Sommaire Propriétés et ServitudesM. [B] [P] et Mme [M] [T] sont propriétaires d’un terrain situé à [Adresse 21], cadastré AM [Cadastre 6]. M. [X] [H] et Mme [K] [E] possèdent également une parcelle cadastrée AM [Cadastre 7]. M. [R] [V], M. [N] [V] et leur mère Mme [Z] [D] détiennent une parcelle cadastrée AM [Cadastre 13] et bénéficient d’une servitude de passage sur les parcelles AM [Cadastre 6] et [Cadastre 7]. Demandes de ConciliationLe 11 août 2021, M. et Mme [P] ainsi que M. et Mme [H] ont sollicité une constatation amiable de l’extinction de la servitude auprès de MM. [V]. En l’absence d’accord, une tentative de conciliation a eu lieu le 16 février 2022, sans succès. Par la suite, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] ont assigné MM. [V] et Mme [D] devant le tribunal judiciaire de Toulouse. Ordonnance du JugeLe 21 septembre 2023, le juge a débouté M. et Mme [P] et M. et Mme [H] de leur demande de vérification personnelle et a demandé des précisions sur la situation cadastrale. L’affaire a été fixée à l’audience du 7 octobre 2024. Prétentions des PartiesM. et Mme [P] et M. et Mme [H] demandent au tribunal de constater l’extinction de la servitude de passage et de rejeter les conclusions des défendeurs. Ils soutiennent que la servitude n’est pas justifiée par un titre et que l’état d’enclave a disparu. À titre subsidiaire, ils affirment que la servitude est éteinte par non-usage depuis plus de 30 ans. Arguments des DéfendeursMM. [V] et Mme [D] contestent les prétentions des demandeurs, affirmant que leur parcelle est toujours enclavée et que la servitude est nécessaire pour y accéder. Ils demandent la condamnation des demandeurs à libérer l’assiette de la servitude et à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive. Décision du TribunalLe tribunal a constaté que la parcelle AM [Cadastre 13] dispose d’un accès praticable à la voie publique, ce qui signifie qu’elle n’est pas enclavée. En conséquence, la servitude de passage a été déclarée éteinte. Les demandes reconventionnelles des défendeurs ont été rejetées. Frais de ProcèsMM. [V] et Mme [D], ayant perdu, ont été condamnés aux dépens et à verser des indemnités aux demandeurs pour couvrir les frais de justice. L’exécution provisoire a été ordonnée. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les conditions d’extinction d’une servitude de passage en cas de cessation d’enclave ?L’extinction d’une servitude de passage, notamment en cas de cessation d’enclave, est régie par l’article 685-1 du Code civil. Cet article stipule que : « En cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682. » Ainsi, si un fonds dominant, initialement enclavé, acquiert un accès suffisant à la voie publique, le propriétaire du fonds servant peut demander l’extinction de la servitude. Il est important de noter que le droit découlant de la servitude légale de passage pour cause d’enclave ne s’éteint pas par le non-usage, même pendant une période de 30 ans. Seule la cessation de l’état d’enclave peut entraîner l’extinction de la servitude légale, comme l’indique la jurisprudence (3e civ., 11 février 1975, pourvoi 73-16.974). Dans le cas présent, les demandeurs ont démontré que la parcelle AM [Cadastre 13] dispose de deux accès praticables à la voie publique, ce qui a conduit à la constatation de l’extinction de la servitude. Quels sont les droits des propriétaires de fonds enclavés selon le Code civil ?Les droits des propriétaires de fonds enclavés sont énoncés dans l’article 682 du Code civil, qui précise que : « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. » Cet article établit le droit pour un propriétaire dont le terrain est enclavé de demander un passage suffisant sur les propriétés voisines. Il est également précisé que ce droit est conditionné par la nécessité d’une issue suffisante pour l’exploitation de la propriété. En cas de contestation, la décision de