N° RG 21/04063 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I5DE
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 9 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
2018J02954
TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 27 Août 2021
APPELANTE :
Société CASA CHINA LTD
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Pascal HUCHET de la SCP HUCHET DOIN, avocat au barreau du HAVRE
INTIMEE :
S.A.S. AMATRANS AGENCE MARITIME DE TRANSIT (AMATRANS)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et assistée de Me Mathieu CROIX de la SCP Ince & Co France, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Sylvaine CHEVAL, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme FOUCHER-GROS, Présidente
Mme MENARD-GOGIBU, Conseillère
M. URBANO, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DEVELET, Greffière
DEBATS :
Mme Foucher-Gros, a été etendu en son rapport.
A l’audience publique du 22 Novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 Janvier 2023, prorogé au 23 février 2023, puis au 9 mars 2023.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 9 mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Mme Foucher-Gros, Présidente et par Mme Riffault, Greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société Casa China LTD, (Casa China), exerce en Chine une activité de commissionnaire groupeur et a pour agent en France la société Amatrans Agence Maritime de Transit (Amatrans), qui est spécialiste du transit et du transport international.
La société Wistar était une société spécialisée dans le négoce de produits industriels. Elle a fait l’objet d’une liquidation judiciaire, clôturée le 20 août 2020 pour insuffisance d’actif.
La SARL Humeau est le liquidateur judiciaire de la société Wistar.
Au mois de mars 2016, la société chinoise Zhejiang Pacific Machinery Co LTD a vendu à la société Wistar des pièces d’appareils de forage rotatifs pour un prix de 106 470 US dollars.
Il était prévu que le prix serait payable en trois fois (30 % d’acompte lors de la commande, puis 30 % avant que la marchandise arrive au port de destination, puis 40 % dans un délaide 30 jours après la livraison).
La société Casa China a été amenée à émettre un connaissement n°CNSHA099413 le 30 juillet 2016, couvrant le transport du port de [Localité 7] jusqu’au port d'[Localité 3], mentionnant son commettant Zhejiang Pacific Machinery en qualité de chargeur et la société Wistar en qualité de Notify party et destinataire.
La société Casa China a ensuite mandaté Shipco Transport afin de réaliser le transport maritime de [Localité 7] à [Localité 3] sous couvert d’un connaissement ANT15465971 du 30 juillet 2016 mentionnant Casa China en qualité de chargeur et Amatrans en qualité de destinataire.
La société Casa China a enfin requis les services de la société Amatrans pour accomplir les formalités de transit à [Localité 3] sur la libération de la cargaison par Shipco Transport et en assurer la livraison au destinataire Wistar.
La société Amatrans a libéré la cargaison alors que le second acompte de 30% n’avait pas été payé. La société Wistar n’ayant pas acquitté le paiement complet de la marchandise, la société Casa China a été assignée par la société Zhejiang Pacific Machinery devant la cour maritime de Shangai. Par jugement du 26 octobre 2017 la juridiction chinoise a condamné la société Casa China a payer les sommes de 74 529 USD et 11 399 renminbis.
La société Casa China a ensuite versé à son client les sommes de 74 571,47 US dollars et de 11 399 renminbis et de manière concomitante a procédé à des saisies conservatoires sur des comptes bancaires détenus par Amatrans, saisies conservatoires dont elle ensuite donné mainlevée.
Le 10 juillet 2018, la société Casa China a assigné la société Amatrans devant le Tribunal de commerce du Havre en responsabilité d’une livraison non connaissementée.
La société Amatrans a elle-même assignée la société Wistar le 2 août 2018 puis, en dénonciation d’assignation en intervention forcée le 19 décembre 2019 la SARL Humeau es qualité de liquidateur judiciaire de la société Wistar.
Par jugement du 27 août 2021, le tribunal a’:
– joint l’instance 2019J00198 aux instances 2018J02954 et 2018J02963 déjà jointes par jugement avant dire droit du 14 septembre 2018′;
– dit que l’action de la société Casa China est irrecevable comme étant prescrite’;
– dit sans objet les autres demandes des parties’;
– condamné la société Casa China aux entiers dépens, ceux visés à l’article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 240,36 € et à payer à la société Amatrans Agence Maritime de Transit la somme de 2 500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Casa China LTD a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 21 octobre 2021, elle a intimé la société Amatrans Agence Maritime de Transit.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 novembre 2022.
