Conflit autour de la réalisation d’un projet de rénovation : enjeux de responsabilité et d’expertise technique

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Conflit autour de la réalisation d’un projet de rénovation : enjeux de responsabilité et d’expertise technique

Contexte du Litige

Par contrat du 14 février 2022, Mme [K] [S] épouse [D] [G] et M. [B] [D] [G] ont mandaté la société TRIPODE ARCHITECTURE pour la rénovation complète de leur maison et la modification de sa façade. La mission a débuté le même jour, avec une demande d’autorisation d’urbanisme qui a été obtenue le 21 juillet 2022. Le chantier a démarré le 1er décembre 2022, impliquant plusieurs entreprises pour différents lots de travaux.

Assignation en Référé

Le 14 et 23 mai 2024, les époux [D] [G] ont assigné en référé la société ABE MENUISERIE, BTI RAVALEMENT, DOMOSBAT et TRIPODE ARCHITECTURE, demandant une expertise en raison de retards et désordres sur le chantier. Ils ont refusé de signer le procès-verbal de réception, insistant sur l’achèvement des travaux avant toute réception officielle.

Arguments des Demandeurs

Les demandeurs ont exposé que TRIPODE ARCHITECTURE avait manqué à ses obligations contractuelles, listant les désordres rencontrés. Une réception a eu lieu le 5 janvier 2024, mais de nombreuses réserves ont été émises. Le 18 avril 2024, TRIPODE ARCHITECTURE a déclaré se considérer libérée de ses obligations, sans avoir levé les réserves ni finalisé le décompte des travaux.

Réponses des Entreprises

La société BTI RAVALEMENT a demandé à être mise hors de cause, arguant qu’aucun grief légitime n’était formulé à son encontre. De son côté, DOMOSBAT a contesté la demande d’expertise, affirmant qu’elle n’était pas justifiée et que les désordres n’étaient pas de sa responsabilité. TRIPODE ARCHITECTURE a également contesté les accusations et a demandé des provisions pour ses honoraires.

Décision du Tribunal

Le tribunal a jugé que la demande d’expertise était légitimement fondée, en raison des éléments de preuve fournis par les demandeurs. Les demandes de mise hors de cause des sociétés BTI RAVALEMENT et DOMOSBAT ont été rejetées. Une expertise a été ordonnée pour évaluer les désordres et malfaçons, ainsi que pour déterminer les responsabilités.

Provision et Dépens

Le tribunal a fixé à 5000 euros le montant de la provision à verser pour la rémunération de l’expert, à charge des demandeurs. Il a également précisé qu’aucune des parties n’était considérée comme succombante à ce stade, et que les dépens seraient à la charge des demandeurs.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

22 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Versailles
RG
24/00761
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU
22 OCTOBRE 2024

N° RG 24/00761 – N° Portalis DB22-W-B7I-SAQO
Code NAC : 54G
AFFAIRE : [B] [D] [G], [K] [S] épouse [D] [G] C/ S.A.R.L. ABE MENUISERIE, S.A.R.L. BTI RAVALEMENT, S.A.S. DOMOSBAT, S.A.R.L. TRIPODE ARCHITECTURE

DEMANDEURS

Monsieur [B] [D] [G]
né le 05 Mai 1980 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Mathias CASTERA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 185, Me Anne-Catherine SALIN, avocat au barreau de NANTES,

Madame [K] [S] épouse [D] [G]
née le 23 Avril 1985 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Mathias CASTERA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 185, Me Anne-Catherine SALIN, avocat au barreau de NANTES,

DEFENDERESSES

La Société ABE MENUISERIE,
Société à responsabilité limitée, immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le n° 510 249 444 dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
défaillante

La Société BTI RAVALEMENT
Société à responsabilité limitée dont le siège social est [Adresse 2] , prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Claire CHEVANNE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 703, Me Cécile DALENCON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1587

SAS DOMOSBAT
Société par actions simplifiée immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° 800 008 609 dont le siège social est [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Maddy BOUDHAN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 652, Me Elie SULTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1129

S.A.R.L. TRIPODE ARCHITECTURE
Société par actions simplifiée immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le n°849 541 479, dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
représentée par Me Florence FAURE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1111, Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643

Débats tenus à l’audience du : 24 Septembre 2024

Nous, Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal Juiciaire de Versailles, assistée de Virginie DUMINY, Greffier,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 24 Septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 22 Octobre 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat du 14 février 2022, Mme [K] [S] épouse [D] [G] et M. [B] [D] [G] ont confié à la société TRIPODE ARCHITECTURE un programme privé de rénovation complète d’une maison principale d’habitation et de modification de façade sise à [Adresse 8]. Le 14 février 2022, TRIPODE ARCHITECTURE a débuté la mission et déposé une demande d’autorisation d’urbanisme, obtenue le 21 juillet 2022, pour modifier la façade, par ajout d’un balcon au 1er étage. Le chantier a démarré le 1er décembre 202. Les lots ont été confiés à diverses entreprises : gros et second oeuvres à la société DOMOSBAT, lot couverture à la société SC2E, lot Menuiseries Extérieures à la société MH Fermetures, lot « Ravalement façades sud et est » à la société BTI RAVALEMENT, et en cours de chantier, le lot « balcon » à la société ABE MENUISERIE, retiré du lot de la société DOMOSBAT.

