05/04/2023
ARRÊT N°179
N° RG 20/02116 – N° Portalis DBVI-V-B7E-NVFF
VS / CO
Décision déférée du 06 Juillet 2020 – Tribunal de Commerce de CASTRES – 2018000299
[G] [Z]
S.A. MMA IARD
Société BASF ESPANOLA
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
C/
[E] [F]
S.A.R.L. CUIRS DU FUTUR
Entreprise BASF ESPANOLA
S.C.P. SCP VITANI [F]
S.A. MMA IARD
Société INDIGO QUIMICA
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Société SOC ASSURANCES GESTION SERVICES
Société CHUBB EUROPEAN GROUPE SE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTES
S.A. MMA IARD (Venant aux droits de la société de la compagnie d’assurance COVEA RISKS, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société INDIGO CHIMIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Béatrice LAUNOIS-CHAZALON de l’AARPI LAUNOIS-ROCA, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistée par Me Guillaume BRAJEUX du LLP HOLMAN FENWICK WILLAN France LLP, avocat au barreau de PARIS
Assistée par Me Perrine BERTRAND, avocat au barreau de PARIS
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES (Venant aux droits de la société de la compagnie d’assurance COVEA RISKS, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société INDIGO CHIMIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Béatrice LAUNOIS-CHAZALON de l’AARPI LAUNOIS-ROCA, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistée par Me Guillaume BRAJEUX du LLP HOLMAN FENWICK WILLAN France LLP, avocat au barreau de PARIS
Assistée par Me Perrine BERTRAND, avocat au barreau de PARIS
Société BASF ESPANOLA SL (venant aux droits de la société BASF Curtex SA)
[Adresse 6]
[Adresse 6] (ESPAGNE)
Représentée par Me Jean-charles BOURRASSET de la SCP DUSAN-BOURRASSET-CERRI, avocat au barreau de TOULOUSE
Assistée par Me Leïla FENNI de la SELAS BOIZEL DUBOIS FENNI ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
Maître [E] [F] de la SCP VITANI-[F], en qualité de mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur de la société INDIGO CHIMIE, RCS n°502 420 474, dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
S.A.R.L. CUIRS DU FUTUR
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Loïc ALRAN de la SCP PERES-RENIER-ALRAN, avocat au barreau de TOULOUSE
Entreprise BASF ESPANOLA poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6] (Espagne)
Représentée par Me Jean-charles BOURRASSET de la SCP DUSAN-BOURRASSET-CERRI, avocat au barreau de TOULOUSE
S.C.P. VITANI [F] prise en la personne de Maître [E] [F], es qualité de liquidateur de la SARL INDIGO CHIMIE dont le siège social était [Adresse 5]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
Non représentée
S.A. MMA IARD (Venant aux droits de la société de la compagnie d’assurance COVEA RISKS, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société INDIGO CHIMIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Béatrice LAUNOIS-CHAZALON de l’AARPI LAUNOIS-ROCA, avocat au barreau de TOULOUSE
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES (Venant aux droits de la société de la compagnie d’assurance COVEA RISKS, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société INDIGO CHIMIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Béatrice LAUNOIS-CHAZALON de l’AARPI LAUNOIS-ROCA, avocat au barreau de TOULOUSE
Société INDIGO QUIMICA
[Adresse 4]
[Adresse 4] (Espagne)
Non représentée
Société SOC ASSURANCES GESTION SERVICES Courtier assurances
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Isabelle BAYSSET de la SCP INTER-BARREAUX D’AVOCATS MARGUERIT – BAYSSET – RUFFIE, avocat au barreau de TOULOUSE
Société CHUBB EUROPEAN GROUPE SE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Assistée par Me Philippe PECH DE LACLAUSE de la SELARL PBA LEGAL, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant V. SALMERON, Présidente chargée du rapport et P. BALISTA, Conseiller. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
P. BALISTA, conseiller
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
– DEFAUT
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre
Exposé des faits et procédure :
Pour les besoins de son activité de fabrication de cuir, la société Cuirs du Futur a eu recours à un produit de teinture qui lui a été facturé à partir du 26 février 2008.
