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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 JUIN 2023
N° RG 21/02549 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-UWFA
AFFAIRE :
[R] [T]
C/
SARL ADYA FOILS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Juillet 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PONTOISE
N° Section : C
N° RG : 19/00259
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Diane BUISSON
Me Frédéric SAMAMA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [T]
née le 19 Septembre 1975 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Diane BUISSON, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SARL ADYA FOILS
N° SIRET : 479 636 656
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Frédéric SAMAMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1267
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Madame Régine CAPRA, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
Par contrat de travail à durée indéterminée du 5 février 2013, Mme [R] [T] a été engagée par la Sarl Adya Foils en qualité d’assistante commerciale. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale du commerce de gros. La société emploie moins de 11 salariés.
Par courrier recommandé du 4 octobre 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable qui s’est tenu le 18 octobre 2018, puis, par courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 23 octobre 2018, elle a reçu notification de son licenciement pour faute grave, l’employeur lui reprochant le transfert de mails personnels confidentiels sur son adresse mail personnelle à l’origine d’un dépôt de plainte du 10 octobre 2018.
Par requête reçue au greffe le 17 juillet 2019, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise afin de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement du 28 juillet 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise a :
– dit que le licenciement de Mme [T] reposait sur une faute grave ;
en conséquence,
– débouté Mme [T] de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté la société Adya Foils de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– mis les dépens éventuels de l’instance à la charge de Mme [T] en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe du 6 août 2021, la salariée a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 4 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [T] demande à la cour de :
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Pontoise du 28 juillet 2021 en toutes ses dispositions ;
en conséquence :
– condamner la société Adya Foils à lui verser les sommes suivantes :
* 12 750 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 2 970,75 euros nets à titre d’indemnité de licenciement ;
* 5 100 euros bruts à titre d’indemnité de préavis ;
* 510 euros bruts à titre de congés payés sur préavis ;
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonner la remise des documents sociaux conformes aux condamnations à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour à compter de la signification de l’arrêt ;
– condamner la société Adya Foils au paiement des entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 24 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la Sarl Adya Foils demande à la cour de :
confirmer la décision du conseil de prud’hommes de Cergy Pontoise du 28 juillet 2021 en toutes ses dispositions en ce qu’il a :
– dit que le licenciement de Mme [T] reposait sur une faute grave ;
– débouté Mme [T] de l’ensemble de ses demandes ;
– mis les dépens à la charge de Mme [T] en application de l’article 696 du code de procédure civile.
– condamner Mme [T] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 13 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L 1235-2 du même code prévoit notamment que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate. La preuve de son existence incombe exclusivement à l’employeur.
Dans la lettre de licenciement, les motifs de celui-ci s’énoncent en ces termes :
« Le mercredi 3 octobre 2018, alors que vous étiez en congé, j’ai accédé à votre messagerie professionnelle et me suis aperçue que les lundi 1er et mardi 2 octobre 2018 vous aviez transféré sans mon autorisation, en une soixantaine d’envoi, depuis votre messagerie professionnelle
« [Courriel 7] » des documents hautement confidentiels de l’entreprise vers votre boîte mail personnelle « [Courriel 5] » documents à partir de 2013 ainsi que le mode opératoire mis en place récemment de vos tâches en vue de votre remplacement ponctuel pendant votre formation.
Un constat d’huissier en date du 4 octobre 2018 a été réalisé ainsi qu’un dépôt de plainte à votre encontre.
Lors de l’entretien préalable, vous n’avez pas contesté ces transferts et avez exposé que vous aviez peur d’être sanctionnée à la suite d’une réflexion que je vous aurais faite le 24 septembre 2018 relative à vos récents retards le matin, soit 15 jours avant votre départ en formation.
Votre explication ne nous a pas permis d’établir comment les données confidentielles auraient été nécessaires à votre défense dans le cadre d’une éventuelle procédure de licenciement.
Ces éléments présentent en revanche un intérêt commercial pour la concurrence.
Le transfert sans mon autorisation de votre messagerie professionnelle à votre boîte personnelle, des données confidentielles de l’entreprise est une violation de l’obligation de confidentialité mentionnée dans votre contrat de travail.
Au regard de ces éléments, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave ».
La salariée soutient que le licenciement n’est pas fondé en ce que les mails transférés de ses boîtes professionnelles vers sa boîte personnelle l’auraient été pour reconstituer ses horaires de travail afin d’assurer sa défense compte tenu de l’existence de pressions et d’un contentieux sur ses horaires de travail, contestant le caractère confidentiel de mails comme toute appropriation de données pour un usage frauduleux au bénéfice de la concurrence en l’état d’un projet de reconversion dans les cours de chant et de choral dans le cadre d’un congé individuel de formation. Elle ajoute que les mails litigieux ont été adressés en dehors de ses horaires de travail.
