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3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°335
N° RG 21/07765 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SJJP
S.A.S. SODASTREAM FRANCE
C/
M. [H] [N]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me CLERGEAU
Me VERRANDO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, Rapporteur
Assesseur : Monsieur Jean-Denis BRUN, Conseiller, designé par ordonnance du premier president en remplacement de Monsieur Dominique GARET
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 26 Avril 2022
ARRÊT :
Contradictoire prononcé publiquement le 07 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. SODASTREAM FRANCE, immatriculée au RCS de NANTES sous le numéro 442 427 134, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Stéphane CLERGEAU de la SELAS FIDAL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
Monsieur [H] [N]
né le 04 Janvier 1968 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Camille SUDRON substituant Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Damien LAUGIER de la SAS HEPTA, Plaidant, avocat au barreau de LILLE
La société SODASTREAM FRANCE, précédemment dénommée OPM FRANCE, bénéficie d’un accord de distribution exclusif en France pour la marque SODASTREAM, spécialisée dans la fabrication d’appareils de gazéification de boissons ;
M. [N] [H] a été embauché le 09 août 2011 par la société OMP FRANCE en qualité de cadre et est devenu ‘directeur des clients nationaux’ à compter du 1er janvier 2014.
Prenant la suite d’une procédure de licenciement, une rupture conventionnelle du contrat de travail a été conclue entre M. [H] et la société SODASTREAM, prévoyant une fin de contrat fixée au 31 mai 2019 et une clause de non concurrence à la charge du salarié d’une durée d’une année sur le territoire national.
Le 1er juin 2020, M. [H] a été embauché par la société MYSODA, qui exerce une activité commerciale concurrente de celle de la société SODASTREAM.
Au motif qu’elle soupçonne M. [H] de s’être approprié des données confidentielles et de les avoir remises à la société MYSODA, la société SODASTREAM a déposé deux requêtes :
– l’une devant le président du tribunal judiciaire de Nantes afin d’être autorisée à procéder à une mesure d’investigation au domicile de M. [H],
– l’autre devant le président du tribunal de commerce de Lille afin d’être autorisée à procéder à une mesure d’investigation au siège social de la société MYSODA.
Par ordonnance du 17 mars 2021, le président du tribunal judiciaire de Nantes a :
– autorisé l’huissier de justice mandaté par les requérants à pénétrer au domicile personnel de Monsieur [N] [H], de nationalité française, né le 4 janvier 1968, ledit domicile étant situé [Adresse 2], au besoin selon les prescriptions de l’article L. 142 1 du Code des procédures civiles d’exécution ;
– autorisé l’huissier de justice mandaté par les requérants à accéder à son ordinateur ñxe et/ou portable, ainsi qu’à son téléphone et à tous serveurs informatique, disque dur externe, clés USB ou tout autre support externe ou interne de données informatiques lui étant attribués, étant utilisés par ses soins ou lui appartenant ;
– autorisé l’huissier dejustice mandaté par les requérants à y rechercher et prendre copie de toutes correspondances électroniques, ainsi que leurs pièces jointes, reçues entre le 27 mars 2019 et le 31 mai 2019 à partir des adresses email [N][email protected] et [Courriel 3] mises à sa dispositionjusqu’à cette date par la société SODASTREAM France, ou mentionnant ces adresses email ;
– autorisé l’huissier de justice mandaté par les requérants à y rechercher et prendre copie de tous fichiers et/ou correspondances électroniques et/ou SMS ou MMS, messages Whatsapp et/ou messages Messenger et/ou messages Skype émis, reçus ou rédigés entre le 27 mars 2019 et jusqu au 1er juillet 2020,
et répondant aux combinaisons de mots clés suivants, tant en majuscules qu’en minuscules :
‘OPM’
‘ MYSODA” et “SODASTREAM”
‘ SODASTREAM’ et ‘[H]’,
‘SODASTREAM’ et “CONFIDENTIEL”
‘ SODASTREAM’ et ‘SECRET’
‘ SODASTREAM et ‘CONCURRENCE’
“SODASTREAM” et ‘CLIENTS’
‘SODASTREAIVI’ et ‘COMPTES’
“SODASTREAM” et ‘GMS’
“SODASTREAM” et ‘GSS’
SODASTREAM’ et ‘@sodastream.com’
‘SODASTREAM’ et ‘@oprn Francecom ‘ ‘
ainsi que les mots clés suivants pris isolement : ‘[N][email protected]’ et ‘david@opm francecom’.
