Conflit de créance et saisie immobilière : enjeux et conséquences d’une procédure complexe

·

·

Conflit de créance et saisie immobilière : enjeux et conséquences d’une procédure complexe

Le 14 décembre 2001, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel a accordé un prêt à Monsieur [R] [E] pour l’acquisition d’un bien immobilier. En juin 2016, la banque a prononcé la déchéance du terme, rendant la créance exigible. En novembre 2017, elle a assigné Monsieur [R] [E] devant le juge de l’exécution. Ce dernier a suspendu la procédure en raison d’une action en responsabilité engagée par Monsieur [R] [E] contre la banque, liée à un autre prêt. Après plusieurs décisions judiciaires, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de Monsieur [R] [E] en novembre 2022. En février 2024, le juge de l’exécution a validé la saisie immobilière et ordonné la vente forcée d’un immeuble. Monsieur [R] [E] et son entreprise ont fait appel, demandant l’annulation du jugement et la distraction de certaines parcelles. La Caisse de Crédit Agricole a demandé le rejet de cet appel et la poursuite de la saisie. La cour a finalement confirmé le jugement, renvoyé l’affaire pour la poursuite de la saisie et condamné Monsieur [R] [E] aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
24/01289
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre civile

ARRET DU 17 OCTOBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 24/01289 – N° Portalis DBVK-V-B7I-QFCK

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 16 FEVRIER 2024

JUGE DE L’EXECUTION DE RODEZ

N° RG 2017/57

APPELANTS :

Monsieur [R] [E]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 19]

[Adresse 20]

[Localité 3]

Représenté par Me Sandy RAMAHANDRIARIVELO de la SCP RAMAHANDRIARIVELO – DUBOIS, avocat au barreau de MONTPELLIER

E.A.R.L. [R] [E] JARDINS ET TOPIAIRES

[Adresse 20]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandy RAMAHANDRIARIVELO de la SCP RAMAHANDRIARIVELO – DUBOIS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD MIDI-PYRENEES

[Adresse 14]

[Localité 18]

Représentée par Me Pascal ADDE de la SCP ADDE – SOUBRA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me MENDEZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 SEPTEMBRE 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre

Madame Nelly CARLIER, Conseillère

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Salvatore SAMBITO

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte reçu le 14 décembre 2001 par Maître [I] [B], notaire associé à [Localité 25], la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel [Localité 24] [Localité 26] a consenti à Monsieur [R] [E] un prêt n°50010748695 destiné à l’acquisition d’un bien immobilier d’un montant principal de 91 469,41 € payable en 180 mensualités au taux effectif global de 5,36525%.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 juin 2016 la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées a prononcé la déchéance du terme rendant exigible l’intégralité de sa créance.

Par acte d’huissier en date du 10 novembre 2017, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées a fait assigner Monsieur [R] [E] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Rodez pour l’audience d’orientation du 15 décembre 2017.

Le juge de l’Exécution a sursis à statuer sur les demandes formées par les parties par jugements du 5 octobre 2018 puis du 17 janvier 2020, en l’état de la procédure en responsabilité pendante engagée par Monsieur [R] [E] à l’encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées pour manquement à son devoir de mise en garde lors de la souscription d’un autre prêt notarié d’un montant de 145000 euros réalisé le 28 novembre 2012, cette procédure ayant donné lieu en première instance à un jugement du Tribunal de Grande Instance de Rodez en date du 20 juillet 2018 faisant droit à la demande du débiteur et condamnant la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées à lui régler la somme de 140 811,54 euros à titre de dommages et intérêts, puis en appel à un arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier en date du 5 mai 2021 réformant ce jugement en toutes ses dispositions. Monsieur [R] [E] a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel et le Juge de l’Exécution à nouveau sursis à statuer le 17 septembre 2021 dans l’attente d’une décision définitive dans le cadre de cette procédure en responsabilité. Par arrêt en date du 30 novembre 2022, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi.

Suite à la reprise de la procédure et par jugement rendu contradictoirement en date du 16 février 2024, le juge de l’exécution a :

– validé en la forme la procédure de saisie immobilière jusqu’à l’audience d’orientation,

– constaté que L’EUARL [R] [E] Jardins et Topiaires intervient volontairement à la procédure,

– débouté Monsieur [R] [E] de l’ensemble de ses demandes,

– constaté que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées est titulaire d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible,

– constaté que la saisie porte sur des droits saisissables,

– retenu la créance de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées pour la somme de 22913,36 €,

