Conflits entre associés : décision du 1 décembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02854

Conflits entre associés : décision du 1 décembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02854

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35G

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 DECEMBRE 2022

N° RG 22/02854 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VE5E

AFFAIRE :

[C] [B]

C/

[O] [B]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 28 Mars 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Nanterre

N° RG : 21/00468

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 01.12.2022

à :

Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT, avocat au barreau de VERSAILLES,

Me Thierry VOITELLIER, avocat au barreau de VERSAILLES,

Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN, avocat au barreau de VERSAILLES,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [C] [B]

né le [Date naissance 7] 1959 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 10]

Monsieur [G] [B]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 – N° du dossier 20220114

Assistés par Me Isaline POUX, avocat plaidant au barreau de Paris

APPELANTS

****************

Madame [O] [B]

née le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 14]

de nationalité Française

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentant : Me Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52

Assistée par le cabinet Cornet-Ségurel

S.E.L.A.R.L. FHB

Prise en la personne de Maître [D] [I], ès-qualités d’administrateur provisoire de la société CLISSES – SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DE LISSES

[Adresse 3]

[Localité 11]/France

Représentant : Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98

Assistée par Me François DUPUY, avocat plaidant au barreau de Paris

S.C.I. TELLENE INVESTISSEMENT

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

N° SIRET : 393 830 245

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 – N° du dossier 20220114

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président chargé du rapport et Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [O], M. [G] et M. [C] [B] ont intégré différentes sociétés créées par leur père et notamment la société Cilisses et la société civile immobilière Tellene investissement (ci -après CITI).

La société CITI est détenue en usufruit par M. [G] [B] pour 96,7%, la nue-propriété est répartie par moitié entre d’une part Mme [O] [B] et d’autre part, les enfants de M. [C] [B]. Elle était gérée à l’origine essentiellement par M. [G] [B] qui touchait un salaire annuel de 15 000 euros et cogérée par Mme [O] [B] et M. [C] [B].

La société CITI détient 99,64% de la société Cilisses, M. [C] et Mme [O] [B] détiennent chacun pour moitié les parts restantes soit chacun 0,18% de la société. Cette société Cilisses à pour objet l’acquisition, l’administration ou l’exploitation par bail, location ou autrement, de tous immeubles en totalité ou par appartements.

La société Cilisses est propriétaire de plusieurs locaux et détient des parts sociales dans plusieurs sociétés. Elle a notamment acquis 50% du capital social de la société Mawa et 50% du capital social de la société Logifund.

[C], [O] et [G] [B] étaient tous trois gérants de la société Cilisses. Mme [O] [B] a été révoquée de ces fonctions lors de l’assemblée générale du 21 octobre 2020.

Parallèlement, M. [C] [B] a créé le 11 décembre 2020 une nouvelle société CMB Invest dans laquelle sont associés, outre lui-même, ses enfants, son frère, M. [G] [B] et M. [K] ainsi que la société Cilisses hauteur de 20%.

Par courrier du 7 janvier 2021, M. [C] [B] a convoqué Mme [O] [B] à une assemblée générale de la société Cilisses en date du 22 janvier 2021.

Par acte d’huissier de justice délivré le 26 janvier 2021, Mme [O] [B] et la société CITI ont fait assigner en référé à heure fixe la société Cilisses, M. [C] [B] et M. [G] [B] devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d’obtenir principalement de :

– ordonner l’ajournement de l’assemblée générale extraordinaire de la société Cilisses convoquée pour le vendredi 22 janvier 2021 à [Localité 12] jusqu’au dépôt par l’administrateur provisoire du rapport évoqué à la mission ci-dessous sollicitée ;

‘- désigner un administrateur judiciaire en qualité d’administrateur provisoire de la société Cilisses pour une durée de 12 mois avec pour mission de :

– administrer la société Cilisses et la gérer avec les pouvoirs d’un gérant ;

– dresser un rapport sur la gestion de la société Cilisses depuis le 22 janvier 2019 et les opérations visées et l’ordre du jour de l’assemblée convoquée pour le 22 janvier 2021 consistant pour la société Cilisses à souscrire au capital de la société CMB Invest et à lui céder ses participations dans les sociétés Mawa et Logifund et les créances de compte courant détenues à l’égard de ces sociétés et donner un avis sur leur conformité à l’intérêt de la société Cilisses ;’

