Conflit sur la validité d’un contrat de prêt et d’assurance-vie : enjeux de prescription et d’ordre public

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Conflit sur la validité d’un contrat de prêt et d’assurance-vie : enjeux de prescription et d’ordre public

La Caisse d’épargne et de prévoyance d’Alsace a accordé un prêt in fine de 406 000 CHF à M. [D] et Mme [U] pour financer une maison, garanti par un contrat d’assurance-vie. En raison de la dépréciation du franc suisse par rapport à l’euro, le montant remboursable a considérablement augmenté, incitant les emprunteurs à demander l’annulation du contrat de prêt et de l’assurance-vie. Ils ont assigné la Caisse d’Epargne et CNP Assurances devant le tribunal, demandant des restitutions et des dommages-intérêts. Le juge a déclaré certaines demandes irrecevables et a renvoyé l’affaire pour des conclusions ultérieures. Les emprunteurs ont ensuite soulevé la nullité du contrat pour atteinte à l’ordre public, tandis que les défenderesses ont contesté la prescription de l’action en nullité. Le juge a finalement déclaré irrecevables les demandes de nullité et a renvoyé les autres demandes au fond.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
21/08856
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 1ère section

N° RG 21/08856

N° Portalis 352J-W-B7F-CUXBQ

N° MINUTE :

Assignation du :
17 Juin 2021

Contradictoire

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 16 octobre 2024

DEMANDEURS

Monsieur [Z] [D]
[Adresse 2]
[Localité 6]

Madame [K] [U]
[Adresse 4]
[Localité 7]

représentés par Me Laëtitia GAMBERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0172

DEFENDERESSES

Société CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE GRAND EST EUROPE venant aux droits de la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE D’ALSACE
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Me Sandra WEREY, de la SELARL HUFFSCHMITT, WEREY avcat, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant et par Me Michèle SOLA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0133

S.A. CNP ASSURANCES
venant aux droits de la Société ECUREUIL VIE SA
[Adresse 3]
[Localité 8]

représentée par Maître François COUILBAULT de la SELARL CABINET COUILBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1412

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Madame Camille CHAUMONT, greffière lors des débats, et de Madame Sandrine BREARD, greffière lors de la mise à disposition.

DÉBATS

A l’audience du 11 septembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 16 octobre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
Susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile

EXPOSÉ DE L’INCIDENT

Selon offre préalable acceptée le 28 mars 2006, la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Alsace a consenti à M. [Z] [D] et Mme [K] [U] un prêt in fine d’un montant de 406 000 CHF, soit une contre-valeur en euros de 259 068 euros, d’une durée de 180 mois. Le contrat prévoyait un taux d’intérêt annuel proportionnel de 2% indexé sur LIBOR 3 mois CHF.

Le prêt avait pour objet le financement d’une maison en l’état futur d’achèvement située à [Localité 9] pour la résidence principale d’un locataire.

Le prêt était garanti par le nantissement d’un contrat d’assurance-vie « Nuances Plus » souscrit auprès de la société anonyme Ecureuil-Vie par M. [D] le 3 mars 2006.

Constatant que la dépréciation du taux de change entre l’euro et le franc suisse avait surenchéri le montant de la contre-valeur remboursable, cette somme atteignant 377 174 euros en décembre 2020 contre 259 028 euros au 3 juillet 2006, M. [D] et Mme [U] ont mis en demeure le prêteur et l’assureur d’annuler le contrat de prêt et de leur restituer les sommes déjà versées par courrier du 18 décembre 2020.