La société Cuirs du Futur a expliqué avoir reçu dès septembre 2008 des réclamations de ses clients relatives à des problèmes de déchirure des cuirs.
Par actes d’huissier de justice des 20, 22 et 26 avril 2011, la société Cuirs du Futur a assigné la société Basf, la société Indigo Chimie, son courtier, la société Sagesse, et l’assureur Ace Europe devenu Chubb European Group devant le juge des référés du tribunal de commerce de Castres pour voir ordonner une mesure d’expertise et condamner la société Ace Europe au paiement d’une provision de 2.990.320 €.
La société Cuirs du Futur a appelé en cause la société Indigo Quimica, qui a elle-même appelé en cause son assureur Covea Risks, aux droits duquel viennent aujourd’hui les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles.
Par ordonnance du 13 décembre 2011, le juge des référés du tribunal de commerce de Castres a ordonné une expertise et désigné [T] [O] ou à défaut [K] [P] avec pour mission notamment de déterminer l’origine des désordres survenus sur les articles en cuir.
Par actes d’huissier de justice en date des 27, 29, 30 janvier et 27 février 2015, la société Cuirs du Futur a assigné les sociétés Basf Espagne, Indigo Chimie, Indigo Quimica, Sagesse, Ace European Group Limited et Covea Risks devant le juge des référés aux fins de voir ordonner un complément de mission.
Par ordonnance en date du 30 juin 2015, le juge des référés a désigné [W] [V] en qualité d’expert avec pour mission notamment de déterminer le préjudice subi par la société Cuirs du Futur du fait du sinistre, tant pour ses dommages propres que pour ceux subis par ses clients engageant sa responsabilité.
L’expert désigné par l’ordonnance du 13 décembre 2011 a déposé son rapport le 31 mai 2016.
Par jugement en date du 13 janvier 2017, le tribunal de commerce de Castres a prononcé la liquidation judiciaire de la société Indigo Chimie, Me [F] de la Scp Vitani-[F] étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
L’expert désigné par l’ordonnance du 30 juin 2015 a déposé son rapport le 9 mai 2017.
Suivant actes d’huissier de justice des 21, 26 septembre, 18 octobre, 28 novembre et 26 décembre 2017, la société Cuirs du Futur a assigné les défenderesses en lecture des deux rapports d’expertise.
Dans leurs dernières conclusions, la Scp Vitani-[F], en qualité de liquidateur de la société Indigo chimie, demandait au tribunal de surseoir à statuer et la société Basf soulevait l’incompétence du tribunal à son encontre.
La société Cuirs du Futur demandait de condamner les sociétés Basf, Indigo Chimie, Indigo Quimica et Covea Risk à lui verser la somme de 2.305.000 € en réparation de son préjudice, fixer sa créance au passif d’Indigo Chimie au même montant, condamner les sociétés Chubb, Basf, Indigo Chimie, Indigo Quimica et Covea Risk à lui verser la somme de 290.310,15 €, condamner la société Chubb à lui verser la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts et condamner la société Sagesse à lui verser la somme de 92.689,85 €.
Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Castres a :
rejeté la demande de sursis à statuer formulée par Me [F] de la Scp Vitani-[F], en qualité de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Indigo Chimie,
rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Basf,
dit et jugé que le droit franais est applicable
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi,
fixé la créance de la société Cuirs du Futur au passif de la liquidation judiciaire de la société Indigo Chimie au même montant,
dit et jugé que ces condamnations solidaires le seront dans la limite du préjudice global de la société Cuirs du Futur chiffré à 1.746.000€,
débouté les parties de leurs plus amples demandes,
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de Ia compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (cpc),
les a condamnées solidairement aux entiers dépens dont frais des deux expertises et les frais de greffe taxés et liquidés la somme de 455,64 € TTC.
