Contexte du LitigeA l’issue d’un contrôle, l’URSSAF Île-de-France a notifié à la SARL [6] un redressement pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, entraînant un rappel de cotisations et contributions d’un montant total de 98 641 euros. Contestation de la SARLLe 3 juillet 2018, la société a contesté certains points de la lettre d’observations. L’inspecteur a maintenu le redressement dans sa réponse du 27 juillet 2018, et la société a accusé réception de cette réponse le 31 juillet 2018. Mise en Demeure et RecoursLe 7 août 2018, une mise en demeure a été adressée à la société pour un montant total de 108 373 euros, incluant des majorations de retard. La société a contesté cette mise en demeure le 26 septembre 2018, puis a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine le 21 décembre 2018. Décisions de la Commission de Recours AmiableLa commission de recours amiable a rejeté la contestation le 14 janvier 2019. La société a formé un recours contre cette décision, enregistré sous le numéro RG 19/00522, et a demandé l’intervention de la caisse primaire d’assurance maladie. Jugement du TribunalLe tribunal a joint les deux instances et a ordonné la réouverture des débats. Le 10 janvier 2022, il a précisé que la société devait mettre en cause M. [M] ou [K] [Y]. L’affaire a été plaidée le 1er octobre 2024. Conclusions des PartiesLa SARL [6] et M. [K] [M] [Y] ont demandé l’annulation de la mise en demeure et des chefs de redressement, tandis que l’URSSAF a réclamé le paiement de 95 367 euros pour les cotisations et majorations de retard. Validité de la Mise en DemeureLe tribunal a examiné la validité de la mise en demeure, rejetant l’argument de la société concernant une erreur de montant, considérant que l’écart de 3 euros n’était pas significatif. Abus de DroitLa société a contesté la requalification des contrats de prestation de services comme fictifs. Le tribunal a constaté que l’URSSAF n’avait pas respecté la procédure d’abus de droit, annulant ainsi les points 11 et 12 du redressement. Décision FinaleLe tribunal a validé la mise en demeure pour un montant réduit à 18 555 euros, condamnant la SARL [6] à payer cette somme à l’URSSAF et rejetant les demandes d’indemnisation au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG n°
18/02639
DE NANTERRE
■
PÔLE SOCIAL
Affaires de sécurité sociale et aide sociale
JUGEMENT RENDU LE
30 Octobre 2024
N° RG 18/02639 – N° Portalis DB3R-W-B7C-UMJ3
N° Minute : 24/01528
AFFAIRE
S.A.R.L. [6]
C/
URSSAF ILE-DE-FRANCE, CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
S.A.R.L. [6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Nicole OHAYON, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 223
DEFENDERESSES
URSSAF ILE-DE-FRANCE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Mme [D] [U], muni d’un pouvoir régulier,
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS-DE-SEINE
Division du Contentieux
[Localité 2]
Non comparante et non représentée
Monsieur [K] [M] [Y]
Représentée par Me Nicole OHAYON, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 223
***
L’affaire a été débattue le 01 Octobre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :
Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Première vice-présidente
François GUIDET, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Jean-Michel ROCTON, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats et du prononcé : Gaëlle PUTHIER, Greffière.
JUGEMENT
Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
A l’issue d’une phase de contrôle, l’inspecteur chargé du recouvrement de l’URSSAF Île-de-France a adressé à la SARL [6] une lettre d’observations en date du 11 mai 2018 notifiant un redressement en application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires AGS, pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, entraînant un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d’assurance chômage et d’AGS d’un montant total de 98 641 euros.
Le 3 juillet 2018, la société [6] a adressé un courrier de contestation des points 11 et 12 (assujettissement et affiliation au régime général – situation de M. [Y] sous le statut d’auto-entrepreneur et contrat de sous-traitance) de la lettre d’observations, auquel l’inspecteur du recouvrement a répondu par courrier du 27 juillet 2018, concluant au maintien du redressement pour son entier montant. L’accusé de réception de ce courrier a été signé par la société le 31 juillet 2018.
Une mise en demeure d’avoir à payer la somme de 108 373 euros soit les cotisations pour
98 644 euros augmentée d’une somme de 9 729 euros au titre des majorations de retard, a été adressée à la société le 7 août 2018, relative aux chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 11 mai 2018. L’accusé de réception de cette mise en demeure a été signé par la société le 7 août 2018.
