Confidentialité des données : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01422

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Confidentialité des données : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01422
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N° RG 21/01422 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXOW

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 16 Mars 2021

APPELANT :

Monsieur [B] [M]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. JACKON INSULATION

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence MOREAU, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 06 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 06 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE 

A compter du 2 janvier 2008, M. [B] [M] (le salarié) a été engagé en qualité de responsable des produits industrie pour la France par la société allemande Jakon Insulation Gmbh par contrat de travail à durée indéterminée

Par avenant du 29 mai 2018, son contrat de travail a été transféré à la filiale française de cette société, la Sarl Jackon Insulation (la société).

Après avoir été mis à pied à titre conservatoire le 30 octobre 2018, M. [M] a été licencié pour faute grave par courrier recommandé du 16 novembre 2018.

Contestant cette décision, il a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen qui, par jugement du 16 mars 2021, a :

– dit et jugé que le licenciement reposait sur une faute grave,

– débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [M] à payer à la société la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

M. [M] a relevé appel de cette décision le 6 avril 2021 et par conclusions remises le 5 juillet 2021, demande à la cour de :

– infirmer la décision de première instance,

– dire et juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement,

– condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

23 265 euros au titre d’un préavis de 3 mois,

2 326,50 euros au titre de congés payés sur préavis,

25 979 euros au titre d’une indemnité conventionnelle de licenciement,

77 550 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

20 000 euros au titre d’un préjudice financier,

10 000 euros au titre d’un préjudice moral,

5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 1er octobre 2021, la société demande à la cour de :

– confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,

– rejeter l’ensemble des demandes de M. [M],

– le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux frais et dépens.

L’ordonnance de clôture a été fixée au 16 mars 2023.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisante pour justifier son éviction de l’entreprise.

La lettre de licenciement est ainsi motivée :

‘ (…) En ce qui concerne les motifs de ce licenciement, il s’agit de ceux qui vous ont été exposés lors de l’entretien précité à savoir : courant octobre dernier, j’ai été informé du fait que le dirigeant des sociétés E2K et SENDO ne souhaitait plus collaborer avec vous. (…) Devant l’incompréhension de la situation, je me suis rapproché du dirigeant afin d’avoir des explications puisque je n’ai pas réussi en avoir de votre part. Il m’a alors indiqué que vous représentiez une autre société qui lui facturait des prestations concernant la transformation de produits JACKON.

C’est dans ce cadre que nous nous sommes rencontrés le 24 octobre 2018. Vous m’avez alors indiqué qu’il existait effectivement une société avec laquelle vous collaboriez pour vendre des produits Jackon transformés ! ‘

Après investigations, il apparaît que :

– vous avez, avec la complicité de votre épouse, participer à la création et à l’exploitation d’une société dénommée Adhex SAS à partir de fin 2014, société dont l’objet social est le négoce et la transformation plastique à destination du second oeuvre du bâtiment,

– cette société Adhex fait procéder à la transformation des plaques isolantes en faisant couler un adhésif double face sur les deux côtés des plaques, activité que le groupe avait décidée d’abandonner,

– vous avez décidé de poursuivre cette activité à titre personnel, en totale violation de la politique commerciale du groupe Jacob, par le biais de cette société Adhex,

– vous avez dissimulé cette activité et m’avez menti puisqu’en décembre 2016, je vous avais interrogé sur le fait de savoir si vous aviez connaissance de livraison à un fabricant de panneaux adhésifs et que vous m’aviez indiqué ne pas en connaître l’existence.

Autrement dit :

– vous avez exploité et partagé des connaissances confidentielles pour créer et développer avec votre épouse une activité parallèle via la société à Adhex,

– vous êtes positionnés sur le marché avec des panneaux retraités avec des adhésifs, alors que la politique commerciale était de ne plus livrer aux clients ces produits. Vous avez représenté les intérêts de cette société parallèlement à ceux de JACKON Insulation, ce qui est incompatible,

– vous avez vendu des produits JACKON à cette société que vous exploitez avec votre épouse à des prix fixés par vous seul,

– vous avez utilisé une partie de votre temps qui devait être consacré à la société JACKON pour développer une activité parallèle, à votre profit, et au préjudice de notre entreprise puisqu’il avait été notamment décidé en 2014 ne plus vendre de tels produits transformés,

– vous avez manqué par ailleurs à votre obligation d’exclusivité.

