :

* 80 987,46 euros au titre des rappels de salaire sur le fondement de la convention collective,

* 8 098,74 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– ordonné la remise des bulletins de paie et attestation Pôle emploi conformes au jugement ;

– débouté M. [H] de ses autres demandes ;

– débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mis les dépens à la charge de la société.

Par déclaration transmise le 5 août 2020 par voie électronique, la société a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions remises par voie électronique le 3 mars 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

in limine litis,

– réformer le jugement en ce qu’il s’est déclaré compétent ;

statuant à nouveau :

– dire que le conseil des prud’hommes est matériellement incompétent et renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Créteil ;

subsidiairement, si la cour confirmait la compétence du conseil de prud’hommes :

– réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [H] les sommes suivantes :

* 80 987,46 euros au titre des rappels de salaire,

* 8 098,74 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau :

– débouter M. [H] de toutes ses demandes ;

– condamner M. [H] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises par voie électronique le 16 décembre 2020 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [H] demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

– 80 987,46 euros à titre de rappel de salaires sur le fondement de la convention collective ;

– 8 098,74 euros au titre des congés payés y afférents ;

– 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes suivantes :

– 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

– 50 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

– remise des bulletins de paie de juin 2015 à juin 2018 et attestation Pôle Emploi conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la décision à intervenir, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte ;

et statuant à nouveau :

– rejeter l’exception d’incompétence matérielle soulevée par la société ;

– se déclarer compétente pour connaître du litige ;

– juger que la société a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail ;

– juger qu’il a subi des agissements d’harcèlement moral ;

en conséquence :

– condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 80 987,46 euros à titre de rappel de salaires sur le fondement de la convention collective applicable,

* 8 098,74 euros au titre des congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation ;

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail,

avec intérêt légal à compter du prononcé de la décision ;

* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société à lui remettre les bulletins de paie de juin 2015 à juin 2018 conformes à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de l’arrêt ;

– condamner la société aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’exception d’incompétence soulevée par la société

La société sollicite l’infirmation du jugement en ce que le conseil de prud’hommes s’est déclaré compétent et le renvoi devant le tribunal de commerce de Créteil. Elle relève que depuis septembre 2007, M. [H] a été associé en son sein, à égalité avec les autres de sorte qu’il n’y avait pas d’associé majoritaire, et soutient que les associés avaient un management collectif, excluant l’existence d’un lien de subordination. Elle fait en particulier valoir que M. [H] ne rendait aucun compte sur son activité, prenait ses congés à sa convenance sans en informer son employeur, a pris part activement à la décision de modification de l’intitulé de son poste et de la fixation du montant de son salaire et ne cessait de prendre des initiatives concernant la gestion de l’entreprise.

M. [H] réplique qu’il n’était pas titulaire d’un mandat social et n’avait aucun pouvoir d’engagement de la société. Il rappelle qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve. Il conteste l’absence de lien de subordination juridique avec la société Llis.

***

Il sera préalablement observé que quelle que soit la décision prise par la cour sur la compétence, la demande de renvoi devant le tribunal de commerce de Créteil ne peut qu’être rejetée. En effet, s’agissant de l’appel d’un jugement statuant sur la compétence et le fond, si la cour confirme du chef de la compétence, elle doit statuer sur le fond du fait de l’effet dévolutif. Si elle infirme sur la compétence en considérant comme le soutient la société que l’affaire relevait du tribunal de commerce de Créteil, elle doit également statuer sur le fond en application de l’article 90 du code de procédure civile, étant la juridiction d’appel relativement à ce tribunal.

En application des dispositions de l’article L.1411-1 du code du travail, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l’existence d’un contrat de travail opposant le salarié et l’employeur prétendus.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

C’est à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence mais, en présence d’un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.

La qualité de salarié n’est pas incompatible avec celle d’associé même égalitaire à condition que l’associé soit, dans l’exercice de ses fonctions salariales, placé sous la subordination du dirigeant.

En l’occurrence, l’existence d’un contrat apparent est acquise au regard des éléments suivants : le registre du personnel de la société mentionnant M. [H] en qualité de directeur commercial cadre, son embauche le 1er octobre 2004 et sa sortie des effectifs le 14 juin 2018 ; les nombreux bulletins de salaire de M. [H] versés aux débats faisant état de son emploi comme directeur commercial statut cadre ; la rupture conventionnelle du contrat de travail signée par les deux parties le 4 mai 2018 qui a été homologuée le 23 mai suivant ; le reçu pour solde de tout compte établi par la société et signé par M. [H] le 19 juin 2018 ; l’attestation destinée à Pôle emploi remplie par la société désignant M. [H] en qualité de salarié.