Par acte de Commissaire de Justice en date des 14 et 23 mai 2024, Mme [K] [S] épouse [D] [G] et M. [B] [D] [G] ont assigné la société ABE MENUISERIE, la société BTI RAVALEMENT, la société DOMOSBAT et la société TRIPODE ARCHITECTURE en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles aux fins de voir ordonner une expertise.

Aux termes de leurs conclusions, les demandeurs maintiennent leur demandes et exposent qu’en raison de retards et désordres affectant le chantier, ils ont refusé de signer le procès-verbal de réception et n’ont eu de cesse par la suite de solliciter l’achèvement du chantier pour que la réception puisse être effectuée.

Ils soutiennent que la société TRIPODE ARCHITECTURE a manqué de manière répétée aux obligations contractuelles contenues dans la mission complète de rénovation et de modification de leur maison et détaillent l’ensemble des désordres et manquements dans leurs conclusions ; que finalement, le 5 janvier 2024, une réception a été organisée, laissant apparaître de nombreuses réserves ; que le 18 avril 2024, par email, la société TRIPODE ARCHITECTURE a indiqué aux maîtres de l’ouvrage se considérer libérée de ses obligations, sans avoir ni complété sa réception du 5 janvier 2024 sur la base du rapport d’audit, ni réceptionné le lot «balcon», ni établi de décompte général et définitif de l’opération ; que les époux [D] [G] ont écrit à plusieurs reprises aux entreprises défaillantes pour que les réserves signifiées lors de la réception soient levées, en vain.

Aux termes de ses conclusions, la société BTI RAVALEMENT sollicite de voir prononcer sa mise hors de cause, à titre subsidiaire, acter ses protestations et réserves, et condamner solidairement Madame et Monsieur [D] [G] à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait valoir qu’il n’existe aucun motif légitime à ce que les demandeurs sollicitent une mesure d’expertise à son encontre, ne justifiant d’aucun grief à son égard ; le procès-verbal d’huissier, outre la mise en demeure ne font état d’aucune malfaçon, non façon qui justifieraient sa mise en cause dans le cadre des opérations d’expertise sollicitées.

Aux termes de ses conclusions, la société DOMOSBAT sollicite de voir débouter Monsieur et Madame [D] [G] de l’intégralité de leurs demandes, les condamner in solidum à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle soutient que la demande d’expertise n’est pas justifiée par un motif légitime et a pour seul but de palier à leur carence probatoire, rappelant les dispositions de l’article 146 du code de procédure civile, et affirme que l’action au fond est manifestement vouée à l’échec au sens de l’article 145 du même code, les nombreux désordres n’étant pas imputables à la SAS DOMOSBAT. Elle souligne que la plupart des réserves émises sur le procès-verbal de réception par les époux [D] [G] ne concernaient pas l’intervention de la société DOMOSBAT et que toutes les autres réserves qui concernaient effectivement l’intervention de la société DOMOSBAT ont été reprises.

Aux termes de ses conclusions, la société TRIPODE ARCHITECTURE sollicite de voir :
– lui donner acte de ses protestations et réserves sur la demande de désignation d’un expert,

– débouter Monsieur et Madame [D] [G] de leur demande de voir confier à l’expert le chef de mission suivant : « préciser la date à laquelle les travaux de rénovation ont été réceptionnés »,
– ajouter à la mission de l’expert, le chef suivant : « faire les comptes entre les parties»
– condamner solidairement ou à défaut in solidum Monsieur et Madame [D] [G] à lui payer à titre de provision la somme de 7308,74 euros TTC à valoir sur le solde des honoraires de maîtrise d’œuvre,
– condamner solidairement ou à défaut in solidum Monsieur et Madame [D] [G] aux entiers dépens.

Elle relève que quand bien même elle aurait commis des manquements dans le cadre de sa mission de maîtrise d’œuvre, ce qui n’est pas démontré en l’espèce et qui est contesté, elle aurait droit à percevoir les honoraires qui correspondent à la partie exécutée de sa mission.

La société ABE MENUISERIE n’est pas représentée.