Par déclaration en date du 31 juillet 2020, enregistrée sous le n° RG 20-2116, les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles ont relevé appel du jugement. La portée de l’appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice-subi,
débouté les parties de leurs plus amples demandes,
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de Ia compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
les a condamnées solidairement aux entiers dépens dont frais des deux expertises et les frais de greffe taxés et liquidés la somme de 455,64 € TTC.
Par déclaration en date du 21 octobre 2020, enregistrée sous le n° RG 20-2836, la société Basf Espagnola a relevé appel du jugement. La portée de l’appel est l’infirmation des chefs du jugement qui ont :
rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Basf,
dit et jugé que le droit français est applicable,
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice-subi,
dit et jugé que ces condamnations solidaires le seront dans la limite du préjudice global de la société Cuirs du Futur chiffré à 1.746.000€,
débouté les parties de leurs plus amples demandes,
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de Ia compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
les a condamnées solidairement aux entiers dépens dont frais des deux expertises et les frais de greffe taxés et liquidés la somme de 455,64 € TTC.
Par ordonnance du 4 décembre 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des affaires suivies sous les n° RG 20-2836 et RG 20-2116.
Le 26 janvier 2021, la société Cuirs du Futur a notifié des conclusions d’appel incident.
La clôture est intervenue le 19 septembre 2022.
Sur accord des parties, la clôture a été rabattue et fixée au jour de l’audience, par mention au dossier, avant l’ouverture des débats et des plaidoiries.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 24 juin 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Sa Mma Iard et la société civile Mma Iard Assurances Mututelles demandant, au visa des articles 542 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :
à titre principal :
réformer dans ses toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Castres du 6 juillet 2020 (RG n° 2018000299) et statuant à nouveau, dire et juger que Cuirs du Futur est mal fondée à rechercher la responsabilité contractuelle d’Indigo Chimie sur le fondement d’un contrat de sous-traitance ou d’entreprise dont l’existence n’est pas démontrée
dire et juger qu’aucun défaut, vice, désordre ou singularité n’est prouvé sur l’un des produits chimiques entrant dans la composition des formules de teinture litigieuses utilisées par Cuirs du Futur
dire et juger que Cuirs du Futur ne rapporte pas la preuve d’une faute imputable à Indigo Chimie, distributeur desdits produits chimiques, en lien de causalité certain avec le sinistre allégué
dire et juger que la preuve d’une implication d’Indigo Chimie dans l’élaboration des formules de teinture litigieuses n’est pas rapportée
dire et juger que les conditions d’une action directe de Cuirs du Futur à l’encontre des Mma, assureur de la société Indigo Chimie, ne sont pas réunies
en conséquence, débouter Cuirs du Futur, Basf et tout autre concluant, de l’intégralité de ses demandes présentées à l’encontre de Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles
à titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement entrepris en ce qu’il est entré en voie de condamnation à l’encontre de Basf et Mma
dire et juger que le rôle causal des produits chimiques et le rôle causal de la formule de teinture (entendu comme le mélange desdits produits) doivent être strictement distingués en ce qu’ils n’ont pas contribué dans la même proportion aux désordres allégués par Cuirs du Futur
dire et juger que la preuve du rôle causal des produits chimiques n’est pas rapportée
dire et juger que Cuirs du Futur est mal fondée en conséquence à rechercher la responsabilité solidaire d’Indigo Chimie ou de son assureur avec celle des autres codéfendeurs
dire et juger que Cuirs du Futur a commis des fautes tenant à l’absence de rédaction de cahier des charges, l’absence de tests avant mise en production industrielle, l’absence de traçabilité et l’absence de maîtrise de son process de fabrication, lesquelles ont concouru à l’apparition de son propre dommage et qui ont pour effet d’exonérer les défendeurs d’une part de leur responsabilité, à hauteur de 50% minimum
dire et juger que le rôle et l’implication de Basf sont sans commune mesure avec la rôle d’intermédiaire d’Indigo Chimie de sorte que les prétendues fautes qui pourraient leur être imputées n’ont pas contribué dans la même proportion à la survenance du sinistre allégué par Cuirs du Futur
en conséquence, ramener les préjudices allégués par Cuirs du Futur à de plus justes proportions
juger que Cuirs du Futur a commis des erreurs qui ont contribué à son propre préjudice, à hauteur de 50% minimum des désordres subis
juger que la part de responsabilité imputable à Indigo Chimie dans la survenance des désordres allégués par Cuirs du Futur n’excède pas 5% du montant des préjudices jugés justifiés par la Cour
limiter en conséquence la condamnation de Mma, assureur de la société Indigo Chimie, à 5% du montant des seuls préjudices jugés justifiés dans leur principe et montant
en tout état de cause :
débouter tout autre concluant de leurs demandes dirigées à l’encontre des Mma
condamner Cuirs du Futur à verser la somme de 30.000 € à Mma au titre de l’article 700 du code de procédure civile
condamner Cuirs du Futur aux entiers dépens.