Ce dernier a été embauché en octobre 2004. Il est constant qu’il est devenu associé de la société en septembre 2007. Il résulte de l’acte de cession de parts sociales produit aux débats qu’il détenait le même nombre de parts que les autres associés. Il est constant qu’il n’a jamais été titulaire d’un mandat social au sein de cette SARL dont le gérant était M. [K].

Il résulte des pièces invoquées par la société :

– que dans son mail du 25 juin 2013, M. [H] a fait des propositions concernant des points à aborder lors des réunions d’associés mais n’en a pas fixé l’ordre du jour, posant différentes questions sur l’état de la société, son organisation, les activités professionnelles possibles des associés ; que cette attitude correspond à celle d’un associé et ne démontre nullement l’absence de lien de subordination hiérarchique ;

– que dans son mail du 26 septembre 2017, M. [H] s’est essentiellement plaint de ne pas être informé de décisions concernant le service commercial, ce qui s’explique en sa qualité de directeur commercial et ne contredit pas l’existence d’un tel lien ;

– que les attestations de M. [G] (pièce n°14 de l’appelante) et de M. [Z], associés et salariés de la société, démontrent que M. [H] n’a pas fixé le montant de son salaire comme prétendu mais a seulement formé une demande à ce titre qui a été acceptée ;

– que dans son mail du 12 juillet 2013, M. [H] s’est borné à demander s’il pouvait sortir seul du régime d’assurance maladie obligatoire, ce qui ne démontre pas l’absence de lien de subordination ;

– que dans son mail du 5 mars 2008, il a sollicité auprès de M. [K] la modification de l’intitulé de son poste, ce qui prouve qu’il n’avait pas le pouvoir d’en décider lui-même, une telle demande s’inscrivant dans le rapport d’un salarié à employeur ;

– que dans son mail du 12 juillet 2013, il a sollicité des explications au gérant sur un rachat de titres, un tel questionnement se rattachant à sa qualité d’associé et n’excluant pas ledit lien ; que le simple fait qu’il ait eu accès aux comptes de la société n’établit pas qu’il en avait le contrôle, ni qu’il disposait d’un pouvoir d’engagement à ce titre ;

– qu’il est tout au plus avéré par l’échange de mails des 31 décembre 2014 et 1er janvier 2015 que M. [H] était absent physiquement de l’entreprise le 31 décembre 2014 sans avoir posé de jour de congé ; qu’un tel élément est insuffisant à prouver l’absence de lien de subordination hiérarchique ;

– que si le mail du 21 mai 2013 est intitulé ‘complainte de l’associé qui prêche dans le désert’, il en ressort que M. [H] s’est en réalité plaint d’être mis à l’écart de certains aspects commerciaux dont il avait pourtant la charge, ce reproche s’expliquant au regard de sa fonction de directeur commercial salarié ; que cet élément n’est pas de nature à remettre en cause l’existence du contrat de travail et est indifférent au regard de la compétence de la juridiction qui est saisie exclusivement de demandes liées à l’exécution dudit contrat ;

– que l’attestation de M. [G] (pièce n°20 de l’appelante) est imprécise en ce qu’elle indique que M. [H] avait le statut d’associé financier sans détailler ce que cela recouvrait et n’est pas de nature à étayer l’absence de lien de subordination hiérarchique, M. [G] expliquant que M. [H] ‘était le responsable en cas d’absence des autres (les responsables techniques)’.

Le fait que M. [H] ne rendait aucun compte de son activité ne repose par ailleurs sur aucun élément de preuve et ce dernier établit par une lettre signée du gérant en date du 12 mars 2010, que la société a envisagé de prendre une sanction disciplinaire à son encontre à la suite d’une altercation mais n’y a pas donné suite par souci d’apaisement, ce qui conforte la subordination de M. [H] vis-à vis du dirigeant.

Ainsi, la société échoue à rapporter la preuve de l’absence de lien de subordination hiérarchique. Le contrat de travail de M. [H] ne saurait être remis en cause et les demandes formées par ce dernier se rattachant, comme souligné ci-dessus, à l’exécution de ce contrat, le jugement est confirmé en ce que le conseil de prud’hommes s’est déclaré compétent.

Sur le rappel de salaires et les congés payés afférents

La société soutient que la demande de rappel de salaire est déloyale dès lors que M. [H] a sollicité une modification de l’intitulé de son poste puis la classification des associés à la position 3.3 en précisant que cela serait sans incidence salariale et qu’il n’a jamais demandé à être rémunéré selon la position figurant sur son bulletin de salaire, l’appelante affirmant que les associés avaient convenu dès l’origine qu’ils seraient tous rémunérés au même niveau, excepté M. [G] plus expérimenté. Elle prétend que les fonctions réellement exercées par M. [H] ne correspondent pas à la classification figurant sur ses bulletins de paie : il n’avait pas de diplôme d’ingénieur, était seul dans le service commercial de sorte qu’il ne dirigeait pas d’équipe et ses fonctions de prospection et de démarche commerciale ne supposaient pas la coordination entre plusieurs services.