– condamner les défendeurs in solidum à payer à chacune des requérantes une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire rendue le 28 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

– renvoyé les parties à se pourvoir au fond du litige,

– par provision, tous moyens des parties étant réservés,

– désigné pour une durée d’un an la société FHB en la personne de Maître [D] [I] avec pour mission de :

– administrer la société Cilisses et la gérer avec les pouvoirs d’un gérant, en convoquant éventuellement une assemblée générale si nécessaire,

– dresser un rapport sur la gestion de la société Cilisses depuis le 1er janvier 2019 et les opérations visées à l’ordre du jour de l’assemblée convoquée pour le 22 janvier 2021, donner un avis sur la conformité à l’intérêt de la société Cilisses des opérations de cession de la société Cilisses à la société CMB investissements,

– fixé à la somme de 3 000 euros la provision qui devra être versée par Mme [O] [B] qui pourra éventuellement se faire rembourser ensuite par la société Cilisses,

– condamné MM. [G] et [C] [B] à verser à Mme [O] [B] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné MM. [G] et [C] [B] à payer les dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 22 avril 2022, MM. [C] et [G] [B] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 28 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, MM. [G] et [C] [B] et la société CITI demandent à la cour de :

– infirmer l’ordonnance du tribunal judiciaire de Nanterre en toutes ses dispositions ;

en conséquence :

– ordonner la fin de la mission la société FHB prise en la personne de Maître [D] [I] ès qualité d’administrateur provisoire de la société Cilisses ;

– débouter Mme [O] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes ;

– condamner Mme [O] [B] à leur payer la somme de 4 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 13 octobre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [O] [B] demande à la cour, au visa des articles 835 et 700 du code de procédure civile, de :

– débouter MM. [C] et [G] [B] de l’ensemble de leurs demandes ;

– confirmer l’ordonnance de référé du 28 mars 2022 dans toutes ses dispositions ;

– condamner MM. [C] et [G] [B] in solidum à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 8 juillet 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société FHB demande à la cour de lui donner acte en ce qu’elle s’en rapporte à justice sur le mérite des demandes de MM. [C] et [G] [B] ainsi que de la société CITI d’une part et de celles de Mme [O] [B] d’autre part.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera indiqué que, si l’administrateur judiciaire expose s’en remettre à justice, il n’y a pas lieu de lui en donner acte, une telle formulation ne constituant pas une prétention dont la cour serait saisie.

Sur la désignation d’un administrateur provisoire

MM. [C] et [G] [B] et la société CITI exposent au soutien de leur appel qu’il n’existe aucun péril imminent ni fonctionnement anormal de la société Cilisses justifiant la désignation d’un administrateur.

Ils font valoir que la simple opposition d’associés minoritaires à certaines décisions des dirigeants ne saurait à elle seule constituer une circonstance exceptionnelle justifiant la nomination d’un administrateur provisoire, dès lors qu’il n’est pas établi que les intérêts sociaux de la société sont réellement en péril.

Sur la révocation de Mme [O] [B] de ses fonctions de gérante de la société Cilisses, les appelants indiquent qu’elle est conforme aux statuts et qu’elle était motivée par son absence d’implication effective au sein de la société. Ils soutiennent que celle-ci ne justifie d’aucun préjudice financier ni d’une volonté de nuire des autres associés.

Affirmant que la souscription de la société Cilisses au capital de la société CMB n’a pas, conformément aux statuts, à être approuvée par les associés, MM. [B] et la société CITI indiquent qu’elle ne représente pas de péril imminent dès lors que la société Cilisses bénéficiera indirectement des investissements de la société CMB. Ils en concluent que la société Cilisses n’a subi aucun préjudice dans cette opération.

Les appelants soutiennent que le montage juridique qu’ils ont proposé lors de l’assemblée générale de la société Cilisses du 22 janvier 2021 ne contrevient pas à l’intérêt social de la société : ils exposent que, dès lors que Mme [B] refusait de signer des actes de non-cession de parts et de se porter caution auprès des banques, la société Cilisses ne pouvait plus procéder à de nouvelles acquisitions alors qu’il s’agit de son objet social, et font valoir que c’est Mme [B] elle-même qui leur a suggéré de créer une nouvelle structure pour procéder à de nouveaux investissements, ce qui est à l’origine de la création de la société CMB.

