Conflits entre associés : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01521

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Conflits entre associés : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01521

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ORDONNANCE DU 23 FEVRIER 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01521 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG7LM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2022 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2022060023

Nature de la décision : contradictoire

NOUS, Madame Sophie MOLLAT, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Madame FOULON, Greffière.

DEMANDEURS

Monsieur [P] [I]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Monsieur [M] [N]

[Adresse 3]

[Localité 8]

S.A.R.L. SULTAN exerçant sous le nom commercial ELYSEES ISTAMBUL

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentés par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, avocat postulant

Représentés par Me Arnaud PERICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : J086, avocat plaidant

DEFENDERESSES

SELARL [R] CHARPENTIER, en la personne de Me [D] [R]

en qualité d’administrateur judiciaire de la SARL SULTAN

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719, avocat postulant et plaidant

S.C.P. BTSG², en la personne de Me [J] [H]

en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SULTAN

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentée par Me Fabrice DALAT de la SCP Herald anciennement Granrut, avocat au barreau de PARIS, toque : P0373, avocat postulant et plaidant

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 4]

[Localité 7]

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 16 Février 2023 :

Exposé des faits et de la procédure

La SARL Sultan exerce une activité de restauration de type traditionnelle.

Elle est détenue par la société holding du Triangle d’Or, ayant elle même comme actionnaires M. [I] et Mme [Y] à 95 % et M. [N] à 5 %.

La société Sultan a été dirigée par M. [N] à compter du 2 novembre 2017 jusqu’au 14 mars 2021, par Mme [Y] du 12 avril 2021 au 16 novembre 2021 et de nouveau par M. [N] à compter du 16 novembre 2021.

Saisi par requête de Mme [Y], le président du tribunal de commerce de Paris a nommé la SELARL [R] Charpentier, prise en la personne de Maître [R], en qualité d’administrateur provisoire par ordonnance du 14 septembre 2022.

Maître [R], ès qualité d’administrateur provisoire de la société, a déposé le 12 décembre 2022 une déclaration de cessation des paiements, aux fins d’une ouverture de redressement judiciaire.

Par jugement en date du 16 décembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Sultan et a désigné la SCP BTSG, prise en la personne de Maître [H], en qualité de liquidateur judiciaire. Le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 31 octobre 2022.

Le tribunal a retenu que la société Sultan employait 14 salariés et que son chiffre d’affaires annuel s’élevait à 320 708 euros. Selon les informations de l’administrateur provisoire, le passif de la société s’élevait à 603 185,66 euros dont 66 446,76 euros exigibles. L’actif indisponible s’élevait à 862 579 euros.

Le tribunal a considéré qu’un redressement judiciaire ne pouvait être envisage en raison d’un passif important et de l’impossibilité de présenter un prévisionnel.

Par déclaration en date du 26 décembre 2022, la société Sultan a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Paris.

Par assignation du 30 janvier 2023, M. [I], M. [N] et la société Sultan ont assigné la SELARL [R] Charpentier, prise en la personne de Maître [R], en qualité d’administrateur provisoire de la société, la SCP BTSG, prise en la personne de Maître [H], en qualité de liquidateur judiciaire et le ministère public devant le premier président de la cour d’appel de Paris aux fins de l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Paris.

******

M. [I], M. [N] et la société Sultan demandent au premier président de :

PRONONCER l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de Paris en date du 16 décembre 2022.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2023, la SCP BTSG, prise en la personne de Maître [H], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sultan demande au premier président de :

DIRE M. [I] irrecevable en sa demande.

REJETER la demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de Paris en date du 16 décembre 2022.

CONDAMNER M. [I] et M. [N] in solidum à payer la somme de 1500 euros au profit de la SCP BTSG, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sultan au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur le défaut de qualité à agir

L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix la chose jugée.

Il résulte de l’article L 661-1 du code de commerce que sont susceptibles d’appel les décisions statuant sur l’ouverture de la liquidation judiciaire de la part du débiteur soumis à la procédure, du liquidateur et du ministère public.