Par note en délibéré du 30 janvier 2023, la cour a demandé aux parties de présenter leurs observations sur le moyen suivant qu’elle envisageait de soulever d’office : Dans l’hypothèse où elle déclarerait l’action recevable et retiendrait l’existence d’une faute de la société Amatrans, le préjudice qui en résulterait pour la société Casa China ne s’analyserait qu’en la perte d’une chance d’avoir échappé à l’indemnisation de son vendeur qui s’est trouvé privé de la possibilité de revendre sa marchandise.
Par note en délibéré du 23 février 2023, la société Casa China a répondu que:
* le préjudice souffert par la société Casa China renvoie précisément à la condamnation présentée à son détriment par le juge chinois, c’est à dire sans rapport direct avec une simple perte de chance ;
* le juge chinois s’en est tenu à considérer le principe même de la responsabilité du commissionnaire de transport qui était acquis et l’indemnisation à la charge de celui-ci d’un préjudice constitué par le solde du prix de la marchandise irrégulièrement livrée et restée impayée par la société Wistar ;
* l’évocation d’un préjudice qui ne serait qu’une perte de chance est sans rapport avec la nature de l’intervention de la société Casa China, les obligations en découlant à l’égard de son commettant et la condamnation prononcée contre elle dont elle tient la société Amatrans pour comptable.
Par note en délibéré du 28 février 2023, la société Amatrans à répondu que:
* la société Casa China n’a pas été condamnée par la juridiction chinoise en raison des fautes de son substitué mais uniquement en raison de ses fautes personnelles ;
* la faute prétendue de la société Amatrans ne présente de lien de causalité qu’avec le défaut de paiement du second acompte de 31 941 dollars américain ;
* s’agissant de ce second acompte, le préjudice dont la société Casa China sollicite l’indemnisation est constitué par une perte de chance de ne pas être assignée en indemnisation par la société Zhejiang Pacific Machinery CO, LTD. Cette perte de chance ne peut représenter qu’un pourcentage de la somme de 31 941 dollars américains.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 2 novembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Casa China LTD qui demande à la cour de’:
– juger recevable et bien-fondé l’appel interjeté par la Société Casa China LTD le 21 octobre 2021 du jugement du Tribunal de Commerce du Havre du 27 août 2021.
En conséquence,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé l’action de la Société Casa China irrecevable comme étant prescrite, dit sans objet les autres demandes des parties et condamné la Société Casa China au paiement d’une somme de 2.500 € en application de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
Après avoir jugé mal-fondées pour l’en débouter toutes demandes et fins contraires de la Société Amatrans,
– juger recevables et bien-fondées les demandes formées par la Société Casa China LTD à l’encontre de la Société Amatrans Agence Maritime de Transit
Et en conséquence,
– juger la Société Amatrans responsable d’une livraison non connaissementée d’une cargaison entre les mains de la Société Wistar et tenue en tant que telle d’en assurer la réparation de l’ensemble des conséquences préjudiciables.
En conséquence,
– condamner la Société Amatrans au paiement des sommes en principal de 74.571,47 US dollars 11.399 renminbis ou leur contre-valeur en euros au jour du règlement avec intérêts de droit courant à compter du 28 février 2017 et capitalisation desdits intérêts par application de l’article 1343-2 nouveau du code civil.