Vu les conclusions n°4 notifiées le 10 octobre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la société de droit espagnol Basf Espanola Sl (venant aux droits de la société Basf Curtex SA), demandant, au visa des articles 1147 du code civil, 4.1 du règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 et 4 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 dit Rome I, de :
in limine litis :
rejeter les conclusions n°5 de la société CDF, communiquées la veille de l’ordonnance de clôture rendue le 3 octobre 2022 ou rabattre la côture à la date de l’audience des plaidoiries fixée le 18 octobre 2022
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a jugé que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des demandes formées par Cuirs du Futur à l’encontre de la société Basf Espanola
dire et juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître des demandes de la société Cuirs du Futur à l’encontre de la société Basf Espanola
se déclarer incompétente au profit des juridictions espagnoles, et plus particulièrement des tribunaux de Barcelone
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
renvoyer la société Cuirs du Futur à mieux se pourvoir devant les juridictions espagnoles, et plus particulièrement devant les tribunaux de Barcelone
à titre principal :
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a jugé que le droit français était applicable aux demandes formées par Cuirs du Futur à l’encontre de la société Basf Espanola ;
dire et juger que le droit français n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce ;
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
débouter la société Cuirs du Futur, ainsi que toute autre partie, de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Basf Espanola sur le fondement du droit français
à titre très subsidiaire :
dire et juger que la responsabilité de la société Basf Espanola n’est pas engagée
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
débouter la société Cuirs du Futur, ainsi que toute autre partie, de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Basf Espanola sur le fondement du droit français
à titre très subsidiaire :
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
dire et juger que le préjudice subi par la société Cuirs du Futur ne saurait en aucun cas excéder la somme de 911.261,33 € (383.000 € + 88.261,33 € + 440.000 €)
dire et juger que, compte tenu des fautes commises par la société Cuirs du Futur, la société Basf Espanola sera exonérée de toute responsabilité
débouter la société Cuirs du Futur, ainsi que toute autre partie, de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Basf Espanola sur le fondement du droit français
à titre infiniment subsidiaire :
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
réduire le montant des réclamations formulées par la société Cuirs du Futur à de plus justes proportions ;
dire et juger que le préjudice subi par la société Cuirs du Futur ne saurait en aucun cas excéder la somme de 911.261,33 € (383.000 € + 88.261,33 € + 440.000 €) ;
dire et juger que, compte tenu des fautes commises par la société Cuirs du Futur et Indigo Chimie, la part de responsabilité de la société Basf Espanola ne saurait excéder 25 %
débouter les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles de leur demande visant à voir la part de responsabilité imputée à la société Indigo Chimie limitée à 5 % des préjudices subis
débouter Cuirs du Futur, Chubb European Group Limited, Sagesse, Indigo Chimie, Indigo Quimica, Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles, de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Basf Espanola
à titre très infiniment subsidiaire :
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné solidairement la société Basf Espanola avec la société Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi, à la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
réduire le montant des réclamations formulées par la société Cuirs du Futur à de plus justes proportions
dire et juger que le préjudice subi par la société Cuirs du Futur ne saurait en aucun cas excéder la somme de 911.261,33 € (383.000 € + 88.261,33 € + 440.000 €)
dire et juger que, compte tenu des fautes commises parla société Cuirs du Futur et Indigo Chimie, la part de responsabilité de la société Basf Espanola ne saurait excéder 50 %
débouter les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles de leur demande visant à voir la part de responsabilité imputée à la société Indigo Chimie limitée à 5 % des préjudices subis
débouter Cuirs du Futur, Chubb European Group Limited, Sagesse, Indigo Chimie, Indigo Quimica, Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles, de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Basf Espanola
en tout etat de cause :
condamner la société Cuirs du Futur, ou toute partie succombante, à verser à la société Basf une somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
condamner la société Cuirs du Futur ou toute partie succombante aux entiers dépens.
