Confidentialité des données : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03582

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Confidentialité des données : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03582
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N° RG 20/03582 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ITBT

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 26 JANVIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 13 Octobre 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me David LEGRAIN, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Société MUTUELLE ASSURANCE TRAVAILLEUR MUTUALISTE (MATMUT)

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pierre LOPES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 14 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 Janvier 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [U] [J] a été engagé par la Matmut le 2 octobre 1995 en qualité de rédacteur, puis a été promu expert technique, statut cadre, le 1er juin 2014.

Il a été licencié pour faute grave le 14 août 2019 dans les termes suivants :

‘(…) Depuis le 1er juin 2014, vous occupez le poste d’expert technique au sein de la direction anti fraude anti blanchiment.

Le 5 juin 2019, la Matmut a reçu le projet de rapport adressé par l’ACPR (faisant suite à une enquête diligentée par la même autorité). Dans le cadre de ce projet de rapport, l’ACPR a formulé diverses observations.

En premier lieu, notre autorité de contrôle a relevé que certaines déclarations de soupçon à Tracfin ont été réalisées trop tardivement.

Comme vous le savez, nos obligations légales imposent notamment de réaliser ces déclarations sans délai à compter de l’autorisation donnée par M. [I], directeur général délégué à la Matmut.

Après vérifications, cette non-conformité a notamment été relevée pour cinq déclarations de soupçon dont vous aviez la charge.

A titre d’exemple, le 24 octobre 2017 M. [I] vous autorise à réaliser une déclaration de soupçon et elle n’est enregistrée que le 9 janvier de l’année suivante.

Le 26 mars 2018, vous avez sollicité l’autorisation de M. [L] [I] pour réaliser une déclaration de soupçon. Le jour même, M. [I] a donné son accord. Or, ce n’est que le 19 avril que vous avez effectivement réalisé cette déclaration de soupçon.

Le 28 mars 2018, M. [I] donne son accord pour une autre déclaration de soupçon ce qui n’a été fait que le 25 avril suivant par vos soins.

Au regard de la fonction d’expert technique que vous occupez depuis plus de cinq ans, vous ne pouviez ignorer la réglementation en vigueur et saviez donc pertinemment être en faute et faire courir un risque à la Matmut.

Par ailleurs, lorsque votre hiérarchie a pris connaissance de ces fautes, elle a opéré des vérifications sur d’autres dossiers qui vous avaient été confiés.

A cette occasion, il a été découvert qu’au cours de la période de contrôle de l’ACPR, et alors même que M. [I] avait donné son autorisation pour que des déclarations soient réalisées, vous les avez effectuées avec retard également (dans un délai compris entre 7 et 22 jours après réception de l’accord, plus de 25 déclarations sont concernées par ce retard).

Nous vous rappelons que, du fait de ces manquements, la Matmut encourt des sanctions financières (ce que vous savez puisque vous avez indiqué en entretien qu’un organisme financier avait eu une amende de plus de 50 millions d’euros) et/ou pénales importantes (retrait d’agrément notamment).

Qui plus est, les décisions prises par l’ACPR étant publiées sur leur site et accessibles à tous, le préjudice de la Matmut en termes d’images, voire de réputation auprès du public s’en trouvera également fortement impacté.

Au-delà du non-respect des délais de déclarations, ce document met également en avant que des déclarations de soupçon n’ont pas été effectuées alors qu’elles auraient dû l’être.

La Matmut a été contrainte de reconnaître cette absence fautive de déclaration dans sept dossiers dont vous aviez la charge.

D’ailleurs, pour l’un de ces dossiers, l’ACPR a sollicité un complément d’informations et il a été constaté que vous vous étiez autorisé à lever tout soupçon à la suite d’une conversation téléphonique avec un assuré, sans consultation de votre hiérarchie et surtout alors même que la suspicion de fraude portait clairement sur un cas prévu par les textes légaux et vous interdisait donc de lever les soupçons dans de telles conditions.

Au surplus, nous avons également pris connaissance de ce que vous aviez transmis des données confidentielles de sociétaires à des relations professionnelles externes à la Matmut. Ce grief avait d’ailleurs fait l’objet d’un avertissement en 2014. Force est de constater que malgré cette sanction et des formations sur le sujet (formation en 2016 et E-learning sur RGPD disponible pour tous les collaborateurs Matmut), vous n’avez pas modifié vos pratiques.

Enfin, nous vous reprochons également d’avoir transmis un nouveau questionnaire ‘vandalisme’ par mail du 4 juillet 2019 sans en avoir informé votre hiérarchie pas plus que vous ne l’avez mise en copie du mail de diffusion. Votre supérieure a pris connaissance de l’existence de ce questionnaire de manière fortuite via l’envoi, par mail, d’une question en votre absence.