MM. [B] et la société CITI exposent qu’ils ont souhaité investir dans les sociétés civiles immobilières Mawa et Logifund, qui n’étaient alors pas rentables et ne généraient aucun revenu, que Mme [B] leur avait donné son accord pour que ces participations soient cédées à la nouvelle structure et qu’ils ont donc indiqué lors de l’assemblée générale du 22 janvier 2021 vouloir céder les parts de ces sociétés, détenues par la société Cilisses à hauteur de 50%, à la société CMB, à leur valeur nominale, correspondant à la valeur réelle des parts à ce jour, cette cession étant donc parfaitement régulière.

Ils font valoir que M. [C] [B] a par ailleurs acquis, pour le compte de la société Cilisses, 100 parts de la société civile immobilière Les Essarts en 2019 et 33, 33 % de la société civile immobilière Constructive en 2021, ce qui démontre qu’il n’a pas dépossédé la société Cilisses.

Enfin, ils affirment que la convention de trésorerie conclue par la société Cilisses avec la société CMB est conforme à l’objet social de la première et ne lui porte pas préjudice puisqu’elle lui permet au contraire d’optimiser sa trésorerie et de participer indirectement au développement du groupe familial.

Arguant de l’absence de préjudice pour la société Cilisses en cas de revente d’un bien détenu par les sociétés Mawa ou Logifund, MM. [B] et la société CITI soutiennent qu’en effet, outre qu’il s’agit d’une perspective hypothétique, la société Cilisses pourrait dans ce cas obtenir le remboursement prioritaire de son compte-courant d’associé ainsi que le versement d’intérêts sur son compte-courant et le versement de dividendes en cas de bénéfice.

Sur l’acquisition par la société Cilisses d’un immeuble à [Localité 13] sans l’accord de Mme [B], les appelants exposent que cet accord n’était pas nécessaire au regard des statuts, que cette opposition n’était ni justifiée ni motivée et que Mme [B] ne rapporte la preuve ni d’une faute du gérant ni d’un préjudice.

Concernant la cession des parts sociales des sociétés Les Essarts et Constructiva à la société Cilisses, MM. [B] et la société CITI exposent que ni les statuts ni la loi n’obligent à tenir une assemblée générale afin que les associés approuvent l’achat de parts d’une société et que Mme [B] en avait été informée.

Ils exposent que l’augmentation de la rémunération de M. [C] [B] ne concerne que son activité dans la société Comptoir des pyrites et qu’en cas de refacturation d’une partie de ces sommes à une autre société, une assemblée générale devrait être convoquée afin d’approuver ce paiement.

Contestant tout manquement au titre de la communication de documents ou dans le cadre de la vente de la Tour Atlantique de La Défense, les appelants font valoir qu’aucun dysfonctionnement n’a été relevé par l’administrateur provisoire dans son rapport.

MM. [B] et la société CITI affirment que la société Cilisses a une trésorerie disponible ou mobilisable d’environ 1 050 000 euros, qu’elle n’a aucun problème de trésorerie et que la vente de la Tour Atlantique n’aurait pour objet que de permettre de racheter les parts de Mme [O] [B] dans l’ensemble des sociétés du groupe.

Concernant l’engagement de caution solidaire de la société Cilisses en faveur de la société Barlyn, les appelants indiquent qu’il a été régulièrement voté en assemblée générale, qu’il n’est que temporaire car la société CMB a vocation à s’y substituer. Ils concluent qu’il n’existe à ce titre aucun risque à l’encontre de la société Cilisses et qu’aucune « anomalie de gestion » ne peut leur être reprochée.

Contestant l’existence d’un péril imminent pour la société lié à la perte des actifs de la société et l’accroissement de l’exposition financière, MM. [B] et la société CITI font valoir que :

– la société Cilisses n’a pas de problème de trésorerie,

– elle ne s’est pas départie de ses actifs et bénéficie au contraire des nouveaux investissements réalisés par la société CMB,

– la convention de trésorerie conclue avec la société CMB n’a pas vocation à perdurer lorsque cette dernière sera en mesure de financer seule ses propres investissements,

– la cession des parts des sociétés Mawa et Logifund n’ont eu aucune incidence pour la société Cilisses, qui n’a pas perdu d’argent dans cette opération.

