Confidentialité des données : 9 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01849

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Confidentialité des données : 9 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01849
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N° RG 21/01849 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IYKX

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 23 Février 2021

APPELANTE :

Madame [O] [S]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Catherine KERSUAL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A. LUCIBEL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Matthieu ROUSSINEAU de l’AARPI ROUSSINEAU AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 25 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 25 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [O] [S] a été engagée en contrat à durée indéterminée par la société Lucibel en qualité de gestionnaire de paie à compter du 3 octobre 2018, puis elle a été promue responsable des ressources humaines groupe le 1er avril 2019.

Il lui a été notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse le 18 juillet 2019, puis, par courrier du 4 septembre 2019, la société Lucibel a rompu la période de préavis pour faute grave.

Par requête du 17 février 2020, la société Lucibel a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen aux fins de condamnation de Mme [S] pour manquement à son obligation de loyauté, à son devoir de réserve et de discrétion.

Par jugement du 23 février 2021, le conseil de prud’hommes a constaté que Mme [S] avait manqué à son obligation de loyauté et à son devoir de réserve et de discrétion, l’a condamnée à verser à la société Lucibel la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral causé, outre 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Mme [S] a interjeté appel de cette décision le 29 avril 2021.

Par conclusions remises le 16 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [S] demande à la cour d’infirmer le jugement, et subsidiairement, de déclarer satisfactoire son offre de verser à la société Lucibel un euro symbolique au titre des dommages et intérêts et condamner la société Lucibel aux entiers dépens de la procédure d’appel.

Par conclusions remises le 12 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Lucibel demande à la cour de confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, en conséquence, de condamner Mme [S] à la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral, outre 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté et au devoir de réserve et de discrétion

Expliquant que Mme [S] a transmis des mails et sms injurieux, insultants et menaçants à l’égard de trois membres de la direction, et ce, dans l’intention malveillante de désorganiser l’entreprise comme en témoignent l’accès à des informations confidentielles mais aussi la diffusion large qu’elle a souhaité en faire auprès des salariés de la société, sans qu’elle puisse utilement invoquer ni que ces envois sont postérieurs à la rupture du contrat de travail dès lors que l’obligation de loyauté et de confidentialité perdure, ni qu’ils ont été envoyés à M. [U] dès lors que l’objectif était bien de nuire à la société, la société Lucibel réclame la condamnation de Mme [S] à lui payer des dommages et intérêts au titre de ce manquement.

Sans contester l’obligation de loyauté qui pèse sur le salarié, Mme [S] soutient que celle-ci cesse à la rupture du contrat de travail et, à titre subsidiaire, elle demande à ce que le préjudice soit évalué plus justement à un euro dès lors que les sms ont été envoyés à M. [U], à titre privé, et que le courriel du 19 septembre 2019 n’était que la traduction d’une frustration et d’une douleur liées à la mauvaise ambiance qui régnait au sein de la société.

En l’espèce, Mme [S] a fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse le 18 juillet 2019 mais il lui a été notifié le 4 septembre 2019 la rupture anticipée de son préavis en raison d’une violation de son obligation de confidentialité, celle-ci ayant transmis à des tiers un courriel échangé entre M. [U], président directeur général, et son avocat en droit du travail.

Si le contrat de travail de Mme [S] a donc pris fin à cette date, il résulte néanmoins de l’article 15 de celui-ci, qu’eu égard à la nature de ses fonctions, elle était tenue au secret professionnel et au secret des affaires et s’interdisait de divulguer ou communiquer à des tiers, directement ou indirectement, toutes informations, connaissances, savoir-faire et techniques auxquelles elle pouvait avoir accès, relatives à la société, à son activité, à son architecture technique et aux logiciels lui appartenant.

Il était enfin précisé qu’à plus forte raison, elle s’interdisait d’en faire emploi, directement ou indirectement, pour son compte personnel ou pour le compte d’un tiers.

Par ailleurs, lorsque le salarié cause un dommage à son ancien employeur après la fin du contrat de travail, celui-ci peut non seulement solliciter réparation de ce dommage mais il n’est en outre plus tenu d’établir l’existence d’une faute lourde.

A l’appui de sa demande, la société Lucibel produit le mail envoyé par Mme [S] le 19 septembre 2019 à M. [U], président de la société Lucibel, M. [Z], directeur général délégué en charge des opérations, et Mme [B], directrice financière, intitulé ‘AU REVOIR AU REVOIR PRESIDENT..’ avec en copie une quarantaine de salariés, ce courriel ayant pour objet, selon Mme [S], d’apporter son point de vue sur la personnalité du président, expliquant ainsi qu’elle n’aimerait pas être son miroir et devoir supporter son reflet au regard du mépris affiché face à ses salariés qu’il n’hésite pas à qualifier de ‘plouc’, ‘pourris’ ou ‘glandeurs’, mais aussi au regard de son souhait de ‘planter’ la société Cordel en raison des nombreux contentieux ressources humaines, concluant ainsi qu’elle n’avait jamais eu à rencontrer un tel individu intellectuellement suffisant et professionnellement incompétent, qu’il a des salariés qu’il ne mérite pas, qui sont pour la plupart conscients de son incompétence digne d’un enfant gâté qui casse ses jouets sans jamais reconnaître qu’il en est le seul responsable. Elle finit enfin son mail en conseillant à ‘Sainte Cunégonde’ et ‘Mortecouilles’, qui se reconnaîtront, pour l’un de se mettre rapidement à travailler et pour l’autre à prendre des cours pour être à la hauteur de ses fonctions avant qu’il ne soit trop tard.