Vu les conclusions n°3 notifiées le 20 juillet 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la société Chubb European Group Limited demandant, au visa des articles 1147 du code civil, 124-2 du code des assurances et 542 du code de procédure civile, de :
accueillir l’appel incident de Chubb à l’encontre du jugement du Tribunal de commerce de Castres du 6 juillet 2020 (RG n°2018000299)
réformer dans toutes ses dispositions ledit jugement du tribunal, sauf en ce qu’il a retenu la responsabilité exclusive des sociétés Basf, Indigo Chimie, Indigo Quimica dans les dommages invoqués par la société Cuirs du Futur
et statuant à nouveau, à titre principal,
juger que les dommages invoqués par la société Cuirs du Futur n’entrent pas dans le champ d’application de la police responsabilité civile souscrite auprès de Chubb
juger que le remboursement par la société Cuirs du Futur de la société Oscar Fashion ne constitue pas un dommage démontré
juger que Chubb n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité civile ou causer un quelconque préjudice à la société Cuirs du Futur
en conséquence, débouter la société Cuirs du Futur de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de Chubb
à titre subsidiaire,
juger que la police responsabilité civile souscrite par Cuirs du Futur auprès de Chubb est limitée aux seuls dommages causés par les produits de l’assurée aux tiers
en conséquence, débouter la société Cuirs du Futur de ses demandes sur le remboursement de ses produits pour un montant de 189.710,76 €
faire application des limites territoriales de la garantie souscrite par la société Cuirs du Futur auprès de Chubb, en l’espèce s’agissant des clients de Cuirs du Futur situés en Amérique du Nord ;
en conséquence, débouter la société Cuirs du Futur de sa demande au titre du client américain Chatam Industrie Ltd pour un montant de 3.793,72 €
faire application des exclusions de garanties conventionnelles, en l’espèce s’agissant des remboursements et avoirs émis au titre des produits livrés
en conséquence, débouter la société Cuirs du Futur de ses demandes de remboursements au titre des produits livrés pour un montant de 189.710,76 €
faire application de l’exclusion de garantie légale en retenant un passé connu à compter du 1er avril 2009, date de renouvellement de la police souscrite par la société Cuirs du Futur auprès de Chubb
en conséquence, débouter la société Cuirs du Futur de ses demandes postérieures à la date de renouvellement de la police intervenue le 1er avril 2009 pour un montant de 65.925,04 €
faire application de la franchise prévue dans la police souscrite par la société Cuirs du Futur auprès de Chubb
en conséquence, déduire un montant de 7.500 € de toute éventuelle indemnité accordée à la société Cuirs du Futur au titre de la police responsabilité civile souscrite auprès de Chubb
en toute hypothèse, juger qu’une éventuelle condamnation de Chubb ne saurait être supérieure à la somme de 17.066,48 €
à titre très subsidiaire, condamner Basf, Indigo Chimie, Indigo Quimica et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à garantir intégralement et solidairement Chubb de toute condamnation prononcée à son encontre
en tout état de cause,
condamner solidairement les sociétés Cuirs du Futur, Indigo Chimie, Indigo Quimica et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à Chubb la somme de 20.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
condamner les sociétés Cuirs du Futur, Indigo Chimie, Indigo Quimica et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer les entiers dépens à l’instance.
