Conditions Générales de Vente : 7 février 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00633

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Conditions Générales de Vente : 7 février 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/00633
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ARRET N°

du 07 février 2023

N° RG 22/00633 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FEWF

S.A. LA POSTE

c/

S.A. ETS RIDREMONT ET LA BROSSERIE NOUVELLE REUNIS

Etablissement Public AFPA DES ADULTES . AFPA

Formule exécutoire le :

à :

Me Elizabeth BRONQUARD

la SCP DUPUIS LACOURT MIGNE

Me Justine POTIER

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 07 FEVRIER 2023

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 15 février 2022 par le Tribunal de Commerce de sedan

S.A. LA POSTE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Elizabeth BRONQUARD, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et la SELARL MINIER MAUGENDRE &

ASSOCIEES intervenant par le ministère de Me Dominique MINIER

Avocat au Barreau de SEINE SAINT-DENIS, avocat plaidant

INTIMEES :

S.A. ETS RIDREMONT ET LA BROSSERIE NOUVELLE REUNIS prise en la personne de son représentant légal, domicilié de droit audit siège

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Emeric LACOURT de la SCP DUPUIS LACOURT MIGNE, avocat au barreau des ARDENNES

Etablissement Public AFPA DES ADULTES . AFPA

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Justine POTIER de la SELARL JURILAW AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau des ARDENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame MEHL-JUNGBLUTH présidente de chambre, et Mme PILON conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Mme Sandrine PILON, conseillère

Mme Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et Madame Eva MARTYNIUK greffière lors du prononcé.

DEBATS :

A l’audience publique du 13 décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 février 2023,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 07 février 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH présidente de chambre, et Madame Eva MARTYNIUK, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

L’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes (l’AFPA) a lancé un appel d’offres pour la fourniture et la livraison de brosseries destinées à la peinture et aux revêtements muraux pour l’ensemble de ses sites.

La date limite de remise des offres était fixée au 8 décembre 2017 à 16 heures.

Se plaignant de ce que sa candidature n’a pas été retenue par l’AFPA au motif que la lettre qui la contenait est arrivée hors délai, la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis a fait assigner la SA La Poste devant le juge des référés aux fins d’expertise.

L’expertise a été ordonnée le 27 décembre 2018, le technicien ayant pour mission de donner tous éléments de fait permettant à la juridiction le cas échéant saisie au fond de déterminer la date à laquelle l’AFPA a reçu le pli qui lui a été adressé par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis, de décrire précisément la procédure au terme de laquelle La Poste présente successivement à la signature du destinataire des plis qu’elle remet un avis de réception papier et électronique et de fournir les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les responsabilités encourues et d’évaluer le préjudice subi.

Le 10 décembre 2018, la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis a fait assigner La Poste devant le tribunal de commerce de Sedan afin d’obtenir des dommages intérêts.

La Poste a fait délivrer une assignation en intervention forcée à l’AFPA le 21 décembre 2019.

Par jugement du 15 février 2022, le tribunal de commerce de Sedan a déclaré irrecevable la demande de La Poste en intervention forcée ainsi que sa demande reconventionnelle d’appel en garantie de l’AFPA, condamné La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 99 373.50 euros au titre de dommages intérêts, ainsi que celle de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens liquidés à la somme de 84.48 euros en elle compris le coût du jugement, mais non celui des assignations auquel elle est également tenue.

Le tribunal a considéré que tous les aspects internes et réglementaires afférents à l’appel d’offre et à sa procédure sont régis par le codes des marchés publics et que les litiges éventuels sont uniquement de la compétence du tribunal administratif.

Il a retenu que la lettre était parvenue sur site dans les temps, de sorte que les considérations de délais ne pouvaient être retenues, seule la traçabilité et les défauts dans le respect du processus devant l’être. Elle a relevé que les conditions générales de La Poste et ses conditions spécifiques de vente applicables à la lettre recommandée stipulent expressément que la lettre doit être remise en main propre du destinataire et que cela n’avait pas été le cas, la lettre ayant été remise au gardien de l’immeuble, qui n’était pas mandaté.

Il a en outre considéré que La Poste avait manqué au contrat passé entre elle et l’AFPA quant aux modalités de réception des courriers recommandés.