Par acte d’huissier en date des 17 et 22 juin 2021, M. [D] et Mme [U] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris :
– la société coopérative à forme anonyme Caisse d’épargne et de prévoyance grand est Europe, venant aux droits de la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Alsace (ci-après la Caisse d’Epargne),
– la société anonyme CNP Assurances, venant aux droits de la société Ecureuil-Vie.
Ils sollicitent l’annulation du contrat de prêt et du contrat d’assurance-vie et demandent au tribunal de :

– condamner la société CNP Assurances à restituer à M. [D] et Mme [U] la somme de 188 125,35 euros (à parfaire) au titre de l’ensemble des versements de cotisations, en sus du dépôt initial, ainsi que la somme de 2 715,20 euros au titre des frais divers,
– condamner la société Caisse d’Epargne à restituer intégralement la somme de 8 065,85 euros versée par M. [D] et Mme [U] au titre des frais divers,
– ordonner à Mme [U] et M. [D] de restituer les fonds réellement perçus par eux de la part de la Caisse d’Epargne, soit la contrevaleur en euros de la somme de 406 000 CHF selon le taux applicable lors de la réception de ces fonds, à savoir la somme de 259 068 euros,
– constater la compensation à due concurrence entre les sommes à restituer par les parties,
– condamner la Caisse d’Epargne à verser la somme de 10 000 euros à chacun des demandeurs au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral,
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– condamner la Caisse d’Epargne et la société CNP Assurances solidairement à verser la somme de 2 500 euros à chacun des demandeurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Les parties ont soulevé divers incidents qui ont été plaidés devant le juge de la mise en état à l’audience du 11 janvier 2023.

Par ordonnance rendue le 15 février 2023, le juge de la mise en état a :
– déclaré recevables les conclusions de la société CNP Assurances,
– déclaré irrecevables les conclusions de la société Caisse d’épargne et de prévoyance grand est Europe communiquées le 3 décembre 2021,
– déclaré recevables les conclusions de la société Caisse d’épargne et de prévoyance grand est Europe communiquées le 3 juin 2022,
– déclaré irrecevables car prescrites les demandes de M. [Z] [D] et Mme [K] [U] au titre de la nullité des contrats de prêts et d’assurance-vie,
– déclaré recevables les autres demandes,
– dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce n°8 produite par M. [Z] [D] et Mme [K] [U],
– réservé les dépens,
– rejeté les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– renvoyé l’affaire et les parties à l’audience de mise en état du 17 mai 2023 pour les conclusions de M. [Z] [D] et Mme [K] [U], ne comportant plus de demandes au titre de la nullité des contrats.

Après échanges de conclusions entre les parties, le juge de la mise en état a clôturé l’instruction de l’affaire par ordonnance du 6 mars 2024. L’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 15 mai 2024 se tenant en juge rapporteur.

Cependant, les demandeurs ont communiqué des conclusions d’incident le 5 mars 2024 « aux fins de soulever la nullité du contrat de prêt pour atteinte à l’ordre public ainsi que son caractère immoral ».

Par ordonnance rendue le 24 avril 2024, le juge de la mise en état a
– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 6 mars 2024 ;
– renvoyé l’affaire et les parties à l’audience du juge de la mise en état du 11 septembre 2024 pour plaider sur l’incident ;
– invité les sociétés défenderesses à conclure sur l’incident avant le 29 mai 2024,
– invité les demandeurs à présenter d’éventuelles conclusions en réponse avant le 3 juillet 2024 ;
– dit que les éventuelles conclusions en réponse des sociétés défenderesses à ces nouvelles conclusions devront être notifiées avant le 4 septembre 2024 ;
– rappelé aux parties que toutes les conclusions signifiées dans des conditions incompatibles avec le principe du contradictoire seront susceptibles d’être rejetées sur le fondement de l’article 16 du code de procédure civile ;
– indiqué aux parties qu’aucun renvoi pour présenter de nouvelles conclusions sur l’incident ne sera accepté lors de l’audience du 11 septembre 2024.
Demandes et moyens de M. [D] et Mme [U]