L’ensemble de ces faits constitue des manquements à vos obligations contractuelles et professionnelles, notamment celle de loyauté et d’exclusivité, d’une importance telle que cela rend impossible votre maintien dans l’entreprise (…)’.

L’article 10 du contrat de travail de l’appelant comprend une clause d’exclusivité et de discrétion ainsi libellée : ‘M. [M] s’engage à observer la plus grande discrétion sur toutes les informations, connaissances et techniques qu’il aurait connues à l’occasion de son travail dans l’entreprise. De plus, il s’engage expressément à travailler exclusivement pour la société Jackon Insulation et à n’exercer aucune activité concurrente que celle de cette société pendant toute l’exécution de son contrat de travail (…). Il sera lié par la même obligaton vis à vis de tout renseignement ou document dont il aurait pris connaissance auprès de clients de la société (…)’.

La société intimée commercialise des solutions d’isolation à destination des constructeurs et des industriels et en particulier, des matériaux isolants en mousse de polystyrène extrudé (XPS).

Il résulte de l’extrait Kbis de la société Adhex qu’elle a débuté son activité le 15 octobre 2014, que sa présidente est Mme [L] [W] épouse [M] et que son objet social est le négoce et la transformation de matière plastique à destination du second oeuvre du bâtiment, la création, fabrication, personnalisation, vente de biscuits et sablés à titre sédentaire et ambulant. Postérieurement à son licenciement, M. [M] est devenu le président de cette société.

Il est établi, notamment par un mail d’octobre 2014, que la société Adhex commercialisait des panneaux adhésivés dès cette date. Plus parrticulièrement, elle achetait des panneaux à la société Jakon puis sous-traitait la pose d’un adhésif double-face sur ceux-ci, activité que la société intimée indique avoir cessé de faire au cours de l’année 2014 ajoutant qu’elle avait demandé à ses commerciaux d’en avertir leurs clients, point dont elle ne justifie pas.

Toutefois, et en toute hypothèse, les deux sociétés intervenaient sur le même secteur d’activité.

Si M. [M] reconnaît une activité ‘très accessoire’ au bénéfice de la société Adhex, il ressort pourtant des mails produits qu’il était l’interlocuteur de la société Adhex pour plusieurs sociétés (ATI, Emball 2000 et E2K, Gruau), clientes de l’intimée, puisque les mails font apparaître soit son prénom ([B]), soit les clients évoquent son nom ou enfin, des courriels sont signés par ‘M. [W]’, lequel est le nom de jeune fille de son épouse.

D’autres courriels relatifs à des commandes passées à la société Adhex sont établis par sa direction commerciale. Or, les compétences déclarées de l’épouse du salarié en matière comptable, juridique ou pour la confection de gâteaux, sont étrangères à celles nécessaires pour la rédaction de courriels techniques relatifs à des panneaux isolants (taille, épaisseur, chiffrage, adhésif…), ce que d’ailleurs, le salarié ne discute pas utilement, pas plus qu’il ne justifie de l’emploi par la société Adhex d’au moins un salarié disposant de telles connaissances.

La cour constate, au surplus, que les divers mails étaient envoyés par ce dernier en journée et en semaine, soit durant ses heures de travail pour la société Jackon.

En outre, il ressort du mail du 1er décembre 2015, de M. [Z] de la direction de la société Emball 2000 que c’est l’appelant, connu par ce client de l’intimée comme responsable commercial, qui l’a ‘mis en contact avec Adhex’ dont M. [M] était le seul interlocuteur.