– condamner la Société Amatrans au paiement de la somme de 7.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la société Amatrans au paiement des entiers dépens, tant de première instance que d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 10 novembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Amatrans Agence Maritime de Transit qui demande à la cour de’:
A titre principal,
– constater que l’action de la société Casa China LTD est prescrite ;
En conséquence,
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 27 août 2021 en toutes ses dispositions ;
Subsidiairement,
– constater que la société Casa China n’a pas intérêt à agir ;
En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 27 août 2021 en ce qu’il a dit et jugé l’action de la société Casa China LTD irrecevable comme étant prescrite ;
Et, statuant à nouveau,
– déclarer l’action de la société Casa China LTD irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ;
Plus subsidiairement,
– constater que les conditions de la responsabilité contractuelle de la société Amatrans Agence Maritime de Transit ne sont pas démontrées ;
En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 27 août 2021 en ce qu’il a dit et jugé l’action de la société Casa China LTD irrecevable comme étant prescrite et dit sans objet les autres demandes des parties ;
Et, statuant à nouveau,
– débouter la société Casa China LTD de l’ensemble de ses demandes ;
Infiniment subsidiairement,
– constater que la responsabilité de la société Amatrans Agence Maritine de Transit envers la société Casa China LTD est limitée à 2 279,80 euros et, subsidiairement, à 31 941 dollars américains ;
– constater que la société Casa China LTD a commis des fautes qui ont contribué, à hauteur de 75 %, à la réalisation du dommage qu’elle allègue ;
En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 27 août 2021 en ce qu’il a dit et jugé l’action de la société Casa China LTD irrecevable comme étant prescrite et dit sans objet les autres demandes des parties ;
Et, statuant à nouveau,
– condamner la société Amatrans Agence Maritime de Transit à payer à la société Casa China LTD, au maximum, la somme de 569,95 euros et, subsidiairement, la somme de 7 985,25 euros
En tout état de cause,
– condamner la société Casa China LTD à payer à la société Amatrans Agence Maritime de Transit la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner la société Casa China LTD aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION’:
Sur la recevabilité de l’action’:
Sur la prescription’:
La société Amatrans soutient que’:
* l’action de la société Casa China est prescrite au regard de la prescription annale de ses conditions générales de vente’; ces conditions sont opposables à la société Casa China en raison de leurs relations d’affaires suivies, sans qu’elle ait à prouver l’acceptation par son client, de ces conditions générales. L’existence de relations d’affaires suivies ressort des écritures mêmes de la société Casa China.
La société Amatrans soutient encore que’:
* l’action de la société Casa China est prescrite au regard des dispositions de l’article L133-6 du code de commerce’; elle est intervenue en qualité de commissionnaire de transport chargée de l’organisation de la partie terrestre du transport, et non en qualité de transitaire soumise aux instruction de son mandant.
* elle n’a aucunement reconnu sa responsabilité, et à supposer que le courriel du 14 septembre 2016 de son salarié soit interruptif de prescription, un nouveau délai d’un an a commencé à courir à compter de cette date, délai qui a expiré le 15 septembre 2017, de sorte que l’action diligentée le 10 juillet 2018 est prescrite.
La société Casa China répond que’:
* la prescription des conditions générales de vente de la société Amatrans ne lui est pas opposable’; elle n’a jamais adhéré à ces conditions qui n’ont pas été portées à sa connaissance avant la relation commerciale. Il n’est pas rapporté la preuve par la société Amatrans de l’existence d’une relation d’affaires suivie et ancienne.
* la prescription annale de l’article L133-6 du code de commerce n’est pas applicable dès lors que la société Amatrans est intervenue en qualité de transitaire, mandat soumis au droit commun de la prescription quinquennale.
Réponse de la cour’:
Sur la prescription annale des conditions générales de vente’:
Il ressort de la facture du 2 septembre 2016 adressée par la société Amatrans à la société Wistar que la société Amatrans a adhéré à la Fédération des Entreprises de Transport et Logistique de France
Aux termes de l’article 11 des conditions générales de vente régissant les opérations effectuées par les opérateurs de transport et/ou de logistique ayant adhéré à la Fédération «’Toutes les actions auxquelles le contrat conclu entre les parties peut donner lieu sont prescrites dans le délai d’un an à compter de l’exécution de la prestation litigieuse dudit contrat et en matière de droits et taxes recouvrés a posteriori à compter de la notification de redressement’»
Le contrat entre les sociétés Casa China et Amatrans ressort du connaissement du 30 juillet 2016 où la société Casa China apparaît en qualité de transporteur (as carrier) et la société Amatrans en qualité d’Agent. Ce lien contractuel ressort encore du second connaissement du 30 juillet 2016 établi par la société Shipco Transport où la société Casa China apparaît comme chargeur (shipper exporter) et la société Amatrans comme destinataire-importateur ( consignee).
La société Amatrans ne justifie aucunement d’avoir porté ses conditions générales de vente à la connaissance de la société Casa China avant la naissance du lien contractuel.
Elle ne démontre pas davantage l’existence d’un lien de commerce habituel, la seule rédaction des écritures de la société Casa China, dans lesquelles celle-ci expose qu’elle a recouru au service de son agent Amatrans, ne sont pas à elles seules suffisantes à rapporter l’existence de ce lien.
Il en résulte que la prescription annale des conditions générales de vente de la société Amatrans n’est pas opposable à la société Casa China.