M. [H] réplique qu’il était au moins depuis le mois de juin 2015 positionné cadre, niveau 3.3, coefficient 270 en application de la convention collective SYNTEC mais que, malgré ses demandes, il n’a jamais été rémunéré à la hauteur des minima conventionnels. Il avance que les dispositions conventionnelles obligent la société à lui verser la rémunération correspondante dans la mesure où celle-ci a accepté cette qualification et qu’il n’a pas renoncé à percevoir le minimum conventionnel. Il affirme qu’il exerçait bien des missions de directeur commercial et que cette fonction n’impose pas un diplôme d’ingénieur.

***

Le salarié occupant un emploi a droit au minimum conventionnel correspondant.

Selon l’annexe II de la dite convention collective SYNTEC relative à la classification des ingénieurs et cadres, la position 3.3. coefficient 270 est définie comme suit : l’occupation de ce poste, qui entraîne de très larges initiatives et responsabilités et la nécessité d’une coordination entre plusieurs services, exige une très grande valeur technique ou administrative.

Il ressort des échanges de mails produits aux débats par la société Llis qu’en mars 2008, M. [H] a sollicité la modification de l’intitulé de son poste d’ ‘ingénieur commercial’ en ‘directeur commercial’, demande à laquelle le gérant a accédé selon l’appelante, puis qu’au mois de novembre 2010, il a interrogé ce dernier afin d’obtenir le passage des quatre associés à la position 3.3, estimant la demande justifiée au regard des postes occupés et du descriptif de la convention collective. Il a précisé que cela serait dénué d’effet sur le montant des salaires puisque ceux-ci étaient déjà situés au dessus du brut minimum. Le gérant a alors interrogé les autres associés et le positionnement sollicité a été accordé à M. [H].

Il résulte du libellé des bulletins de salaire de M. [H] que depuis au moins le mois de juin 2015 et jusqu’à la rupture du contrat de travail, celui-ci a été qualifié de directeur commercial, cadre, classification 3.3, coefficient 270. Les bulletins de paie des trois autres associés salariés produits par l’appelante démontrent que MM. [Z] et [G] ont également été classés en position 3.3, ceux de M. [K] ne mentionnant aucune classification.

M. [H] n’a pas pour autant perçu la rémunération correspondant au minimum conventionnel. Il en est de même de M. [Z] qui a disposé de la même rémunération que M. [H] et de M. [G] qui a perçu une rémunération un peu plus élevée, mais aussi inférieure au minimum conventionnel.

Il se déduit des énonciations précédentes que ce n’est pas à la suite d’une erreur matérielle mais après une discussion entre M. [H] et le gérant puis avec les autres associés que la société a reconnu à M. [H], ainsi qu’à MM. [Z] et [G], la classification précitée de sorte qu’il s’agit d’une décision délibérée. Celle-ci s’est ensuite manifestée de manière réitérée par les mentions des bulletins de salaire de M. [H] établis par l’employeur pendant plusieurs années.

La société ne saurait sérieusement prétendre qu’elle n’a pas vérifié l’absence de conséquence salariale de ce changement dès lors qu’un employeur ne peut légitimement ignorer les minima conventionnels liés aux classifications et leur évolution, d’autant qu’en l’espèce la société reconnaît que M. [H] a joint à son mail la convention collective. En outre, l’accord des associés pour être tous rémunérés au même niveau n’est pas établi, M. [G] ayant eu une rémunération plus élevée que MM. [K], [Z] et [H]. Enfin, le fait que ce dernier ne justifie pas avoir formé de réclamation du salaire minimum conventionnel pendant l’exécution du contrat de travail ne lui interdit pas de se prévaloir des avantages de ladite convention.

En toute hypothèse, la détention d’un diplôme d’ingénieur n’est pas imposée par la convention collective pour la classification 3.3. Celle-ci n’exige pas non plus en elle-même une direction d’équipe. Il résulte de l’attestation de M. [G] (pièce n°14 de l’appelante) que M. [H] exerçait effectivement des fonctions de directeur commercial, en toute autonomie afin de prospecter, établir des contrats, organiser le suivi commercial et que cela se faisait en coordination avec le service technique de la société. M. [Z] confirme dans sa propre attestation également produite par l’appelante que M. [H] avait carte blanche notamment pour développer l’activité commerciale, qu’il rédigeait des contrats et établissait les tarifs de façon autonome et qu’il a géré des contacts avec des partenaires techniques et/ou stratégiques. Il ressort de ces éléments versés aux débats par l’employeur que le poste de directeur commercial, que M. [H] occupait de façon effective, impliquait de très larges initiatives et responsabilités et la nécessité d’une coordination entre plusieurs services, même s’il est acquis au vu notamment de l’attestation Pôle emploi que la société ne comptait que cinq salariés, et exigeait une très grande valeur technique ou administrative.

