Conflit sur le remboursement d’allocations : Résidence et conditions d’éligibilité en question

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Conflit sur le remboursement d’allocations : Résidence et conditions d’éligibilité en question
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FAITS

À l’issue d’une enquête menée en septembre et octobre 2019, la Caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis a estimé que M. [N] [T] avait indûment perçu des prestations d’allocation personnalisée au logement (APL) et d’allocation adulte handicapé (AAH) en raison de son non-respect des conditions de résidence en France durant certaines périodes. En conséquence, la caisse lui a notifié un remboursement total de 16 881 euros.

PROCÉDURE

M. [N] [T] a contesté cette créance auprès de la commission de recours amiable, qui a rejeté sa requête le 26 mai 2020. Par la suite, il a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny pour demander l’annulation de cette décision. Le jugement du 12 janvier 2021 a déclaré le tribunal incompétent pour le trop-perçu d’APL, tout en annulant partiellement la créance d’AAH pour certaines périodes et confirmant son bien-fondé pour d’autres.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L’allocataire a demandé à la cour de déclarer son appel recevable et bien-fondé, tout en contestant le calcul de sa présence en France. Il a soutenu qu’il avait résidé en France plus de 180 jours, malgré un séjour de dix jours au Maroc pour des raisons familiales. La caisse, de son côté, a demandé la confirmation du jugement en ce qui concerne la créance d’AAH et a contesté la validité des arguments de l’allocataire, affirmant que les règles applicables à l’AAH diffèrent de celles des prestations familiales.

DÉCISION DE LA COUR

La cour a déclaré recevable l’appel de M. [N] [T] et a infirmé le jugement du tribunal de Bobigny concernant l’annulation de la créance d’AAH pour certaines périodes. Elle a confirmé le jugement en ce qui concerne l’incompétence du tribunal pour le trop-perçu d’APL et a condamné M. [N] [T] à régler le solde de l’AAH versée à tort, tout en déboutant ses autres demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/02153
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 25 Octobre 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/02153 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIXL

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Janvier 2021 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 20/01315

APPELANT

Monsieur [N] [T]

[Adresse 1]

Foyer [4] [Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Leslie HARVEY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0872

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/006109 du 26/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEE

CAF DE LA SEINE SAINT DENIS

[Localité 2]

représentée par Mme [D] [K] en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Juin 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe LATIL, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 20 septembre 2024, prorogé au 25 octobre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par M. [N] [T] d’un jugement prononcé le 12 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny dans un litige l’opposant à la Caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler qu’à l’issue d’une enquête diligentée en septembre et octobre 2019, la Caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis (la caisse) estimant que M. [N] [T] (l’allocataire) avait indûment perçu des prestations d’allocation personnalisée au logement (APL) et d’allocation adulte handicapé (AAH), dans la mesure où il ne remplissait pas les conditions de résidence en France sur les périodes du 09 avril au

29 septembre 2018, du 21 au 31 janvier 2019 et du 31 mars au 26 septembre 2019, lui a notifié, par courriers des 14 octobre 2019 et 31 décembre 2019, devoir procéder au remboursement de la somme totale de 16 881 euros.

Saisie par l’allocataire en contestation de cette créance, la commission de recours amiable a, par décision du 26 mai 2020 notifiée le 1er juillet 2020, rejeté la requête et maintenu la décision de la caisse.

Le 12 août 2020, l’allocataire a saisi le pôle judiciaire du tribunal judiciaire de Bobigny pour demander l’annulation de la décision de la commission de recours amiable du

26 mai 2020.

Par jugement du 12 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny a :

– déclaré le tribunal judiciaire de Bobigny incompétent au profit du tribunal administratif de Montreuil relativement au trop perçu d’aide personnelle au logement sur la période d’avril 2018 à septembre 2019,

– dit que le dossier de cette procédure sera transmis à la juridiction ainsi désignée dès l’expiration du délai d’appel, avec une copie de la décision de renvoi,

– dit l’action de l’allocataire recevable relativement au trop perçu d’allocation adulte handicapé sur la période d’avril 2018 à septembre 2019,

– dite en partie bien fondée,

– annulé la créance notifiée par la Caisse d’allocations familiales de la Seine-Saint-Denis au titre de l’ allocation adultes handicapées perçue par l’allocataire sur la période

d’avril 2018 à décembre 2018,

– confirmé le bien fondé de la créance notifiée par la Caisse d’allocations familiales de 1a Seine-Saint-Denis au titre de l’allocation adulte handicapé indûment perçue par l’allocataire sur la seule période de janvier 2019 à septembre 2019,

– renvoyé à la Caisse d’allocations familiales de la Seine-Saint-Denis pour le calcul du montant de l’ allocation adulte handicapé indûment perçue par l’allocataire de

janvier 2019 à septembre 2019,

– débouté la Caisse d’allocations familiales de la Seine-Saint-Denis de sa demande reconventionnelle de condamnation de l’allocataire à lui payer la somme de 13 473 euros correspondant à l’allocation adulte handicapé versée à tort d’avril 2018 à septembre 2019,

– dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens,

– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.

