Conflits contractuels et obligations de bonne foi dans l’exécution des travaux

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Conflits contractuels et obligations de bonne foi dans l’exécution des travaux

Le 18 juin 2018, la société KMC BTP a conclu un contrat de travaux avec mesdames [J], [V] et [Z] [E] pour la construction d’une maison individuelle, d’un montant de 122 358,48 euros TTC. Le 1er octobre 2019, les consorts [E] ont résilié le contrat, imputant la faute à KMC BTP. En réponse, KMC BTP a assigné les consorts en référé le 11 décembre 2019 pour obtenir une provision sur des sommes qu’elle estimait dues, mais le juge a refusé cette demande le 11 juin 2020. Le 14 mars 2022, KMC BTP a de nouveau assigné les consorts devant le tribunal pour obtenir le paiement de factures impayées. Dans ses dernières écritures, KMC BTP réclame 23 598,67 euros pour des factures impayées et 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, tout en demandant une expertise judiciaire pour évaluer les travaux réalisés. KMC BTP soutient que sa créance est certaine et que les retards de chantier sont dus aux retards de paiement des consorts. En réponse, les consorts [E] demandent le rejet des demandes de KMC BTP, le paiement de pénalités de retard de 4 770 euros et 5 000 euros pour frais de justice, arguant que KMC BTP n’a pas prouvé l’exécution des travaux et a abandonné le chantier. Ils contestent également l’utilité d’une expertise judiciaire, ayant achevé la construction. L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2024, et le jugement sera disponible au greffe le 27 août 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

27 août 2024
Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
RG
22/00773
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS

MINUTE N°
1ERE CHAMBRE
AFFAIRE N° RG 22/00773 – N° Portalis DB3Z-W-B7G-F7B3

NAC : 54C

JUGEMENT CIVIL
DU 27 AOUT 2024

DEMANDERESSE

S.A.R.L. KMC BTP EURL
Immatriculée au RCS de Saint Denis sous le numéro 809 851 199 00012, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Rep/assistant : Me Marius henri RAKOTONIRINA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DÉFENDERESSES

Mme [V] [E]
Née le 19 Février 1972 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Rep/assistant : Me Frédéric CERVEAUX, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Mme [J] [E]
Née le 02 Décembre 1967 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Rep/assistant : Me Frédéric CERVEAUX, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Mme [Z] [E]
Née le 20 Janvier 1976 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Rep/assistant : Me Frédéric CERVEAUX, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Copie exécutoire délivrée le : 27.08.2024
CCC délivrée le :
à Me Frédéric CERVEAUX de la SELAS FIDAL, Me Marius henri RAKOTONIRINA,

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Le Tribunal était composé de :

Madame Sophie PARAT, Juge Unique
assistée de Madame Isabelle SOUNDRON, greffière

LORS DES DÉBATS

L’affaire a été évoquée à l’audience du 27 Juin 2024.

LORS DU DÉLIBÉRÉ ET DU PRONONCÉ

A l’issue des débats, les parties présentes et leurs conseils ont été avisés que le jugement serait mis à leur disposition le 27 Août 2024.

JUGEMENT : Contradictoire , du 27 Août 2024 , en premier ressort

Prononcé par mise à disposition par Madame Sophie PARAT, Vice-présidente assistée de Madame Isabelle SOUNDRON, greffière

En vertu de quoi, le Tribunal a rendu le jugement dont la teneur suit :

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 18 juin 2018, la société KMC BTP a signé un contrat de travaux avec mesdames [J], [V] et [Z] [E] portant sur la réalisation d’une maison individuelle en lots séparés (gros-oeuvre, carrelage, charpente/couverture, plomberie) pour un montant de 122 358.48 euros TTC.

Par courrier en date du 1er octobre 2019, les consorts [E] ont notifié par LRAR la résiliation du contrat à la société KMC BTP, aux torts exclusifs de cette dernière.

Par acte de commissaire de justice en date du 11 décembre 2019, la société KMC BTP a assigné les consorts [E] en référé afin d’obtenir une provision sur les sommes qu’elle considérait lui rester dues. Par ordonnance du 11 juin 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Denis a dit n’y avoir lieu à provision. Aucune des parties n’a cru bon de verser ces pièces aux débats de la présente instance au fond.