M. [H] est donc fondé à réclamer un rappel de salaire à hauteur du minimum conventionnel prévu par la convention collective SYNTEC, sur la base de son niveau 3.3 coefficient 270 figurant sur ses bulletins de paie pour la période de juin 2015 à juin 2018. Le montant de la somme allouée à ce titre par la juridiction prud’homale n’étant pas critiqué par la société qui se borne à invoquer les circonstances dans lesquelles M. [H] a obtenu cette classification, son absence de réclamation pendant plusieurs années et le fait que ses fonctions ne correspondaient pas à sa classification, le jugement sera confirmé en ce qu’il lui a accordé la somme de 80 987,46 euros à titre de rappel de salaire outre celle de 8 098,74 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral

Appelant incident de ce chef, M. [H] sollicite la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, invoquant que depuis qu’il est devenu associé en 2007, il a subi de nombreuses actions de la part des co-fondateurs de la société, notamment de M. [G]. Il fait valoir que :

– son travail de commercial a été sapé, les dirigeants lui reprochant ensuite un manque de clients ; – son poste de directeur commercial a été vidé de sa substance ;

– il a subi des remarques désobligeantes et dévalorisantes de la part de ses associés jusqu’à ce qu’en avril et novembre 2016, il soit victime de violentes agressions de la part de M. [J] [G] rapportées aux dirigeants mais sans réaction de leur part ;

– il a dénoncé ces agissements ainsi que leur impact sur son état de santé et a reçu en retour une remarque désobligeante ;

– à son retour d’arrêt maladie, il a été mis dans l’impossibilité de réaliser ses missions, ses codes d’accès et sa ligne directe ayant été coupés, la possibilité d’interroger le répondeur de celle-ci ayant été retirée ;

– des pressions et menaces ont été exercées dans le but de l’évincer par la voie d’une rupture conventionnelle en invoquant un prétexte économique ;

– ces agissements ont eu des répercussions sur son état de santé : le médecin du travail a constaté un état de santé alarmant et a alerté son médecin traitant qui l’a placé en arrêt de travail de décembre 2016 à novembre 2017 en lui prescrivant un traitement médicamenteux lourd.

La société réplique que M. [H] opère une confusion entre les reproches faits à ses associés depuis son entrée au capital et des pratiques harcelantes. Elle en veut pour preuves ses nombreux écrits sur la direction, la gestion, le management et la stratégie de la société. Elle soutient que le conflit entre ce dernier et ses associés est étranger à l’exercice de ses fonctions de salarié. Elle fait valoir que l’agression dont il prétend avoir été victime n’est pas démontrée, d’autant qu’aucune plainte n’a été déposée. Elle conteste qu’il ait été privé de moyen de communication et sa mise à l’écart. Elle soutient que son arrêt de travail est sans lien avec ses fonctions de salarié mais n’est que la conséquence directe du conflit entre associés, M. [H] ayant été considéré comme apte à reprendre ses fonctions lors de son retour. Elle nie que M. [H] ait été contraint de signer une rupture conventionnelle, arguant qu’il a négocié son départ et que la décision a été prise entre associés. Elle note enfin que la somme réclamée n’est pas justifiée.

***

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de l’allégation selon laquelle son travail de commercial aurait été ouvertement sapé avant qu’un manque de clients lui soit reproché, M. [H] se borne à se prévaloir d’une pièce consistant en des extraits du compte Twitter de M. [K]. Or, les messages y figurant sont étrangers au travail de M. [H] et ne contiennent aucun reproche le concernant.

Au soutien de l’allégation selon laquelle son poste aurait été vidé de sa substance, M. [H] se prévaut d’une pièce n°22 consistant en une suite de mails de Mme [E], de M. [H], de M. [K] et encore de M. [H]. Les trois premiers mails évoquent une question de commissionnement de Mme [E] qui indique que 10% du montant total de la commande lui ont été annoncés oralement, M. [H] ayant ensuite interrogé MM. [G] et [K] pour déterminer lequel avait effectué cette promesse. M. [K] a répondu qu’il ignorait la personne ayant fait état de ce commissionnement et a répondu sur son montant. M. [H] a alors reproché à MM. [K], [G] et [Z] une activité commerciale souterraine et de ne pas l’avoir associé au mécanisme de commissionnement envisagé. Il se prévaut aussi d’un mail qu’il a adressé le 16 mars 2013 à MM. [G], [Z] et [K] dans lequel il s’est plaint qu’une grande partie de l’activité commerciale se fasse sans lui. Ces pièces ne confirment pas le retrait de la relation clients, son cantonnement aux nouveaux clients et l’interdiction de se rendre à des rendez-vous avec des prospects comme allégué mais justifient qu’un commissionnement a été promis à une personne se présentant comme apporteur d’affaires sans qu’il en ait été informé. La demande des dirigeants de la société afin qu’il réalise la facturation mensuelle des contrats, les relances sur impayés et leur recouvrement ne repose sur aucun élément. Aucune pièce n’est invoquée pour corroborer l’affirmation selon laquelle M. [G] aurait procédé à une mise à jour du serveur sans l’en avertir, provoquant la perte de son travail de toute une journée.