Mme [O] [B] affirme pour sa part que toutes les conditions de désignation d’un administrateur provisoire sont réunies.

Elle soutient que M. [C] [B] outrepasse régulièrement ses prérogatives et s’exonère de l’autorisation de l’assemblée générale des associés en établissant de faux procès-verbaux d’assemblée générale qu’il a ensuite déposés au greffe du tribunal de commerce, notamment lors de la vente des parts de la société Les Essarts, pour acquérir un immeuble à Meaux ou lors de la souscription de la société Cilisses au capital de la société CMB, la circonstance qu’il allègue désormais selon laquelle l’autorisation des associés n’était pas requise étant sans incidence.

Elle fait valoir qu’elle a été révoquée abusivement de ses fonctions de gérante des sociétés Cilisses et Comptoir des Pyrites afin de la priver du pouvoir de s’opposer aux décisions de ses frères qui entendaient déposséder la société Cilisses de ses principaux actifs.

L’intimée indique que M. [C] [B] a très fortement augmenté sa rémunération de gérance de la société Comptoir des Pyrites, ce qui conduira la société Cilisses à lui payer indirectement une partie de la rémunération dont il a été privé par la désignation d’un administrateur provisoire, dès lors que les charges de la société Comptoir des Pyrites sont refacturées aux autres sociétés du groupe et notamment à la société Cilisses.

Mme [B] soutient que le rapport de l’administrateur provisoire joint à la convocation de l’assemblée générale du 30 juin 2022 confirme les dysfonctionnements affectant la société Cilisses puisqu’il lui a permis d’être informée des éléments suivants :

– M. [C] [B] a réalisé un faux procès-verbal d’assemblée générale faisant état d’une autorisation de l’assemblée générale de la société du 22 janvier 2021 alors que la société CMB a été constituée le 11 décembre 2020 et l’apport de la société Cilisses à cette société a eu lieu à cette même date,

– elle n’a pas été informée des états financiers et des acquisitions de la société CMB, alors que la trésorerie de la société Cilisses lui a été transférée,

– M. [C] [B] a signé un mandat de vente portant sur les locaux détenus par la société Cilisses dans la Tour Atlantique à La Défense pour un prix de 9 880 000 euros sans qu’elle en soit informée, pour rembourser notamment des comptes courants d’associés, ce qui démontre un manque de trésorerie suspect de la société.

Arguant de l’existence d’un péril imminent pesant sur la société Cilisses, l’intimée fait valoir que les décisions prises par MM. [B] ont pour seul objet et seul effet de favoriser les associés personnes physiques de la société CMB au détriment des intérêts de la société Cilisses, notamment par le transfert de la trésorerie de la société Cilisses à la société CMB (via la convention de trésorerie) pour une durée indéterminée à très faible coût.

Elle affirme notamment que la vente des parts à bas prix des sociétés Mawa et Logifund à la société CMB a pour conséquence la détention par la société Cilisses, indirectement, de 20% d’actifs qu’elle détenait jusque là à 100%, alors même que cette acquisition d’actifs a été financée par la propre trésorerie de la société Cilisses, moyennant une très faible rémunération et que 80% du capital de la société CMB est détenu par d’autres associés qui se répartiront l’essentiel des profits.

Elle indique également que la société Cilisses a également été requise pour se porter caution des dettes de la société Barlyn, filiale de la société CMB, à hauteur de 500 000 euros, sans qu’il soit démontré que ce cautionnement serait provisoire.

Mme [B] conteste avoir bloqué le fonctionnement de la société Cilisses en refusant de signer des engagements de non-cession de parts ou de se porter caution, faisant valoir qu’elle n’a refusé que ponctuellement de régulariser l’acquisition de l’immeuble de [Localité 13] qui était intervenue en fraude de ses droits puisqu’un faux procès-verbal de conservation avait été établi.

Elle affirme ensuite qu’il était possible pour M. [C] [B] de créer une nouvelle structure d’investissement sans lui transférer les actifs de la société Cilisses ni lui faire supporter tous les risques.