justice est requise pour établir l’existence de la servitude. Dans le litige en question, les défendeurs soutiennent que leur parcelle est enclavée, mais les preuves présentées par les demandeurs montrent qu’ils disposent d’un accès suffisant, ce qui remet en question la validité de leur revendication. Comment le tribunal a-t-il évalué la preuve de l’usage de la servitude ?Le tribunal a évalué la preuve de l’usage de la servitude en se basant sur les éléments fournis par les parties, notamment les constatations d’un huissier et les témoignages concernant l’accès aux parcelles. L’article 135 du Code de procédure civile stipule que : « Le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile. » Dans ce contexte, le tribunal a pris en compte les preuves présentées par les demandeurs, qui ont démontré que la parcelle AM [Cadastre 13] n’était pas enclavée et qu’elle avait deux accès praticables à la voie publique. Les défendeurs, quant à eux, n’ont pas réussi à prouver que la servitude avait été utilisée de manière continue ou qu’elle était nécessaire pour l’exploitation de leur parcelle. Le tribunal a donc conclu que la servitude était éteinte, en raison de l’absence d’usage pendant plus de 30 ans et de la cessation de l’état d’enclave. Quelles sont les conséquences d’une procédure abusive selon le Code de procédure civile ?La procédure abusive est abordée dans l’article 700 du Code de procédure civile, qui dispose que : « Dans tous les cas, le juge peut condamner la partie qui succombe à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. » Cet article permet au tribunal de condamner une partie à verser des indemnités à l’autre partie si elle a engagé une procédure jugée abusive. Dans le cas présent, les défendeurs ont été déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, car le tribunal a estimé que les demandeurs avaient agi de bonne foi en cherchant à faire valoir leurs droits. Les défendeurs, ayant succombé dans leur demande, ont été condamnés in solidum aux dépens, ce qui signifie qu’ils doivent supporter les frais de la procédure. Cette décision souligne l’importance pour les parties de fonder leurs demandes sur des éléments solides et de ne pas engager des actions judiciaires sans fondement, sous peine de voir leurs demandes rejetées et d’être condamnées à payer des frais. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU : 10 Décembre 2024
DOSSIER : N° RG 22/01806 – N° Portalis DBX4-W-B7G-QWQ5
NAC : 74D
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOULOUSE
POLE CIVIL – Fil 1
JUGEMENT DU 10 Décembre 2024
PRESIDENT
Madame KINOO, Vice-Présidente
Statuant à juge unique conformément aux dispositions des
articles R 212-9 et 213-7 du Code de l’Organisation judiciaire
GREFFIER lors du prononcé
Madame CHAOUCH, Greffier
DEBATS
à l’audience publique du 07 Octobre 2024, les débats étant clos, le jugement a été mis en délibéré à l’audience de ce jour.
JUGEMENT
Contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe.
Copie revêtue de la formule
exécutoire délivrée le
à
DEMANDEURS
M. [B] [P]
né le 07 Août 1965 à [Localité 19] (19), demeurant [Adresse 14]
Mme [M] [T] épouse [P]
née le 13 Août 1966 à [Localité 22] (PORTUGAL), demeurant [Adresse 14]
M. [X] [H]
né le 27 Janvier 1975 à [Localité 27] (31), demeurant [Adresse 15]
Mme [K] [E] épouse [H]
née le 20 Juin 1977 à [Localité 18] (32), demeurant [Adresse 15]
représentés par Me Laëtitia PINAZZI, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant/postulant, vestiaire : 197
DEFENDEURS
M. [R] [V], demeurant [Adresse 16]
M. [N] [V], demeurant [Adresse 10]
Mme [Z] [D], demeurant [Adresse 17]
représentés par Maître Anne MARIN de la SELARL MARIN AVOCATS, avocats au barreau de TOULOUSE, avocats plaidant/postulant, vestiaire : 314
Faits et procédure
M. [B] [P] et Mme [M] [T] épouse [P] sont propriétaires d’un fonds situé [Adresse 21] à [Localité 23], cadastré AM [Cadastre 6].