Au soutien de l’allégation relative aux remarques désobligeantes et dévalorisantes dont il aurait fait l’objet, la cour note que l’échange de mails avec MM. [K] et [G] (pièce n°28) invoqué par M. [H] ne contient aucune remarque de la sorte de ces derniers. Le mail intitulé ‘TR : assurances hommes clés’ du 30 janvier 2008 (pièce n°39 de M. [H]) est insuffisant à établir que des ‘assurances hommes clés’ ont été contractées pour l’ensemble des associés hormis M. [H]. Ce dernier justifie en revanche (sa pièce n°25) qu’en réponse à des propositions de sa part, M. [K] a écrit le 14 décembre 2016 : ‘Merci de cette réponse sans intérêt [F], au moins je sais à qui m’adresser quand je n’ai besoin de rien…’, ce qui constitue une remarque désobligeante. De même, il justifie qu’en réponse à un de ses mails du 23 mai 2013, M. [G] a répondu : ‘Ah oui! Cela on le savait tous, la connerie humaine n’a pas de limite!’, ce qui constitue une autre remarque désobligeante. Mais M. [H] ne produit aucune pièce se rapportant aux agressions alléguées des 18 avril 2016 et 25 novembre 2016 hormis un mail de sa part du 30 novembre suivant évoquant ces ‘événements’ sans aucunement les décrire. Lesdites agressions ne sont pas établies.

Au soutien de l’allégation selon laquelle à son retour d’arrêt maladie en décembre 2017, les moyens techniques nécessaires à l’exercice de ses fonctions lui ont été retirés, M. [H] produit un échange de mails avec M. [G] accompagné de captures d’écran. Il en résulte qu’en février 2018, M. [H] a fait face à une connexion du bureau à distance impossible, ce dont il s’est plaint auprès de M. [G] le 20 février 2018. Celui-ci lui a répondu que sur le serveur étaient installées les suites Microsoft et Libre office et qu’il allait vérifier le fonctionnement. M. [H] a répliqué qu’il n’avait pas accès au serveur Rebeka et au réseau Llis pour son ordinateur et s’est plaint aussi de problèmes de téléphone. M. [G] a répliqué qu’à partir du serveur TSE, M. [H] disposait d’une suite bureautique et que si un oubli avait été commis ou si des associations ne fonctionnaient pas, il devait le signaler. M. [H] produit aussi un échange de mails avec M. [K] du 22 janvier 2018 dans lequel il s’est plaint de ne pas pouvoir intercepter les appels arrivant au support technique et de ne pas pouvoir interroger le répondeur de sa ligne directe, ce à quoi M. [K] a répondu que les messages laissés sur sa boîte vocale lui seraient transférés par mails. Ces éléments justifient que M. [H] s’est heurté en début d’année 2018 à des problèmes de connexion informatique et de téléphonie, notamment une impossibilité de consulter sa boîte vocale, tous éléments de nature à l’entraver dans l’exercice de ses missions de directeur commercial.

Au soutien de l’allégation selon laquelle il aurait subi des pressions à son retour d’arrêt maladie, M. [H] invoque un mail de M. [G] du 21 février 2018 dans lequel celui-ci indique ‘je résume : le maintien du poste de commercial n’a de sens pour Llis comme pour toi que si tu signes des contrats autour de ‘l’assistance technique à valeurs ajoutées’. Ton challenge est là’. M. [H] établit par ailleurs que dans un mail antérieur du 28 novembre 2016, M. [Z] a écrit que ‘la sortie d'[F] de la structure via une rupture conventionnelle restait la seule option viable à court terme’.

Il en résulte qu’un commissionnement a été promis à une personne se présentant comme apporteur d’affaires sans que M. [H] en ait été informé, qu’il a subi deux remarques désobligeantes, l’une du gérant salarié, l’autre d’un associé salarié, qu’après son retour d’arrêt maladie, il a fait face en début d’année 2018 à des problèmes de connexion informatique et de téléphonie, notamment une impossibilité de consulter sa boîte vocale, et que deux associés salariés dans la société l’ont averti que la suppression de son poste était envisagée, la deuxième fois peu de temps après son retour d’un long arrêt maladie en indiquant que le maintien de son emploi dépendait de sa réussite à signer certains contrats. Il résulte enfin de son dossier médical de la médecine du travail que dès 2013, M. [H] s’est plaint d’une pénibilité au travail, d’une pression constante. En décembre 2016, le médecin du travail a indiqué relever plusieurs risques psychosociaux chez M. [H] et, en février 2017, il a écrit à son médecin traitant pour l’informer que la charge anxieuse demeurait importante et qu’il l’orientait vers le réseau souffrance au travail. M. [H] a été placé en arrêt de travail du 19 décembre 2016 jusqu’au 30 novembre 2017 et s’est vu prescrire un anti-dépresseur du 19 décembre 2016 jusqu’en novembre 2017. Il justifie avoir consulté le réseau souffrance et travail à plusieurs reprises en 2017.