Cette volonté de court-circuiter votre supérieure hiérarchique ainsi que l’outrepassement de vos fonctions est source d’insécurité et de difficultés au sein de notre organisation.

En conséquence, nous estimons que vos manquements graves dans le cadre de l’exécution de votre contrat de travail rend impossible la poursuite de celui-ci et votre maintien au sein de notre entreprise, y compris pendant le temps de préavis.

C’est pourquoi, par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave. (…)’.

Par requête reçue le 23 septembre 2019, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 13 octobre 2020, le conseil de prud’hommes a :

– requalifié le licenciement de M. [J] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la Matmut à lui payer les sommes suivantes :

rappel de salaire sur mise à pied : 3 627,34 euros

congés payés afférents : 362,73 euros

indemnité compensatrice de préavis : 15 523,80 euros

congés payés afférents : 1 552,38 euros

indemnité de licenciement : 63 947,44 euros

indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 800 euros

– dit que les sommes accordées au titre des salaires porteraient intérêts à compter de la notification de la décision,

– fixé la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 5 174,60 euros, dit n’y avoir lieu à exécution provisoire, autre que celle de droit, débouté M. [J] du surplus de ses demandes et la Matmut de toutes ses demandes.

M. [J] a interjeté appel de cette décision le 6 novembre 2020 et la Matmut le 13 novembre 2020.

Par conclusions remises le 29 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [J] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a dit ses demandes recevables ainsi que sur les sommes qui lui ont été allouées à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, congés payés afférents et indemnité conventionnelle de licenciement, l’infirmer pour le surplus et, y ajoutant, de :

– dire son licenciement dénué de toute cause réelle et sérieuse et condamné la Matmut à lui payer les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 17 057,67 euros,

congés payés afférents : 1 705,77 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 96 660,13 euros nets de CSG-CRDS,

indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,

– dire que les sommes à caractère salarial produiront intérêts à compter de la convocation des parties à la 1ère audience du bureau de conciliation et d’orientation valant mise en demeure, laquelle est intervenue le 23 septembre 2019, ordonner la capitalisation des intérêts échus annuellement, dire que les sommes indemnitaires produiront intérêts à compter de la décision à intervenir.

Par conclusions remises le 11 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la Matmut demande à la cour d’ordonner la jonction des instances référencées sous les numéros de RG 20/03582 et 20/03657, d’infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et l’a condamnée au paiement d’un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, de congés payés afférents, d’une indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’une indemnité de licenciement et d’une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile, mais aussi en ce qu’il a fixé la moyenne mensuelle des salaires à 5 174,60 euros et l’a déboutée de toutes ses demandes, et de :

– in limine litis, dire irrecevable la requête introductive d’instance de M. [J],

– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes, et à titre subsidiaire, réduire le quantum des dommages et intérêts à trois mois de salaires fixé à 5 174,60 euros, dire que les sommes à caractère salarial porteront intérêt à compter de la notification de la décision,

– en tout état de cause, débouter M. [J] de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner à lui verser sur ce même fondement la somme de 2 000 euros, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la demande relative à la nullité de la requête introductive d’instance

Relevant que M. [J] n’a mené aucune diligence en vue d’une résolution amiable du litige antérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes et qu’en conséquence, il n’a pu en être fait mention dans la requête introductive d’instance, la Matmut soutient qu’elle est entachée de nullité, demande à laquelle s’oppose M. [J] qui considère que cette mention n’est pas prévue à peine de nullité, étant au surplus relevé en l’espèce qu’il avait transmis les coordonnées de son avocat à la Matmut lors de son entretien préalable et qu’il existe une procédure de conciliation en matière prud’homale.

Selon l’article 58 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, la requête ou la déclaration est l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.

Elle contient à peine de nullité :

1° Pour les personnes physiques : l’indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ;

Pour les personnes morales : l’indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l’organe qui les représente légalement ;

2° L’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;

3° L’objet de la demande.

Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Elle est datée et signée.

Le défaut de mention dans la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance des diligences entreprises en vue de parvenir à la résolution du litige, n’entraîne ni la nullité de l’acte, ni son irrecevabilité, l’existence d’une telle irrégularité donnant seulement au juge la faculté de proposer aux parties, en application de l’article 127 du code de procédure civile, une mesure de conciliation ou de médiation, il convient en conséquence de rejeter l’exception de nullité tirée de l’absence de mention de ces diligences dans la requête.