Et ce, à l’exception de tout document couvert par le secret professionnel défini par la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
L’ordonnance a été exécutée.
M. [H] a assigné la société SODASTREAM FRANCE en référé rétractation ;
Par ordonnance du 18 novembre 2021, le président du tribunal judiciaire de Nantes a :
– ordonné la rétractation de l’ordonnance du président du tribunal judiciaire de Nantes du 17 mars 2021 ;
– interdit l’utilisation future des constats, documents et informations saisis sur le fondement de l’ordonnance precitée ;
– ordonné la restitution à Monsieur [N] [H] de tous les documents collectés lors de l’exécution de l’ordonnance du 17 mars 2021, dès que la présente décision sera devenue définitive, et disons qu’il ne pourra être conservé de copies de ces ocuments ;
– dit n’y avoir lieu à astreinte ;
– rejeté toute demande autre, plus ample ou contraire ;
– condamné la société SODASTREAM FRANCE aux dépens ;
– condamné la société SODASTREAM FRANCE au paiement de la somme de mille deux cents euros (1.200 euros) en application de l’article 700 du Code de procédure civile .
Appelante de cette ordonnance, la société SODASTREAM, par conclusions du 26 janvier 2022, a demandé que la Cour :
1. A titre principal et en premier lieu, sur l’infirmation de la décision attaquée compte tenu du respect de la condition tenant à la démonstration d’un motif légitime de nature à autoriser les mesures probatoires in futurum :
– juge l’existence d’un motif légitime de nature à justifier l’autorisation de réaliser les mesures d’instruction sollicitées par la Société SODASTREAM FRANCE,
– juge que l’ordonnance déférée a été rendue en violation des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile s’agissant de la condition relative à l’existence d’un motif légitime,
– infirme l’ordonnance rendue le 18 novembre 2021 par le Juge de la rétractation en ce qu’il a
retenu que la condition relative à l’existence d’un motif légitime n’était pas suffisamment établie,
– infirme l’ordonnance rendue le 18 novembre 2021 par le Juge de la rétractation en en ce qu’il a débouté la Société SODASTREAM France de sa demande tendant à juger la conformité de l’ordonnance sur requête 17 mars 2021 à l’article 145 du Code de procédure civile,
– juge la parfaite conformité de l’ordonnance sur requête 17 mars 2021 rendue par le Président du Tribunal judiciaire de NANTES autorisant les opérations de visites et saisies au domicile de Monsieur [H],
2. A titre principal et en second lieu, sur l’infirmation de la décision attaquée compte tenu du
respect de la condition tenant à la dérogation au principe du contradictoire de nature à autoriser les mesures probatoires in futurum :
– juge l’existence de circonstances rendant nécessaire la mise en ‘uvre de mesures
d’instruction non contradictoires,
– infirme l’ordonnance rendue le 18 novembre 2021 par le Juge de la rétractation en ce qu’il a
retenu que la condition relative à la nécessité de déroger au principe du contradictoire n’était
pas suffisamment établie,
– infirme l’ordonnance rendue le 18 novembre 2021 par le Juge de la rétractation en ce qu’il a
débouté la Société SODASTREAM France de sa demande tendant à juger la conformité de l’ordonnance sur requête 17 mars 2021 à l’article 145 du Code de procédure civile,
– juge la parfaite conformité de l’ordonnance sur requête du 17 mars 2021 rendue par le Président du Tribunal judiciaire de NANTES autorisant les opérations de visites et saisies au domicile de Monsieur [H],
3. Sur l’infirmation de la décision attaquée compte tenu de la parfaite conformité de
l’ordonnance sur requête du 17 mars 2021 aux dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile :
– juge la réunion de l’ensemble des conditions requises par l’article 145 du Code de procédure
civile pour autoriser la mise en ‘uvre des mesures probatoires in futurum,
– infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 18 novembre 2021 par le Président
du Tribunal judiciaire de NANTES,
4. Sur les demandes accessoires :
– condamne Monsieur [H] au paiement, au profit de la Société SODASTREAM FRANCE, de la somme de 15.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamne Monsieur [H] aux entiers dépens.
