Conflit locatif et droits des héritiers : enjeux d’une reprise d’habitation

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Conflit locatif et droits des héritiers : enjeux d’une reprise d’habitation

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous-seing privé en date du 4 novembre 1974, Monsieur [Y] [H] a consenti à Monsieur [B] [T] un bail soumis aux dispositions de l’article 3 ter de la loi du 1er septembre 1948, portant sur un appartement sis à [Adresse 1]. Cet appartement était occupé par Monsieur [Y] [H] et son épouse depuis le [Date décès 1] 1967, en vertu de la loi précitée.

Un nouveau bail a été consenti par Monsieur [Y] [H] à feu Monsieur [T] le 17 janvier 1981, au visa de l’article 3 sexies de la loi du 1er septembre 1948, pour une durée de trois années à compter du 1er janvier 1981. Monsieur [B] [T], notaire, est décédé le [Date décès 2] 2005.

Les droits de Monsieur [Y] [H] ont été transmis à Monsieur et Madame [Z] [K], qui ont acquis les locaux par acte notarié en date du 22 décembre 2006. Ces derniers ont délivré un congé pour reprise à Madame veuve [T] le 29 juin 2010, avec effet au 31 décembre 2010.

PROCEDURE JUDICIAIRE

Le 24 mars 2011, Monsieur et Madame [Z] [K] ont assigné Madame [T] devant le Tribunal d’Instance du 4ème arrondissement de Paris pour valider le congé et ordonner son expulsion. Le jugement rendu le 1er décembre 2011 a déclaré valide l’assignation, écarté certaines pièces des demandeurs, annulé le congé délivré à Madame [T], et a statué que le bail s’était tacitement reconduit selon les conditions de la loi du 1er septembre 1948.

Monsieur et Madame [Z] [K] ont interjeté appel de cette décision, demandant l’infirmation du jugement et la validation du congé. En réponse, Madame veuve [T] a demandé à la Cour de confirmer le jugement déféré et de débouter les époux [K] de toutes leurs demandes.

ANALYSE DES DEMANDES

Dans leurs conclusions, Monsieur et Madame [Z] [K] ont sollicité la validation du congé délivré le 29 juin 2010, arguant que Madame [T] était déchue de tout titre d’occupation. Ils ont également demandé l’expulsion de Madame [T] et la séquestration de ses biens. En revanche, Madame veuve [T] a soutenu qu’elle n’avait signé aucun des baux et que la renonciation de son époux aux dispositions de la loi de 1948 n’était pas opposable à elle.

L’article 1751 du Code Civil stipule que le droit au bail d’un local d’habitation est réputé appartenir aux deux époux, indépendamment de leur régime matrimonial. Ainsi, la renonciation de Monsieur [T] à la loi de 1948 ne peut être considérée comme valable à l’égard de son épouse, qui conserve un droit personnel sur le bail.

DECISION DU TRIBUNAL

Le tribunal a confirmé que l’assignation introductive d’instance était valable, malgré une erreur de désignation des demandeurs. Concernant la demande de sursis à statuer de Madame veuve [T], celle-ci a été jugée sans objet suite à une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Sur le fond du litige, le tribunal a conclu que la renonciation de Monsieur [T] n’était pas opposable à Madame [T], et que le congé délivré le 29 juin 2010 était nul. Par conséquent, le bail a été reconduit tacitement aux conditions de la loi de 1948.

CONSEQUENCES FINANCIERES

Monsieur et Madame [Z] [K] ont été condamnés aux dépens d’appel et à verser une somme de 800 € à Madame [T] sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile. De plus, ils ont été tenus de couvrir les frais non compris dans les dépens, fixés à 1 000 €.