M. [X] [H] et Mme [K] [E] épouse [H] sont notamment propriétaires de la parcelle cadastrée AM [Cadastre 7].
M. [R] [V], M. [N] [V] et leur mère Mme [Z] [D] sont respectivement nus-propriétaires et usufruitière d’une parcelle de terre cadastrée AM [Cadastre 13], également située [Adresse 21] à [Localité 23] et bénéficient d’une servitude de passage sur les parcelles AM [Cadastre 6] et [Cadastre 7].
Par lettres recommandées avec accusé réception du 11 août 2021, réceptionnées le 18 suivant, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] ont demandé à MM. [V] de constater, de manière amiable, l’extinction de la servitude et, à défaut, de procéder à une conciliation.
Par courriers du 13 octobre 2021, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] ont adressé à MM. [V] les pièces justificatives qu’ils sollicitaient.
Une tentative de conciliation a eu lieu le 16 février 2022. Aucun accord amiable n’a toutefois été trouvé entre les parties.
Par actes des 24 et 31 mars 2022, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] ont fait assigner MM. [V] et Mme [D] devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de faire constater l’extinction de la servitude.
Par ordonnance du 21 septembre 2023, le juge de la mise en état :
– a débouté M. et Mme [P] et M. et Mme [H] de leur demande de vérification personnelle du juge ;
– les a invités :
* à communiquer des vues exploitables et rapprochées de la situation cadastrale, en couleur et dans tous les cas de meilleure qualité que celles versées dans le cadre de l’incident ;
* à faire préciser par la commune de [Localité 24] si le chemin débutant [Adresse 26] entre les parcelles ZE[Cadastre 2] et ZE[Cadastre 5] d’un côté et ZE[Cadastre 4] et ZE[Cadastre 1] de l’autre est un chemin communal.
– a dit que les dépens de l’incident seront joints à ceux de l’instance au fond.
L’ordonnance de clôture, avec fixation de l’affaire à l’audience du 7 octobre 2024, tenue à juge unique, est intervenue le 20 juin 2024.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions transmises le 15 mai 2024, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] demandent au tribunal de :
– rejeter les conclusions notifiées le 15 mai 2024 par MM. [V] et Mme [D];
– écarter des débats la pièce adverse n° 4 ;
– constater la cessation de l’état d’enclave de la parcelle cadastrée AM [Cadastre 13] ;
– constater l’extinction de la servitude de passage constatée dans l’acte d’achat de la parcelle AM [Cadastre 6] sise à [Localité 23] par M. [B] [P] et Mme [M] [P], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 28 mai 2005 ;
– constater l’extinction de la servitude de passage constatée dans l’acte d’achat des parcelles AM [Cadastre 7] et [Cadastre 8] sise à [Localité 23] par M. [X] [H] et Mme [K] [H], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 8 février 2008 ;
À titre subsidiaire :
– constater l’absence d’usage de la servitude depuis plus de 30 ans ;
– constater l’extinction de la servitude de passage constatée dans l’acte d’achat de la parcelle AM [Cadastre 6] sise à [Localité 23] par M. [B] [P] et Mme [M] [P], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 28 mai 2005 ;
– constater l’extinction de la servitude de passage constatée dans l’acte d’achat des parcelles AM [Cadastre 7] et [Cadastre 8] sise à [Localité 23] par M. [X] [H] et Mme [K] [H], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 8 février 2008 ;
En tout état de cause :
– constater l’absence d’entrave à l’exercice de la servitude ;
– débouter MM. [V] et Mme [D] de leur demande de condamnation sous astreinte à libérer l’assiette de la servitude ;
– débouter MM. [V] et Mme [D] de leur demande de condamnation au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– condamner MM. [V] et Mme [D] in solidum au paiement d’une indemnité de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au bénéfice de M. [B] [P] et Mme [M] [P] ;
– condamner MM. [V] et Mme [D] in solidum au paiement d’une indemnité de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au bénéfice de M. [X] [H] et Mme [K] [H] ;
– condamner MM. [V] et Mme [D] in solidum aux dépens ;
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit.