Sur la prescription légale applicable à l’action de la société Casa China’:
Aux termes de l’article L133-6 du code de commerce’: «’Les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d’un an, sans préjudice des cas de fraude ou d’infidélité.
Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l’expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l’article 1269 du code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d’un an.’»
Le commissionnaire de transport jouit de la liberté des choix et des moyens pour exécuter sa mission tandis que le transitaire est un mandataire qui obéit directement aux instructions de son mandant.
La société Amatrans verse aux débats une facture proforma qui précise que le transport de la marchandise part de [Localité 7] à destination de la France. Cette facture étant datée du 31 mars 2016 et signée du fournisseur (la société Zhejiang Pacific Machinery) et de l’acquéreur de la marchandise (la société Wistar), elle rapporte la preuve de l’intention contractuelle des deux signataires. Par ailleurs, la ville d'[Localité 3] à l’exclusion de tout autre lieu de livraison est mentionnée sur la facture du 21 juillet 2016 adressée par le vendeur à la société Wistar, le connaissement n°CNSHA099413 établi par la société Casa China, le second connaissement, établi par la société Shipco Transport.
Le 2 septembre 2016, la société Amatrans a émis une facture à destination de la société Wistar pour l’importation du fret, «’BLS’», le déchargement rechargement, les frais de douane, et la livraison à [Localité 6] .
Il ressort d’une lettre du 4 septembre 2018 adressée par le gérant de la société Wistar au conseil de la société Amatrans que le destinataire final de la marchandise était un client de la société Wistar à qui la société Amatrans de sa propre initiative, a livré directement la marchandise. La société Wistar a joint différentes pièces à son courrier dont un courriel qu’elle a envoyé le 11 juillet 2017 à M. [Y], représentant la société Casa China dans le cadre de la recherche d’un accord précontentieux. Le représentant de la société Wistar y écrit «’Je tiens à préciser que si la marchandise était restée au port du [Localité 4] comme cela devait être le cas, puisque le fournisseur n’avait pas donné son feu vert pour libérer cette marchandise, nous aurions eu la possibilité de renvoyer la marchandise (‘.) et ne serions pas dans cette situation’».
Nonobstant l’erreur de plume sur le port du [Localité 4] au lieu de celui d'[Localité 3], il ressort de ces éléments et en premier lieu que la société Amatrans n’a pas livré la marchandise à [Localité 5] (Vendée), siège social de la société Wistar mais au client de celle-ci, à [Localité 6] (Manche). Il en ressort en second lieu que le lien contractuel initial entre le vendeur et l’acquéreur Wistar concernait une vente à destination de la France,’mais que la société Casa China n’est intervenue dans l’opération de transport que pour la partie Shangai-[Localité 3] où la marchandise devait être livrée. Il en résulte que le lien contractuel entre les sociétés Casa China et Amatrans qui figure sur le connaissement CNSHA099413 en qualité d’agent du transporteur était circonscrit à ce trajet [Localité 7]-[Localité 3] et à la livraison à la société Wistar au port d'[Localité 3], à l’exclusion de tout transport terrestre. Si la société Amatrans avait pour le compte de la société Wistar reçu initialement comme mission de livrer au client de celle-ci, cette mission n’était aucunement entrée dans le champ contractuel avec la société Casa China. Il en résulte que la société Amatrans ne peut opposer utilement à la société Casa China sa qualité de commissionnaire de transport pour les opérations effectuées entre [Localité 3] et [Localité 6].
Ainsi, l’action de la société Casa China contre la société Amatrans n’est pas dirigée contre un commissionaire de transport, laissé libre par son donneur d’ordre d’organiser les moyens et mode de livraison, mais contre son agent qui en qualité de transitaire, devait remettre la marchandise à la société Wistar aux lieu et place du transporteur. Cette action qui ne trouve pas son origine dans le contrat de transport mais dans celui de mandat donné par le transporteur à son agent est soumise à la prescription quinquennale de l’article L110-4 du code de commerce. La marchandise ayant été livrée au mois de septembre 2016, Le délai de prescription n’était pas expiré lorsque l’action a été diligentée le 10 juillet 2018.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a dit que l’action de la société Casa China est irrecevable comme étant prescrite.