S’il ne peut être reproché à un ancien salarié de faire part de carences et propos déplacés qui auraient été tenus par son ancien employeur, ce courriel dépasse néanmoins la seule liberté d’expression en ce qu’il contient des termes simplement injurieux, parfaitement inutiles à une éventuelle dénonciation, et ce, d’autant plus qu’il est envoyé à un très grand nombre de salariés et que Mme [S] ironise quelques semaines plus tard en envoyant des sms à M. [U] en lui faisant part de ce que sa lettre d’adieu a dépassé les frontières qu’elle lui avait imposées, qu’elle s’échange, qu’il lui est demandé des dédicaces et qu’elle ne manquera pas de le tenir informé de sa date de parution et du support retenu.

Surtout, loin de cesser l’envoi de ce type de SMS malgré la demande expresse formulée par M. [U] qui l’a avisée d’un dépôt de plainte, Mme [S] a poursuivi ce type d’envois durant des mois, ainsi en est-il produit jusqu’en mai 2020, sans qu’ils puissent s’apparenter à une quelconque volonté de dénonciation de comportements inadéquats dans la gestion de la société pour n’être que le reflet d’une volonté de déstabilisation utilisant l’ironie, l’insulte et les menaces à peine voilées, et ce en s’emparant de données confidentielles de la société Lucibel.

Ainsi, par exemple écrit-elle en novembre 2019 ‘ou la la si les gilets jaunes savent comment vous considérez ceux qui vous permettent de gagner tant d’argent ils seraient pas contents. Je le dis même qu’ils seraient très fâchés et vous rendraient peut être visite’.

En janvier 2010, ayant manifestement accès à des informations privées échangées entre dirigeants de la société, relatives notamment aux déplacements de M. [U], lui écrit-elle ‘Bah alors on vient à [Localité 4] et on ne prévient pas valerie. Des chambres tout confort à l’armée du salut ou à la prison bonne nouvelle. Au choix. Je m’en occupe. A demain’, puis ‘Pour la perte de Lagardère on dit merci valerie’ puis en février, alors que M. [U] devait se rendre en Russie, ‘Alors, on cherche une femme en Russie’ Enfin avant de quitter la France comme un voleur il va falloir répondre à quelques questions que la justice ne va pas manquer de vous poser. Emmenez-vous cunegonde ou laissez-vous votre serpillère maintenant que vous n’allez plus en avoir besoin’ Je l’avais pourtant prévenue qu’elle se ferait jeter.’ le tout accompagné d’émoticones riant aux éclats, ou encore ‘En fait la prestation de mortecouilles pourtant futur DG de Lucibel après votre ‘mise en retrait’ en avril prochain n’a a priori pas convaincu [M] [E]’.

Outre qu’il n’est même pas contesté par Mme [S] le caractère déloyal de ces différents messages qui recèlent en outre l’utilisation d’informations confidentielles, leur lecture permet de s’assurer qu’ils dépassent très amplement la liberté d’expression ou un quelconque droit d’alerte, et qu’ils sont rédigés dans une intention malveillante, visant, certes, M. [U], mais bien au-delà de sa personne, sa fonction de dirigeant de la société Lucibel comme en témoignent également les tentatives de déstabilisation visant M. [Z] surnommé ‘Mortecouilles’, notamment dans son souhait d’être désigné directeur général.

Ainsi, par l’intermédiaire de M. [U], il est établi que Mme [S] a porté préjudice à la société Lucibel elle-même puisque les différents protagonistes visés par Mme [S] le sont bien en leur qualité de responsables de la société Lucibel.

Il convient en conséquence de condamner Mme [S] à payer à la société Lucibel la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice ainsi subi qui réparera plus justement le préjudice subi par la société Lucibel.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [S] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la condamner à payer à la société Lucibel la somme de 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf sur le montant alloué à titre de dommages et intérêts ;

L’infirmant de ce chef et statuant à nouveau,

Condamne Mme [O] [S] à payer à la SA Lucibel la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté et au devoir de réserve et de discrétion ;

Y ajoutant

Condamne Mme [O] [S] aux entiers dépens ;

Condamne Mme [O] [S] à payer à la SA Lucibel la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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