Par conclusions du 24 février 2022, M. [N] [H] a demandé que la Cour :
A titre principal : Confirmer l’ordonnance attaquée en date du 18 novembre 2021 en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire : si la Cour devait infirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle considèrerait que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile sont remplies, rétracter partiellement l’ordonnance rendue sur requête en date du 17 mars 2021, en ce qu’elle a :
– fixé le point de départ de la recherche relative aux mails reçus à partir des adresses @sodastream.com et @opm-France.com au 27 mars 2019, alors que M. [H] n’avait pas réceptionné sa lettre de convocation à entretien préalable et que MYSODA n’avait pas encore été immatriculée, et de manière plus générale ordonné une telle mesure en ce que MYSODA et M. [H] n’avait aucun lien de droit jusqu’au 1er juin 2020 (première branche de la recherche réclamée) ;
– ordonné de manière impossible la recherche et la copie de fichiers « émis reçus » entre le 27 mars 2019 et le 1 er juillet 2020, fixé comme point de départ de la recherche le 27 mars 2019, date à laquelle M. [H] n’avait pas encore réceptionné de convocation à son entretien préalable et MYSODA n’était pas encore immatriculée, fixé comme point final de la recherche le 1er juillet 2020 en ce que M. [H] avait restitué ses outils professionnels le 31 mai 2019 et que cette date est postérieure à l’issue de la clause de non-concurrence de M. [H], autorisé la recherche de fichiers « reçus » par M. [H] pendant sa période de non-concurrence d’une année (seconde branche de la recherche réclamée) ;
– ordonné de manière antinomique une recherche selon une « combinaison » de mots-clés avec le seul mot-clé « OPM », et par utilisation malicieuse du 46 mot-clé « [H] » en ce que ce terme est non discriminant et crée une confusion entre le nom patronymique de M. [H] et le prénom [H] du CEO de MYSODA OY M. [H] [M] ;
ordonner en conséquence la restitution de toutes données qui seraient en lien avec M. [H] [M], et en tant que de besoin effectuer elle-même un tri pertinent, ou ordonner une expertise de tri aux frais avancés de SODASTREAM avec mission classique en la matière, ou alternativement organiser une procédure de mainlevée de séquestre en demandant au concluant de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories : catégorie «’A’»’: les pièces qui pourraient être éventuellement communiquées sans examen, catégorie «’B’» les pièces dont la communication est refusée car concernées par le secret des affaires, et catégorie «’C’» les pièces dont la communication est refusée mais non concernées par le secret des affaires (secrets professionnels, vie privée, etc.), et renvoyer l’affaire à une date ultérieure, après contrôle de cohérence par l’huissier instrumentaire, pour examen de la fin de la levée de séquestre ;
A titre infiniment subsidiaire :
– juger que SODASTREAM n’a pas réclamé que les « correspondances
électroniques » et messages, émis, reçus ou rédigés entre le 27 mars 2019 et le 1er juillet 2020 répondant à une combinaison de mots-clés, soient recherchés avec leurs « pièces jointes », et en conséquence :
– le préciser dans l’ordonnance à intervenir,
– ordonner à l’Huissier instrumentaire d’effectuer un nouveau tri en considération des termes de l’ordonnance à intervenir,
– ordonner à l’Huissier instrumentaire de rédiger un nouveau procès-verbal de constat,
– dire que l’Huissier tiendra à la disposition de la partie saisie une copie des pièces séquestrées sur un support informatique adapté afin que cette dernière puisse sélectionner les pièces à la communication desquelles elle s’oppose,
– dire que, en cas de difficulté, la partie la plus diligente pourra saisir en référé
la juridiction de céans,
– ordonner l’expurgation du séquestre de l’ensemble des pièces dont la saisie et le séquestre relèvent d’une atteinte caractérisée au secret professionnel (mails avec avocats et experts-comptables),
– procéder comme il est indiqué à l’article R. 153-3 du Code de commerce et refuser la communication des pièces qui ne sont pas nécessaires à la solution du litige et, en tant que de besoin, ordonner que la juridiction de céans en prenne connaissance seule, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection légales,
En tout état de cause :
– déboute SODASTREAM FRANCE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamne SODASTREAM FRANCE au paiement de la somme de 50.000 euros à M. [H] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– la condamne aux entiers frais et dépens de la présente instance avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
Selon avis de fixation du 03 janvier 2022, la clôture de l’instruction de l’affaire a été fixée au 24 mars 2022 et l’audience des plaidoiries au 26 avril suivant.