M. [H] présente ainsi des éléments qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La société répond que ces agissements sont étrangers à du harcèlement moral et relèvent d’un conflit d’associés.

S’il est exact qu’il existait un conflit entre M. [H] et ses autres associés portant sur la gestion de l’entreprise qui transparaît en particulier dans le mail de M. [H] du 13 décembre 2016, la question du commissionnement promis à une personne se présentant comme apporteur d’affaires sans qu’il en ait été informé ne relève pas de ce conflit mais d’une problématique ayant trait à l’exécution du contrat de travail de M. [H] qui était directeur commercial de la société et qui, à ce titre, était directement concerné par cette question.

En revanche, la remarque de M. [K] ‘Merci de cette réponse sans intérêt [F], au moins je sais à qui m’adresser quand je n’ai besoin de rien…’ s’inscrit exclusivement dans ce conflit d’associés puisqu’elle fait directement suite au mail précité de M. [H] portant uniquement sur ses propositions sur la gestion de la société. La remarque litigieuse ne peut dès lors être retenue au titre d’un agissement de harcèlement moral.

Mais celle de M. [G] (‘Ah oui! Cela on le savait tous, la connerie humaine n’a pas de limite!’) ne saurait être exclusivement rattachée à ce conflit puisqu’elle fait suite initialement au problème de commissionnement précité.

Les problèmes de connexion informatique et de téléphonie sont étrangers au conflit d’associés, car relevant des conditions de travail de M. [H] en tant que directeur commercial, et les avertissements concernant la suppression de son poste de directeur commercial portent à l’évidence sur son contrat de travail. Enfin, rien ne permet d’établir que les problèmes de santé et l’arrêt de travail de M. [H] sont exclusivement liés au conflit d’associés, le médecin du travail ayant notamment relevé que le salarié rapportait des conditions d’exécution de son travail difficiles.

La société répond aussi que M. [H] n’a pas été privé de moyens de communication, ni mis à l’écart.

S’agissant des problèmes téléphoniques, elle invoque un coût financier trop important et le fait que tous au sein de la société étaient placés dans la même situation. Mais elle n’apporte aucun élément de preuve au soutien de cette affirmation. En effet, elle se base sur un mail du 19 décembre 2017 (pièce n°23). Or, sa pièce n°23 est un mail de 2010 et, selon son bordereau de pièces, elle ne produit pas de mail du 19 décembre 2017.

S’agissant des problèmes informatiques, elle prétend que M. [H] utilisait une version obsolète du CRM entraînant des dysfonctionnements mais ne fournit pas d’élément de preuve corroborant cette assertion.

Hormis le conflit d’associés invoqué mais qui a été écarté, la société n’apporte aucun élément de nature à justifier la remarque de M. [G] du 23 mai 2013.

Si M. [H] a bien signé une rupture conventionnelle de son contrat de travail en mai 2018, les propos tenus évoquant la suppression de son poste de travail ne relèvent pas d’une négociation dès lors qu’ils sont bien antérieurs et qu’il s’agit, spécialement de ceux de M. [G], de termes comportant une certaine pression. En outre, la société ne fournit aucun élément sur l’état financier de la société ou son activité commerciale à l’époque où ces propos ont été tenus.

La société ne prouve donc pas que les agissements précités, excepté la remarque de M. [K], ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que la M. [H] a été victime de harcèlement moral. Compte tenu des pièces versées aux débats, notamment médicales, la réalité du préjudice subi de ce chef est établie et sera justement réparée par l’allocation d’une somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé en ce qu’il l’a débouté sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [H] sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, réclamant de ce chef la somme de 20 000 euros. Au soutien de sa demande, il invoque les éléments suivants :

– la société lui a fait miroiter la signature d’un contrat de travail s’il arrivait à développer au préalable l’activité commerciale de la société. Il a ainsi travaillé entre 2003 et 2004 sans avoir bénéficié d’un salaire. En outre, la société n’a pas conclu de contrat de travail écrit, n’ayant aucune intention de respecter les dispositions applicables en droit du travail. L’exécution déloyale se poursuit à l’occasion de la présente procédure, la société lui déniant la qualité de salarié et affirmant lui avoir adressé, dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement, un chèque qui n’est pas en sa possession ;

– la société n’a pas respecté les minima conventionnels et l’a rémunéré bien en deçà des seuils applicables ;

– la société a très régulièrement payé ses salaires en retard, en attestent notamment des échanges de mail et les bulletins de paie ;

– il n’a jamais été informé du traitement de ses données personnelles ;

– alors qu’il avait eu l’accord de la société pour effectuer une formation et engagé des démarches à ce titre, il a été contraint de signer une rupture conventionnelle.