Pour l’évaluation du montant de la réparation, il a retenu que le courrier n’avait subi aucun dommage, seules les conditions de la remise portant à conséquence, que l’article L7 des conditions générales et particulières de La Poste ne pouvait être opposé.

Il a retenu l’existence d’une perte de chance en considération du fait que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis avait été fournisseur de l’AFPA de 2013 à 2017 et qu’elle l’était redevenue en 2019. Il a évalué le préjudice de celle-ci à la perte de marge brute durant deux années.

La SA La Poste a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 mars 2022, en intimant la SA Ets Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis, ainsi que l’AFPA.

Par conclusions notifiées le 1er juin 2022, la SA La Poste demande à la cour d’appel de :

Réformer ou annuler tous les chefs du jugement lui portant grief, ainsi que ceux qui en dépendent et particulièrement en ce qu’il a :

Déclaré irrecevable sa demande en intervention forcée ainsi que sa demande reconventionnelle d’appel en garantie de l’AFPA,

Condamné la SA La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis la somme de 99 373.50 euros au titre de dommages intérêts,

Condamné la SA La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

En conséquence, débouter la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis et l’AFPA de l’intégralité de leurs demandes envers elle,

A titre subsidiaire,

Limiter le montant de l’indemnisation à 16 euros conformément aux dispositions contractuelles,

Condamnée l’AFPA à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

En toute hypothèse, condamner solidairement la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis et l’AFPA au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

La Poste soutient que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis est à l’origine de la perte de chance qu’elle revendique faute d’avoir respecté les modalités de dépôt prévues dans l’appel d’offre, parce qu’elle a été peu diligente dans les délais d’expédition de son offre, qu’elle a adressée le 5 décembre 2017 par courrier recommandé, alors que l’offre devait être reçue au plus tard le 8 décembre 2017, étant rappelé que la lettre recommandée n’est pas assortie d’un délai garanti. La poste ajoute que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis n’a pas exercé le recours légal dont elle bénéficiait.

Elle conteste par ailleurs avoir commis une faute en ce que la lettre recommandée n’est pas un produit à délai garanti, en ce qu’il n’est pas contesté qu’elle a bien procédé à l’acheminement et à la remise du pli et en ce qu’elle n’a commis aucune faute sur la date de présentation, qui se situe le 8 décembre 2017, l’accusé de réception portant la date du 11 décembre uniquement du fait de l’AFPA, qui a inscrit une date ne correspondant pas à la réalité.

La Poste affirme que la discordance de date est de la seule responsabilité de l’AFPA et conteste avoir commis une faute contractuelle envers celle-ci, dont la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis pourrait se prévaloir sur un fondement délictuel. Elle affirme que l’AFPA ne peut prétendre ne pas avoir reçu le pli le 8 décembre 2017 alors que son mandataire a signé le bordereau de réception, qui fait foi pour l’ensemble des numéros d’objets inscrits, le même 8 décembre. Elle estime que l’AFPA a commis une faute contractuelle envers elle en appliquant une date différente lors de la remise des objets puis lors de la signature des accusés de réception aux fins de retour dans ses services et ce, en contradiction avec les conditions générales du contrat de remise conclu entre elles. Elle soutient que ce fait fautif du tiers est opposable à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis en application de ses conditions spécifiques de vente.

Elle soutient que son recours en garantie contre l’AFPA relève de la compétence du juge judiciaire en faisant valoir qu’elle ne forme aucune demande fondée sur le code des marchés publics, devenu le code de la commande publique, mais qu’elle invoque un manquement de cet établissement public industriel et commercial (EPIC) aux stipulations du contrat qu’elles ont conclu, relevant des articles 1217 et suivants du code civil.

Très subsidiairement, elle invoque les clauses de ses conditions spécifiques de vente Lettre recommandée, qui prévoient un plafonnement de sa responsabilité à 16 euros pour le niveau de garantie choisie par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis (taux R1). Elle affirme que ces conditions sont opposables à celle-ci dès lors qu’elles sont reprises au verso de la liasse du recommandé, sont affichées en Bureau de Poste et accessibles sur internet. Elle rappelle que le législateur a expressément prévu les conditions d’information des utilisateurs d’envois postaux sur les limitations éventuelles de responsabilité. Elle fait valoir que la limitation contractuelle de sa responsabilité vaut, toutes causes confondues et non pas uniquement pour les pertes et avaries.