La société SODASTREAM a conclu le 23 mars 2022.
Dans de dernières conclusions de procédure du 22 avril 2022, M. [N] a demandé que soit prononcé le rabat de l’ordonnance de clôture et à défaut que soit prononcé le rejet des écritures de la société SODASTREAM du 23 mars.
Il a justifié cette demande par la survenue d’un événement grave, soit sa convocation devant les services de police suite à une plainte déposée contre lui par la société SODASTREAM pour vol et abus de confiance.
Il a conclu au fond le 14 et le 22 avril 2022.
Pour sa part, la société SODASTREAM a conclu le 20 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La procédure devant la cour d’appel :
Les parties ont été avisées le 03 janvier 2022 que l’affaire serait examinée à l’audience de plaidoiries du 26 avril 2022 et que son instruction serait clôturée le 24 mars 2022.
La société SODASTREAM avait conclu le 26 janvier 2022 et M. [H] le 24 février.
La société SODASTREAM a conclu le 23 mars, soit la veille de la date prévue pour la clôture, par des conclusions contenant vingt pages de développements supplémentaires par rapport à ses conclusions d’appelantes.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 24 mars 2022.
Les parties demandent un rabat de l’ordonnance de clôture et ont conclu au fond postérieurement à celle-ci.
M. [H] invoque un motif qu’il estime grave sa convocation suite à une plainte pénale déposée contre lui par la société SODASTREAM, qui justifierait qu’il puisse demander par conclusions postérieures à l’ordonnance de clôture un sursis à statuer à la Cour.
Subsidiairement, il demande que les conclusions du 23 mars de la société SODASTREAM soient écartées des débats comme tardives et portant atteinte au principe du contradictoire.
Le litige dont la cour est saisie est celui relatif à la régularité et au bien fondé d’une ordonnance sur requête ayant autorisé des mesures d’investigation au domicile de M. [H].
Il n’appartient doc pas à la Cour, dans le cadre du présent litige, de dire si M. [H] détient et/ou utilise et/ou met à la disposition de son nouvel employeur des fichiers appartenant à la société SODASTREAM, faits visés par la plainte pénale déposée contre lui par la société SODASTREAM pour de faits de vols et d’abus de confiance visant le détournement de fichiers.
La plainte pénale est donc sans influence sur le présent litige et il n’y a pas lieu à rabat de l’ordonnance de clôture.
Les conclusions au fond du 22 avril et du 14 avril 2022 de M. [H] sont en conséquence déclarées irrecevables, ainsi que celles du 20 avril 2022 de la société SODASTREAM.
Ensuite, M. [H] ayant conclu le 24 février, aucun motif ne justifiait que la société SODASTREAM attende le 23 mars soit la veille du prononcé de la clôture pour conclure de nouveau, par des écritures passant de 47 pages (conclusions du 26 janvier) à 67 pages, c’est à dire contenant de très nombreux développements nouveaux, dans un litige dont les circonstances de fait et de droit n’ont pourtant pas évolué depuis la première instance.
Ces conclusions, qui appelaient une réponse compte tenu de l’importance des nouveaux développements y étant insérés, ont été notifiées à M. [H] dans un délai ne permettant pas à son conseil d’en prendre utilement conseil et d’y répondre.
Par application des dispositions de l’article 16 du code de procédure civile, elles sont déclarées irrecevables.
La Cour statuera donc au visa des conclusions du 26 janvier 2022 de la société SODASTREAM et du 24 février 2022 de M. [H].
Sur la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 17 mars 2021 :
A titre liminaire, la Cour relève que s’agissant d’une mesure de constatation confiée à un officier public et ministériel, l’ordonnance pouvait dire qu’il appartiendrait à la partie requérante de choisir l’huissier de son choix, une mesure de constatation ne nécessitant pas de compétence technique spécifique à tel ou tel huissier mais faisant appel à un cadre réglementaire et déontologique commun à tous les huissiers de justice.
