COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 02 MARS 2023
N° 2023/166
Rôle N° RG 21/18272 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BITB7
[G] [U]
S.C.I. CHARLEMAGNE
C/
[L] [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Christophe DELMONTE
Me Olivier AVRAMO
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 30 novembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n°20/01159.
APPELANTS
Monsieur [G] [U]
agissant tant en sa qualité d’associé que de gérant de la SCI CHARLEMAGNE
né le 30 mai 1960 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1]
S.C.I. CHARLEMAGNE
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 3]
représentés par Me Christophe DELMONTE de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
Madame [L] [H]
née le 13 mars 1960 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 24 janvier 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Catherine OUVREL, Conseillère rapporteur
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 13 décembre 2004, enregistré à la recette principale de Toulon Nord-Est le 14 décembre 2004, la SCI Charlemagne a été constituée entre monsieur [G] [U] et madame [L] [H], alors mariés.
La SCI Charlemagne avait pour objet la gestion patrimoniale, son siège social était situé [Adresse 3], son gérant était monsieur [G] [U], et, son capital social était constitué de 160 parts dont 128 parts pour monsieur [G] [U] et 32 parts pour madame [L] [H]. La SCI Charlemagne est propriétaire d’un bien immobilier situé [Adresse 3], financé à l’aide d’un crédit immobilier, ce bien constituant aujourd’hui le domicile de madame [L] [H] qui règle un loyer.
Par jugement définitif du 18 novembre 2011, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Toulon a prononcé le divorce des époux [U]. Le régime matrimonial n’a pas été liquidé.
Invoquant des dysfonctionnements graves dans la gestion de la SCI Charlemagne et le risque encouru de blocage dans une telle situation de nature à générer un péril imminent, madame [L] [H] a saisi le juge des référés sur le fondement des articles 834 et suivants du code de procédure civile, par acte du 14 août 2021.
Par ordonnance en date du 30 novembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulon a :
désigné la SELARL [Z] [E] & associés prise en la personne de monsieur [Z] [E] ès qualités d’administrateur provisoire de la SCI Charlemagne pour une durée de 12 mois avec pour mission :
– d’assurer la gestion courante de la SCI Charlemagne,
– de faire arrêter les comptes sociaux et de les faire approuver par la collectivité des associés pour les exercices 2005 à 2019,
– de faire réaliser une expertise de gestion de la SCI Charlemagne,
fixé à la somme de 2 000 € l’avance sur les honoraires de l’administrateur provisoire qui seront supportés par la SCI Charlemagne,
condamné monsieur [G] [U] à verser à madame [L] [H] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
dit que l’ordonnance sera exécutoire sur présentation de la minute.
Le premier juge a retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite voire d’un dommage imminent à raison de la mésentente entre les associés égalitaires et eu égard à l’absence de gestion régulière de la SCI (pas d’organisation d’assemblée générale annuelle et pas d’approbation des comptes annuellement).
Selon déclaration reçue au greffe le 23 décembre 2021, monsieur [G] [U] et la SCI Charlemagne ont interjeté appel de la décision, l’appel portant sur toutes les dispositions de l’ordonnance déférée dûment reprises.
Par dernières conclusions transmises le 9 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, monsieur [G] [U] et la SCI Charlemagne demandent à la cour de :
réformer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a désigné un administrateur provisoire, fixé la provision à la charge de la SCI Charlemagne, et condamné monsieur [G] [U] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
débouter madame [L] [H] de toutes ses demandes,
condamner madame [L] [H] au paiement d’une somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [G] [U] et la SCI Charlemagne soulèvent le caractère contradictoire de l’ordonnance entreprise. Ils rappellent que la désignation d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent, s’agissant de deux conditions cumulatives. Ils estiment que le défaut de compte-rendu de gestion annuel et d’approbation des comptes sociaux ne justifie pas en soi la désignation d’un tel administrateur. Or, il s’agit selon eux du seul reproche fait par madame [L] [H] au sujet de la SCI Charlemagne. Monsieur [G] [U] assure avoir confié la gestion de la comptabilité de la SCI Charlemagne à un expert comptable sur les périodes considérées et pouvoir justifier d’une comptabilité sincère. Les appelants soutiennent en tout état de cause qu’il n’est pas démontré que le fonctionnement de la SCI s’en soit trouvé altéré, ni que celle-ci encourt un péril imminent. Au demeurant, les appelants soulignent que le premier juge a retenu que madame [L] [H] n’avait émis aucune objection à ce fonctionnement jusqu’au 24 décembre 2019, soit pendant plus de 15 ans, ce qui démontre le fonctionnement normal de la SCI jusqu’alors, du moins, l’absence de toute situation de blocage et de péril imminent.