Vu les conclusions n°5 notifiées le 30 septembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Sarl Cuirs du Futur demandant, au visa de l’ancien article 1147 du code civil, de :
confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à réparer le préjudice subi par la société Cuirs du Futur
le confirmer en ce qu’il a fixé la créance de la société Cuirs du Futur au passif de la liquidation judiciaire de la société Indigo Chimie
le confirmer en ce qu’il a condamné les parties susvisées aux entiers dépens dont les frais des deux expertises
le réformer pour le surplus
et statuant à nouveau, condamner solidairement les parties susvisées à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 2.305.000 € en réparation du préjudice subi
fixer la créance de la concluante au passif de la procédure collective d’Indigo Chimie au même montant
dire et juger que la compagnie Chubb est tenue à garantir la société Cuirs du Futur des conséquences financières du sinistre au titre des dédommagements assumés par la concluante au profit des clients hors Amérique du Nord
condamner en conséquence la compagnie Chubb, solidairement avec Basf, Indigo Chimie, Indigo Quimica et Covea Risks à payer la somme de 290.310,15 € à la concluante
condamner en toutes hypothèses Chubb à payer à la société Cuirs du Futur une somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par Cuirs du Futur du fait de l’absence de prise en charge du sinistre
dire et juger que la Sarl Sagesse a manqué à son devoir de conseil à l’égard de la société Cuirs du Futur en lui proposant un contrat d’assurances ne correspondant pas à sa situation personnelle
condamner en conséquence la Sarl Sagesse, solidairement avec les autres défenderesses, à payer la somme de 92.689,85 € à la requérante
condamner solidairement les défenderesses à payer la somme de 27.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance
condamner les appelantes ou toute partie succombante à payer à la concluante la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel
condamner les appelantes ou toute partie succombante aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de l’avocat soussigné.
Vu les conclusions n°2 déposées le 23 avril 2021 et notifiées le 6 mai 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Sas Assurances Gestion Services demandant de :
confirmer le jugement rendu le 6 juin 2020 par le tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a débouté la société Cuirs du Futur de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Assurances Gestion Services et débouter la société Cuirs du Futur de son appel incident comme de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions contre la société Assurances Gestion Services
confirmer le jugement rendu le 6 juin 2020 par le tribunal de commerce de Castres en ce qu’il a condamné les sociétés Basf, Indigo Quimica, Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et Chubb aux dépens de première instance
à défaut de confirmation du jugement sur les dépens de première instance, condamner la société Cuirs du Futur aux dépens de première instance de la société Assurances Gestion Services
réformant le jugement, condamner la société Cuirs du Futur à verser à la société Assurances Gestion Services la somme de 9.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance
statuant sur les frais irrépétibles d’appel et sur les dépens d’appel, condamner in solidum Mma Iard, Mma Iard Assurances Mutuelles et la société Cuirs du Futur, ou qui mieux l’une que l’autre le devra, à verser à la société Assurances Gestion Services la somme de 7.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
La Scp Vitani [F] es qualité de liquidateur de la Sarl Indigo Chimie, à qui la déclaration d’appel n°20-2116 a été signifiée le 7 octobre 2020 par signification à personne, les conclusions de la société Cuirs du Futur le 29 juin 2021 par signification à personne, les conclusions de la société Chubb le 23 juillet 2021 par signification à personne, les conclusions de la société Assurances Gestion Services le 28 avril 2021 par signification à personne, les conclusions de la société Basf Espagnola le 22 avril 2021 par signification à étude, n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu.