Sur l’intérêt pour agir de la société Casa China’:
La société Amatrans soutient que la société Casa China ne démontre pas que le jugement du 26 octobre 2017 du tribunal maritime de Shangai est définitif, de sorte qu’elle ne rapporte pas la preuve d’un intérêt à agir né et actuel
La société Casa China expose qu’elle a été condamnée par la juridiction chinoise à indemniser le fournisseur et qu’elle n’a pas exercé de recours’; qu’elle dispose dès lors d’un intérêt à agir en responsabilité contre la personne qu’elle estime à l’origine de son dommage.
Réponse de la cour’:
Il résulte des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il ressort de la décision du 26 octobre 2017 de la juridiction chinoise, librement traduite en français mais dont la fidélité de la traduction n’est pas contestée, que ce jugement est susceptible de recours dans le délai de quinze jours suivant sa signification. La société Casa China qui a été condamnée à la somme principal de 74 529 USD et 11 399 CNY justifie d’avoir acquitté le 15 décembre 2017 la somme de 574 571,17 USD et 11 399 CNY.
Plus de cinq ans après ce paiement la société Amatrans qui supporte sur ce point la charge de la preuve ne démontre pas que le jugement a été frappé d’un recours.
Il en résulte que la société Casa China, qui a subi le dommage résultant de la condamation présente un intérêt à agir contre la personne qu’elle estime responsable de son préjudice.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré l’action de la société Casa China irrecevable et cette action sera déclarée recevable.
Sur la responsabilité de la société Amatrans’:
Sur l’existence d’une faute’:
La société Casa China soutient que’:
* le connaissement qu’elle a émis le 30 juillet 2016 est nominatif. Ce mode opératoire ne dispensait nullement la société Amatrans de retenir la livraison en l’absence de remise par la société Wistar de l’original du connaissement, seule preuve de la réalité du paiement’; il est indifférent que la société Casa China n’ait pas remis l’original du connaissement à son donneur d’ordre et qu’elle n’ait pas transmis à la société Amatrans de l’information de retenir la livraison.
* la société Amatrans a spontanément reconnu sa responsabilité par un aveu sans équivoque’;
* la société Amatrans a commis une faute inexcusable qui fait obstacle à ce qu’elle invoque une limite de sa responsabilité.
La société Amatrans répond que’:
* elle n’a pas manqué à ses obligations contractuelles dès lors que le connaissement était nominatif. Ce connaissement n’est pas négociable de sorte qu’il pouvait être remis à la société Wistar sans que soit exigé qu’elle présente l’original du connaissement.
* il ressort du jugement de la juridiction chinoise que la société Casa China n’avait pas remis l’original du connaissement au vendeur, de sorte qu’en tout état de cause la société Zhejiang Pacific Machinery n’aurait pas pu la remettre à la société Wistar en contrepartie du paiement’; il résulte de cette absence de remise de l’original au vendeur que la société Casa China reconnaît que la livraison pouvait être faite sans que soit exigé du destinataire l’original du connaissement. Cette possibilité est encore corroborée par le fait que la venderesse a cru utile d’interdire à la société Casa China de remettre la marchandise lorsqu’elle a constaté qu’elle n’avait pas été payée.
* le courriel du salarié de la société Amatrans qui déclare que c’est par erreur «’de nos services’» que la marchandise a été remise et livrée au destinataire ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité et encore moins un aveu’;
* si la cour retenait la responsabilité de la société Amatrans, cette responsabilité est limitée par les fautes de la société Casa China qui avait été informée de la volonté de la société Zhejiang Pacific Machinery de retenir la livraison, et ne lui a pas répercuté cette information.
* il résulte de ses conditions générales de vente que sa responsabilité ne peut être engagée au-delà du montant de sa prestation, soit 2 279,80 €.
Réponse de la cour’:
Le mode opératoire consiste pour le transporteur à émettre un connaissement, le transmettre en original au vendeur qui, à réception du paiement le transmettra en original au destinataire qui lui même le présentera avant la livraison en preuve du paiement.
Dans deux couriels des 14 septembre et 8 novembre 2016, M. [H], salarié de la société Amatrans, déclare que la marchandise a été remise par erreur au destinataire sans l’accord du chargeur’; que l’original du connaissement n’a jamais été délivré. A défaut de tout élément justifiant que ce salarié avait le pouvoir de reconnaitre une responsabilité au nom de la personne morale, ces déclarations ne constituent pas une reconnaissance de responsabilité ou un aveu de faute de la personne morale. Mais il y est reconnu le fait d’une livraison sans original du connaissement. La réalité de ce fait est corroboré par la lettre du 4 septembre 2018 de la société Wistar au conseil de la société Amatrans «’C’est donc sans avoir la moindre instruction ni les documents nécessaires pour le faire que la société Amatrans a livré la totalité de la marchandise à mon client final.’», et les documents qui accompagnent cette lettre.