En conséquence seule la société représentée par son gérant en exercice est recevable à former appel du jugement ayant prononcé sa liquidation judiciaire au titre de l’exercice de ses droits propres et à demander, dans le cadre de cet appel, l’arrêt de l’exécution provisoire attachée à la décision.

Monsieur [I] est actionnaire de la société et n’a pas la qualité de gérant, il ne représente donc pas la société Sultan de telle sorte qu’il convient de le déclarer irrecevable à demander l’arrêt de l’exécution provisoire.

Sur l’arrêt de l’exécution provisoire

Il résulte de l’article R. 661-1 du Code de commerce, dérogeant aux dispositions de l’article 514-3 du Code de procédure civile, que seuls des moyens sérieux d’appel permettent de suspendre l’exécution provisoire attachée au jugement ouvrant une procédure de liquidation judiciaire.

Sur l’absence de démonstration du caractère manifestement impossible du redressement

La société Sultan fait valoir qu’à la suite d’une déclaration de cessation des paiements en date du 9 décembre 2022, l’administrateur provisoire de la société avait sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

La société Sultan rappelle que l’administrateur provisoire a finalement indiqué lors de l’audience ne pas être en mesure de présenter un prévisionnel pour justifier du redressement envisageable de la société Sultan, et ne pas être opposé à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

La société Sultan reconnaît être en état de cessation des paiements mais soutient que la déclaration de cessation des paiements et le jugement d’ouverture ne justifient pas l’impossibilité manifeste de la société d’être redressée en indiquant seulement que la société dispose d’un passif important et d’une impossibilité de présenter un prévisionnel.

Elle ajoute que l’impossibilité de présenter un prévisionnel est causée par la précipitation de l’administrateur provisoire lors du dépôt de la déclaration de cessation des paiements.

Le liquidateur judiciaire indique que le passif de la société Sultan s’élève à la somme de 671 637 euros à ce jour. Il ajoute qu’aucune situation de trésorerie n’a été communiquée.

Sur les perspectives de redressement dont dispose la société Sultan

La société Sultan indique avoir réalisé un résultat d’exploitation de 35 097 euros au titre de l’exercice 2018, 64 988 euros au titre de l’exercice 2019, – 46 427 au titre de l’exercice 2020 et 108 euros au titre de l’exercice 2021.

Elle précise que son chiffre d’affaires est de 683 789 euros sur la période de janvier 2022 à octobre 2022.

En s’appuyant sur son prévisionnel, la société Sultan fait valoir par ailleurs qu’elle devrait atteindre un résultat d’exploitation de 96 216 euros au titre de l’exercice 2023, de 114 561 au titre de l’exercice 2024 et de 133 900 euro au titre de l’exercice 2025. Concernant sa trésorerie, cette dernière devrait s’élever à 45 073 euros en 2023, 39 731 euros en 2024 et 78 113 euros en 2025. La société Sultan soutient donc au regard de ces éléments et compte tenu de la faiblesse de son passif exigible d’un montant de 66 446 euros, qu’elle a de réelles chances d’être redressée. Selon elle, le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire devrait ainsi pouvoir être réformé.

Le liquidateur judiciaire fait valoir que l’administrateur provisoire avait sollicité le redressement judiciaire auprès du tribunal de commerce mais qu’il n’était pas en mesure de présenter un prévisionnel de trésorerie et d’exploitation compte tenu de l’absence d’éléments communiqués dans le cadre de sa mission.

Le liquidateur judiciaire indique que la société Sultan a désormais communiqué un prévisionnel mais que la société Sultan est en liquidation judiciaire depuis le 16 décembre 2022. Il estime donc que compte tenu du calendrier de la présente procédure, la société Sultan ne pourrait bénéficier d’une possible décision d’infirmation qu’au mois de juin 2023.

Il précise que l’ensemble des salariés a été licencié pour motifs économiques dès le prononcé de la liquidation judiciaire et rappelle que l’arrêt de l’exécution provisoire n’a pas d’effet rétroactif sur les actes accomplis par le liquidateur, de sorte que les licenciements économiques ne peuvent être remis en cause.