Surabondamment, alors que la nullité n’est encourue que s’il est justifié d’un grief, celui-ci est inexistant en l’espèce dès lors que les parties ont été convoquées devant le bureau de conciliation et d’orientation, sans être parvenues à une quelconque conciliation, ce qui permet de s’assurer que des démarches préalables à la saisine n’auraient pas davantage permis un rapprochement des parties.

2. Sur le licenciement

M. [J] soulève la prescription des faits qui lui sont reprochés dès lors que la Matmut en a eu une connaissance précise dès le 4 avril 2019, date à laquelle elle a été en possession du pré-rapport de l’ACPR, analyse contestée par la Matmut qui rappelle que le délai de prescription est reporté jusqu’à la connaissance complète et éclairée des faits par l’employeur, seul titulaire du pouvoir de direction, et qu’en l’espèce, celui-ci n’a eu une connaissance précise des fautes commises par M. [J] que le 5 juin 2019, date du dépôt du rapport de l’ACPR, l’avant-projet de ce rapport transmis le 4 avril 2019 ne pouvant justifier le départ du délai de prescription compte tenu de son caractère non définitif, et ce, d’autant que suite à cet avant-projet, elle a investigué en interne afin de lui permettre d’individualiser les déclarations de soupçons tardives ou inexistantes s’agissant des experts techniques responsables.

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

En application de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Il appartient en conséquence à l’employeur, qui invoque des faits fautifs commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, de rapporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites, étant précisé que ce délai part du jour où l’agissement fautif est personnalisé et précisément défini, c’est-à-dire quand l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

Par ailleurs, l’employeur peut sanctionner un fait fautif qu’il connaît depuis plus de deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai et s’il s’agit de faits de même nature.

En l’espèce, à l’exception de la transmission du formulaire ‘vandalisme’ en juillet 2019 sans l’accord préalable de sa hiérarchie, l’ensemble des faits reprochés à M. [J] datent tous de plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires le 22 juillet 2019 et il appartient donc à la Matmut de rapporter la preuve qu’elle n’en a eu une connaissance pleine et entière qu’après le 22 mai 2019, étant précisé que le grief de juillet 2019 est de nature différente des autres faits reprochés.

A titre liminaire, il doit être relevé que le rapport de l’ACPR remis le 5 juin 2019, dont il est indiqué par la Matmut qu’il est l’élément lui ayant permis d’avoir une connaissance pleine et entière des faits reprochés à M. [J], n’est pas versé aux débats, seul un feuillet intitulé ‘extrait du projet’ étant produit, lequel, outre qu’il n’est pas authentifiable, ne comprend que deux lignes d’un tableau numérotées 4 et 5, avec pour ‘observation 4 : les déclarations de soupçon étudiées par la mission de contrôle apparaissent toutes tardives (art. L. 561-16)’ et ‘observation 5 : Sur les 55 dossiers analysés par la mission, 33 dossiers (60 %) présentent un défaut de déclaration de soupçon (art. L 561-15)’.

Or, si la Matmut invoque le caractère confidentiel de ce document pour expliquer qu’il ne soit produit que cet extrait, il ressort néanmoins de l’article L. 612-27 du code monétaire et financier que l’interdiction de communication peut être levée en cas d’accord de l’ACPR, aussi, à défaut pour la Matmut de justifier d’une quelconque demande en ce sens auprès de l’ACPR, il convient de retenir que le défaut de production du rapport de l’ACPR est carentiel.

Dès lors, et alors qu’il ne résulte même pas de cet extrait qu’il aurait été mis à jour la transmission par M. [J] d’informations confidentielles de la Matmut à des relations professionnelles extérieures, il ne peut qu’être retenu la prescription de ces faits dont il ressort des pièces qu’ils datent d’avril et août 2018, sachant que la Matmut ne produit aucun autre élément permettant de dire que leur découverte serait postérieure au 22 mai 2019 et que bien plus, s’agissant de la demande de renseignements que M. [J] a pu tenter d’obtenir auprès de la direction des finances publiques pour conforter un soupçon de fraude, il est versé aux débats un mail dans lequel il transfère la réponse apportée en indiquant ‘confidentiel, réponse du fisc! On en recause’ avec anonymisation du destinataire, ce qui ne permet même pas d’écarter la possibilité que l’information était transmise à un de ses supérieurs hiérarchiques.