Concluant à la nécessité de confirmer la désignation d’un administrateur provisoire pour la société, Mme [O] [B] fait valoir que le bénéfice que la société Cilisses peut tirer de sa participation dans la société CMB est bien moindre que ce dont elle jouissait avant ces opérations, puisqu’elle n’a plus désormais vocation qu’à bénéficier indirectement des investissements de la société CMB alors qu’elle en aurait profité directement si elle en était restée propriétaire et soutient que la société Cilisses aurait pu utiliser sa trésorerie de façon plus rémunératrice.

La Selarl FHB, prise en la personne de Maître [D] [I] ès qualités d’administrateur provisoire de la société Cilisses, indique s’en rapporter sur les demandes de MM. [B], faisant valoir qu’il n’appartient pas à l’administrateur provisoire de se prononcer sur les conditions de sa désignation et que sa mission n’est pas encore achevée.

Sur ce,

En vertu des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’article 1833 du code civil dispose que : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés.

La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent.

Il appartient à Mme [O] [B], qui sollicite la désignation d’un administrateur provisoire, de justifier que ces deux conditions sont remplies en l’espèce.

Pour démontrer le fonctionnement anormal de la société Cilisses, Mme [O] [B] justifie en premier lieu de l’établissement par M. [C] [B] de faux procès-verbaux d’assemblée générale :

– le 17 avril 2019 concernant les assemblées générales des sociétés Cilisses et Comptoir des Pyrites (cession de 168 parts de la société civile immobilière Les Essarts par la société Comptoir des Pyrites à la société Cilisses),

– le 22 juillet 2020 concernant l’acquisition par la société Cilisses d’un immeuble à [Localité 13].

Dans ces trois cas, les procès-verbaux d’assemblées générales mentionnent que les délibérations ont été votées à l’unanimité alors que Mme [O] [B] n’avait été ni convoquée ni informée, ce que M. [C] [B] a reconnu dans son courriel du 29 juillet 2020 (pièce 18 de l’intimée).

De même, M. [C] [B] a convoqué Mme [O] [B] à une assemblée générale le 21 janvier 2021 pour autoriser la souscription de la société Cilisses au capital de la nouvelle société CMB Invest, alors qu’en réalité cette opération avait déjà été effectuée le 11 décembre 2020 (pièce 41 de l’intimée).

Il est également justifié que la révocation de Mme [O] [B] de son mandat de gérante de la société Cilisses lors de l’assemblée générale du 21 octobre 2020 est intervenue alors que l’ordre du jour prévoyait la ‘confirmation du mandat des gérants’, dans un contexte d’opposition entre Mme [B] et M. [C] [B] sur la modification de la répartition du capital dans le groupe.

Si M. [C] [B] et M. [G] [B] affirment que le fonctionnement de la société Cilisses était bloqué par l’attitude de Mme [O] [B] qui aurait refusé tout nouvel engagement, il ressort en réalité des correspondances entre les consorts [B] que, si Mme [O] [B] a demandé au début de l’année 2019, à ce qu’il n’y ait plus d’investissements pour son compte, c’est en raison de la demande formée par M. [C] [B] le 6 mars 2019 de modifier la répartition du capital du groupe afin de ‘refléter l’équilibre entre montants investis (capital) et travail’, ce qui justifiait selon lui une répartition du capital en pourcentage de 75/25 à son profit au lieu de 50/50 (pièce 6 de l’intimée). M. [C] [B] avait d’ailleurs compris le sens de cette demande puisqu’il répondait le 11 mars 2019 : ‘tu ne veux pas t’endetter dans l’intervalle [de la réorganisation]. Je suis d’accord, on peut aller vite, en travaillant chacun de notre coté sur la valo.’ (pièce 8 de l’intimée).

Il apparaît en conséquence qu’est démontrée l’existence d’un fonctionnement anormal de la société Cilisses depuis plusieurs années, M. [C] [B] exerçant manifestement la gestion de la société en fonction de ses impératifs personnels et sans tenir compte de l’avis des autres associés.