Sur le plan procédural, les demandeurs sollicitent le rejet des conclusions et de la pièce n° 4 de M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D], notifiées le 15 mai 2024, veille de la clôture de l’instruction, en considération de la tardiveté de leur communication et de l’absence de respect du principe du contradictoire en résultant.
Au fond, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] soutiennent en premier lieu que la servitude dont bénéficie le fonds dominant n’est constatée par aucun titre. Ils soulignent que l’état d’enclave du fonds dominant AM [Cadastre 13] a disparu, le fossé le longeant étant busé, ce que confirme la mairie, reprenant en cela les constatations de l’huissier. Ils soulignent que les deux chemins communaux permettant l’accès à la parcelle se distinguent clairement, qu’ils sont parfaitement praticables, que la parcelle AM [Cadastre 13] dispose donc de deux accès directs à la voie publique depuis le [Adresse 20] et la route départementale, et que, avant la présente instance, ni le fermier, ni MM. [V] n’avaient jamais demandé à utiliser la servitude.
En réponse aux moyens opposés par MM. [V] et Mme [D], les demandeurs ajoutent qu’il est inopérant qu’une partie du chemin communal ne soit pas carrossable, ni ouverte à la circulation des voitures, ce qui, selon l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales, n’interdit pas la circulation des véhicules agricoles. Ils précisent que, quoi qu’il en soit, les défendeurs accèdent bien à leur parcelle, qu’ils exploitent, alors que la servitude n’est plus utilisée depuis des dizaines d’années. Ils indiquent également que le chemin débouche à moitié sur la parcelle AM [Cadastre 13] et à moitié sur la parcelle AM [Cadastre 11], et non principalement sur cette dernière, contrairement à ce qu’allèguent les défendeurs.
À titre subsidiaire, les demandeurs observent que la servitude est éteinte, à défaut d’usage pendant plus de 30 ans. Ils observent que le fonds dominant, parcelle agricole, est bien travaillée, sans qu’aucune trace de passage n’apparaisse sur les fonds servants. Ils soulignent qu’il appartient au propriétaire du fonds dominant de démontrer l’usage de la servitude depuis moins de 30 ans, ce à quoi ne suffisent pas les attestations produites.
Enfin, pour conclure au rejet la demande reconventionnelle en libération de l’assiette de la servitude, M. et Mme [P] et M. et Mme [H] font valoir que la présence d’arbres et d’arbustes témoigne de son inutilisation, que les défendeurs ne rapportent pas la preuve de ce que l’assiette est réduite à moins de 3 m, qu’en tout état de cause, la servitude légale n’est plus justifiée et que l’astreinte n’est pas nécessaire, car ils exécuteraient la décision.
En réponse, en l’état de leurs dernières conclusions signifiées le 3 juin 2024, MM. [V] et Mme [D] demandent au tribunal de :
– débouter M. et Mme [P] et M. et Mme [H] de leurs prétentions ;
– condamner M. et Mme [H] à libérer l’assiette de la servitude, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;
– condamner solidairement M. et Mme [P] et M. et Mme [H] à leur payer une indemnité de 3 000 euros au titre d’une procédure abusive ;
– condamner solidairement M. et Mme [P] et M. et Mme [H] aux dépens, comprenant le coût du constat d’huissier, ainsi qu’à une indemnité de 4 200 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur le plan procédural, pour s’opposer à la demande tendant au rejet de leurs dernières conclusions, MM. [V] et Mme [D] font valoir que la clôture de l’instruction a été reportée au 20 juin 2024, que leurs conclusions signifiées le 15 mai 2024 ne comportent aucun argument nouveau, sauf une attestation supplémentaire et l’ajout de photographies d’un constat d’huissier, déjà communiqué. Ils ajoutent que les demandeurs ont répondu aux conclusions attaquées dès le 16 mai 2024, soit le jour de la clôture.
Au fond, ils soutiennent que leur parcelle AM [Cadastre 13] est enclavée, raison pour laquelle elle bénéficie d’une servitude de passage, ce que confirme la mairie, dès lors qu’aucun chemin communal n’en permet l’accès, le chemin matérialisé en couleur rouge par la mairie ne débouchant d’ailleurs pas, en grande partie sur leur parcelle, mais sur celle voisine (AM [Cadastre 11]).
