Conflits entre associés : 2 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/02423

·

·

Conflits entre associés : 2 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/02423

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 02/03/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/02423 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UJBE

Jugement (N° 2022004504) rendu le 05 mai 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

Ordonnance rendue le 15 septembre 2022 par la chambre 2 section 1 de la cour d’appel de Douai

DEFERE

DEMANDEUR AU DEFERE

APPELANT

Monsieur [R] [N]

demeurant [Adresse 1].

représenté par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, substitué par Me Catherine Camus-Demailly, avocat

assisté de Me Eric Delfly, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

DEFENDERESSES AU DEFERE

INTIMÉES

Madame [K] [U]

née le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 5] (62

de nationalité française

demeurant [Adresse 4]

SAS My Cyber Royaume

ayant son siège social, [Adresse 2]

représentées par Me Yves-Marie Cramez, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Samuel Vitse, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

———————

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

DÉBATS à l’audience publique du 15 décembre 2022 après rapport oral de l’affaire par Samuel Vitse

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS ET PROCEDURE

En février 2017, M. [N] a créé la société My Cyber Royaume ayant pour activité l’édition et la conception d’outils de santé en réalité virtuelle immersive.

En février 2018, Mme [U] en est devenue coassociée.

Une mésentente est née entre les associés.

M. [N] a sollicité et obtenu la désignation d’un administrateur provisoire par ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 14 septembre 2021.

Le 23 février 2022, M. [N] a assigné la société My Cyber Royaume, prise en la personne de son administrateur provisoire, et Mme [U] devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins d’obtenir la désignation d’un mandataire ad hoc et la réparation du préjudice résultant de l’abus d’égalité imputé à Mme [U].

‘ Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a rejeté les demandes de M. [N].

Entre-temps, ce même tribunal avait, par jugement du 7 mars 2022, ouvert une procédure de sauvegarde de la société My Cyber Royaume, convertie en liquidation judiciaire par décision du 23 mars 2022.

‘ M. [N] a relevé appel du jugement du 5 mai 2022, en intimant Mme [U] et la société My Cyber Royaume, prise en la personne de son liquidateur judiciaire.

En application de l’article 905-1 du code de procédure civile, un avis de fixation à bref délai a été adressé le 14 juin 2022.

Le 12 juillet 2022, l’appelant a été invité à présenter ses observations sur la caducité de la déclaration d’appel susceptible d’être encourue, faute pour lui d’avoir signifié cette déclaration aux intimés dans le délai de dix jours à compter de la réception de l’avis de fixation.

M. [N] a présenté ses observations en réponse le 26 juillet 2022.

‘ Par ordonnance du 15 septembre 2022, notifiée le même jour, le président de la deuxième chambre, section 1, de la présente cour a prononcé la caducité de la déclaration d’appel.

‘ Par requête notifiée par voie électronique le 30 septembre 2022, M. [N] a, par application de l’article 916, alinéa 5, du code de procédure civile, déféré cette décision à la cour aux fins de voir :

« ANNULER l’ordonnance rendue par le Président de Deuxième Chambre section n°1 de la Cour de céans le 15 septembre 2022 ;

INFIRMER l’ordonnance entreprise rendue le 15 septembre 2022 par le Président de la Deuxième Chambre Section n°1 de la Cour d’appel de Douai en ce qu’elle a énoncé :

– Prononçons la caducité de la déclaration d’appel ;

– Condamnons l’appelant aux dépens d’appel ;

Statuant à nouveau

A TITRE PRINCIPAL

– CONSTATER que l’avis de fixation établi le 14 juin 2022 par le Président de la Deuxième Chambre Section n°1 de la Cour d’appel de Douai ne mentionne pas les modalités de la procédure de l’appel formé, instruit et jugé selon la procédure à bref délai en application des dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile ;

– JUGER que l’avis de fixation établi le 14 juin 2022 par le Président de la Deuxième Chambre Section n°1 de la Cour d’appel de Douai n’a pas été de nature à faire courir les délais et sanctions s’attachant aux dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile ;

Par conséquent,

– JUGER que la déclaration d’appel de Monsieur [R] [N] n’est pas caduque.

A TITRE SUBSIDIAIRE

Vu les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme,

Vu la nécessaire proportionnalité entre la sanction et l’accès à la justice

Vu le respect du contradictoire

– CONSTATER l’absence la proportionnalité entre la sanction attachée à la méconnaissance des dispositions des articles 905 et suivants du Code de procédure par rapport au but poursuivi tenant à l’efficacité et la célérité de la justice ;

– JUGER que la déclaration d’appel de Monsieur [R] [N] n’est pas caduque

EN TOUT ETAT DE CAUSE

– DEBOUTER la SCP ALPHA MJ prise en la personne de Maître [B] [V] es qualités de liquidateur judiciaire de la Société MY CYBER ROYAUME et Madame [K] [U] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes

– STATUER ce que de droit quant à la charge des dépens. »

M. [N] fait valoir que l’ordonnance de caducité de la déclaration d’appel doit être annulée au visa de l’article 455 du code de procédure civile, en ce qu’elle ne répond pas aux moyens développés dans les observations en réponse à l’avis de caducité.