Cette décision souligne l’importance de la protection des droits des locataires, notamment en ce qui concerne les baux régis par la loi de 1948, et la nécessité de respecter les procédures légales lors de la délivrance de congés.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 décembre 2013
Cour d’appel de Paris
RG
12/00678
Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 3

ARRÊT DU 12 DÉCEMBRE 2013

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 12/00678

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Décembre 2011 -Tribunal d’Instance de PARIS 4 – RG n° 11-11-00069

APPELANTS

Monsieur [Z] [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assisté de Me Michel PIALOUX, avocat au barreau de Paris, toque : P136

Madame [A] [P] ÉPOUSE [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assisté de Me Michel PIALOUX, avocat au barreau de Paris, toque : P136

INTIMEE

Madame [I] [X] [C] [D] épouse [T]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assisté de Me Jacques FELDSTEIN, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 03 Octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jacques CHAUVELOT, Président de chambre

Madame Michèle TIMBERT, Conseillère

Madame Isabelle BROGLY, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Amandine CHARRIER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Jacques CHAUVELOT, président et par Mme Amandine CHARRIER, greffier présent lors du prononcé.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous-seing privé en date du 4 novembre 1974, Monsieur [Y] [H] a consenti à Monsieur [B] [T] seul, un bail soumis aux dispositions de l’article 3 ter de la loi du 1er septembre 1948, portant sur un appartement sis à [Adresse 1] qu’il occupait avec son épouse depuis le [Date décès 1] 1967 en vertu de la loi précitée.

Par acte sous-seing privé en date du 17 janvier 1981, Monsieur [Y] [H] a consenti à feu Monsieur [T] un nouveau bail au visa de l’article 3 sexies de la loi du 1er septembre 1948, portant sur les mêmes locaux et ce, pour une durée de 3 années à compter du 1er janvier 1981.

Monsieur [B] [T], notaire, est décédé le [Date décès 2] 2005.

Monsieur et Madame [Z] [K], venant aux droits de Monsieur [Y] [H] pour avoir fait l’acquisition des locaux selon acte notarié en date du 22 décembre 2006, ont fait délivrer par acte d’huissier de justice en date du 29 juin 2010 à Madame veuve [T], un congé pour reprise pour habiter à leur profit pour le 31 décembre 2010.

Par acte d’huissier de justice en date du 24 mars 2011, Monsieur et Madame [Z] [K] ont fait délivrer assignation à Madame [T] devant le Tribunal d’Instance du 4ème arrondissement de Paris aux fins notamment de voir valider le congé et ordonner l’expulsion de la locataire.

Par jugement rendu le 1er décembre 2011, le Tribunal d’Instance du 4ème arrondissement de Paris a :

– déclaré valide l’assignation introductive d’instance.

– écarté des débats les pièces numéros 5 et 6 des demandeurs, non communiquées à la défenderesse.

– déclaré nul le congé délivré à Madame [T] le 29 juin 2010.

– dit que le bail s’est tacitement reconduit aux conditions de la loi du 1er septembre 1948.

– condamné Monsieur et Madame [Z] [K] à payer à Madame [T] la somme de 800 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– condamné Monsieur et Madame [Z] [K] aux dépens.

Monsieur et Madame [Z] [K] ont interjeté appel de la décision.

Dans leurs dernières conclusions du 23 mai 2013, ils poursuivent l’infirmation du jugement et demandent en conséquence à la Cour, statuant à nouveau, de :

– débouter Madame veuve [T] de toutes ses demandes.

– valider le congé délivré le 29 juin 2010 pour le 31 décembre 2010 sur le fondement de l’article 15-1 de la loi du 6 juillet 1989.

– constater que Madame [T] est, depuis la date d’effet du congé, déchue de plein droit de tout titre d’occupation sur le local litigieux.

– ordonner l’expulsion de Madame veuve [T] ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec si besoin le concours de la force publique et ce, passé le délai d’un mois de la signification de la décision, sous astreinte de 200 € par jour de retard.

– ordonner la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués, dans tel resserre ou garde-meubles qu’il plaira au requérant de désigner et ce, aux frais risques et périls de l’intimée.

– condamner Madame veuve [T] à verser une indemnité mensuelle d’occupation de 3 500 €, charges en plus, à compter du 1er janvier 2011.

– condamner Madame veuve [T] au paiement de la somme de 6 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux dépens pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

Madame veuve [T], intimée, par dernières conclusions du 11 mai 2012, demande à la Cour de :

principalement :

– débouter Monsieur et Madame [Z] [K] de toutes leurs demandes.

