Conflits entre associés : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/01827

·

·

Conflits entre associés : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/01827

1ère Chambre

ARRÊT N°8/2023

N° RG 22/01827 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SSPS

Mme [P] [V]

C/

M. [I] [V]

SCI TOPAZE ST SERVAN

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 Octobre 2022 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [P] [V]

née le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 10]

7 rue de Gouyon

[Localité 5]

Représentée par Me Julie CASTEL de la SELARL ALPHA LEGIS, avocat au barreau de SAINT-MALO

INTIMÉS :

Monsieur [I] [V]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 8] (95)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX D’AFFAIRES, avocat au barreau de RENNES

La S.C.I. TOPAZE ST SERVAN, dont le siège est situé 7 rue de Gouyon 35400 SAINT MALO, représentée par la SELARL GAUTIER & Associé en la personne de Maître [H] GAUTIER sise [Adresse 2], désignée en qualité d’administrateur provisoire suivant ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Malo le 3 mars 2022

régulièrement assignée par acte d’huissier délivré le 06 avril 2022 à personne habilitée, n’a pas constitué

FAITS ET PROCÉDURE

Le 24 octobre 2016 les époux [I] [V] et [P] [V], mariés sous le régime de la participation aux acquêts, ont constitué la SCI Topaze Saint-Servan, dont l’objet est l’acquisition et la gestion d’un bien immobilier situé [Adresse 7], qui était leur résidence familiale.

Mme [V] détient 99 parts sociales et M. [V] une part sociale. Mme [V] a été désignée comme gérante.

Le 31 décembre 2020, M. [V] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Saint Malo d’une requête en divorce.

Par courrier du 28 janvier 2021, l’avocat de M. [V] a demandé à Mme [V] de lui adresser les bilans de la SCI Topaze Saint-Servan, des documents juridiques liés aux approbations des comptes ainsi que le montant exact du compte courant de M. [V].

Le 23 mars 2021, M. [V] a assigné Mme [V] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint Malo afin que son mandat de gérante soit révoqué et qu’un administrateur provisoire soit désigné.

Par ordonnance du 3 mars 2022, le juge des référés a :

-ordonné la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante de la SCI Topaze Saint- Servan,

-désigné Me Gautier en qualité d’administrateur provisoire de la SCI avec la mission de convoquer les associés à une assemblée générale en vue de l’approbation des comptes des années 2017 à 2020,

-fixé à 6 mois la durée de la mission de l’administrateur provisoire,

-dit que la rémunération de l’administrateur provisoire sera à la charge de la SCI Topaze Saint- Servan,

-débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté les parties de leurs autres demandes,

-condamné Mme [V] aux dépens.

Le 17 mars 2022, Mme [V] a fait appel de l’ensemble des chefs de la décision.

Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 3 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande d’expertise de M. [V],

-infirmer l’ordonnance de ses autres chefs,

-statuant à nouveau, déclarer le juge des référés incompétent pour la révoquer de ses fonctions de gérante,

-à titre subsidiaire, débouter M. [V] de sa demande de révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante de la SCI Topaze Saint-Servan,

-la rétablir dans ses fonctions de gérante,

-rejeter la demande de désignation d’un administrateur provisoire,

-rejeter la demande judiciaire,

-condamner M. [V] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, et à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [V] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 13 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé.

Il demande à la cour de :

-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a ordonné la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante de la SCI Topaze Saint-Servan et en ce qu’elle a désigné Me Gautier en qualité d’administrateur provisoire de la SCI pour la conduite des affaires sociales,

-infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté sa demande d’expertise,

-dire que Mme [V] a manqué à ses obligations de gérante en ne procédant pas, depuis 2016, à la reddition annuelle des comptes de la SCI Topaze Saint-Servan et à la convocation des assemblées générales nécessaires,

-prononcer la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante de la SCI Topaze Saint-Servan,

-désigner un expert, aux frais avancés de la SCI avec la mission suivante :

*vérifier la conformité des comptes produits par Mme [V] au regard des pièces produites et des normes professionnelles applicables,

*vérifier la réalité des erreurs et falsifications invoquées,

*rétablir la véritable comptabilité de la SCI Topaze Saint-Servan pour les années 2016 à 2020,

*faire toute constatation permettant à la juridiction qui sera le cas échéant saisie d’apprécier les responsabilités encourues et les préjudices subis, délai de trois mois à compter de sa saisine,