– ordonné la vente forcée de l’immeuble sis à [Localité 25] [Adresse 17], cadastré section AH numéro [Cadastre 16] lot 6 (138/1000èmes) et des parcelles sises à [Localité 22] (Aveyron) cadastrées section A numéros [Cadastre 15] [Cadastre 4] [Cadastre 5] [Cadastre 6] [Cadastre 7] [Cadastre 8] [Cadastre 9] [Cadastre 10] [Cadastre 11] [Cadastre 12] lieu dit[Adresse 21]s, à l’audience du Juge de l’Exécution du 17 mai 2024 à 14 heures sur la mise à prix conforme au cahier des conditions de vente,

– désigné Maître [D] [X], Commissaire de Justice à [Localité 25] pour procéder à la visite desdits biens dans la quinzaine précédent la vente, pendant une durée de deux heures, avec l’assistance si besoin d’un serrurier et de la force publique,

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du CPC,

– dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.

Le 8 mars 2024, L’ E.U.A.R.L. [R] [E] Jardins et Topiaires et Monsieur [R] [E] ont interjeté appel de ce jugement.

L’ E.U.A.R.L. [R] [E] Jardins et Topiaires et Monsieur [R] [E] ont été autorisés à assigner à jour fixe par ordonnance du 25 mars 2024, et ont fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord Midi Pyrénées par acte du 16 avril 2024 remis à personne habilitée.

Vu les conclusions notifiées le 5 avril 2024 par la partie appelante ;

Vu les conclusions notifiées le 28 aupt par la partie intimée ;

PRETENTIONS DES PARTIES

La E.U.A.R.L [R] [E] JARDINS ET TOPIAIRES et Monsieur [R] [E] concluent à l’annulation du jugement et demandent à la Cour statuant à nouveau de :

– annuler le jugement déféré,

Subsidiairement,

– ordonner la distraction des parcelles constituant le lot n° 2 de la présente procédure ;

– cantonner la procédure de saisie immobilière au lot d’enchère n°1 constitué par l’immeuble sis à [Localité 25], dont la valeur est largement suffisante pour désintéresser le créancier poursuivant ;

– juger satisfaisantes les conditions de la vente amiable de l’appartement constituant le lot n° 1 présentées par Monsieur [R] [E] ;

– autoriser, en conséquence, Monsieur [R] [E] à procéder à la vente amiable des parcelles constituant le lot n° 1, objet du commandement de payer valant saisie ;

– débouter la CRCAM de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions contraires ;

– condamner la CRCAM au paiement de la somme de 3.000,00€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la CRCAM aux entiers dépens.

Les appelants concluent à la nullité du jugement qui ne comporte pas la date de son prononcé, mais seulement la date de l’audience.

Les appelants demandent la distraction de la parcelle N°[Cadastre 13] aux motifs :

que quand bien même l’acte d’apport de serait pas opposable au créancier poursuivant, il est loisible à la cour d’ordonner le cantonnement des poursuites de saisie au seul lot n°1 constitué par l’immeuble sis à [Localité 25]. l’EURL exerce sur cette parcelle depuis de nombreuses années de façon paisible et continue, et qu’il s’agit de l’outil de travail qui seul permet à Monsieur [E] d’avoir un statut d’agriculteur,

la parcelle [Cadastre 2] qui a une valeur de 150.000 € suffit à désintéresser le créancier.

Ils maintiennent leur demande de vente amiable en produisant une offre d’achat de l’appartement pour 150.000 €, la candidate acquéreuse ayant obtenu l’accord de sa banque pour obtenir un prêt.

La Caisse de Crédit Agricole conclut au rejet de la demande de nullité du jugement et à la confirmation de celui ci.

Elle demande en outre le renvoi devant le juge de l’exécution pour la poursuite de la procédure de saisie, et la condamnation des appelants aux dépens et à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose que la date du 16 février 2024 qui figure en en-tête du jugement correspond bien à la date d’audience à laquelle le jugement a été rendu. La date à laquelle l’affaire a été plaidée est celle du 15 décembre 2023, comme cela est expressément mentionné à l’issue de l’expose des faits, procédure et Pretentions des parties », le juge indiquant dans le même temps que la décision a été mise en délibéré au 16 février 2024.

Sur le fond, quand bien même l’EARL [R] [E] JARDINS ET TOPIAIRES intervient-elle volontairement à la procédure et se prétend-elle propriétaire du bien au terme d’un contrat d’apport, il reste qu’à la date de délivrance du commandement et donc de l’engagement de la procédure de saisie immobilière, rien n’indiquait qu’elle était propriétaire des biens constituant une partie du lot d’enchère n°2 faute de publication et que cet apport à la Société ne concerne pas la parcelle cadastrée Commune de [Localité 25] (12), Section AH N°[Cadastre 16] ‘ Lot de copropriété n°6 qui constitue le lot d’enchère n°1.