Par courrier du 26 septembre 2018, la société a saisi la commission de recours amiable en contestation de cette mise en demeure, et plus particulièrement du point 12 du redressement. Par requête envoyée par courrier recommandé le 21 décembre 2018, la société a contesté la décision implicite de rejet de ladite commission devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine. Ce recours a été enregistré sous le numéro RG 18/02639.
Entre temps, par décision prise en sa séance du 14 janvier 2019, la commission de recours amiable a rendu une décision explicite de rejet. Par lettre recommandée reçue le 7 mars 2019 au greffe du pôle social du tribunal de grande instance de Nanterre, devenu le 1er janvier 2020 tribunal judiciaire, spécialement désigné aux termes de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire, la société a formé un recours contre cette décision explicite de rejet. Ce recours a été enregistré sous le numéro RG 19/00522.
Par ordonnance du 12 mars 2021, le juge du pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné dans le dossier RG 19/00522 l’intervention dans la cause de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine.
Par jugement du 10 janvier 2022, ce tribunal a joint les deux instances et ordonné la réouverture des débats pour mise en cause par la société [6] de M. [M] ou [K] [Y], disant qu’il appartenait à la société de mettre en cause M. [M] ou [K] [Y].
Après mise en cause par l’URSSAF de M.[K] [M] [Y], et différents renvois, l’affaire a été plaidée le 1er octobre 2024.
Vu les conclusions présentées par la SARL [6] et M. [K] [M] [Y] demandant à :
A titre principal,
– relever la différence de montant sur les cotisations dues entre la lettre d’observations, la mise en demeure et les observations écrites de l’URSSAF,
En conséquence,
– annuler la mise en demeure du 7 août 2018 notifiée à la concluante suite au redressement de cotisations notifié par lettre d’observations du 11 mai 2018, et par suite, débouter l’URSSAF de l’ensemble de ses prestations (sic),
– constater que l’URSSAF s’est implicitement placée sur le terrain de l’abus de droit, sans en respecter les conditions légales,
En conséquence,
– annuler les chefs de redressement concernés (points 11 et 12 de la lettre d’observations) ainsi que des actes de recouvrement subséquents pour les sommes suivantes : 11 824 € pour l’année 2015, 31 892 € pour l’année 2015 et 36 370 € pour l’année 2016,
A titre subsidiaire,
– constater l’absence de preuve de lien de subordination invoqué,
– constater l’absence de toute rémunération versée à M. [Y], sous quelque forme que ce soit,
En conséquence,
– annuler le redressement de l’URSSAF établi par lettre d’observations du 11 mai 2018 réceptionnée le 26 juin 2018 pour les sommes suivantes : 11 824 € pour l’année 2015, 31 892 € pour l’année 2015 et 36 370 € pour l’année 2016,
– prononcer la nullité des actes subséquents et notamment la mise en demeure reçue le 7 août 2018, la décision implicite de la commission de recours amiable et la décision de rejet de la commission de recours amiable notifié le 17 janvier 2019,
– débouter l’URSSAF de toutes ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
– condamner l’URSSAF à payer à la société la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’URSSAF à payer à M. [Y] la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux dépens ;
Vu les conclusions de l’URSSAF d’Île-de-France tendant à :
– condamner la société au paiement de la somme de 95 367 €, soit 86 820 € de cotisations et
8 547 € de majorations de retard au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016,
– accueillir sa demande principale en paiement pour les créances non contestées ;
Vu l’absence de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine ;
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
Il ne sera pas répondu dans les présents motifs aux demandes de constat qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 768 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur la validité de la mise en demeure
La société soutient la nullité de la mise en demeure, cette dernière étant délivrée pour un montant de 98 644 € alors que la lettre d’observations ne mentionne qu’une somme de 98 641 €. La caisse rejette ce moyen, s’agissant d’un écart de seulement 3 €.
En application de l’article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, toute action ou poursuite effectuée en application de l’article précédent ou des articles L. 244-6 et L. 244-8-1 est obligatoirement précédée, si elle a lieu à la requête du ministère public, d’un avertissement par lettre recommandée de l’autorité compétente de l’Etat invitant l’employeur ou le travailleur indépendant à régulariser sa situation dans le mois. Si la poursuite n’a pas lieu à la requête du ministère public, ledit avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée ou par tout moyen donnant date certaine à sa réception par l’employeur ou le travailleur indépendant. Le contenu de l’avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé, dans les conditions fixées par décret.