La décision a été mise en délibéré au 22 octobre 2024.

MOTIFS

Sur la demande d’expertise

L’article 143 du code de procédure civile dispose que « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. »

L’article 232 du code de procédure civile ajoute que « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d’un technicien. »

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ».

Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte, la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Le motif légitime est un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, et présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui ; elle doit être pertinente et utile.

Si la partie demanderesse dispose d’ores et déjà de moyens de preuve suffisants pour conserver ou établir l’existence des faits litigieux, la mesure d’instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

Il sera rappelé que le demandeur à l’expertise judiciaire n’a pas à établir le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée.

Il est rappelé qu’il est constant que les dispositions de l’article 146 du code de procédure civile relatives aux mesures d’instruction ordonnées au cours d’un procès ne s’appliquent pas lorsque le juge est saisi d’une demande fondée sur l’article 145 du même code et qu’en outre, l’existence d’un motif légitime s’apprécie au jour du dépôt de l’assignation et également à la lumière des éléments de preuve produits ultérieurement.

En l’espèce, la mesure demandée est légalement admissible ; le litige potentiel a un objet et un fondement suffisamment caractérisés ; la prétention des demandeurs n’est pas manifestement vouée à l’échec ; les demandeurs, dont les allégations ne sont pas imaginaires et présentent un certain intérêt, justifient, notamment par le constat de Commissaire de justice, le procès-verbal de réception avec réserves et l’audit de l’installation électrique, du caractère légitime de leur demande.

Les mises hors de cause des sociétés BTI RAVALEMENT et DOMOSBAT apparaissent à ce stade prématurées. Ces demandes seront rejetées.

En conséquence, il sera fait droit à la demande dans les conditions détaillées au dispositif, selon la mission habituelle.

Sur la demande de provision

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

En l’espèce, l’appréciation du contrat d’architecte relève de la compétence du juge du fond et excède celle du juge des référés, juge de l’évidence.

Il n’y a donc pas lieu à référé sur cette demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Au stade de l’expertise, aucune des parties n’est considérée comme succombante, il n’y a donc pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront à la charge des demandeurs.

PAR CES MOTIFS

Nous, Gaële FRANCOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Versailles, statuant en qualité de Juge des référés, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe après débats en audience publique :

Rejetons les demandes de mise hors de cause de la société BTI RAVALEMENT et de la société DOMOSBAT,

Ordonnons une expertise,

Commettons pour y procéder Mme [Z] [W], expert, inscrit sur la liste de la Cour d’appel de Versailles, avec mission de :
* convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,
* se faire remettre toutes les pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
* se rendre sur les lieux et en faire la description,
* relever et décrire les désordres, malfaçons et inachèvements affectant l’immeuble litigieux, allégués dans l’assignation et résultant des pièces produites,
* en détailler les causes et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels fournisseurs ou intervenants ces désordres, malfaçons et inachèvements sont imputables, dans quelle proportion,
* indiquer les conséquences de ces désordres, malfaçons et inachèvements quant à la solidité, l’habitabilité, l’esthétique du bâtiment, et, plus généralement quant à l’usage qui peut en être attendu ou quant à la conformité à sa destination,
* évaluer, notamment au vu de devis communiqués par les parties, les solutions et travaux nécessaires pour remédier tant aux désordres qu’aux dommages conséquents et en chiffrer le coût,
* préciser et évaluer les préjudices et coûts induits par ces désordres, malfaçons et inachèvements et par les solutions possibles pour y remédier,
* donner son avis sur les comptes présentés par les parties,
* rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties,
* mettre, en temps utile, au terme des opérations d’expertise, par le dépôt d’un pré-rapport, les parties en mesure de faire valoir, dans le délai qu’il leur fixera, leurs observations qui seront annexées au rapport,

Disons que l’expert pourra, si besoin est, se faire assister de tout sapiteur de son choix,

Fixons à 5000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, qui sera versé par les demandeurs, au plus tard le 15 janvier 2025, entre les mains du régisseur d’avance de recettes de cette juridiction, sous peine de caducité,

Impartissons à l’expert, pour le dépôt du rapport d’expertise, un délai de 8 mois à compter de l’avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision,

Disons qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert, il sera procédé à son remplacement par le magistrat chargé du contrôle des expertises qui est par ailleurs chargé de la surveillance des opérations d’expertise,

Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision,

Rejetons le surplus des demandes,

Disons n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Disons que les dépens seront à la charge des demandeurs.

Prononcé par mise à disposition au greffe le VINGT DEUX OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE par Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente, assistée de Virginie DUMINY, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.

Le Greffier La Première Vice-Présidente

Virginie DUMINY Gaële FRANÇOIS-HARY


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