Par acte de commissaire de justice en date du 14 mars 2022, la société KMC BTP a assigné les consorts [E] devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis afin d’obtenir leur condamnation solidaire à lui régler des sommes dues au titre de factures prétendument impayées.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 8 mars 2024, la société KMC BTP demande au tribunal de:
– CONDAMNER solidairement Mesdames [V], [J] et [Z] [E] au paiement de la somme de 23 598.67 euros au titre des factures impayées ;
– CONDAMNER solidairement Mesdames [V], [J] et [Z] [E] au paiement de la somme de 2 000.00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
– ORDONNER une expertise judicaire aux fins de constater les travaux réalisés par la Société KMC BTP EURL avec les missions habituelles, à savoir :
o Se rendre sur les lieux :
o Entendre les parties en leurs explications, le cas échéant, tous sachants,
o Se faire communiquer par les parties tous documents utiles à l’accomplissement de sa mission et notamment l’ensemble des pièces contractuelles (notamment le dossier de marché, les plans, fiches techniques des matériaux mis en œuvre, procès-verbaux de chantier, procès-verbal de réception de l’ouvrage, factures, etc.)
o Visiter les lieux, décrire les désordres allégués,
o Effectuer une description complète et chronologique des travaux accomplis sur le fond, Et notamment :
o Examiner la conformité des travaux effectués par la société KMC BTP EURL, o Dire si les travaux effectués par ce dernier ont été réalisés conformément aux règles de l’art et aux documents contractuels,
o Dire si les factures correspondent aux travaux ,
o Faire toutes opérations utiles au règlement du litige.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que sa créance est certaine, liquide et exigible, pour avoir transmis à ses clientes toutes les factures des prestations réalisées au titre du marché initial et des travaux supplémentaires. Elle s’appuie également pour démontrer l’existence de ses prestations sur un tableau récapitulatif des factures qu’elle a établi elle-même. Elle demande le paiement des factures n°14 et 83, ainsi que des factures 34, 35 et 84 correspondant à des prestations supplémentaires. Elle conteste avoir abandonné le chantier des défenderesses, arguant au contraire que le chantier a pris du retard en raison des retards de paiement et que le retard d’intervention du menuisier finalement choisi par les défenderesses a aussi engendré des défaillances de prestataires en charge des lots peinture et placo.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 6 octobre 2023, Mesdames [J], [V] et [Z] [E] demandent au tribunal de:
– DEBOUTER KMC BTP de sa demande de paiement manifestement infondée ;
– DEBOUTER KMC BTP de sa demande d’expertise ;
– CONDAMNER KMC BTP à payer une somme de 4 770 € au titre des pénalités de retard dans l’exécution des travaux ;
– CONDAMNER KMC BTP à payer la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, elles font valoir, en invoquant l’article 1353 du code civil, que la demanderesse ne rapporte pas la preuve de l’exécution des prestations correspondant aux factures dont elle demande le paiement, et considère même que l’on ne sait pas exactement à quelles prestations les factures correspondent, puisque les factures d’acompte ne donnent aucun détail des travaux exécutés. Elles reprochent à l’entrepreneur d’avoir abandonné leur chantier, de ne pas avoir réalisé une charpente couverture dans les règles de l’art et d’avoir reconnu ne pas avoir dressé de plan d’exécution pour ses travaux. Elles demandent à titre reconventionnel des pénalités de retard correspondant à 106 jours à 45€, pour la période entre le 15 juin 2019, où le chantier aurait dû être achevé, et le 1er octobre 2019, où le contrat a été résilié. Elles soutiennent qu’une mesure d’expertise judiciaire n’aurait aucune utilité puisqu’elles ont fait achever leur construction.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2024. Les parties ont été autorisées à déposer leur dossier au greffe le 27 juin 2024.

Les conseils des parties ont été informés que le jugement serait mis à disposition au greffe à la date du 27 août 2024, conformément aux dispositions de l’article 450 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en paiement formulée par la société KMC BTP

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil : “Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” et ils “doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi”.

En l’espèce, l’entreprise demande d’abord le paiement de deux factures correspondant à des acomptes, lesquelles ne sont pas libellées, contrairement aux stipulations contractuelles, eu égard à l’avancement des travaux auxquels elles correspondent, et lesquelles ne correspondent pas non plus aux pourcentages du montant total du marché annoncé dans le contrat à la rubrique “mode de déblocage”. Ainsi, la facture n°14 datée du 30/03/2019, d’un montant de 7 617,17 euros TTC, est seulement libellée “acompte n°5″ et la facture n°83, en date du 13 novembre 2019, d’un montant de 8 246 euros TTC , est seulement libellée “acompte n°6″. Malgré l’absence de précision, et d’autre élément versé par la demanderesse permettant de savoir avec certitude à quels travaux les acomptes facturés correspondent, il est permis de penser, puisque le contrat prévoyait quatre premiers acomptes correspondant à environ 55% du montant du marché, et que les premières factures réglées couvraient les 4 premiers acomptes, que ces factures portent bien sur les travaux de charpente-couverture, qui d’une part, avaient démarré le 23 mars 2019 (pièce 3 de la demanderesse) et qui correspondaient, dans les stipulations contractuelles, au 5ème acompte pour 27% du marché total. Or, ces travaux correspondent justement aux travaux litigieux ayant conduit à la rupture des relations contractuelles.