Les arguments selon lesquels la tenue de ces assemblées générales n’était pas nécessaire et la révocation de Mme [B] serait intervenue conformément aux statuts sont inopérants, dès lors qu’il s’agit en l’espèce de procès-verbaux d’assemblées générales établis faussement en parfaite connaissance de cause par M. [C] [B], qui était informé de l’opposition de sa soeur à ces projets, et d’une révocation brutale du mandat de gérante de l’intimée, la gestion de la société n’étant donc pas conforme aux règles de droit applicables.

Sur le péril imminent, Mme [B] justifie qu’à la suite de la création de la société CMB Invest par la société Cilisses (à hauteur de 20%), MM. [B], leurs enfants et M. [K] en décembre 2020, de nombreuses décisions ont été prises concernant la société Cilisses et la société CMB au premier trimestre 2021 :

– une convention de trésorerie a été conclue le 8 février 2021 entre la société Cilisses et la société CMB par laquelle la société Cilisses s’est engagée à ‘apporter en numéraire à CMB Invest un montant en compte courant de 3 500 000 euros maximum’, pour une durée indéterminée, moyennant une rémunération par le versement d’intérêts correspondant au taux d’intérêt fiscalement déductible dont les appelants ne contestent pas qu’il s’élevait à 1, 17%, cette convention ne prévoyant pas de garantie particulière.

– la société Cilisses a cédé à la société CMB les parts qu’elle détenait dans les sociétés civiles immobilières Mawa et Logifund (50% du capital social ), les parts sociales de ces deux sociétés étant cédées, à leur valeur nominale (5 000 euros chacune ) et les montant des comptes courants d’associés détenus par la société Cilisses sur les sociétés Mawa et Logifund étant en conséquence déportés sur la société CMB.

Il apparaît que l’acquisition par la société CMB d’actifs de la société Cilisses, à bas prix, et au surplus au moyen de la trésorerie de la société Cilisses du fait de la convention de trésorerie, peut légitimement être qualifiée par Mme [B] d’appauvrissement de la société Cilisses, sans qu’il soit justifié que cela pourrait correspondre d’une quelconque manière à son intérêt social, et cela même si la société Cilisses est associée minoritaire de la société CMB.

Par ailleurs, la société Cilisses s’est portée caution solidaire le 15 avril 2021 de la société civile immobilière Barlyn à hauteur de 500 000 euros. Or, ce cautionnement solidaire, dont rien ne justifie qu’il puisse présenter un intérêt pour elle constitue un important risque financier pour la société Cilisses, la mise en oeuvre de la garantie apparaissant particulièrement périlleuse eu égard aux sommes en jeu. Il en est d’ailleurs de même de la convention de trésorerie en cas d’absence de remboursement.

Il apparaît en outre dans le rapport de l’administrateur provisoire à l’assemblée générale de la société Cilisses du 30 juin 2022 que ‘ l’administrateur provisoire constate que le compte bancaire détenu par la société auprès de la banque HSBC était créditeur en moyenne de 1 778 229, 38 euros sur l’année 2021. Au 31 décembre 2021, le solde de ce compte était de 1 390 171, 30 euros. De nombreux prélèvements et virement conséquents ont été portés au débit de compte depuis janvier 2022 de telle sorte qu’au 13 juin 2022, le solde bancaire HSBC était de 34 352, 01 euros. L’administrateur provisoire en fera état dans son rapport à établir à l’attention du tribunal. A date, l’administrateur provisoire émet toutefois des interrogations quant à la situation financière de la société et sa capacité à faire face à son passif exigible avec son actif disponible dans les mois à venir.’

Au regard de ces opérations intervenant au détriment de la société Cilisses, de l’existence d’un risque financier important pour elle et de la diminution majeure de sa trésorerie, dans un contexte de conflit entre associés et d’éviction brutale d’une gérante, il convient de dire qu’est caractérisé le péril imminent justifiant la désignation d’un administrateur provisoire. L’ordonnance querellée sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Parties perdantes, M. [C] [B] et M. [G] [B] ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Ils devront en outre supporter in solidum les dépens d’appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à Mme [O] [B] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. M. [C] [B] et M. [G] [B] seront en conséquence condamnés in solidum à lui verser une somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne M. [C] [B] et M. [G] [B] in solidum à verser à Mme [O] [B] la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [C] [B] et M. [G] [B] in solidum aux dépens d’appel avec application au profit des avocats qui le demandent des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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