L’employeur fait valoir qu’en ayant transféré plus d’un soixantaine de mails contenant des données strictement confidentielles et classées comme telles, dont la grande majorité comporte des pièces jointes incluant des données personnelles et nominatives concernant des clients, fournisseurs et transporteurs présentant un intérêt commercial évident, la salariée a contrevenu à ses obligations légales et contractuelles, l’article 4 de son contrat de travail la soumettant à une obligation de confidentialité et de discrétion, ce qui fonde son licenciement pour faute grave dès lors qu’il n’est pas établi, ni que ses horaires de travail auraient été remis en cause ou qu’elle aurait été victime de pressions, ni que ces mails envoyés à l’intérieur de ses horaires, depuis 2013, dont elle n’était pas l’expéditeur pour certains d’entre eux, auraient été nécessaires à sa défense dans le cadre d’un litige relatif à ses horaires qui ne sont l’objet d’aucune prétention dans le présent litige.
Il est constant que la société Adya Foils exerçant un activité de production et de commercialisation de films de marquage à chaud dans le secteur de la cosmétique, de l’industrie du verre, des instruments d’écriture, de l’électro-ménager et de l’automobile, les parties sont convenues de soumette l’assistante commerciale, en charge notamment de l’administration des ventes, du suivi des importations et exportations, de l’enregistrement des factures fournisseurs, de la prospection commerciale téléphonique, des commandes fournisseurs, à une obligation spécifique, insérée à l’article 4 du contrat de travail, de « discrétion absolue en ce qui concerne toutes les informations dont la divulgation serait de nature à favoriser les intérêts concurrentiels de l’employeur ainsi que tous renseignements confidentiels dont il pourrait avoir connaissance », avant de préciser que « tout manquement à cette obligation au cours du contrat constituerait une faute grave pouvant justifier un licenciement », et que cette clause de discrétion devait être respectée à l’issue du contrat.
La salariée ne conteste pas, tel qu’établi par les pièces produites, avoir transféré plus d’une soixantaine de mails de l’une de ses boîtes électroniques professionnelles vers sa boîte personnelle du 1er au 2 octobre 2018.
Le caractère confidentiel des données appartenant à la société que la salariée a transférées sur sa boîte personnelle est avéré puisqu’il ressort des éléments d’appréciation, notamment du procès-verbal dressé le 4 octobre 2018 par un huissier de justice, que ces informations sont effectivement en lien, notamment, avec des commandes de clients comportant des prix de vente, des devis de transporteurs, des clients et fournisseurs, des process, des délais de production et de livraison, des importations, des modes opératoires liés à la fonction de la salariée, l’organisation et le fonctionnement interne de la société, toutes informations présentant un intérêt commercial pour la concurrence.
Or, il résulte des articles 1353 du code civil, dans sa rédaction postérieure à l’ordonnance n° 2016-1031 du 10 février 2016 et L. 1222-1 du code du travail, qu’un salarié ne peut s’approprier des documents appartenant à l’entreprise que s’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur.
Si dans son mail du 25 septembre 2018, la salariée évoque des « mots et reproches » qui l’auraient « beaucoup perturbée » de la part de « [W] », en ajoutant : « Je ne sais si vous en aurez encore mesuré la dureté, mais vous en aurez constaté la conséquence, qui a été mon départ précipité en larmes hier vers 16h30’Depuis, je ne me sens pas très bien, et j’ai très peu dormi cette nuit. Je ne viendrai donc pas au bureau aujourd’hui », et si ce mail a été suivi de l’envoi électronique d’un arrêt de travail pour maladie ordinaire sans précision de motif, pour la période du 24 au 28 septembre, ces seuls éléments n’établissent nullement que dans le cadre d’un litige l’opposant à son employeur les documents transférés auraient été strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense, quand une telle masse de données contenues au sein de mails et de pièces jointes remontant jusqu’à l’année 2014, transférée a priori sans tri préalable sur deux jours, apparaît particulièrement disproportionnée à la constitution d’une défense dans le cadre d’un différend dont
ni la nature ni l’étendue ne sont précisément établies, étant observé de surcroît que même à supposer réelle l’intention de la salariée de parer à toute éventualité dans le cadre d’un éventuel litige relatif à ses horaires, l’utilité de la plupart de ces pièces dans le cadre d’un tel litige, en l’état inexistant, est contestable au regard des dates et heures d’envoi ou de réception des mails.
Il en résulte l’établissement d’une faute grave imputable à la salariée rendant impossible le maintien de celle-ci dans l’entreprise et impliquant son éviction immédiate.
Le jugement sera donc confirmé sur ce chef et en ce qu’il déboute conséquemment la salariée de l’ensemble de ses demandes.
En équité, il y a lieu à confirmation du jugement quant aux frais irrépétibles et aux dépens.
En cause d’appel, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure qu’au profit de l’employeur auquel la somme de 2 000 euros est allouée de ce chef.
Les entiers dépens d’appel seront mis à la charge de la salariée, partie succombante.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne Mme [R] [T] à payer à la société Adya Foils la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,