Le tribunal ne peut que déplorer qu’aucune des parties n’ait estimé utile de solliciter une expertise en référé, afin de fixer la situation à cet égard. Il ressort néanmoins des pièces versées aux débats que, à la suite d’une visite réalisée sur place, en présence de l’entreprise, le 3 juin 2019, [O] [U], qui se présente comme expert en bâtiment, et qui s’est appuyé sur l’avis technique du bureau d’études BESM, a retenu que le dimensionnement des divers éléments de charpente n’apparaissait pas cohérent au regard des portées et sollicitations, que l’absence de contreventement en toiture était une non-conformité technique, puisque ces ouvrages permettent la retenue des murs en cas de vent cyclonique. Après avoir reçu communication de ce rapport, l’entreprise a indiqué dans un courrier du 2 août 2019 ne pas avoir trouvé de bureau d’étude souhaitant s’engager sur un projet déjà réalisé, a proposé de faire réaliser le renforcement de la charpente par une entreprise tierce et en retour de les exonérer “de tous les règlements dus à KMC BTP”.

Au vu de ce courrier très explicite, l’entreprise a accepté les non-conformités reprochées par les clientes. Puisqu’il n’est pas contesté qu’elle n’a jamais repris les travaux de charpente couverture, elle a renoncé aux sommes qui lui étaient dues alors à ce titre, correspondant aux deux factures en cause. Sa demande à ce titre ne saurait donc aujourd’hui prospérer.

Il convient d’examiner ensuite les demandes qui concernent les trois factures pour de prétendus travaux supplémentaires. En effet, la facture n°35 datée du 18 juin 2019 vise les travaux supplémentaires suivants: “isolation de la toiture par feutre tendu accord du 21/03/2019″, mais aucune pièce ne permet de justifier que cette prestation n’était pas contractuellement prévue au contrat initial, en l’absence de tout plan contractuel et de tout document relatif au choix des matériaux par les clients versés aux débats. La facture n°34 datée du même jour vise le “réhaussement des murs suivant compte-rendu de chantier” mais aucun compte-rendu de chantier n’est visé aux débats et aucune pièce ne justifie de la réalité de ces travaux. Enfin, la facture n°84 datée du 13 novembre 2019, soit postérieurement à la résiliation du contrat par les clientes, vise “plue value pour tôle 1000P exigée par le client alors que tôle ondulée prévue au marché”, sans là encore qu’aucune pièce contractuelle ne permette de savoir quel type de tôle avait été prévu initialement.

En l’état de ces éléments, les demandes qui portent sur les factures pour travaux supplémentaires ne sauraient davantage prospérer.

La demanderesse sera déboutée de l’intégralité de ses demandes.

Sur la demande subsidiaire d’expertise

Aux termes de l’article 144 du code de procédure civile, “Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.”

En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire d’expertise, puisque les éléments versés aux débats permettent de statuer sur la demande en paiement soumise au tribunal.

Sur la demande reconventionnelle de pénalités de retard

En l’espèce, le contrat signé par les parties contient une clause “délai de réalisation” qui stipule que “dans le cas de retard causé par l’entreprise et justifié par document officiel écrit, il sera appliqué des pénalités de retard à hauteur de 45 euros TTC par jour calendaires et ce jusqu’à la demande de réception des travaux par l’entreprise KMC BTP.”

Or, en l’espèce, les défenderesses ne produisent, au soutien de leur demande, aucun document, à part les courriers des 3 juin et 1er octobre 2019 rédigés par elles-mêmes, pour démontrer le retard imputable à l’entreprise, l’OS n°1 de démarrage des travaux qui sert de base pour le calcul de la prétendue date butoir du 15 juin 2019 comme date contractuelle d’achèvement n’étant même pas versé aux débats et aucun des mails échangés entre les parties ni aucun compte-rendu de chantier n’étant davantage produit.

Par conséquent, les défenderesses seront déboutées de leur demande reconventionnelle.

Sur les dépens, et les frais irrépétibles

La partie demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens ainsi qu’à payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal,

DEBOUTE la SARL KMC BTP de ses demandes en paiement ;

DEBOUTE mesdames [J], [V] et [Z] [E] de leur demande reconventionnelle au titre des pénalités de retard ;

CONDAMNE la SARL KMC BTP aux entiers dépens de l’instance ;

CONDAMNE la SARL KMC BTP à payer à mesdames [J], [V] et [Z] [E] la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit;

La greffière La Présidente


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