L’allocataire a interjeté appel du jugement par lettre recommandée adressée au greffe le 03 février 2020. L’appel est recevable, formé moins d’un mois après le jugement.

L’affaire a alors été fixée à l’audience du 14 juin 2024 pour être plaidée et lors de laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions écrites déposées au dossier.

L’allocataire demande à la cour de :

– déclarer son appel recevable et bien-fondé,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit son action recevable relativement au trop perçu d’allocation adulte handicapé sur la période d’avril 2018 à septembre 2019 et a annulé la créance notifiée par la CAF de la Seine-Saint-Denis au titre de l’allocation adulte handicapé perçue sur la période d’avril 2018 à décembre 2018,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a confirmé la créance notifiée par la CAF de la Seine-Saint-Denis au titre de l’allocation adulte handicapé indûment perçue sur la seule période de janvier à septembre 2019,

Statuant à nouveau,

– constater qu’il remplissait la condition de résidence en France sur la période de janvier à septembre 2019,

En conséquence,

– annuler l’indu réclamé par la CAF de la Seine-Saint-Denis pour la période de janvier à septembre 2019,

– débouter la CAF de sa demande reconventionnelle de 7 275,07 euros au titre du solde de l’AAH pour les mois d’avril à septembre 2018, de janvier 2019 et de mars à septembre 2019,

– mettre les dépens à la charge de la CAF de la Seine-Saint-Denis.

Au soutien de ses demandes, l’allocataire assure qu’il réside de manière stable en France et conteste le mode de calcul retenu par la caisse pour déterminer la durée de sa présence en France et à l’étranger en se basant sur une année glissante alors que l’article R. 111-2 du code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel la condition de séjour principal est satisfaite lorsque le bénéficiaire séjourne en France pendant plus de six mois (soit plus de 180 jours) au cours de l’année civile de versement des prestations.

Au sujet de la période de janvier à septembre 2019, il fait valoir que si il n’a été effectivement présent que 176 jours en France c’est qu’il a été contraint de séjourner dix jours au Maroc, du 21 au 31 janvier 2019 pour pouvoir être présent auprès de sa mère gravement malade et hospitalisée, son décès étant d’ailleurs survenu le 04 février 2019. Il estime en conséquence qu’il s’agissait d’un cas de force majeure et qu’il peut être considéré qu’il a bien résidé 186 jours en France (365 – 179 jours).

La caisse demande à la cour de :

– déclarer l’appel de l’allocataire recevable en la forme,

– le déclarer mal fondé,

– confirmer le jugement prononcé le 12 janvier 2021 en ce qu’il a condamné l’allocataire au paiement de l’allocation adulte handicapé indûment perçue de janvier à

septembre 2019,

– infirmer le jugement prononcé le 12 janvier 2021 en ce qu’il a annulé la créance d’allocation adulte handicapé de janvier à octobre 2018,

– infirmer ledit jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle de 13 473 euros (AAH de d’avril 2018 à septembre 2019),

– condamner l’allocataire au paiement du solde de l’allocation adulte handicapé soit 7 275,07 euros au titre des mois d’avril à septembre 2018, de janvier 2019 et de mars à septembre 2019,

– débouter l’allocataire de toutes ses demandes.

La caisse fait en premier lieu valoir que l’allocation adulte handicapé n’est pas une des prestations familiales et ne relève donc pas des dispositions de l’article R. 111-2 du code de la sécurité sociale comme l’ont retenu à tort l’allocataire et le tribunal, mais relève des articles L. 821-1 et R. 821-1 du même code, ce dernier prévoyant que les allocataires ne doivent pas séjourner à l’étranger plus de trois mois par an, c’est à dire 92 jours.

Elle relève qu’en 2018 l’allocataire a séjourné 174 jours à l’étranger et qu’en conséquence aucun droit ne pouvait être maintenu d’avril à septembre 2018.

En ce qui concerne l’année 2019, elle relève que l’allocataire a séjourné 221 jours à l’étranger, séjours qui excèdent les trois mois prévus par l’article R. 821-1.

A propos du séjour du 21 au 31 janvier 2019, elle souligne qu’aucune dérogation n’est prévue par les textes en cas d’événement familial.

Enfin, elle signale qu’elle a rectifié sa demande en paiement, ayant procédé au paiement des mensualités d’octobre 2018 pour 819 euros et février 2019 pour 860 euros, mois pendant lesquels l’allocataire était bien en France et pouvait dès lors bénéficier du versement de l’allocation adulte handicapé.

MOTIFS DE LA DECISION

Ainsi que le fait justement valoir la caisse, l’allocation adulte handicapé n’est pas une des prestations prévues aux articles L. 160-1, L. 356-1, L. 512-1, L. 815-1, L.815-24, L. 861-1 du code de la sécurité sociale visés par l’article R. 111-2 du même code, mais relève des dispositions de l’article L. 821- 1 du même code.