Elle conteste en outre toute faute lourde de sa part en soutenant que la faute invoquée par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis, soit un prétendu manquement dans la traçabilité, ne démontre pas son inaptitude à exercer sa mission.

La Poste estime que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis ne rapporte pas la preuve de son préjudice. Elle fait valoir que le marché litigieux était un accord cadre, sans montant. S’agissant de la perte de marges invoquée par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle réunis, elle fait observer que la marge réalisée par celle-ci avec l’AFPA diminuait régulièrement, que cette société a continué à travailler avec l’AFPA en 2018 et que la marge perçue pour cette dernière année devrait être déduite du calcul de son préjudice effectué à partir de la marge brute réalisée en 2017.

Par conclusions transmises le 29 août 2022, la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis sollicite :

La confirmation du jugement en ce qu’il condamne La Poste à lui payer les sommes de 99 373.50 euros à titre de dommages intérêts, ainsi que celle de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

L’infirmation du jugement en ce qu’il n’inclut pas aux dépens mis à sa charge ceux de l’instance ayant donné lieu à ordonnance de référé du 27 décembre 2018 ainsi que les frais d’expertise ordonnés par cette décision,

La condamnation de La Poste en tous les dépens de la procédure, en ceux compris les dépens de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 27 décembre 2018 ainsi que les frais de l’expertise ordonnée par cette décision,

La condamnation de La Poste à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 d code de procédure civile.

Elle reproche trois fautes à La Poste :

Le fait de ne pas avoir remis le pli recommandé à l’AFPA, mais à une hôtesse se trouvant au bas de la tour dans laquelle elle est domiciliée parmi d’autres sociétés et qui n’est ni préposée, ni salariée de cet organisme,

L’absence de traçabilité et de fiabilité du process de La Poste, l’avis de réception papier mentionnant une réception de la lettre le 11 décembre 2017, tandis que le suivi numérique affichait celle du 8 décembre 2017, seul le rapport d’expertise ayant permis d’établir que l’offre avait bien été remise le 8 décembre 2017,

L’AFPA a conclu avec La Poste un contrat de collecte de courrier dont l’annexe 1 prévoit expressément que la sacoche contenant les objets recommandés qui doivent être remis à l’AFPA sont remis à une personne accréditée, or l’AFPA délègue la signature du bordereau de remise de courrier avec AR à l’hôtesse d’accueil et La Poste a accepté cette délégation de manière fautive et que sa négligence a permis que ce soit l’AFPA qui appose, de manière erronée, la date du 11 décembre 2017 sur l’avis de réception.

Pour caractériser son préjudice, la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis invoque le caractère suivi de ses relations d’affaires avec l’AFPA, qu’elle a fournie à compter de juillet 2013, jusqu’au 5 juillet 2017, avant de remporter le marché public le 18 septembre 2019. Elle explique qu’elle réalisait une marge moyenne de 49 686.75 euros pendant ces quatre années.

En réponse aux moyens de La Poste, elle affirme que le marché n’excluait que la télécopie comme mode de transmission et non la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, que l’absence de garantie de délai n’est pas en cause dès lors qu’elle ne reproche pas à celle-ci un manque de célérité mais d’avoir remis son courrier à un tiers et non à son destinataire, qu’elle n’avait aucune obligation d’agir en contestation d’un marché public délivré par un de ses clients, dont elle est toujours le fournisseur et parce qu’elle n’a appris que le 2 juillet 2018, soit hors délai pour agir, que son pli n’avait pas même été ouvert faute d’être recevable selon l’AFPA.

Elle soutient que les conditions spécifiques de la lettre recommandée invoquée par La Poste ne lui sont pas opposables, faute de lui avait été remises préalablement à la conclusion du contrat et qu’elles doivent en outre être écartée en cas de faute lourde comme en l’espèce, la mission de La Poste consistant non seulement à remettre le pli dans des délais raisonnables, mais également de le faire dans des conditions de certitude satisfaisantes s’agissant de la date de remise.

Elle ajoute que l’article L7 du code des postes et communication électronique ne trouve pas à s’appliquer dès lors que son courrier n’a pas été perdu, ni dégradé.