De même, monsieur [G] [U] et la SCI Charlemagne s’opposent à toute demande d’expertise de gestion de la SCI Charlemagne qui ne peut concerner que les SAS et SARL (L 227-1, L 228-1 et L 222-37 du code de commerce). Ils dénient tout intérêt légitime à une telle expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, madame [L] [H] cherchant par ce biais à obtenir la liquidation du régime matrimonial alors qu’un notaire a été conjointement saisi par les parties.
Par dernières conclusions transmises le 18 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, madame [L] [H] sollicite de la cour qu’elle :
confirme l’ordonnance entreprise et, y ajoutant, désigne de nouveau la SELARL [Z] [E] & associés prise en la personne de monsieur [Z] [E] ès qualités d’administrateur provisoire de la SCI Charlemagne pour une nouvelle durée de 12 mois à compter de l’arrêt à intervenir, avec la même mission, sauf à étendre l’approbation des comptes de 2005 à 2021,
En tout état de cause :
rejette toutes fins, moyens et conclusions contraires,
condamne monsieur [G] [U] à lui payer la somme de 2 400 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne monsieur [G] [U] au paiement des dépens avec distraction.
Dans un premier temps, s’agissant des conditions de désignation d’un administrateur provisoire, madame [L] [H] dénonce une gestion opaque de la SCI Charlemagne par monsieur [G] [U] et un stratagème mis en place par ce dernier en augmentant ses propres comptes d’associé, de manière disproportionnée, donc nuisible à l’intérêt social, avant de procéder à la liquidation du régime matrimonial des ex-époux. L’intimée entend donc avoir les éléments justifiant une telle augmentation du compte créditeur d’associé de monsieur [G] [U], constituant une telle dette immédiatement exigible pour la SCI. Elle ajoute que l’intervention d’un expert comptable, qui n’intervient qu’en vertu des pièces communiquées par monsieur [G] [U], ne préjuge en rien de la fidélité et de la sincérité des comptes sociaux. Compte tenu de cette augmentation démesurée du compte courant d’associé de monsieur [G] [U] (198 813 € pour monsieur [G] [U] contre 48 816 € pour madame [L] [H]) sans justification comptable pendant 15 ans et eu égard à la mésentente entre les associés, madame [L] [H] soutient que la désignation d’un administrateur provisoire est justifiée, les conditions cumulatives requises à cette fin étant réunies.
Dans un deuxième temps, s’agissant de la mesure d’expertise requise, madame [L] [H] soutient qu’elle est fondée sur l’article 145 du code de procédure civile et que le motif légitime résulte du fait qu’elle ait été tenue à l’écart de la gestion de la SCI pendant de nombreuses années.
Enfin, en troisième lieu, madame [L] [H] sollicite le renouvellement de la désignation de l’administrateur provisoire dont la mission a expiré le 30 novembre 2022 sans qu’elle puisse être exécutée, ainsi que rappelé par monsieur [Z] [E].
L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance en date du 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande tendant à la désignation d’un administrateur provisoire de la SCI Charlemagne
Sur la désignation d’un administrateur provisoire
Par application de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent. Ces conditions sont cumulativement requises.
En l’occurrence, il ne saurait être contesté qu’aucune assemblée générale n’a été tenue depuis la constitution de la SCI Charlemagne, ni qu’aucune reddition et approbation des comptes annuels n’ont été effectuées jusqu’à la convocation, reçue le 5 décembre 2019 par madame [L] [H], en vue de l’assemblée générale ordinaire du 24 décembre 2019 afin, notamment de l’approbation des comptes annuels de l’exercice clos le 31 décembre 2018.
Le fait que madame [L] [H] ne s’en plaigne pas au préalable ne saurait pour autant légitimer un fonctionnement normal de la SCI Charlemagne au titre des périodes antérieures.
De même, le recours de monsieur [G] [U], gérant de la SCI Charlemagne, à un cabinet d’expert comptable au titre des exercices annuels de 2006 à 2019, en l’occurrence le cabinet Fiducial Expertise, ne vaut pas approbation des comptes par les associés de la SCI, et ne suffit pas à assurer la véracité de ceux-ci. La production de ces documents comptables ne permet pas davantage d’expliquer l’importance des dettes de la SCI Charlemagne, notamment au titre de la ligne comptable ‘Associés et dettes financières diverses’, ce alors que l’actif de la SCI est constitué d’une maison d’habitation à Toulon, occupée par madame [L] [H], acquise en 2004 à hauteur de 308 000 € et partiellement financée, à hauteur de 293 000 €, par un crédit immobilier échu en février 2020. De surcroît, il appert l’existence de comptes courants d’associés déséquilibrés, à hauteur de 198 813 € pour monsieur [G] [U] et 48 816 € pour madame [L] [H]. Or, de tels montants constituent des dettes potentiellement immédiatement exigibles pour la SCI Charlemagne, de nature, vu leur ampleur et leur discordance, à porter atteinte à l’intérêt social et à mettre en péril la pérennité de la SCI.