Il ajoute que l’ordonnance doit, en toute hypothèse, être infirmée, au double motif que le formalisme de l’article 905 du code de procédure civile n’a pas été totalement respecté et que la sanction prononcée méconnaît le droit d’accès au juge.

S’agissant du manquement au formalisme de l’article 905 du code de procédure civile, il soutient que l’avis de fixation est insuffisant en ce qu’il ne comporte aucune mention de nature à attirer l’attention de l’appelant, d’une part, sur le délai particulièrement bref pour procéder à la signification de la déclaration d’appel, d’autre part, sur la sévérité de la sanction encourue en cas d’inobservation de ce délai. Il affirme qu’en l’absence d’une telle mention, le délai imparti n’a pu commencer à courir et qu’aucune caducité n’est donc encourue.

S’agissant de la violation du droit d’accès au juge, M. [N] considère que la sanction prévue à l’article 905-1 du code de procédure civile doit faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité au but poursuivi tenant à l’efficacité et à la célérité de la justice, sans pouvoir être automatique. Une solution inverse témoignerait d’un formalisme excessif, contraire à l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. M. [N] estime qu’en l’espèce, les intimés ont été informés de la nécessité de constituer avocat et rendus destinataires des conclusions de l’appelant suffisamment tôt pour que soit respecté le principe de la contradiction et atteint l’objectif de célérité de la justice.

‘ Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 décembre 2022, Mme [U] demande à la cour de :

« Constater la caducité de la déclaration d’appel de M. [R] [N] en date du 2022,

Condamner M. [R] [N] au paiement de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous frais et entiers dépens. »

Elle fait valoir que la caducité s’impose au regard de la lettre de l’article 905-1 du code de procédure civile et considère que M. [N] soutient à tort l’existence d’un formalisme excessif et d’une atteinte au principe de proportionnalité.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Sur la nullité de l’ordonnance de caducité de la déclaration d’appel

Aux termes de l’article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé. Une telle prescription est prévue à peine de nullité, conformément à l’article 458 du même code.

Selon une jurisprudence constante, le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs. Valent conclusions et appellent donc réponse, les observations écrites transmises par l’appelant à la suite d’un avis l’informant que la caducité de sa déclaration d’appel est encourue par application de l’article 905-1 du code de procédure civile.

En l’espèce, l’ordonnance querellée prononce la caducité de la déclaration d’appel, au motif que « l’appelant n’a pas signifié la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe ».

M. [N] soutient à juste titre que le président de chambre a délaissé les moyens tirés de l’inopposabilité de l’avis de fixation et du caractère disproportionné de la sanction, lesquels méritaient une réponse spécifique et explicite.

Il s’ensuit que la nullité de l’ordonnance est encourue.

L’effet dévolutif du déféré commande de statuer à nouveau sur la caducité de la déclaration d’appel, et ce dans les limites du pouvoir du président de chambre.

2- Sur la caducité de la déclaration d’appel

M. [N] soutient que l’avis de fixation lui est inopposable (2.1), de sorte qu’on ne saurait lui reprocher une quelconque inobservation du délai de signification de la déclaration d’appel (2.2). A supposer même la caducité encourue, il considère qu’une telle sanction est, en l’espèce, disproportionnée (2.3).

2.1- Sur l’opposabilité de l’avis de fixation

Aux termes de l’article 905 du code de procédure civile, « le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande d’une partie, fixe les jours et heures auxquels l’affaire sera appelée à bref délai au jour indiqué, lorsque l’appel :

1° Semble présenter un caractère d’urgence ou être en état d’être jugé ;

2° Est relatif à une ordonnance de référé ;

3° Est relatif à un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond ;

4° Est relatif à une des ordonnances du juge de la mise en état énumérées aux 1° à 4° de l’article 795 ;

5° Est relatif à un jugement statuant en cours de mise en état sur une question de fond et une fin de non-recevoir en application du neuvième alinéa de l’article 789. »

Une telle fixation de l’affaire donne lieu à un avis notifié par le greffe à l’appelant, lequel est alors tenu de signifier la déclaration d’appel, ainsi qu’il résulte de l’article 905-1 du code de procédure civile, dont le premier alinéa dispose que, « lorsque l’affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l’appelant signifie la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat. »

En l’espèce, M. [N] soutient que l’avis notifié par le greffe lui est inopposable en ce qu’il ne comporte aucune mention signalant le délai particulièrement bref pour procéder à la signification prescrite par le texte précité, ni non plus n’attire l’attention de son destinataire sur la sanction encourue en cas d’inobservation de ce délai.

Il s’infère de ses écritures qu’il entend manifestement transposer à la notification de l’avis de fixation par le greffe, les règles applicables à la notification des jugements, dont il résulte que l’absence de mention ou la mention erronée dans l’acte de notification d’un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours, ainsi qu’il résulte notamment d’un arrêt de la Cour de cassation (2e Civ., 24 septembre 2015, pourvoi n° 14-23.768, Bull. n° 214), cité par l’appelant au soutien de son argumentation. Cette règle propre à la notification des jugements n’est toutefois pas transposable à la notification de l’avis de fixation, lequel n’est pas un jugement susceptible de recours.