Dans leurs dernières conclusions sur incident notifiées par RPVA le 1er juillet 2024, M. [D] et Mme [U] demandent au juge de la mise en état de :
« Vu les articles 12, 118, 122, 123, 125, 700 et 789 du code de procédure civile,
Vu l’ordre public,
Vu l’immoralité du contrat de prêt,
Vu l’interdiction dans les contrats internes de la monnaie étrangère comme monnaie de compte et monnaie de paiement,
– DECLARER recevables et fondés Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] en leurs demandes, fins et conclusions,
– DECLARER les conclusions de la CAISSE D’EPARGNE D’ALSACE et de la CNP ASSURANCES irrecevables et infondées, y compris les demandes reconventionnelles, les en débouter ;
En conséquence,
A titre principal :
– DECLARER le prêt souscrit et l’ensemble des clauses, y compris le contrat d’assurance-vie est immoral et par conséquent nul ;
– CONDAMNER la Caisse d’Epargne solidairement avec la CNP ASSURANCES à rembourser à Monsieur [D] et Madame [U] la totalité du prêt à sa date d’échéance en juin 2021 soit la somme de 372 870,40 € ainsi que le remboursement de l’assurance-vie soit la somme de 188.167 €, outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir ;
A titre subsidiaire :
– DECLARER le prêt souscrit et l’ensemble des clauses, y compris le contrat d’assurance-vie nul et de nul effet comme contraire à l’ordre public ;
– ORDONNER les restitutions et en conséquence ;
– CONDAMNER la Société CAISSE D’EPARGNE D’ALSACE et CNP solidairement à verser la somme de 113.802,40 € à Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U], outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir ;
– CONDAMNER le CNP ASSURANCES, solidairement avec la Caisse d’Epargne, à remboursement à Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] la somme de 12.867 € au titre des intérêts d’emprunt, outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir ;
A titre plus subsidiaire :
– DECLARER en tout état de cause, le prêt souscrit et l’ensemble des clauses, compris le contrat d’assurance-vie, inexistant ;
– ORDONNER les restitutions et en conséquence ;
– CONDAMNER la Société CAISSE D’EPARGNE D’ALSACE et CNP solidairement à verser la somme de 113.802,40 € à Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U], outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir ;
– CONDAMNER le CNP ASSURANCES, solidairement avec la Caisse d’Epargne, à remboursement à Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] la somme de 12.867 € au titre des intérêts d’emprunt, outre les intérêts légaux à compter de la décision à intervenir ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER la Société CAISSE D’EPARGNE D’ALSACE et CNP solidairement à verser la somme de 1.500 € à chacun des demandeurs au titre de l’article 700 du CPC ;
– CONDAMNER la Société CAISSE D’EPARGNE D’ALSACE et CNP solidairement aux entiers dépens. »

M. [D] et Mme [U] affirment que leur action en nullité du contrat n’est pas prescrite car le délai de prescription quinquennale a commencé à courir à compter du terme du contrat, le 5 juillet 2021. Ils estiment au surplus que « l’assignation délivrée et les conclusions au fond ont interrompu la prescription de la demande en nullité du prêt en ce qu’elle est fondée sur l’obligation de remboursement en francs suisses ».

M. [D] et Mme [U] observent que leur demande en nullité est fondée sur une atteinte à l’ordre public, laquelle peut être invoquée en tout temps. Ils en déduisent que leur demande ne porte pas atteinte au principe de la « concentration des motifs ». Ils soutiennent qu’ils sont fondés à « demander au juge de la mise en état de relever d’office ces moyens relatifs à l’ordre public ».

M. [D] et Mme [U] font valoir que « le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur la nullité d’un contrat pour atteinte à l’ordre public ».

Au soutien de leur demande de nullité du contrat de prêt, M. [D] et Mme [U] exposent que le contrat est immoral en ce qu’il viole l’interdiction de paiement en devise étrangère. Ils allèguent avoir été victimes de dol de la part de la Caisse d’Epargne, celle-ci leur ayant dissimulé la prohibition de souscription de prêt en devises étrangères.
M. [D] et Mme [U] se prévalent également de la nullité absolue du contrat de prêt dès lors que le franc suisse a été utilisé comme moyen de paiement ce qui porte atteinte au cours légal de la monnaie. Ils considèrent que la nullité du contrat de prêt entraîne la nullité des accessoires du contrat et par conséquent la nullité du contrat d’assurance-vie.