Il résulte des articles L. 821-1, R. 821-1 , R. 512-1 du code de la sécurité sociale applicables, que le bénéfice de l’allocation adulte handicapé est soumis à des conditions notamment de résidence.

L’article R. 821-1 du code de la sécurité sociale prévoit que pour bénéficier de l’AAH les allocataires ne doivent pas séjourner à l’étranger plus de trois mois par an sauf dans des cas particuliers lorsqu’il est justifié dans les conditions prévues au 2° de l’article R. 512-1 que le séjour est nécessaire notamment pour poursuivre des études.

Par ailleurs, l’article 1302-1 du code civil dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2016, qui reprend les dispositions de l’ancien article 1376 dans sa version applicable jusqu’à cette dernière date, dispose que ‘Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.’.

Il en résulte que :

-dès lors que les sommes versées n’étaient pas dues, celui qui les a versées est en droit, sans être tenu à aucune autre preuve, d’en obtenir la restitution,

-l’erreur ou la négligence de celui qui a versé de telles sommes ne font pas obstacle à l’exercice par lui de l’action en répétition,

-l’action en répétition d’un indu objectif n’est pas subordonnée à la démonstration que celui qui a versé les sommes a effectué le paiement avec les précautions commandées par la prudence,

-la bonne foi d’un allocataire ne saurait priver celui qui a versé les sommes de son droit à répéter les prestations qu’il lui a indûment versées.

L’allocataire admet avoir séjourné hors de France sur les périodes suivantes :

– en 2018, du 09 avril au 29 septembre 2018, soit 173 jours et donc plus de trois mois,

– en 2019 du 31 mars au 26 septembre 2019, soit 179 jours et donc plus de trois mois.

Dès lors il est établi que pour les deux années 2018 et 2019, l’allocataire a été absent de France plus de trois mois consécutifs et n’avait donc pas droit à l’allocation adulte handicapé sur ces périodes, le calcul de la caisse, rectifié en cause d’appel, est donc justifié en ce qu’il prend exactement en compte la durée des séjours à l’étranger de l’allocataire qui dépassent les trois mois.

Il apparaît alors que c’est à bon droit que la caisse sollicite le remboursement des mensualités de l’allocation adulte handicapé sur les périodes pendant lesquelles l’allocataire a été absent de France pendant plus de 92 jours, ayant modifié ses demandes pour déduire de sa créance les mensualités concernant les mois pendant lesquels l’allocataire a été effectivement présent la totalité du mois (octobre 2018, février 2019).

En ce qui concerne le séjour au Maroc de dix jours, entre le 21 et le 31 janvier 2019, outre le fait que l’allocataire justifie que sa mère était hospitalisée du 15 janvier au

22 janvier 2019 et qu’elle est décédée le 04 février suivant, cette période de dix jours ne constitue pas une période supérieure à trois mois entrainant l’arrêt du versement de l’allocation, l’allocataire ayant été présent en France le reste du premier trimestre 2019, n’étant reparti au Maroc que le 31 mars 2019 ainsi que cela est inscrit sur son passeport.

Il apparaît alors que le versement de l’allocation adulte handicapé est donc également dû pour les mois de janvier et de mars 2019, dont le montant doit être déduit de la créance de la caisse.

Il y a donc lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il a partiellement fait droit à la demande de l’allocataire pour l’année 2018 et de le confirmer pour le surplus ainsi qu’il sera précisé au dispositif de la présente décision.

Partie succombante, l’allocataire sera tenu aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DECLARE recevable l’appel formé par M. [N] [T] ;

INFIRME le jugement (RG n° 20/01315) prononcé le 12 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu’il a :

– annulé la créance notifiée par la Caisse d’allocations familiales de la Seine-Saint-Denis au titre de l’allocation adulte handicapé perçue par M. [N] [T] sur la période d’avril 2018 à décembre 2018,

– dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

CONFIRME ledit jugement en ce qu’il a :

– déclaré le tribunal judiciaire de Bobigny incompétent au profit du tribunal administratif de Montreuil relativement au trop perçu d’aide personnelle au logement sur la période d’avril 2018 à septembre 2019,

– confirmé le bien fondé de la créance notifiée par la Caisse d’allocations familiales de 1a Seine-Saint-Denis au titre de l’allocation adulte handicapé indûment perçue par

M. [N] [T] mais sur la seule période d’avril 2019 à septembre 2019 ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE M. [N] [T] à régler à la Caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis le solde de l’allocation adulte handicapé versée à tort au titre des mois d’avril à septembre 2018 et d’avril à septembre 2019 ;

DEBOUTE M. [N] [T] de toutes ses demandes ;

CONDAMNE M. [N] [T] aux entiers dépens.

La greffière La présidente


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