M. [N] entend également établir un parallèle avec l’information due au créancier en cas de contestation d’une créance déclarée, citant au soutien de son argumentation deux arrêts de la Cour de cassation (Com., 29 juin 2022, pourvois n° 21-11.652 et n° 21-11.655, inédits), dont il résulte que le délai imparti au créancier pour faire connaître ses explications ne court que si l’article L. 622-27 du code de commerce est reproduit dans la lettre d’information qui lui est adressée par le mandataire judiciaire. Le rappel qu’emporte une telle reproduction quant au délai de réponse du créancier procède toutefois expressément de l’article R 624-1 du code de commerce.

En l’occurrence, ni la lettre de l’article 905-1 du code de procédure civile ni aucun autre texte n’imposent de mentionner dans l’avis de fixation le délai de sa notification et la sanction encourue en cas d’inobservation d’un tel délai, étant relevé que les modalités de mise en oeuvre du texte précité ne sauraient être ignorées de l’avocat de l’appelant, professionnel du droit rompu à la procédure et nécessairement rendu destinataire de l’avis de fixation, s’agissant d’une procédure avec représentation obligatoire.

Il s’ensuit que l’avis de fixation litigieux est opposable à M. [N] et a fait courir le délai de signification de la déclaration d’appel.

2.2- Sur la signification de la déclaration d’appel

En application de l’article 905-1 du code de procédure civile, il incombait à M. [N] de procéder à la signification de la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation, à peine de caducité de ladite déclaration, sauf constitution préalable de l’intimé, la notification de l’avis de fixation à son conseil étant alors suffisante.

Force est de constater que M. [N] a reçu l’avis de fixation le 14 juin 2022 et signifié la déclaration d’appel le 8 juillet 2022, soit au-delà du délai de dix jours imparti par l’article 905-1 du code de procédure civile, étant précisé que les intimés ont constitué avocat le 22 juillet 2022.

Il s’ensuit que le délai de signification de l’avis de fixation n’a pas été observé, ce qui expose l’appelant à la caducité de sa déclaration d’appel, sanction dont la proportionnalité sera examinée ci-après.

2.3- Sur la disproportion de la sanction

L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit un droit d’accès au juge. Il est toutefois possible de limiter ce droit, dès lors qu’il ne se trouve pas atteint dans sa substance même et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés.

La procédure à bref délai prévu à l’article 905 du code de procédure civile poursuit un but de célérité de la justice dans des affaires présentant un caractère d’urgence. Un tel objectif justifie d’imposer aux parties des délais plus courts pour accomplir les actes de procédure. C’est ainsi que l’appelant dispose d’un délai d’un mois pour conclure à compter de l’avis de fixation de l’affaire, tandis que l’intimé dispose du même délai pour conclure en réponse à compter de la notification des écritures adverses. Le délai de dix jours imparti à l’appelant pour signifier la déclaration d’appel participe d’une telle célérité et permet de s’assurer que l’intimé, qui n’a pas encore constitué avocat, sera mis en mesure de préparer sa défense.

La caducité qui sanctionne l’inobservation du délai de dix jours imparti pour signifier la déclaration d’appel constitue un moyen proportionné au but poursuivi, à savoir la célérité de la justice, sans porter atteinte au droit d’accès au juge dans sa substance même.

Il importe peu que l’intimé ait pu finalement conclure à son tour à bref délai, la caducité de la déclaration d’appel étant destinée à sanctionner un manque de diligence de nature à contrarier sa défense et à rompre ainsi l’égalité des armes entre les parties, étant à cet égard observé qu’informer le conseil de l’intimé en première instance de l’existence d’un appel, fût-ce le jour même de l’exercice de cette voie de recours, ne saurait compenser une signification tardive de l’avis de fixation, lequel est destiné à alerter au plus vite l’intimé dont la constitution reste à venir, celui-ci pouvant parfaitement décider de confier ses intérêts à un nouveau conseil, la signification tardive de la déclaration d’appel pouvant l’en dissuader ou compliquer la mission d’assistance du nouvel avocat choisi.

Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que soutient M. [N], la caducité encourue dans la présente affaire ne témoigne pas d’un formalisme excessif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge. Elle constitue une sanction nécessaire pour atteindre l’objectif de célérité poursuivi par la procédure à bref délai et assurer le respect corrélatif des droits de la défense.

Il y a donc lieu de prononcer la caducité de la déclaration d’appel en date du 17 mai 2022.

3.- Sur les dépens et les frais irrépétibles

L’issue du déféré justifie de condamner M. [N] aux dépens d’appel et au paiement d’une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Annule l’ordonnance de caducité rendue le 15 septembre 2022 par le président de la deuxième chambre, section 1, de la cour d’appel de Douai ;

Statuant à nouveau,

Prononce la caducité de la déclaration d’appel en date du 17 mai 2022 ;

Condamne M. [N] à payer à Mme [U] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [N] aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Marlène Tocco Samuel Vitse

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x