La preuve est ainsi rapportée que la société Amatrans a délivré la marchandise sans que l’original du connaissement qui constitue la preuve du paiement lui ait été présenté’.
Il est constant entre les parties que le connaissement émis par la société Casa China est nominatif. Contrairement au connaissement au porteur le connaissement nominatif ne peut être endossé, le transfert de la marchandise ne pouvant se faire que par cession. Mais le connaissement nominatif ne dispense pas le transporteur ou son mandataire d’exiger du destinataire la remise de l’original avant de livrer la marchandise. L’instruction donnée par la société Zhejiang Pacific Machinery au transporteur de ne pas livrer la marchandise n’est qu’une diligence supplémentaire qui ne modifie pas le mode opératoire.
Il ressort de l’extrait Kbis de la société Amatrans qu’elle est spécialiste du transport terrestre et maritime de marchandises. Elle connaissait ainsi le mode opératoire et devait en tout état de cause retenir la livraison à défaut de présentation de l’original du connaissement ou d’instructions précises de livraison. Il en résulte que la société Casa China n’avait pas l’obligation de lui transmettre l’instruction du chargeur de ne pas délivrer la marchandise et que cette omission n’est pas de nature à exonérer la société Amatrans de sa responsabilité. De même, la circonstance que la société Casa China n’ait pas remis à la société Zhejiang Pacific Machinery l’original du connaissement n’était pas de nature à dispenser la société Amatrans de l’obligation s’assurer du paiement avant toute livraison. Enfin, il a été exposé plus haut que les conditions générales de ventes de la société Amatrans n’étaient pas opposables à la société Casa China, de sorte que le transitaire ne peut utilement les invoquer pour limiter l’étendue de sa responsabilité.
En livrant la marchandise sans aucune vérification, la société Amatrans a commis une faute engageant sa responsabilité envers son mandant et doit l’indemniser intégralement du préjudice qui en résulte.
Sur le dommage et le lien de causalité avec la faute:
La société Amatrans soutient que’:
* si la juridiction chinoise a retenu la responsabilité de la société Casa China, ce n’est pas en raison d’une livraison sans présentation du connaissement original mais parce qu’elle n’a pas informé la société Zhejiang Pacific Machinery des mouvements de la marchandise et l’a livrée alors que la société venderesse lui avait expressément interdit de le faire.
* la société Wistar avait payé 30’% de la marchandise à la commande et aurait dû acquitter 30’% avant la livraison, et le solde 30 jours après la livraison. Dès lors, si la cour retient une faute de la société Amatrans, celle-ci ne présente pas de lien de causalité avec l’absence de paiement du solde de la facture qui ne devait pas être payé à la livraison. Par voie de conséquence, le seul préjudice indemnisable est celui résultant de l’absence de paiement de l’acompte dû avant la livraison.
La société Casa China soutient que’:
* en vertu du principe de relativité des contrats, la société Amatrans ne peut, pour échapper à sa responsabilité faire état du contrat de vente.
* en procédant à la livraison irrégulière de la marchandise, la société Amatrans a définitivement compromis le recouvrement de la totalité des sommes demeurant dues par la société Wistar à la société venderesse.
* la livraison irrégulière de la marchandise a eu pour effet de soustraire celle-ci à sa conservation par le vendeur en le privant d’une revente par hypothèse à un tiers, dont le produit se serait élevé a minima à hauteur de la totalité de l’impayé par la société Wistar, soit la somme de 74 571,47 USD.
Réponse de la cour’:
La société Casa China demande la condamnation de la société Amatrans à un paiement équivalent aux sommes qu’elle a payées à son donneur d’ordre en exécution du jugement du 26 octobre 2017 de la cour maritime de Shangai, soit 74 571,41dollars américains et 11 399 renminbis ou de leur contre valeur en euros. Ainsi qu’il a été exposé plus haut, à défaut pour la société Amatrans de justifier que le jugement de la juridiction chinoise n’est pas définitif, elle ne peut se prévaloir utilement de la possibilité d’un recours pour alléguer que la société Casa China ne subi aucun préjudice certain.