Ils soulignent que leur servitude légale est inutilisable du fait de l’obstruction de M. et Mme [H] sur la parcelle [Cadastre 7] grevée de servitude, les intéressés ayant fait poser une palissade en bois, et non de simples barrières pouvant simplement être déplacées. Ils précisent que la servitude ne peut pas s’être éteinte du fait de l’état d’enclave, et indiquent qu’ils démontrent qu’elle a été utilisée depuis moins de 30 ans, jusqu’à cette obstruction. Ils demandent ainsi la condamnation de M. et Mme [H] à libérer l’assiette de la servitude, sous astreinte.
Ils soutiennent enfin que l’action des demandeurs est abusive car ils savent que leur parcelle est enclavée et qu’ils nuisent à l’utilisation de la servitude.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
À titre liminaire, le tribunal, tenu par le seul dispositif des conclusions, rappelle qu’il ne sera statué sur les demandes des parties tendant à ‘dire et juger’, que dans la mesure où elles constitueront des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.
1. Sur la procédure
L’article 15 du code de procédure civile dispose que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
En application de l’article 135 du même code, le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.
Il est sollicité par les demandeurs, au visa de ces textes, de déclarer irrecevables les conclusions des défendeurs ainsi que leur pièce n°4, communiquées le 15 mai 2024 alors que la clôture de l’instruction était prévue le 16 mai 2024.
S’il doit, en effet, être déploré la signification par le conseil des défendeurs de conclusions la veille du jour prévu pour la clôture de l’instruction, ainsi que la transmission d’une pièce établie près d’un an plus tôt, le juge de la mise en état a pris la décision le 16 mai 2024, de reporter la clôture de l’instruction au 20 juin 2024. Les demandeurs ont, du reste, pu exercer leurs droits dès lors qu’ils ont répliqué dès le 15 mai 2024 aux conclusions qui venaient d’être signifiées à leur conseil. Ils disposaient encore de la possibilité de conclure jusqu’au 10 juin 2024, possibilité qu’ils n’ont pas exercée.
En conséquence, M. [B] [P], Mme [M] [T] épouse [P], M. [X] [H] et Mme [K] [E] épouse [H] seront déboutés de leur demande tendant au rejet des conclusions notifiées le 15 mai 2024 par MM. [V] et Mme [D] et de la pièce n°4 de ces derniers.
2. Sur la demande tendant au constat de la disparition de la servitude de passage
Aux termes de l’article 682 du code de procédure civile, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.
L’article 685-1 du même code dispose qu’en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682.
A défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice.
Le droit découlant de la servitude légale de passage pour cause d’enclave (distinct de l’assiette de ladite servitude) ne s’éteint pas par le non usage, même trentenaire (3e civ., 11 février 1975, pourvoi 73-16.974), seule la cessation de l’état d’enclave pouvant entraîner l’extinction de la servitude légale selon l’article 685-1 du code civil.
En l’espèce, dans l’acte du 28 mai 2005 reçu par Me [I], notaire, le vendeur de M. et Mme [P] a déclaré qu’il ‘n’a créé ni laissé acquérir aucune servitude sur LE BIEN et qu’à sa connaissance il n’en existe aucune autre qu’une servitude de passage à usage agricole d’une largeur de 3 mètres sur toute la longueur côté Nord de la parcelle cadastrée section AM n°[Cadastre 7] d’une contenance de 2493 m² restant la propriété de Madame [A], VENDEUR aux présentes sans qu’il puisse en être justifié par aucun titre ni papier et ce depuis plus de trente ans’.
Le vendeur de M. et Mme [H] a, pour sa part, déclaré dans l’acte authentique de vente du 8 février 2008, également reçu par Me [I], ‘qu’il n’a créé aucune servitude et qu’à sa connaissance il n’en existe aucune à l’exception de celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de l’urbanisme, de la loi ou de celle éventuellement relatée aux présentes et qu’il n’en a créé aucune à l’exception d’une servitude de passage agricole d’une largeur de 3 mètres située en limite de la parcelle [Cadastre 12] côté est’.