La société réplique que :

– en application de l’article L. 1471-1 du code du travail, les faits remontant aux années 2003 et 2004 sont prescrits et, de surcroît, jusqu’à son embauche en octobre 2004, M. [H] était prestataire et cumulait son allocation Pôle emploi avec une rémunération non-salariée à sa demande ;

– le grief de non-respect des seuils minimaux conventionnels n’est pas fondé, la revalorisation sollicitée n’étant pas justifiée et M. [H] n’ayant jamais formé de réclamation ;

– il existait un décalage entre le moment où M. [H] percevait les indemnités de la Sécurité sociale et celui où il transmettait leur montant à la société, permettant le calcul du complément dû. De plus, le retard de l’organisme de prévoyance, lequel devait intervenir à compter du 4ème mois de l’arrêt de travail, ne peut être imputé à la société ;

– M. [H] ne peut se plaindre d’avoir perçu ses salaires en retard, étant associé à parts égales et connaissant les difficultés de trésorerie de la société ;

– M. [H] n’apporte aucun élément de preuve à l’appui de ses affirmations concernant le traitement de ses données personnelles ;

– il a bien suivi une formation.

***

Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Au soutien de sa demande, M. [H] fait d’abord valoir que la société l’a fait travailler sans l’embaucher comme salarié et sans le rémunérer en 2003/2004 et qu’elle n’a pas établi de contrat de travail écrit lors de son engagement en octobre 2004.

Il résulte de l’article L. 1471-1 du code du travail que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La prescription fondée sur ce texte est une fin de non-recevoir.

En application de l’article 954 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer sur la prescription invoquée par la société résultant de l’article L. 1471-1 précité en ce que la demande de M. [H] est fondée sur des faits datant de 2003 et 2004, dès lors que cette fin de non-recevoir n’est pas énoncée au dispositif de ses dernières conclusions, la société se bornant à conclure au débouté des demandes de M. [H], c’est-à-dire à leur rejet au fond.

Il appartient à l’appelant incident de prouver que de 2003 jusqu’à son embauche en octobre 2004, M. [H], dont il n’est pas contesté qu’il effectuait des prestations pour le compte de la société, se trouvait déjà dans un lien de subordination vis-à-vis d’elle caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Or, M. [H] ne procède pas à cette démonstration et la seule circonstance qu’aucun contrat de prestation de service ne soit produit par la société ne suffit pas à rapporter la preuve lui incombant. A défaut d’une telle preuve, l’absence de versement d’une rémunération, à supposer qu’il soit établi, ne caractérise pas de manquement à l’exécution loyale ou de bonne foi d’un contrat de travail dont l’existence, avant le 1er octobre 2004, n’est pas avérée.

Le défaut d’établissement par écrit du contrat de travail ayant pris effet le 1er octobre 2004 ne constitue pas davantage un manquement de la société à son obligation d’exécuter loyalement ses obligations dès lors que le contrat de travail à durée indéterminée n’est soumis à aucune forme particulière et peut être verbal.

La contestation de la qualité de salarié de M. [H] à l’occasion du litige élevé par celui-ci après la rupture conventionnelle du contrat de travail et le comportement de la société dans le cadre de l’exécution provisoire attachée au jugement attaqué ne s’analysent pas non plus en un manque de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, celui-ci ayant pris fin bien avant.

En revanche, le défaut de versement de la rémunération due pour la classification caractérise une exécution déloyale du contrat de travail. En effet, même si M. [H] ne justifie pas avoir réclamé cette rémunération avant la rupture de son contrat, la société ne pouvait ignorer que la classification de M. [H] correspondait à un minimum conventionnel et devait payer le salaire correspondant.

Il résulte des articles L. 1226-1 et D. 1226-1 du code du travail que M. [H] avait droit pendant son arrêt maladie, débuté en décembre 2016, à une indemnisation complémentaire à l’allocation journalière versée par la CPAM égale, compte tenu de son ancienneté de plus de 11 ans, à 90% de sa rémunération brute pendant 50 jours et à 66,66% pendant les 50 jours suivants. Par ailleurs, en application de l’accord du 27 mars 1997 relatif à la prévoyance, après un délai de carence de 90 jours, l’organisme de prévoyance devait compléter les versements de la Sécurité sociale à hauteur de 80% du salaire brut.