Elle conteste par ailleurs avoir manqué de diligence en faisant valoir qu’elle a remis sa lettre recommandée le 5 décembre, de sorte qu’elle estime que La Poste était en mesure de la remettre le 8 décembre.

Par conclusions notifiées le 4 août 2022, l’AFPA demande à la cour d’appel de :

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Débouter La Poste de toutes ses demandes,

Condamner celle-ci à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle affirme qu’elle n’a pas reçu l’offre de la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis dans les délais.

Elle fait valoir que la présente espèce porte sur un appel d’offre de marché public et que toute contestation relative à ce marché relève de la compétence du tribunal administratif, de sorte que la cour d’appel est incompétente pour traiter de toutes demandes découlant de l’appel d’offre, fût-ce indirectement par l’appel en garantie de La Poste.

Elle admet ne pouvoir que constater l’état de fait invoqué par La Poste en ce que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis a adressé une offre tardivement et en ce qu’elle n’a pas fait appel à un prestataire ou à un coursier susceptible de remplir les obligations posées par l’appel d’offres pour effectuer le dépôt de l’offre sous forme papier.

Elle s’oppose à l’appel en garantie formé contre elle en soutenant qu’elle n’a donné aucune délégation ou mandat à un service de l’immeuble et que c’est le préposé de La Poste qui, par commodité, a fait signer le gardien du hall d’entrée le bordereau de réception du pli, qu’elle n’a reçu que le 11 décembre 2017. Elle rappelle les termes de l’annexé 1 du contrat de collecte qu’elle a conclu avec La Poste en ce qu’il prévoit que les objets recommandés et le bordereau de distribution sont remis à une personne accréditée. Elle estime que la remise à une personne non accréditée ne décharge par La Poste.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la SA La Poste

Selon l’article L7 du code des postes et des communications électroniques, la responsabilité des prestataires de services postaux au sens de l’article L. 1 est engagée dans les conditions prévues par les articles 1103, 1104, 1193 et suivants, et 1240 et suivants du code civil à raison des pertes et avaries survenues lors de la prestation.

Toutefois, cette responsabilité tient compte des caractéristiques des envois et des tarifs d’affranchissement selon des modalités fixées par un décret en Conseil d’Etat qui détermine des plafonds d’indemnisation.

L’article 1231-1 du code civil prévoit que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Il résulte des conditions générales de vente de la SA La Poste et de ses conditions spécifiques de vente applicables à la Lettre recommandée nationale que la lettre recommandée avec demande d’avis de réception doit être remise, contre signature, à son destinataire ou son mandataire.

L’avis de réception du courrier de candidature adressé à l’AFPA par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis porte la date du 11 décembre 2018.

L’expert judiciaire affirme toutefois, en se fondant sur le bordereau de remise, que le courrier de candidature adressé à l’AFPA par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis a été reçu à l’adresse du destinataire le 8 décembre 2017, ce que l’information de suivi numérique du site internet de La Poste confirme.

Ainsi que cela résulte du rapport d’expertise, le bail signé par l’AFPA stipule que La Poste effectue deux passages dans la journée, la dépose vers 10h00 et la levée vers 16h00, que le courrier est mis à disposition par les hôtesses d’accueil pour chaque locataire qui a à sa charge la récupération des plis. Il est en revanche prévu que les lettres recommandées sont réceptionnées directement par chaque locataire.

L’expert judiciaire explique la différence de date figurant sur l’avis de réception, d’une part et le bordereau de remise et le suivi électronique d’autre part par une pratique ayant cours au sein de l’immeuble où se trouvent les services de l’AFPA, consistant pour l’agent de La Poste, en l’absence d’un employé de l’AFPA, à faire signer le bordereau de remise de courrier avec AR à l’hôtesse d’accueil. L’avis de réception est signé, par la suite, au sein mêmes des services de l’AFPA, après que le courrier recommandé a été récupéré par celle-ci dans le local courrier, ce qui explique l’intervalle de temps entre les dates figurant sur le bordereau de remise et l’avis de réception.

La SA La Poste se prévaut de l’avis de l’expert selon lequel l’AFPA aurait, de fait, délégué la signature du bordereau de remise à l’hôtesse d’accueil, ce que l’AFPA conteste.