-désigner un administrateur provisoire pour la conduite des affaires sociales, dont la mission sera la suivante : convoquer les associés à une assemblée générale en vue de l’approbation de ces

comptes 2017 à 2020, faire établir par l’expert-comptable de son choix, les comptes 2021 de la SCI,

-renouveler le mandat donné par l’ordonnance du 3 mars 2022 à Me Gautier en qualité d’administrateur provisoire et fixer à 6 mois, à compter du prononcé de l’arrêt, la durée de la mission de l’administrateur provisoire, mission qui pourra être prorogée sur simple requête du demandeur,

-dire que la rémunération de l’administrateur provisoire sera à la charge de la SCI Topaze Saint- Servan,

-condamner Mme [V] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRÊT

A titre liminaire, il sera rappelé que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de «’dire et juger’» qui ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.

1) Sur la révocation du mandat de gérance de Mme [V]

Mme [V] conteste la compétence du juge des référés pour prononcer la révocation du mandat de gérance de la SCI Topaze Saint-Servan. Le juge des référés a fait droit à la demande de révocation sans statuer expressément sur l’exception d’incompétence.

Dans ses conclusions M. [V], pour fonder la saisine du juge des référés, fait état d’un dommage imminent et d’un trouble illicite, résultant de comptes sociaux faux et erronés, qu’il reproche à son épouse d’avoir fait établir, et du défaut de convocation des assemblées générales et vise à la fois les dispositions de l’article 834 et celles de l’article 835 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 1851 alinéa 2 du code civil, sur lequel M. [V] fonde sa demande, un gérant peut être révoqué à la demande de tout associé par une décision du tribunal, pour cause légitime. Il incombe à l’associé qui demande la révocation de démontrer l’existence d’une cause légitime.

Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’article 484 du code de procédure civile, les mesures ordonnées en référé sont, par essence, des mesures provisoires. L’ordonnance de référé est ainsi une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. L’article 488 alinéa 1er précise que l’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée.

La révocation d’un gérant de SCI, en ce qu’elle présente un caractère définitif, ne constitue ni une mesure conservatoire ni une mesure de remise en état, mais relève au contraire de la compétence du juge du fond.

La demande de M. [V] de révocation de Mme [V] de ses fonctions excède donc les pouvoirs du juge des référés.

En conséquence, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a ordonné la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante de la SCI Topaze Saint-Servan.

2) Sur la demande de désignation d’un administrateur provisoire

M. [V] demande qu’un administrateur provisoire soit nommé avec pour mission d’administrer et de gérer la société aux lieux et place de Mme [V] et pour prendre toutes les mesures utiles à la sauvegarde des intérêts de la société. Il fait valoir que les carences de Mme [V] rendent nécessaire la désignation d’un administrateur provisoire.

La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire de la société est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent.

Ainsi, la réunion de ces deux conditions est nécessaire pour justifier cette désignation.

Mme [V] ne conteste pas l’absence de convocation de l’assemblée générale en 2021, indiquant n’avoir pas eu le temps de la convoquer.

Elle justifie toutefois de la réalisation de bilans comptables de 2016 à 2021 par un expert-comptable.

En l’espèce, l’objet de la SCI familiale était, pendant la durée de la vie commune des époux, de mettre à la disposition de ceux-ci l’immeuble dont elle était propriétaire, à titre gratuit, à charge pour eux d’assumer les échéances de prêt.

La SCI Topaze Saint-Servan est donc une SCI constituée pour assurer le logement de la famille des associés, qui ne génère aucun revenu et qui ne supporte que les charges de d’emprunt et celles liées à la propriété de l’immeuble.

De plus, il ressort des pièces produites et des explications des parties que les époux étaient d’accord pour ne pas établir de bilans comptables et ne pas procéder aux déclarations fiscales annuelles.

La première et unique demande de bilans comptables de M. [V] correspond à un besoin ponctuel en vue de la liquidation du régime matrimonial des époux par un notaire.

Mme [V] a répondu favorablement à cette demande et s’est attachée, certes avec un retard qui peut lui être reproché, à régulariser la situation, saisissant un expert-comptable pour établir les comptes et bilans.

Il n’est ainsi pas contesté qu’elle a produit le 19 janvier 2022 les comptes annuels de la SCI (pièces 8 à 12), ce qui a fait l’objet d’une note en délibéré devant le premier juge.