Les pièces versées aux débats démontrent que M. [H] percevait directement les indemnités journalières de la Sécurité sociale de sorte que pour obtenir le complément dû, il devait adresser le justificatif des sommes perçues de la Sécurité sociale. Or, M. [H] ne justifie avoir transmis à la société les relevés de la CPAM de décembre 2016 à début mars 2017 qu’en mars 2017 et il a obtenu son maintien de salaire pour décembre 2016 en janvier 2017 et celui de janvier et février 2017 en mars 2017 de sorte qu’il ne saurait se plaindre d’un retard imputable à l’employeur à ces titres. M. [H] ne justifie pas d’autres transmissions de ses relevés CPAM, sauf avoir, entre début août 2017 et fin septembre 2017, adressé à l’employeur des relevés concernant juillet, août et septembre 2017. Il n’est donc pas établi de manquement de l’employeur pour les autres mois. Par ailleurs, même pour les mois de juillet, août et septembre 2017, les pièces communiquées ne suffisent pas à établir un retard imputable à la société dès lors que pour cette période, le complément devait être versé par l’organisme de prévoyance.

L’existence de manquements imputables à l’employeur dans le versement des compléments de salaire pendant l’arrêt de travail n’est pas établie et a fortiori, une exécution déloyale du contrat de travail à ce titre ne l’est pas.

Les mails de M. [H] de 2014 sont insuffisants à démontrer un retard de paiement des salaires à cette époque. En revanche, il résulte de l’échange de mails de février/mars 2018 et de juin 2018 entre MM. [H] et [K] que les salaires de janvier et février 2018 ainsi que les tickets restaurant de décembre 2017 à juin 2018 ont été payés avec retard. Le salaire de janvier 2018 n’a été payé qu’en juin 2018 et les tickets restaurant encore plus tardivement. Le retard du paiement du salaire et de ses accessoires constitue incontestablement un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles. Les difficultés de trésorerie de la société à l’époque ne sont pas établies par des éléments objectifs, le mail de M. [K] évoquant un manque de rentrées d’argent étant insuffisant à en justifier. Dans ces conditions, le retard de paiement important pour le salaire de janvier 2018 et les tickets restaurant caractérise aussi une exécution déloyale du contrat de travail.

M. [H] ne fournit aucun élément de preuve au soutien de ses allégations selon lesquelles les locaux de la société étaient équipés d’un système de vidéo surveillance, y compris dans son propre bureau, sans déclaration à la CNIL, ni information individuelle des salariés. La société admet seulement avoir testé une caméra sur une très courte période dans une pièce inoccupée. En l’état de ces éléments, une exécution déloyale du contrat de travail n’est pas caractérisée de ce chef. La simple circonstance que M. [H] n’ait pas reçu d’information sur le traitement de ses données personnelles n’en justifie pas non plus. Le fait que ses accès informatiques aient été interrompus a déjà été retenu et indemnisé au titre des agissements de harcèlement moral.

Enfin, le seul mail de M. [H] du 2 mai 2018 est insuffisant à démontrer qu’il avait obtenu l’accord de son employeur pour effectuer une formation. L’attitude contradictoire de la société qui lui aurait ainsi donné son accord avant de le contraindre à signer une rupture conventionnelle, l’empêchant de suivre cette formation, n’est pas établie.

Ainsi, sont retenus au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail le défaut de versement de la rémunération due pour la classification et le retard de paiement important pour le salaire de janvier 2018 et les tickets restaurant. Le retard pris pour le paiement du salaire minimum conventionnel est réparé par la condamnation aux intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure et M. [H] ne justifie pas d’un préjudice distinct. Mais il résulte des mails de M. [H] que celui-ci s’est à plusieurs reprises inquiété du défaut de paiement de sa rémunération et des tickets restaurant en 2018, ce qui caractérise un préjudice moral qui sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé en ce qu’il l’a débouté de ce chef.

Sur les intérêts au taux légal

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la remise des documents

Il convient d’ordonner la remise de bulletins de salaire conformes au présent arrêt dans le délai d’un mois à compter de sa notification, sans qu’il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles

C’est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société aux dépens et à payer à M. [H] somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. La décision sera confirmée à ce titre. La société sera condamnée aux dépens d’appel, déboutée de sa demande fondée sur ces dispositions et condamnée à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros pour la procédure d’appel au même titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement en ses dispositions relatives à la compétence, au rappel de salaire, à l’indemnité compensatrice des congés payés afférents, à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

L’infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

DIT que la condamnation au paiement des sommes de 80 987,46 euros à titre de rappel de salaire et de 8 098,74 euros au titre de l’indemnité compensatrice des congés payés afférents emporte intérêt au taux légal à compter de la réception par la société Llis de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, soit le 29 mai 2019 ;

CONDAMNE la société Llis à payer à M. [H] les sommes de :

– 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE à la société Llis de remettre à M. [H] les bulletins de salaire des mois de juin 2015 à juin 2018 conformes à la présente décision dans le délai d’un mois à compter de sa notification ;

CONDAMNE la société Llis à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société Llis aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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