En vertu des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Sur l’absence de tout procès en cours :
L’ordonnance sur requête est datée du 17 mars 2021.
Dans sa requête, la société SODASTREAM, après avoir présenté la société SODASTREAM et ses relations contractuelles avec M. [H], faisait état de constatations sur l’ordinateur restitué par M. [H] à son départ de l’entreprise, de l’embauche de M. [H] par un de ses concurrents directs soit la société MYSODA, du fait que M. [H], dans ses fonctions, aurait eu accès à des données confidentielles de la société SODASTRAM.
La société SODASTREAM reprenait alors dans sa requête les constatations effectuées sur l’ancien ordinateur de M. [H] pour exposer qu’il en résulterait que M. [H] avait procédé à une suppression de données massive, puis avait connecté un appareil de stockage externe sur cet ordinateur et détourné des données lui appartenant.
Selon la société SODASTREAM, il était donc plausible que M. [H] ait souhaité la priver de certaines données nécessaires à la poursuite de son activité, tout en les transférant à son nouvel employeur, violant ainsi tant la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail que son obligation générale de loyauté et de confidentialité, et se livrant à différents actes de concurrence déloyale avec son nouvel employeur.
Toutefois, le 10 juillet 2020, soit plusieurs mois avant de saisir le juge des requêtes, la société SODATREAM avait saisi le Conseil des Prud’hommes de Nantes de prétentions contre M. [H] visant à voir :
– dire que M. [H] avait délibérément violé l’obligation de loyauté le liant à son employeur au terme de son contrat de travail,
– dire que M. [H] avait violé la clause de non-concurrence telle que prévue à son contrat de travail et dans la convention de rupture conventionnelle,
– condamner M. [H] au paiement des sommes :
– de 50.000 euros de dommages et intérêts en violation de l’obligation de loyauté,
– de 7.000 euros représentant les contreparties conventionnelles à son obligation de non concurrence,
– de 48.000 euros de dommages et intérêts pour violation de la clause de non concurrence,
– condamner sous astreinte M. [H] à restituer l’intégralité des fichiers supprimés et à détruire les fichiers détournés.
A l’appui de la requête déposée devant le Conseil des Prud’hommes, la société SODASTREAM, après avoir présenté son activité et celle de ses relations contractuelles avec M. [H], faisait valoir les constatations réalisés sur l’ordinateur restitué par M. [H], des suppressions massives et délibérées de données ainsi que la création d’un dossier d’archivage sur un périphérique extérieur en résultant.
Elle exposait que M. [H] avait été embauché par un de ses concurrents directs, la société MYSODA et qu’il entendait la priver d’informations essentielles et mettre l’ensemble des informations précitées à la disposition de son nouvel employeur.
Les dispositions réglementaires de l’article 145 du code de procédure civile exigent donc que la mesure d’instruction soit demandée avant tout procès, c’est à dire avant que ne soit introduite toute procédure concernant les mêmes parties et ayant la même cause et le même objet.
Contrairement à ce qu’affirmait la société SODASTREAM dans sa requête, et à ce qu’elle développe dans ses conclusions, il résulte très clairement de la comparaison de la requête présentée devant le Conseil des Prud’hommes de Nantes et de la requête présentée devant le juge des requêtes que sont identiques les parties, la cause et l’objet du litige introduit devant le Conseil des Prud’hommes et les parties, la cause et l’objet du litige en vue duquel il serait nécessaire d’établir ou de conserver les preuves par la mesure d’investigation demandée au juge des requêtes.
Il s’en déduit que la première condition posée par l’article 145 du code de procédure civile n’est pas remplie.
Sur le motif légitime :
Le motif légitime pouvant appuyer une requête visant à voir ordonner de façon non contradictoire des mesures d’investigations au domicile ou au siège social d’une partie doit reposer sur des motifs ou sur des indices permettant, non pas d’apporter la démonstration des comportements délictueux que l’on cherche à démontrer, mais de démontrer l’existence de présomptions suffisantes pour que ces comportements puissent être raisonnablement soupçonnés.