L’origine légale pour cause d’enclave de la servitude invoqué par MM. [V] ne fait pas l’objet de discussion.
Les parties s’opposent en revanche sur la persistance de l’état d’enclave de la parcelle AM [Cadastre 13], invoqué en défense mais que les demandeurs contestent.
A cet effet, les demandeurs versent aux débats le procès-verbal de constat dressé le 18 janvier 2023 par Me [G], commissaire de justice, qui a constaté la présence des deux chemins d’accès à la parcelle AM [Cadastre 13] dans les termes suivants :
– l’un partant de la [Adresse 25] : ‘ce chemin d’une largeur d’environ 3,40 mètres permettant le passage d’engins agricoles est parfaitement praticable. Il comporte deux bandes couvertes de cailloux permettant le passage des roues sur une largeur de 2,60 mètres. Il ne comporte aucun obstacle de part et d’autre depuis le départ de la route départementale.
Ce chemin se prolonge ensuite sur une partie partiellement couverte de cailloux à l’endroit du passage des roues et en herbe dans le prolongement. A ce niveau je note la présence de traces de passage de roues avec une partie centrale enherbée.
A la jonction avec un autre chemin communal qui m’est désigné et qui rejoint la [Adresse 26], le chemin forme une courbe au niveau d’un pylône électrique. Ce chemin se prolonge jusqu’à la parcelle AM n° [Cadastre 13] qui de ce fait n’est pas enclavée.
Il existe à l’extrémité de cette parcelle [AM n°[Cadastre 13]] et du chemin qui y conduit un fossé busé. La largeur de la partie busée dépasse 6 mètres et cette partie permet le passage d’un engin agricole sur une largeur à l’emplacement des roues supérieures à 4 mètres ’’ ;
– l’autre depuis la [Adresse 26] sur la commune de [Localité 24] : ‘au départ de cette route, entre les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 3], je constate la présence d’un chemin. Des traces de passage de roues d’engin agricole sont présentes sur la chaussée. Je peux donc constater que cette parcelle [AM n°[Cadastre 13]] comporte deux accès directs à la voie publique depuis le [Adresse 20] et depuis la route départementale’.
Il ressort des éléments adressés par la maire de [Localité 24] que :
– ces deux chemins d’accès constituent le chemin n°[Cadastre 9], qui est un chemin rural appartenant au domaine privé communal (‘chemin privé communal, non cadastré et d’un seul tenant dit chemin rural et [qui] n’a pas le statut de voirie’ selon courriel de la maire du 29 décembre 2023),
– le bout du chemin rejoignant la parcelle AM n°[Cadastre 13] (figurant en rouge sur le schéma joint au courriel précité du 29 décembre 2023) est bien équipé d’une buse d’accès à la parcelle côté [Localité 23],
– ce chemin n’est pas carrossable et n’est pas ouvert à la circulation des voitures (pièce 25 des demandeurs).
L’utilisation de ce chemin par le fermier lié aux défendeurs par contrat de bail, pour rejoindre la parcelle AM n°[Cadastre 13] n’est pas contestée, le tribunal observant à cet égard que ladite parcelle est bien exploitée, ce qui s’évince notamment du constat de Me [G], alors que le passage objet de la servitude litigieuse n’est pas emprunté.
Contrairement à ce que soutiennent MM. [V] et Mme [D], le fait que le chemin n°25 n’a pas le statut de voirie n’empêche guère un tracteur ou un engin agricole de le pratiquer. Certes, dès lors qu’il n’est pas carrossable, il n’est pas accessible en voiture, toutefois le fait qu’il est accessible en tracteur ou autre engin agricole (ce qui est nécessaire pour l’exploitation actuelle d’un terrain agricole) est bien conforme aux besoins de l’exploitation de la parcelle AM n°[Cadastre 13].