La juridiction chinoise a considéré qu’un contrat de transport de fret maritime valide et effectif avait été conclu entre les sociétés Zhejiang Pacific Compagny et Casa China. Elle a retenu que la société Casa China qui n’avait pas remis à la société Zhejiang Pacific Compagny le jeu complet du connaissement original concerné et ne l’avait pas informée en temps voulu du mouvement et de l’état de la cargaison’; qu’il en était résulté pour la société venderesse la perte du contrôle de sa cargaison et l’impossibilité de récupérer le paiement du solde de sa marchandise.
Le moyen tiré de ce que la livraison irrégulière de la marchandise a eu pour effet de soustraire celle-ci à sa conservation par le vendeur en le privant d’une revente par hypothèse à un tiers, s’analyse comme la perte d’une chance d’avoir échappé à l’indemnisation de son vendeur qui aurait pu recouvrer le prix de sa marchandise à l’issue d’une revente.
Il ressort de la lettre déjà citée plus haut de la société Wistar au conseil de la société Amatrans qu’entre le paiement du premier acompte et la livraison elle a connu une difficulté financière mettant en péril sa survie et mettant un terme aux lignes de crédit accordées par sa banque’; qu’à la réception de la marchandise, son client a aussitôt effectué le règlement sur le compte de la société Wistar mais «’que la situation de Wistar était telle qu’il était impossible de ressortir le moindre centime du compte puisqu’il présentait toujours un découvert important et que la banque n’accordait plus à Wistar la moindre facilité.’» Il ressort de cette lettre que ce n’est pas la livraison irrégulière qui a empêché le recouvrement du paiement par la société venderesse, mais l’incurie dans laquelle se trouvait la société Wistar. En revanche, la livraison irrégulière, au surplus à un tiers non mentionné sur le connaissement a eu pour effet de soustraire la marchandise à la conservation du vendeur et de le priver d’une possibilité de revente. Ainsi, la faute de la société Amatrans a privé la société Casa China d’une chance d’échapper à l’assignation devant une juridiction et au paiement des sommes de 74 571,41 dollars américains et 11 399 renminbis.
L’indemnisation d’une perte de chance n’est pas équivalente à l’avantage qui aurait été tiré si l’événement manqué s’était réalisé. Compte tenu des aléas qui président à toute vente, et de la possibilité pour la société venderesse de demander à son transporteur le remboursement des coûts de commission de transport même en cas de revente, le préjudice résultant de la perte de chance de n’avoir pas été condamnée à indemniser la société venderesse chinoise sera de 80’% du montant des sommes versées en exécution du jugement du 26 octobre 2017.
La société Amatrans sera condamnée à payer à la société Casa China la contre valeur en euros au jour du règlement des sommes de 59 657,17 USD et
9 119,20 RMB.
Il résulte des dispositions de l’article 1231-7 du code civil que les intérêts de retard d’une indemnité prononcée en cause d’appel après infirmation du jugement courent à compter de la décision d’appel. Aucune circonstance particulière ne justifie qu’il soit dérogé à ces dispositions. Par voie de conséquence, les intérêts de retard sur ces sommes courront au taux légal de l’euro à compter du présent arrêt. Ces intérêts seront capitalisés dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS’:
La cour, statuant par arrêt contradictoire’;
Infirme le jugement entrepris sauf en en ce qu’il a’ joint l’instance 2019J00198 aux instances 2018J02954 et 2018J02963 déjà jointes par jugement avant dire droit du 14 septembre 2018′;
Statuant à nouveau’:
Déclare l’action de la société Casa China contre la société Amatrans recevable’;
Condamne la société Amatrans Agence Maritime de Transit à payer à la société Casa China LTD la contre valeur en euros au jour du règlement des sommes de
59 657,17 USD (dollars américains) et 9 119,20 RMB (renminbis), outre intérêts au taux légal de l’euro à compter du présent arrêt.
Dit que les intérêts de retard seront capitalisés dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la date du présent arrêt’;
Déboute la société Casa China LTD du surplus de ses demandes’;
Y ajoutant’;
Condamne la société Amatrans Agence Maritime de Transit aux dépens de première instance et d’appel’;
Condamne la société Amatrans Agence Maritime de Transit à payer à la société Casa China LTD la somme de 6 000 € au titre de ses frais de première instance et d’appel.
La greffière, La présidente,