La preuve de l’existence d’un mandat, fût-il tacite, est soumise aux règles du droit commun de la preuve, résultant des articles 1359 et suivants du code civil. Or le mandat dont la SA La Poste se prévaut porte sur la réception contre signature des plis recommandés et ne porte donc pas sur une valeur déterminée, de sorte qu’une preuve littérale est nécessaire (Cass. civ., 9 mai 1904 : DP 1904, 1, p. 310).

La SA La Poste ne produit pas de preuve écrite du mandat qu’elle invoque. Elle ne justifie donc pas avoir remis le pli que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis lui a confié, à son destinataire en le déposant auprès de l’hôtesse d’accueil. Il est donc ainsi établi qu’elle a manqué à ses obligations contractuelles.

Elle ne peut utilement invoquer, pour s’exonérer de toute responsabilité, le fait que la prestation de remise du courrier est exclusive de toute remise du courrier dans les étages dès lors que ses propres conditions spécifiques de vente prévoient qu’en cas d’impossibilité de remettre une lettre recommandée nationale contre signature de son destinataire ou de son mandataire, un avis de passage est déposé par le préposé à la distribution dans la boite aux lettres du destinataire, et la lettre recommandée est mise en instance pour une durée de 15 jours calendaires courant à compter du lendemain de la première présentation. Il appartenait dès lors à l’agent de La Poste de procéder conformément à ces dispositions.

La remise du pli recommandé de la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis à un représentant de l’AFPA ou à une personne dûment habilitée pour la représentée aurait permis d’éviter la distorsion observée entre les dates figurant sur le bordereau et le site numérique de suivi, d’une part et l’avis de réception, d’autre part. La SA La Poste ne peut donc invoquer le fait de l’AFPA consistant à apposer sur l’avis de réception une date ne correspondant pas à la vérité, alors qu’il s’agit bien de la date à laquelle cet organisme a effectivement reçu le courrier.

L’appel d’offre de l’AFPA permet la transmission des candidatures sous forme papier, transmise par tout moyen permettant de déterminer de façon certaine la date et l’heure de sa réception et garantir sa confidentialité. Il n’exclut pas la transmission par voie postale. Et l’expertise judiciaire a permis d’établir que le courrier recommandé avec demande d’avis de réception expédié par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis était parvenu à l’adresse de l’AFPA le 8 décembre 2017, dans la matinée, soit dans les temps impartis, de sorte que sa candidature aurait pu être prise en compte si la société La Poste avait rempli son obligation contractuelle en remettant la lettre recommandée à l’AFPA elle-même plutôt qu’à un tiers non habilité. La SA La Poste ne peut donc valablement opposer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis un manque de diligence dans les délais d’expédition de son offre.

La SA La Poste ne saurait non plus s’exonérer de sa responsabilité au motif que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis n’a pas contesté la décision de l’AFPA alors qu’aucune obligation d’exercer un tel recours ne pèse sur cette dernière.

Le manquement de la SA La Poste a fait perdre à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis une chance de voir retenir sa candidature à l’appel d’offre.

La SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis démontre avoir été fournisseur de l’AFPA en exécution d’un contrat de fourniture de peintures, accessoires et outillages pour le peintre, du 6 juillet 2013 au 5 juillet 2017. Elle de nouveau remporté le marché le 9 juin 2019. La probabilité qu’elle aurait également obtenu le marché au mois de décembre 2017, si la SA La Poste avait remis sa candidature à l’AFPA elle-même, le matin du 8 décembre 2017 est donc élevée et peut être évaluée à 90%.

La SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis justifie de la marge réalisée avec l’AFPA entre 2014 et 2017 par la production d’une attestation établie par un expert-comptable, dont la valeur probante ne saurait être remise en cause, au seul motif, invoqué par la SA La Poste qu’aucun document comptable ne serait produit.

Cette pièce démontre que la marge moyenne réalisée sur les quatre années en cause était de 49 686.75 euros.

Ce document mentionne également une marge en 2018 (17 576 euros), année pour laquelle la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis n’avait pas remporté le marché en cause, ce qui signifie qu’elle entretient des relations commerciales avec l’AFPA en dehors dudit marché.

La SA La Poste est donc fondée à voir le montant de la marge pour 2018 déduite de la marge moyenne réalisée entre 2014 et 2017 afin que ne soit retenue que la seule perte de marge imputable à la perte du marché.