M. [V] expose continuer à prendre en charge les échéances de remboursement du prêt ayant financé la construction du logement, nonobstant le litige sur les bilans comptables et ou la tenue des assemblées générales.

Le fonctionnement de la société n’est pas paralysé.

M. [V] soutient également que les comptes produits par Mme [V] sont faux et erronés et qu’il existerait un péril imminent en ce que le notaire chargé de préparer un projet d’état liquidatif ne pourra pas mener à bien sa mission. Pour autant il ne caractérise pas un péril imminent affectant la société elle-même.

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la mésentente existant entre les associés alors qu’ils sont en instance de divorce n’est pas de nature en soi à caractériser une paralysie ni un péril imminent menaçant la société elle-même.

Mme [V] a bien régularisé la production de bilans comptables en cours de délibéré en première instance, et à ce jour, compte-tenu de la décision rendue le 3 mars 2022, assortie de l’exécution provisoire, n’est plus habilitée à poursuivre l’exécution de sa mission de gérante.

Il n’est donc pas établi que l’attitude de Mme [V] a rendu impossible le fonctionnement normal de la société et que celle-ci est menacée d’un péril imminent.

L’ordonnance de référé sera infirmée en ce qu’elle a ordonné la désignation d’un administrateur provisoire.

3) Sur la demande d’expertise

M. [V] soutient qu’une fraude affecte les bilans produits et sollicite une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, demande rejetée par le juge des référés, qui a retenu qu’aucun motif légitime ne justifiait cette demande.

En page 12 de ses conclusions, M. [V] indique qu’il a apporté à la SCI la somme totale de 270 925 euros et verse à la procédure les attestations de l’expert-comptable de la société Emeraude moteur système, qu’il détient, et de la société civile Borderon [V], détenue avec son épouse, qui établissent des versements au profit de la SCI Topaze Saint-Servan, ainsi que des relevés de son compte «’frais professionnels» au Crédit agricole au 30 juin 2016 et au 31 mai 2017. Or il ressort du bilan 2020 que le montant du compte-courant de M. [V] est limité à la somme de 213 760 euros.

Cette différence et le désaccord entre les associés sur les fonds investis par chacun dans la SCI constituent un motif légitime de faire droit à la demande d’expertise de M. [V], à ses frais avancés, afin de rétablir le montant des comptes courants d’associés.

4) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L’ordonnance de référé sera infirmée en ce qu’elle a mis les dépens à la charge de Mme [V] et confirmée pour avoir rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d’appel, seront laissés à la charge de M. [V], partie perdante en appel et demandeur de la mesure d’expertise.

Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu’elles ont exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a rejeté la demande d’expertise et rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

-déboute M. [I] [V] de sa demande, formée en référé, de révocation de Mme [P] [V] du mandat de gérante de la SCI Topaze Saint-Servan,

-déboute M. [I] [V] de sa demande de désignation d’un administrateur judiciaire de la SCI Topaze Saint-Servan,

Ordonne une expertise et désigne pour la réaliser’

M. [F] [E], expert-comptable

[Adresse 6]

Mèl : [Courriel 9]

avec la mission suivante

-convoquer les parties et leurs avocats,

-se rendre au siège social de la SCI Topaze Saint-Servan,

-entendre les parties et toute personne dont l’audition est utile à l’exécution de la mission,

-se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estime utiles à l’exécution de la mission,

-vérifier la conformité des comptes et des bilans comptables pour les années 2016 à 2020, au regard des pièces produites et des normes professionnelles applicables,

-vérifier le montant des comptes courants d’associés,

-le cas échéant, rétablir les comptes,

Disons qu’à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, l’expert devra définir un calendrier prévisionnel de ses opérations puis l’actualiser ensuite dans les meilleurs délais :

*en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations,

*en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent,

* en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse,

Disons qu’au terme de ses opérations, l’expert adressera aux parties un document de synthèse (pré-rapport) et fixera un délai pendant lequel les parties pourront présenter leurs observations,

Fixons à la somme de 4000 euros la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par M. [I] [V] au greffe du tribunal judiciaire de Saint Malo, au plus tard le 10 février 2023,

Disons que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera caduque,

Disons que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe du tribunal judiciaire avant le’26 mai 2023, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge du contrôle,

Désigne comme juge chargé du contrôle des opérations d’expertise Mme la présidente du tribunal judiciaire de Saint Malo ou son délégué,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [I] [V] aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x