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

subsidiairement :

– dire que l’indemnité d’occupation éventuellement due sera égale au montant du loyer contractuel et lui accorder les plus larges délais pour se reloger, compte tenu de son âge, de son état de santé et de ses ressources.

faisant droit à son appel incident dire et juger nulle l’assignation introductive d’instance des époux [K].

subsidiairement

– surseoir à statuer jusqu’à l’issue de la procédure actuellement pendante devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS qui doit se prononcer sur la nullité de la vente consentie aux époux [K].

en tout état de cause

– condamner Monsieur et Madame [K] à verser la somme de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

‘ Sur la nullité de l’assignation introductive d’instance

Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a déclaré l’assignation introductive d’instance valable : en effet, le premier juge a exactement relevé que c’est par une simple erreur de plume que l’un des demandeurs a été désigné comme étant Madame [Z] [K] aux lieu et place de Monsieur [Z] [K]. Cette erreur est sans incidence dans la mesure où Madame veuve [T] avait parfaite connaissance de l’identité de ses nouveaux bailleurs dont le Notaire lui a notifié l’acte de vente par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 26 décembre 2006.

‘ Sur la demande de sursis à statuer de Madame veuve [T]

Cette demande est devenue sans objet dès lors que le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu sa décision le 1er octobre 2013, ainsi qu’il est justifié par les appelants.

‘ Sur le fond du litige

En l’espèce, Madame veuve [T] n’a signé aucun des baux, ni celui soumis aux dispositions de l’article 3 ter de la loi du 1er septembre 1948 que Monsieur [Y] [H] a consenti à Monsieur [B] [T] seul, ni celui du 17 janvier 1981 consenti au visa de l’article 3 sexies de la loi du 1er septembre 1948, portant sur les mêmes locaux.

Il convient dès lors de s’interroger sur les effets de la renonciation de feu Monsieur [T] aux dispositions de la loi de 1948, à l’égard de son épouse, et d’examiner plus précisément si la renonciation de Monsieur [T] au bénéfice de la loi du 1er septembre 1948 consécutive à la signature des baux des 4 novembre 1974 et 17 janvier 1981 est opposable à Madame [I] [T].

Aux termes de l’article 1751 du Code Civil, ‘le droit au bail du local sans caractère professionnel ou commercial qui sert effectivement à l’habitation des deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l’un et l’autre des époux’.

Cet article crée une co-titularité du bail et confère à chacun des époux un droit personnel sur celui-ci.

La renonciation à un droit ne se présumant pas, et ne pouvant se déduire d’une simple attitude passive, la preuve n’est pas rapportée par les époux [K] de l’accomplissement par Madame [T] d’un acte positif de nature à caractériser de façon non équivoque et certaine sa renonciation au bénéfice des dispositions de la loi du 1er septembre 1948, le paiement des loyers et charges étant insuffisant à cet égard.

L’article 215 du Code Civil dispose quant à lui que ‘les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni les meubles meublants dont il est garni, celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation, ainsi Monsieur feu [T] n’a pas pu valablement représenter son épouse ni être considéré comme son mandataire dans la gestion des biens du ménage en raison du droit personnel que Madame [T] tient de la loi.

Il résulte de la combinaison des deux textes susvisés, que la renonciation de Monsieur [T] est sans effet à l’égard de son épouse.

Les bailleurs n’ont pas fait délivrer congé à Madame veuve [T] sur le fondement des dispositions de la loi du 1er septembre 1948, seule applicable en l’espèce au bail en cours. Par suite, en l’absence de délivrance d’un tel congé, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a annulé le congé donné le 29 juin 2010 sur le fondement des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et dit en conséquence que le bail s’est renouvelé par tacite reconduction à l’égard de Madame [I] [T] aux conditions de la loi du 1er septembre 1948.

‘ Sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Succombant en leur recours, Monsieur et Madame [Z] [K] seront condamnés aux dépens d’appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de Monsieur et Madame [Z] [K] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Madame veuve [T] peut être équitablement fixée à 1 000 €.


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