A titre subsidiaire, M. [D] et Mme [U] demandent au juge de la mise en état de juger que le contrat doit être réputé inexistant. Ils affirment que « cette action, dont le juge de la mise en état a le devoir de la soulever d’office, existe sans aucune restriction de temps ».

Demandes et moyens de CNP Assurances

Dans ses dernières conclusions sur incident notifiées par RPVA le 12 août 2024, la société CNP Assurances demande au juge de la mise en état de :
« – A titre principal,
– DECLARER prescrite l’action en nullité du contrat d’assurance,
En conséquence,
– DEBOUTER Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de CNP ASSURANCES;
A titre subsidiaire,
Vu le rachat total du contrat d’assurance vie,
– DECLARER irrecevable la demande de nullité du contrat d’assurance vie NUANCES PLUS;
En conséquence,
– DEBOUTER Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de CNP ASSURANCES;
A titre infiniment subsidiaire,
Vu l’absence de solidarité entre CNP ASSURANCES et la CAISSE d’EPARGNE,
– DEBOUTER Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de CNP ASSURANCES;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] à verser à CNP ASSURANCES une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
– CONDAMNER Monsieur [Z] [D] et Madame [K] [U] aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître François COUILBAULT, Avocat au Barreau de Paris, SELARL Cabinet COUILBAULT. »

La société CNP Assurances affirme que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité ne se confond pas avec celui de l’action en nullité d’un acte, lequel ne commence à courir qu’à compter du jour où l’acte irrégulier a été passé. Elle conteste que le contrat d’assurance vie soit l’accessoire du contrat de prêt et puisse être annulé en cas de nullité du prêt. Elle observe que seul M. [D] a souscrit le contrat d’assurance vie et relève qu’il n’invoque aucune cause de nullité propre au contrat d’assurance vie.

La société CNP Assurances remarque que M. [D] a procédé au rachat total de son contrat d’assurance-vie le 28 juillet 2021 et soutient qu’il ne peut plus exercer une action en nullité envers un contrat qui n’a plus d’existence.

Demandes et moyens de la Caisse d’épargne et de prévoyance Grand Est

Dans ses dernières conclusions sur incident notifiées le 2 septembre 2024, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est demande au juge de la mise en état de :
« Vu les dispositions du Code de procédure civile conférant une compétence limitée au juge de la mise en état, le droit de l’Union, les articles 1304 notamment du Code civil, les articles du code de la consommation et la jurisprudence,
SE DECLARER incompétent sur l’ensemble des demandes incidentes,
En tout état de cause, REJETER l’ensemble des demandes incidentes,
En tant que de besoin, DIRE ET JUGER, CONSTATER, RAPPELER, PRONONCER que les demandes adverses en nullité sont prescrites et se heurtent à l’autorité de chose jugée,
DIRE ET JUGER, CONSTATER, RAPPELER, PRONONCER que les demandes adverses relèvent du débat au fond,
A titre infiniment subsidiaire,
DIRE ET JUGER que restent dus des intérêts au taux légal majoré, selon détail ci-dessous :
– Offre de prêt de 2006 (libor 3M) majoré de 1 point
et l’application de l’€URIBOR en tant qu’index,
CONDAMNER les demandeurs à payer à la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE GRAND EST EUROPE venant aux droits de la CAISSE d’EPARGNE ET DE PREVOYANCE D’ALSACE la somme de 2 500 €, en application de l’article 700 du CPC,
LES CONDAMNER en tous les frais et dépens issus de l’instance,
DECLARER le jugement à intervenir exécutoire par provision sans caution. »

La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est conteste la compétence du juge de la mise en état pour statuer sur la nullité des contrats. Elle relève qu’il convient de distinguer entre une nullité de procédure et la nullité d’un contrat, cette dernière demande ne pouvant relever de la compétence du juge de la mise en état.
La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est observe que la demande de nullité des contrats a déjà été jugée comme étant prescrite de sorte que les demandes de M. [D] et Mme [U] se heurtent à l’autorité de la chose jugée. Elle considère que « la prescription de l’action en nullité adverse a été débattue et tranchée et ce quel que soit le fondement de la nullité invoquée ».