L’existence de la liquidation du régime matrimonial entre les deux ex-époux, monsieur [G] [U] et madame [L] [H], également associés de la SCI Charlemagne, n’est certes pas indifférente au litige existant. Au demeurant, ces derniers ont été convoqués devant le notaire désigné en vue de procéder à cette liquidation, par courrier du 7 janvier 2019. L’existence même de cette procédure parallèle contribue à caractériser l’imminence de la menace de péril pour la SCI puisque, précisément, les comptes vont devoir être faits entre les parties. Elle justifie d’autant plus que les parties disposent de l’ensemble des éléments exacts quant au patrimoine et aux engagements respectifs de chacun.
Le contexte tel que décrit dans les conclusions de chacune des parties, ex-époux, caractérise en outre une mésentente avérée entre les deux associés.
Ainsi, il appert qu’au vu de la mésentente entre associés, de l’absence totale pendant 13 ans de tenue des assemblées générales entre associés, de l’existence d’un compte courant d’associé très élevé, au détriment de l’autre, créant une dette sociale immédiatement exigible, il apparaît qu’à la fois le fonctionnement normal de la SCI Charlemagne n’est pas possible, et qu’une menace de péril imminent est caractérisée pour la SCI, ce dont madame [L] [H] n’a été informée que lors de la convocation de l’assemblée générale fin 2019.
Dans ces conditions, la désignation d’un administrateur provisoire de la SCI Charlemagne est justifiée, et l’ordonnance entreprise doit être confirmée.
Sur l’expertise confiée en mission à l’administrateur provisoire
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
La demande d’une mesure d’instruction doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter le litige futur, qui peut n’être qu’éventuel, comme plausible et crédible. Il appartient donc aux appelants de rapporter le preuve d’éléments suffisants à rendre crédibles leurs allégations, et de démontrer que le résultat de l’expertise à ordonner présente un intérêt probatoire.
En l’espèce, madame [L] [H] sollicite une expertise, non pas sur le fondement des articles L 227-1, L 228-1 et L 222-37 du code de commerce, de sorte que la forme sociale de la société est indifférente, mais sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
En outre, il convient d’observer que cette demande est présentée, non pas de manière autonome, mais dans le cadre de la mission confiée à l’administrateur provisoire.
Or, l’absence d’approbation des comptes annuels de la SCI Charlemagne, communiqués au deuxième associé uniquement, et pour la première fois, lors de la convocation à l’assemblée générale de fin 2019, empêche de retracer l’évolution comptable de la SCI Charlemagne. Par ailleurs, les documents comptables communiqués par monsieur [G] [U] ne permettent pas d’expliquer le déséquilibre entre les comptes courants d’associés, et l’importance du sien. Enfin, il ne saurait être contesté que madame [L] [H] a été tenue à l’écart de la comptabilité de la SCI Charlemagne pendant de longues années.
Dès lors, madame [L] [H] justifie d’un intérêt légitime à la réalisation de l’expertise sollicitée, l’ordonnance entreprise devant donc être également confirmée de ce chef.
Au surplus, compte tenu du délai fixé à la mission de monsieur [Z] [E] par le premier juge, et eu égard à la teneur du courrier adressé par ce dernier aux parties le 7 novembre 2022, il convient de prolonger sa mission, dans les mêmes termes, pour une nouvelle année à compter de la signification de la présente décision.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Monsieur [G] [U] qui succombe au litige sera débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, tout comme doit l’être la SCI Charlemagne. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de madame [L] [H] les frais, non compris dans les dépens, qu’elle a exposés pour sa défense.
L’indemnité qui lui a été allouée à ce titre en première instance sera confirmée et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 2 000 euros en cause d’appel, mise à la charge de monsieur [G] [U] uniquement.
Monsieur [G] [U] supportera en outre les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
Dit que la mission de la SELARL [Z] [E] & associés, prise en la personne de monsieur [Z] [E], ès qualités d’administrateur provisoire de la SCI Charlemagne, telle que définie et fixée par l’ordonnance du 30 novembre 2021, doit être prolongée d’un an à compter de la signification de la présente décision,
Condamne monsieur [G] [U] à payer à madame [L] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute monsieur [G] [U] et la SCI Charlemagne de leur demande sur ce même fondement,
Condamne monsieur [G] [U] au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président