Il ressort également d’un échange de mails avec la société Gruau que l’appelant sollicitait par celle-ci en tant que cliente de l’intimée pour un ‘besoin de polystyrène extru’, a transféré ladite demande à la société Adhex et répondu à la société Gruau en signant ‘M. [W], Adhex SAS’ et en n’hésitant pas à écrire : ‘je suis sollicité par la société Jackon à propos de votre recherche de mousse polystyrène extrudé (…)’.

En outre, il ressort de la comparaison des notes de frais des sociétés Adhex et de celles de M. [M] au sein de la société Jackon pour l’année 2017 que celui-ci comptabilisait aux deux sociétés des frais de déplacements professionnels pour la même journée ( ex : Hamburg le 9 janvier 2017, salon de Bruxelles en mars 2017, 19/20 avril 2017 en Vendée, 15 mai à [Localité 5]…).

Or, M. [M] qui était débiteur d’une obligation de loyauté et d’exclusivité, ne justifie aucunement avoir informé son employeur de son activité au sein de la société Adhex.

Pourtant, le gérant de la société Jackon justifie l’avoir interrogé par un mail de décembre 2016, sur sa connaissance de l’existence ‘d’un client en France qui fabrique des panneaux adhésivés’, ce à quoi l’employeur indique, sans être contredit, que le salarié lui avait répondu qu’il n’avait pas connaissance de telles livraisons.

Si M. [M] allègue que la société intimée avait nécessairement connaissance de son activité au sein de la société Adhex puisque celle-ci avait ouvert un compte client chez Jackon, il ressort du mail du 4 novembre 2014 que c’est lui qui a effectivement sollicité cette ouverture en écrivant à la société mère allemande sans mettre en copie son employeur. De plus, les indidications transmises dans ce courriel sont très succintes puisqu’il s’agit du nom, numéro TVA et adresse mail de cette société, soit des informations qui ne permettaient pas de rapprocher celle-ci de l’appelant.

Par ailleurs, si ce dernier soutient encore qu’il existait une procédure de validation interne qui aurait permise à son employeur de savoir que cette société était dirigée par son épouse, produisant pour ce faire une attestation d’un autre salarié, il ressort de ce témoignage que la procédure d’ouverture de compte prévoyait la transmission du nom, du numéro Siret de la société, de son adresse de facturation et ‘parfois du K Bis’. L’auteur ajoutait que M. [T], gérant de la société intimée, intervenait pour déterminer ‘l’encours et le délai de réglement’ du client et le service financier procédait à une enquête.

Si l’employeur reconnaît qu’une enquête peut être demandée à l’assureur Euler Hermès en Allemagne, c’est dans l’hypothèse où une demande d’agrément pour l’assurance est sollicitée par le client de Jackon, ce qui n’était pas le cas de la société Adhex. Il n’est d’ailleurs aucunement justifié de ce que cette dernière aurait formalisé une telle demande. Même dans cette hypothèse, l’employeur précise, sans être contredit, que le retour d’enquête n’est porté à sa connaissance qu’en cas de refus de l’assureur.

Par conséquent, il est établi que le salarié, cadre de l’entreprise, a exercé, sur son temps de travail et durant près de quatre années, une activité au bénéfice de la société Adhex qui intervenait dans le même secteur d’activité que la société Jackon qui l’employait, a dissimulé à cette dernière l’activité litigieuse et exploité des données confidentielles, notamment, le fichier des clients de son employeur pour développer l’activité de la société Adhex, manquant ainsi à ses obligations de loyauté et d’exclusivité.

Aussi, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres faits ou ceux postérieurs au licenciement qui relève d’un litige commercial, les faits considérés sont suffisants pour justifier le licenciement pour faute grave du salarié.

La décision déférée est confirmée.

2) Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, le salarié est condamné aux dépens d’appel et débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Pour le même motif, il est condamné à payer à la société la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Rouen du 16 mars 2021,

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [M] à payer à la société Jackon Insulation la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le condamne aux dépens d’appel.

La greffière La présidente

 


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