Ainsi, le préjudice subi par la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis entre le 5 juillet 2017 et le 9 juin 2019 doit être évalué à la somme de 57 799.35 euros ([49 686.75 euros ‘ 17 576 euros] X2 = 64 221.50 X 90% = 57 799.35 euros).

La SA La Poste invoque la limitation de responsabilité prévue par ses conditions spécifiques de vente applicables à la lettre recommandée nationale. Celles-ci stipulent (article 11.2) que La Poste indemnise la perte ou l’avarie d’un envoi recommandé dans les conditions prévues à l’article L7 du code des postes et communications électroniques et que la responsabilité de La Poste est strictement limitée aux dommages directs et plafonnée, toutes causes confondues, au montant de l’indemnisation déterminé par le niveau de garantie choisi par l’expéditeur : R1 : 16 euros – R2 : 153 euros – R3 : 458 euros.

Il est cependant constant que les plafonds d’indemnisation prévus par l’article L7 ne trouvent pas à s’appliquer en cas de faute lourde de La Poste dans l’exécution de sa mission (1ère Civ., 19 septembre 2007, pourvoi n° 05-17.769).

Or, en remettant la lettre recommandée avec demande d’avis de réception que la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis lui avait confiée, non pas à son destinataire, mais à un tiers n’ayant aucun pouvoir de représentation, l’agent de la Poste a caractérisé l’inaptitude de ce service à l’accomplissement de sa mission, constitutive de la faute lourde.

Le plafond d’indemnisation doit donc être écarté et la SA La Poste doit être condamnée à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 57 799.35 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l’appel en garantie de l’AFPA

La Poste invoque les articles 1217 et suivants du code civil et des manquements de l’AFPA à ses obligations résultant du ‘contrat multisite collecte et/ou remise à domicile’ conclu avec celle-ci.

Le marché à pourvoir par l’appel d’offres auquel la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis a répondu n’est donc pas en cause et l’AFPA ne peut invoquer l’incompétence du juge judiciaire pour statuer sur l’appel en garantie de La Poste. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

La Poste invoque les stipulations du contrat de collecte selon lesquelles la personne accréditée assure le pointage des lettres recommandées et signale à La Poste tout objet manquant le jour de la distribution de la sacoche, les preuves de distribution, les avis de réception et le bordereau de distribution dûment datés et signés sont remis à La Poste au passage de la collecte, la date indiquée sur les documents étant la date du jour effectif de la réception et non la date de remise à La Poste.

Elle invoque une faute de l’AFPA consistant dans le fait d’avoir reçu le pli litigieux le 8 décembre 2018 par la voie de son mandataire et d’avoir signé un avis de réception du 11 décembre 2017.

Il convient toutefois de rappeler qu’elle ne démontre pas l’existence du mandat qu’elle invoque et ne peut faire reproche à l’AFPA d’avoir mentionné deux dates distinctes alors que la première n’a pas été apposée par elle, ni par quiconque habilité à agir en son nom et pour son compte, précisément parce que la SA La Poste a manqué à son obligation de remettre la lettre recommandée avec demande d’avis de réception à son destinataire ou à son représentant.

En conséquence, La Poste doit être déboutée de son recours en garantie contre l’AFPA.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application. Le jugement sera donc confirmé du chef de ces chefs, sauf mais il sera précisé que les dépens comprennent ceux de l’instance en référé et les frais d’expertise.

La SA La Poste, qui succombe en son appel, est tenue aux dépens de cette instance et sa demande en paiement d’une indemnité pour ses frais irrépétibles doit donc être rejetée.

Il est équitable d’allouer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles d’appel et celle de 1 000 euros à l’AFPA.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 15 février 2022 par le tribunal de commerce de Sedan en ce qu’il condamne La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, sauf à préciser que ceux-ci incluent ceux de l’instance en référé et les frais d’expertise ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y a joutant,

Condamne la SA La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 57 799.35 euros à titre de dommages intérêts ;

Déboute l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes de son exception d’incompétence ;

Déboute la SA La Poste de son recours en garantie contre l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes ;

Condamne la SA La Poste à payer à la SA Ridremont et la Brosserie Nouvelle Réunis la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la SA La Poste à payer à l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes la somme de 1 000 euros pour ses frais irrépétibles d’appel ;

Déboute la SA La Poste de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA La Poste aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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