En l’espèce, les présomptions sur lesquelles se fondent la société SODASTREAM sont les suivantes :
– l’embauche le 20 juin 2020, soit à l’issue de l’échéance de sa clause de non concurrence, de M. [H] par la société MYSODA, exerçant une activité concurrente à la sienne,
– la conservation par M. [H], sur son ordinanteur MYSODA, de trois courriels émanant de son ancien supérieur hiérachique chez SODASTREAM,
– des constatations effectuées sur l’ordinateur qu’il a restitué après son départ, qui démontreraient une suppression massive de données ainsi qu’un transfert de fichiers sur un support externe.
Une embauche par un concurrent à l’échéance d’une clause de non-concurrence est régulière et nul ne peut tenter d’y faire échec sans contredire le principe de la liberté de travail des salariés.
Les trois courriels conservés par M. [H] sur l’ordinateur dont il dispose chez la société MYSODA sont des courriels qui lui ont été adressés durant ses congés du mois d’août 2018 par son supérieur hiérarchique chez SODASTREAM, que M. [H] estimait significatifs du harcèlement dont il a fait l’objet avant que la société SODASTREAM ne mette en place une procédure de licenciement plus tard convertie en rupture conventionnelle ; ils ne contiennent aucune donnée confidentielle, mais une liste de reproches faits- durant les congés du salarié- par son supérieur hiérarchique à M. [H], à propos d’actions de nature commerciale, parfaitement obsolètes à la date à laquelle M. [H] a été embauché chez MYSODA.
M. [H] était fondé à les conserver pour préserver ses intérêts et ces pièces ont d’ailleurs été produites à l’appui de la demande reconventionnelle qu’il a formé devant le Conseil des Prud’hommes.
Ne contenant aucune donnée sensible ou confidentielle relative à la politique technique ou commerciale de la société SODASTREAM, M. [H] pouvait les conserver sans faute sur l’ordinateur mis à sa disposition par la société MYSODA.
M. [H], selon bon de restitution signé le 31 mai 2019, a restitué un ordinateur portable dont le numéro de série n’est pas précisé.
Le 26 juin 2019, la société SODASTREAM a fait intervenir un huissier pour effectuer des constatations sur un ordinateur LEVONO modèle E31-80 n° de série MP1BT5XP.
M. [H] conteste les allégations de destruction de courriels et de transfert de fichiers.
Aucune preuve n’est apportée que l’ordinateur examiné par l’huissier soit celui qui ait été restitué à M. [H].
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Aucune preuve n’est non plus apportée que cet ordinateur n’ait pas été manipulé par un tiers après sa restitution par M. [H] et que notamment, son disque dur n’ait pas été changé.
Il en résulte que les constatations réalisées trois semaines après sa remise par le salarié, de façon non contradictoire, sont dépourvues de tout caractère probant et ne peuvent même pas être considérées comme établissant des présomptions d’une quelconque faute.
En d’autres termes, la société SODASTREAM ne démontre pas l’existence d’un motif légitime à obtenir l’organisation d’une mesure d’investigation.
Il résulte de ces motifs que les conditions prévues par l’article 145 du code de procédure civile pour ordonner une mesure d’instruction ne sont pas réunies : la mesure d’instruction n’était pas demandée avant tout procès tandis qu’au demeurant, le motif légitime faisait défaut.
L’ordonnance déférée est confirmée en ce qu’elle a ordonné, avec toutes conséquences de droit quant à l’interdiction d’uiliser les pièces saisies et l’obligation de les restituer, la rétractation de l’ordonnance sur requête du 17 mars 2021 rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de Nantes.
La société SODASTREAM, qui succombe, supportera la charge des dépens d’appel et paiera à M. [H] la somme de 15.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Dit n’y avoir lieu à rabat de l’ordonnance de clôture,
Déclare irrecevables les conclusions de la société SODASTREAM du 23 mars et du 20 avril 2022,
Déclare irrecevables les conclusions de M. [H] du 14 et du 22 avril 2022,
Statuant au visa des conclusions de la société SODASTREAM du 26 janvier 2022 et de celles du 24 février 2022 de M. [H],
Confirme l’ordonnance déféré,
Condamne la société SODASTREAM aux dépens d’appel,
La condamne à payer à M. [H] la somme de 15.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
Le Greffier, Le Président,