Cependant, la société ne pouvait être induite en erreur dès lors que la mise en demeure en litige visait expressément les chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 11/05/2018. La seule conséquence de cette erreur ne pouvait être la nullité de celle-ci mais seulement, un effet réduit au montant visé par la lettre d’observations.
Ce premier moyen sera donc écarté.
Sur la nullité fondée sur l’abus de droit
La société fait grief à la caisse de s’être placée sur le terrain de l’abus de droit en écartant la convention de prestation de services comme fictive, sans en respecter la procédure. La caisse à l’inverse, prétend qu’elle a juste procédé à une requalification.
L’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale en sa version en vigueur du 14 mai 2009 au 1er janvier 2019 dispose :
Afin d’en restituer le véritable caractère, les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du premier alinéa, le litige est soumis, à la demande du cotisant, à l’avis du comité des abus de droit. Les organismes de recouvrement peuvent également, dans les conditions prévues par l’article L. 225-1-1, soumettre le litige à l’avis du comité. Si ces organismes ne se conforment pas à l’avis du comité, ils doivent apporter la preuve du bien-fondé de leur rectification. En cas d’avis du comité favorable aux organismes, la charge de la preuve devant le juge revient au cotisant.
La procédure définie au présent article n’est pas applicable aux actes pour lesquels un cotisant a préalablement fait usage des dispositions des articles L. 243-6-1 et L. 243-6-3 en fournissant aux organismes concernés tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ces actes et que ces organismes n’ont pas répondu dans les délais requis.
L’abus de droit entraîne l’application d’une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues.
En l’espèce, l’inspecteur, se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’assujettissement des salaires, a recherché l’existence d’un contrat de travail pour requalifier les sommes versées au titre de l’activité dite d’auto-entrepreneur de M. [Y] et d’honoraires perçus en salaires. Pour en arriver à cette conclusion, et même s’il n’a pas appliqué la pénalité de 20 % prévue dans un tel cadre, il écartait bien les contrats de sous-traitance conclus en premier lieu en faveur de M. [Y], et en second lieu, au profit de la SAS [7] dont il était le gérant.
Sur ce point, la commission de recours amiable était encore plus claire puisqu’elle précisait : La convention de prestation de services conclue entre les sociétés constitue, en réalité, un montage juridique, dont le seul but est d’éluder les charges sociales dues sur les rémunérations de travaux effectués par M. [Y].
Elle reprenait ainsi les termes exacts de l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale précité définissant l’abus de droit.
Se plaçant sur le terrain de l’abus de droit, la caisse devait se conformer à la procédure prévue par le texte précité et les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale, à savoir la saisine du comité des abus de droit, et qu’à défaut de le faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité pour les chefs de redressement concernés.
Ce moyen sera donc accueilli, et les chefs de redressement concernés (points 11 et 12 de la lettre d’observations) annulés. Il en résulte que la demande reconventionnelle en paiement sera accueillie sur les autres chefs non contestés soit :
98 641 – 11 824 (point 11) – 31 892 (point12 pour 2015) – 36370 (point 12 pour 2016) = 18 555€.
Ce tribunal étant juge du litige et non de la décision entreprise, il n’y a lieu ni d’infirmer, ni de confirmer les décisions rendues par la commission de recours amiable.
Sur les demandes annexes
Eu égard à la décision rendue et aux circonstances, il convient de rejeter les demandes d’article 700 du code de procédure civile présentées par la société et M. [Y].
LE TRIBUNAL, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
REJETTE le moyen tiré de la nullité de la mise en demeure pour erreur de montant,
DÉCLARE nuls les points 11 et 12 (assujettissement et affiliation au régime général – situation de M. [Y] sous le statut d’auto-entrepreneur et contrat de sous traitance) du redressement opéré par l’URSSAF Île-de-France à l’encontre de la SARL [6] par lettre d’observations du 11 mai 2018,
VALIDE la mise en demeure émise le 7 août 2018 pour un montant de cotisations ramené à
18 555€,
CONDAMNE la SARL [6] à payer à l’URSSAF d’Île-de-France le dit montant,
REJETTE les demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL [6] aux dépens.
Et le présent jugement est signé par Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Première vice-présidente et par Gaëlle PUTHIER, Greffière, présentes lors du prononcé.
LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,