La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est ajoute qu’une demande de nullité est irrecevable lorsque la convention dont la nullité est sollicitée est partiellement exécutée. Elle soutient que les débats sur la licéité du contrat de prêt ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état.
* * *
L’incident a été plaidé à l’audience du 11 septembre 2024 et mis en délibéré au 16 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la recevabilité des demandes formulées de M. [D] et Mme [U] au titre de l’incident
1.1. Sur l’autorité de chose jugée
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, « Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Par dérogation au premier alinéa, s’il estime que la complexité du moyen soulevé ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le juge de la mise en état peut décider que la fin de non-recevoir sera examinée à l’issue de l’instruction par la formation de jugement appelée à statuer sur le fond.

Dans le cas visé au précédent alinéa, la décision du juge de la mise en état, qui constitue une mesure d’administration judiciaire, est prise par mention au dossier. Avis en est donné aux avocats. Les parties sont alors tenues de reprendre la fin de non-recevoir dans les conclusions adressées à la formation de jugement. »

L’article 122 du code de procédure civile définit ainsi les fins de non-recevoir : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

Selon l’article 794 du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée à l’exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir et sur les incidents mettant fin à l’instance.

En application des dispositions précitées, la prescription de l’action constitue une fin de non-recevoir qui relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état et l’ordonnance du juge de la mise en état qui statue sur la prescription est revêtue de l’autorité de la chose jugée.

En l’espèce, M. [D] et Mme [U] sollicitent en premier lieu que le juge de la mise en état déclare leurs demandes recevables puis qu’il prononce la nullité des contrats de prêt et d’assurance-vie.
Or, par ordonnance rendue le 15 février 2023, le juge de la mise en état a déclaré irrecevables car prescrites les demandes de M. [Z] [D] et Mme [K] [U] au titre de la nullité des contrats de prêt et d’assurance-vie.

Cette ordonnance statue sur une fin de non-recevoir et revêt dès lors l’autorité de chose jugée. L’autorité de chose jugée interdit que soit soumise à un juge une nouvelle demande qui, entre les mêmes parties, aurait le même objet et la même cause.

Il est cependant admis que l’autorité de chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue en justice.

En l’espèce, M. [D] et Mme [U] ne font état d’aucun événement qui serait intervenu postérieurement au 15 février 2023 et pourrait modifier la situation antérieurement reconnue.

En outre, en application du principe de la concentration des moyens, il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci. Conformément à ce principe, de nouveaux moyens présentés postérieurement à une précédente décision revêtue de l’autorité de chose jugée ne sauraient constituer un événement nouveau.

Il en résulte que M. [D] et Mme [U] ne sont pas fondés à se prévaloir de moyens nouveaux à l’appui de leur demande de nullité pour présenter une nouvelle demande sur ce fondement.

L’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance du 15 février 2023 qui a déclaré prescrites leurs demandes au titre de la nullité entraîne l’irrecevabilité des demandes postérieures sur ce même fondement.

Dans ces conditions, les demandes de M. [D] et Mme [U] fondées sur la nullité du contrat seront déclarées irrecevables.

1.2. Sur la compétence du juge de la mise en état
Aux termes de l’article 71 du code de procédure civile, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.

L’article 789 précité du code de procédure civile énumère le domaine de compétence exclusif du juge de la mise en état parmi lesquels figurent notamment les fins de non-recevoir.