La Caisse de Crédit Agricole ajoute qu’elle a procédé à une extension de garantie en vertu de l’acte de prêt notarié en date du 14 décembre 2001 qui fonde la présente procédure de saisie immobilière, précisément sur les parcelles constituant le lot d’enchère n°2. Cette extension de garantie a régulièrement été dénoncée à Monsieur [R] [E] et ce dernier n’a pour autant jamais émis de contestation quant à la propriété des biens ainsi hypothéqués et n’a notamment jamais fait état du contrat d’apport de 2001 qu’il invoque aujourd’hui.

Enfin, la Caisse de Crédit Agricole s’oppose à la vente amiable, le prix de l’offre d’achat étant insuffisant pour la désintéresser et l’offre étant ancienne.

Par application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer aux dernières écritures des parties ci dessus visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions qu’elles ont développés.

DISCUSSION

Sur la nullité du jugement :

Il résulte du jugement que celui ci a été rendu à la date du 16 février 2024, date qui figure en en-tête du jugement, l’affaire ayant été plaidée le 15 décembre 2023. Ces mentions sont portées clairement en page 4 du jugement à l’issue de l’exposé du litige et des prétentions des parties.

Le jugement étant daté, il convient en conséquence de rejeter l’exception de nullité du jugement.

Sur la demande de cantonnement :

Selon les dispositions des articles L. 321-6 et R. 321-12 du code des procédures civiles d’exécution, en cas de saisies simultanées de plusieurs de ses immeubles, le débiteur peut demander au juge le cantonnement de celles-ci.

L’article R.321-12 du Code des Procédures Civiles d’Exécution précise que le juge de l’exécution fait droit à la demande du débiteur tendant à ce que les effets de la saisie soient provisoirement cantonnés à un ou plusieurs de ses immeubles lorsque celui-ci établit que la valeur de ces biens est suffisante pour désintéresser le créancier poursuivant et les créanciers inscrits.

Il n’est plus soutenu par l’appelant que la parcelle [Cadastre 23] est insalissable pour être sortie de son patrimoine. Il demande cependant le cantonnement pour lui permettre de poursuivre son activité agricole à travers l’EUARL [R] [E] JARDINS ET TOPIAIRES et en raison de ce que la parcelle N°[Cadastre 2], qui a fait l’objet d’une offre d’achat au prix de 150.000 €, est suffisante pour désintéresser le créancier.

Cependant, la déclaration de créance du CRÉDIT AGRICOLE, au titre de des trois prêts contractés, est établie pour la somme de 164.664 €, soit une somme supérieure au prix offert.

D’autre part, l’évaluation de l’immeuble ne résulte que de l’offre d’achat de Madame [W] datée du 15 décembre 2022. Bien que cette offre ait été réitérée en septembre 2023, elle est ancienne et le débiteur n’établit pas une valeur suffisante de l’immeuble.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté les appelants de leur demande de cantonnement.

Sur la vente amiable :

Selon les dispositions de l’article R.322-15 du Code des procédures d’exécution, « A l’audience d’orientation, le juge de l’exécution, après avoir entendu les parties présentes ou représentées, vérifie que les conditions des articles L. 311-2, L. 311-4 et L. 311-6 sont réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée.

Lorsqu’il autorise la vente amiable, le juge s’assure qu’elle peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur.

En l’espèce, et ainsi que déjà énoncé, seule la parcelle numéro 1 a fait l’objet d’une offre de vente, et la preuve de ce que les biens immobiliers saisis peuvent être cédés amiablement au prix du marché n’est pas suffisamment rapportée par une offre d’achat datant du 15 décembre 2022, quand bien même serait-elle réitérée par mail en septembre 2023. Les appelants n’établissent ni le maintien de la volonté d’achat de Madame [W], ni le maintien des possibilités de financement de cette dernière.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le débiteur de sa demande de vente amiable.

Sur les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile :

Monsieur [R] [E], qui succombe au principal en son recours, sera condamné aux entiers dépens qui seront employés en frais taxés de vente ainsi qu’à verser une somme de 2000 € euros à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD MIDI PYRENEES sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu de l’équité.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Rejette l’exception de nullité du jugement,

Confirme la décision en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Renvoie l’affaire devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Montpellier aux fins de poursuite de la procédure de saisie immobilière et de fixation des modalités et de la date de l’audience d’adjudication,

Condamne Monsieur [R] [E] aux dépens, ainsi qu’à verser une somme de 2000 € à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD MIDI PYRENEES sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens de la procédure de première instance et d’appel seront employés en frais taxés de vente.

Le greffier La présidente


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x