En ce qui concerne l’absence ou la transmission tardive des déclarations de soupçons, si la Matmut soutient qu’elle n’a pu personnaliser ces fautes et en connaître toute l’ampleur qu’après investigations et qu’il ne peut dans ces conditions être retenu un pré-rapport, non définitif et non officiel, remis par l’ACPR en avril 2019, force est de constater qu’il n’est pas transmis le moindre mail, courrier ou attestation tendant à justifier des démarches ainsi entamées, sachant qu’en ne versant pas aux débats le rapport remis en juin 2019, la Matmut ne permet pas davantage à la cour d’analyser la connaissance exacte des faits qu’elle pouvait avoir avant même cette date.

Il convient en conséquence de déclarer l’ensemble des faits relatifs à une absence ou une transmission tardive des déclarations de soupçons prescrite, étant surabondamment relevé qu’en ne transmettant ni le rapport dressé par l’ACPR, ni de quelconques pièces permettant d’appréhender l’organisation exacte du service et des missions de chacun, il ne peut être retenu le caractère réel et sérieux des faits reprochés, sachant que seul M. [J] a fait l’objet d’une sanction disciplinaire alors même qu’il ressort de l’extrait du rapport que toutes les déclarations étaient tardives et que sur les 55 dossiers analysés par la mission, 33 dossiers (60 %) présentaient un défaut de déclaration de soupçon, ce qui tend à établir une carence structurelle, non imputable à un seul salarié.

A cet égard, alors qu’il lui est reproché d’avoir levé tout soupçon à la suite d’une conversation téléphonique avec un assuré, sans consultation de sa hiérarchie, il ne peut qu’être constaté que s’il ressort des mails produits que la responsable du service anti-fraudes et anti-blanchiment, Mme [K], n’en a effectivement été avisée qu’a posteriori par l’organe de contrôle, outre qu’elle a eu connaissance de ce fait dès novembre 2018, il n’a cependant été transmis à cette époque ni mail de recadrage, ni lettre d’observations à M. [J] auquel il a simplement été demandé d’expliquer les raisons l’ayant conduit à prendre cette décision, réponse retransmise sans autre formalité à l’autorité requérante.

Reste ainsi comme seul fait non prescrit, la transmission d’un questionnaire ‘vandalisme’ modifié sans l’accord de sa supérieure hiérarchique, lequel, outre qu’il ne saurait en tout état de cause justifier un licenciement, n’est pas établi.

En effet, s’il n’est pas contesté par M. [J] qu’il a transmis ce questionnaire à ses six correspondants Matmut en région sans mettre Mme [K] en copie, la Matmut n’établit pas en quoi il s’agirait d’un fait fautif, sachant qu’il résulte de la fiche de poste de M. [J] qu’il avait en sa qualité d’expert technique un pouvoir de décision étendu.

Au vu de ces éléments, il convient d’infirmer le jugement et de dire que le licenciement de M. [J] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.

Comme justement retenu par le conseil de prud’hommes, l’indemnité compensatrice de préavis correspond au salaire qu’aurait perçu M. [J] s’il avait effectué son préavis, et non pas à la moyenne la plus favorable des douze derniers mois, aussi, c’est à juste titre qu’a été retenu pour la calculer un salaire moyen de 5 174,60 euros et que la Matmut a été condamnée à lui payer à ce titre la somme de 15 523,80 euros, outre 1 552,38 euros au titre des congés payés afférents.

Il convient également de confirmer le jugement en ce qui concerne le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et congés payés afférents mais aussi en ce qui concerne le montant de l’indemnité de licenciement qui a été justement calculée sur la base des douze derniers mois la plus favorable et en tenant compte d’une ancienneté de 23 ans et 10 mois, sachant que ce calcul n’est pas contesté par la Matmut.

Enfin, conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoit une indemnisation comprise entre 3 et 17 mois pour une ancienneté de 23 ans, et alors que M. [J] justifie d’une période de chômage jusqu’au mois de mai 2020, puis d’une embauche en contrat à durée indéterminée en octobre 2020 pour une rémunération annuelle de 45 000 euros bruts, soit un salaire moins élevé que celui perçu au sein de la Matmut, il convient de condamner cette dernière à lui payer la somme de 55 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3. Sur le remboursement des indemnités Pôle emploi

Conformément à l’article L 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner à la Matmut de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [J] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

4. Sur les intérêts

Les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.

5. Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la Matmut aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [J] la somme de 2 200 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ses dispositions relatives aux intérêts et en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. [U] [J] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;

L’infirme de ces chefs et statuant à nouveau,

Dit le licenciement de M. [U] [J] sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes à payer à M. [U] [J] la somme de 55 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;

Y ajoutant,

Ordonne à la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [U] [J] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;

Condamne la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes aux entiers dépens ;

Condamne la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes à payer à M. [U] [J] la somme de 2 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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