Il déduit donc qu’il apparaît impossible de poursuivre une activité sans salariés et sans possibilité de recrutement. Il ajoute enfin que les problématiques de détournements de recettes en espèce et l’existence d’un système de double caisse, telles qu’elles ressortent des constats de l’administrateur provisoire, interrogent quant aux perspectives de redressement de la société.

Sur ce

La déclaration de cessation des paiements a été déposée dans le cadre:

– d’un conflit entre les époux [I] en instance de divorce, propriétaires de 95% de la société Holding du Triangle d’Or qui est propriétaire de 100% des parts de la société Sultan qui a amené le dépôt par Mme [Y] d’une requête auprès du président du tribunal de commerce de Paris aux fins de désignation d’un administrateur provisoire pour la société Sultan.

La désignation de Me [R] en qualité d’administrateur provisoire ne s’est donc pas faite dans un cadre de difficultés financières de la société mais de difficultés entre les associés.

– d’une obstruction du gérant, Monsieur [N] par ailleurs actionnaire à hauteur de 5% de la Holding du Triangle d’Or à l’intervention de l’administrateur provisoire.

Ainsi l’administrateur provisoire s’est trouvé confronté au refus du gérant en exercice, Monsieur [N], de partager des informations concernant le fonctionnement de la société Sultan pour permettre l’exécution du mandat qui lui avait été confié,alors même que sa désignation par le tribunal de commerce en faisait un acteur neutre dans le conflit entre les associés, de natureà permettre à la société de continuer à fonctionner.

Maître [R] privé de toute information sur la société a cependant constaté des irrégularités de fonctionnement en particulier s’agissant des heures de travail des salariés ne correspondant pas aux contrats de travail et heures déclarées auprès de l’Urssaf et s’agissant d’une absence de déclaration de toutes les recettes du restaurant.

Au regard desdites irrégularités et de l’absence de tout élément financier l’administrateur provisoire a déposé une déclaration de cessation des paiements qui a entrainé l’ouverture d’une liquidation judiciaire de la société.

Cependant la société a présenté un résultat d’exploitation de 108 euros en 2021, année qui restait difficile pour les restaurants situés près des Champs Elysées en raison des périodes de confinement et de la baisse de la fréquentation touristique qu’a connu la capitale, de 108 euros après avoir réalisé un chiffre d’affaire de 292.543 euros.

Les résultats 2019, seuls résultats pouvant servir de référence sérieuse, présentaient un chiifre d’affaire de 920.372 euros pour un résultat courant de 83.378 euros, ce qui démontre que la société pourrait en mesure de présenter un plan de redressement si son activité revient à son niveau de 2019 et si ses problèmes de gouvernance se règlent, le tout dans le respect des règles sociales et fiscales.

A l’audience le conseil de la société a reconnu la nécessité de changer la gouvernance de la société au regard des conséquences qu’a eu sur la société la position d’hostilité de Monsieur [N].

Par ailleurs il résulte des éléments portés à la connaissance de la cour que l’actionnaire principal de la holding, Monsieur [I], disposerait de fonds financiers permettant la relance de l’établissement jusqu’à l’audience en appel devant statuer sur l’ouverture de la liquidation judiciaire.

Il appartiendra donc à la société de produire aux débats pour cette audience des éléments financiers, de démontrer que son activité est effective, de rapporter la preuve d’une gestion saine et respectueuses des règles fiscales et sociales et d’établir la preuve qu’elle est en mesure de payer ses créanciers dans le cadre d’un plan de redressement.

Au regard de ces éléments, compte tenu du fait que l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire est principalement le résultat d’une part du conflit entre les époux [I] et d’autre part de l’obstruction du gérant au déroulement de la mission de l’administrateur provisoire, des moyens sérieux de réformation du jugement ouvrant la liquidation judiciaire existent au regard des possibilités de redressement de la société et il convient d’arrêter l’exécution provisoire du jugement du 16.12.2022.

Il ne convient pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens seront mis à la charge de la demanderesse.

PAR CES MOTIFS

Déclarons Monsieur [I] irrecevable à agir

Ordonnons l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du 16.12.2022

Disons n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Laissons les dépens à la charge de la société SULTAN.

ORDONNANCE rendue par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Présidente

 


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