Les défendeurs opposent encore le fait que le bout du chemin n° 25 (figurant en rouge sur le plan joint au courriel de la maire de [Localité 24] du 29 décembre 2023) ne débouche pas sur la parcelle AM n°[Cadastre 13] mais sur la parcelle AM [Cadastre 11] a minima en grande partie. Aucun élément ne démontre toutefois cette affirmation, le tribunal observant au contraire sur la photographie reproduite en page 8 des conclusions des défendeurs que la limitation des parcelles AM n°[Cadastre 13] et AM n°[Cadastre 11] se situe au milieu du chemin d’accès, ce qui ressort également de la pièce 27 des demandeurs. En tout état de cause, quand bien même le chemin d’accès déboucherait principalement sur la parcelle AM n°[Cadastre 11], il n’est nullement démontré que l’accès demeurant sur la parcelle AM n°[Cadastre 13] n’est pas suffisant pour permettre le passage d’un engin agricole ; et, à supposer qu’il soit insuffisant, l’exploitation actuelle de la parcelle concernée, laquelle impliquerait alors un passage sur la parcelle AM n°[Cadastre 11] traduit l’existence d’une tolérance de passage de la part du propriétaire de la parcelle AM n°[Cadastre 11]. Or, le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage permettant un accès suffisant à la voie publique pour les besoins de son exploitation n’est pas enclavé, tant que cette tolérance est maintenue, peu important qu’elle ne soit pas personnellement accordée au propriétaire mais à celui qui exploite ce fonds.
En tout état de cause, il est établi par les éléments qui précèdent que la parcelle AM n°[Cadastre 13] dispose d’un chemin praticable lui permettant d’accéder à la voie publique et correspondant aux besoins de son exploitation. Elle ne peut être regardée comme enclavée.
En conséquence, et en application de l’article 685-1 du code civil, les demandeurs sont fondés à invoquer l’extinction de la servitude litigieuse.
Il sera donc fait droit à leurs demandes en ce sens.
Par voie de conséquence, les demandes reconventionnelles de MM. [V] et de Mme [D], tendant à la condamnation sous astreinte de M. et Mme [H] à
libérer l’assiette de la servitude, ainsi qu’à la condamnation des quatre demandeurs au versement de dommages et intérêts pour procédure abusive, doivent être rejetées.
2. Sur les frais du procès
MM. [V] et Mme [D], qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens.
Il n’apparaît pas équitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles engagés pour assurer la défense de leurs droits. En conséquence, MM. [V] et Mme [D] seront condamnés in solidum à verser à M. et Mme [P] d’une part, et à M. et Mme [H] d’autre part, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Leur propre demande sur ce fondement sera rejetée.
L’exécution provisoire est de droit aux termes de l’article 514 du code de procédure civile modifié par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et il n’est pas sollicité de l’écarter.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
Déboute M. [B] [P], Mme [M] [T] épouse [P], M. [X] [H] et Mme [K] [E] épouse [H] de leur demande tendant au rejet des conclusions notifiées le 15 mai 2024 par MM. [V] et Mme [D] et de la pièce n°4 de ces derniers,
Constate la disparition de la servitude de passage mentionnée dans l’acte d’achat de la parcelle AM [Cadastre 6] sise à [Localité 23] par M. [B] [P] et Mme [M] [P], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 28 mai 2005 ;
Constate la disparition de la servitude de passage constatée dans l’acte d’achat des parcelles AM [Cadastre 7] et [Cadastre 8] sise à [Localité 23] par M. [X] [H] et Mme [K] [H], reçu par Maître [C] [I], notaire à [Localité 28] le 8 février 2008
Déboute M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] de leur demande tendant à la condamnation sous astreinte de M. et Mme [H] à libérer l’assiette de la servitude,
Déboute M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne in solidum M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] aux dépens,
Condamne in solidum M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] à verser à M. [B] [P] et Mme [M] [T] épouse [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] à verser à M. [X] [H] et Mme [K] [E] épouse [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [R] [V], M. [N] [V] et Mme [Z] [D] de leur demande sur ce fondement.
Le Greffier, La Présidente,