M. [D] et Mme [U] considèrent que le juge de la mise en état dispose du pouvoir de relever d’office les moyens qu’ils soulèvent à l’appui de leurs demandes de nullité et d’inexistence du contrat en application de l’article 125 du code de procédure civile.

Selon cet article, « les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours.

Le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

Lorsqu’une fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir dans le même jugement, mais par des dispositions distinctes. Sa décision a l’autorité de la chose jugée relativement à la question de fond et à la fin de non-recevoir. »

Cependant, lorsque M. [D] et Mme [U] se prévalent de la nullité ou de l’inexistence du contrat, ils présentent une défense au fond et non une fin de non-recevoir. Or, le juge de la mise en état n’est pas compétent pour statuer sur les défenses au fond, et ne peut donc relever d’office les moyens soulevés par M. [D] et Mme [U] à l’appui de leur défense au fond. Au demeurant, le juge n’a pas besoin de relever d’office les moyens qui lui sont présentés par les parties.

Il a déjà été dit précédemment que les demandes de M. [D] et Mme [U] au titre de la nullité du contrat sont irrecevables car contraires au principe de l’autorité de chose jugée.

Il est observé de manière surabondante que ces demandes constituent des demandes au fond qui ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état.

Les demandes de M. [D] et Mme [U] au titre de l’inexistence des contrats n’ont pas au préalable été déclarées irrecevables en raison de la prescription.

Cependant, elles constituent des demandes au fond qui ne relèvent pas de la compétence du juge de la mise en état. Il en est de même des demandes de rejet de ces demandes présentées par la société CNP Assurances et la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est.

Il y aura donc lieu de constater l’incompétence du juge de la mise en état pour connaître de ces demandes et de renvoyer au fond l’examen de ces demandes.
2. Sur les frais de l’incident

L’instance se poursuivant, les dépens de l’incident suivront le sort qui sera donné par le tribunal à ceux du fond.

M. [D] et Mme [U] succombent au moins partiellement à l’incident. Pour cette raison, ils seront condamnés in solidum, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à la société CNP Assurances la somme de 2 000 euros. Ils seront également condamnés à payer la même somme à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe de la juridiction, susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,

DÉCLARE irrecevables comme se heurtant au principe de l’autorité de chose jugée les demandes de M. [Z] [D] et Mme [K] [U] au titre de la nullité du contrat de prêt et du contrat d’assurance-vie ;

CONSTATE l’incompétence du juge de la mise en état pour connaître des demandes de M. [Z] [D] et Mme [K] [U] relatives à l’inexistence des contrats ;

RENVOIE au fond les demandes de M. [Z] [D] et Mme [K] [U] au titre de l’inexistence du contrat ainsi que les demandes de rejet de la société CNP Assurances et de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est ;

DIT que le sort des dépens suivra celui qui sera donné par le tribunal à ceux du fond ;

CONDAMNE M. [Z] [D] et Mme [K] [U] in solidum à payer à la société CNP Assurances la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [Z] [D] et Mme [K] [U] in solidum à payer à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Grand Est la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RENVOIE l’affaire et les parties à l’audience de mise en état du 11 décembre 2024 pour clôture et fixation à plaider en juge rapporteur ;

INVITE M. [Z] [D] et Mme [K] [U] à présenter d’éventuelles dernières conclusions au fond notifiées par RPVA avant le 13 novembre 2024 ; précise que conformément à l’ordonnance du 15 février 2023 et à la présente ordonnance, ces conclusions ne devront plus comprendre de prétentions relatives à la nullité des contrats de prêt et d’assurance-vie ;

INVITE les sociétés défenderesses à présenter d’éventuelles dernières conclusions au fond notifiées par RPVA avant le 4 décembre 2024 ;

Faite et rendue à Paris le 16 octobre 2024.

La Greffière Le Juge de la mise en état


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