La société Indigo Quimica dûment assignée n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu. Elle a été régulièrement assignée en Espagne, à la demande de la SA MMA par acte du 16 novembre 2020 et par la SA BASF Espagnola par acte du 23 avril 2021, mais l’acte du 7 juillet 2021 fait état des démarches entreprises en Espagne et ne précise pas si le destinataire a été touché alors que l’acte notifié par la sarl Cuirs du Futur du 11 octobre 2021 précise que le destinataire demeure introuvable.
Motifs de la décision :
sur l’exception d’incompétence de la juridiction française :
In limine litis, la société BASF Espagnola soulève, de nouveau en appel, l’exception d’incompétence des juridictions françaises en contestant l’application du règlement européen en matière contractuelle et en ajoutant, subsidiairement, que si la cour d’appel retenait le fondement de la responsabilité contractuelle comme base des poursuites, elle fait valoir l’existence d’une clause attributive de compétence au profit de la juridiction de Barcelone mentionnée sur les bons de livraison produits aux débats.
La demande subsidiaire n’est pas irrecevable, au sens de l’article 564 du cpc, s’agissant d’un moyen nouveau à l’appui de l’exception d’incompétence qui a été soulevée en première instance, avant toute défense au fond conformément à l’article 74 du cpc, même s’il est curieux de découvrir, uniquement en appel, qu’il existait une clause attributive de compétence, non révélée en première instance.
La société BASF Espagnola conteste l’application du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 qui s’applique à la matière contractuelle alors qu’elle n’a signé aucun contrat avec la sarl Cuirs du Futur (ci-après société CDF) et n’a fait que livrer des produits selon les seuls documents écrits produits faisant état de la société BASF Espagnola.
Or, la société CDF a engagé son action et fonde ses demandes uniquement en matière de responsabilité contractuelle et allègue de l’existence d’un contrat d’entreprise entre elle-même et plusieurs sociétés, dont la société BASF Espagnola, pour élaborer la formule chimique qui permettait de stopper les dégorgements de teinture de couleur noire pour le cuir stretch, dont la société CDF était le leader sur le marché pour toutes les autres couleurs et formule qui est à l’origine du litige.
La société BASF Espagnola se borne à contester l’existence d’un contrat d’entreprise écrit qui la lierait à la sarl CDF.
Il convient d’analyser au fond les moyens et pièces produites par la sarl CDF pour trancher l’existence ou non des obligations contractuelles de la société BASF Espagnola à l’égard de la sarl CDF, mais préalablement sur la question de la compétence juridictionnelle, il s’agit bien d’appliquer le règlement européen allégué.
Or c’est à bon droit que le tribunal a fait application des articles 7 1) a et b et 8 du règlement européen UE 1215/2012 du 12 décembre 2012.
L’article 7 dispose que « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
‘ pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
‘ pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ; »
L’article 8 dispose que « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ; »
En effet, la sarl CDF reproche à la société BASF Espagnola d’avoir participé avec d’autres sociétés dont la société Indigo Chimie à l’élaboration de la formule chimique permettant d’éviter le dégorgement de la couleur noire sur le cuir stretch qu’elle entendait fabriquer et d’avoir livré des produits à cette fin.
Il n’est pas contesté que la prestation de service a été livrée, à [Localité 8], dans les locaux de la société CDF par l’intermédiaire de la société Indigo Chimie dont les locaux sont également à [Localité 8].
Dès lors, le lieu de livraison de la prestation était à [Localité 8] en France et les demandes formées par la Sarl CDF à l’égard des défendeurs concernés par la formule litigieuse sont suffisamment liées entre elles pour qu’il y ait intérêt à les instruire et à les juger en même temps pour éviter des solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément. La plupart des autres défendeurs sont domiciliés en France.
Par ailleurs, s’agissant de la clause attributive de compétence alléguée en cause d’appel, il convient d’une part de rappeler que l’article 25-1 du règlement UE n° 1215:2012 dispose que « Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »
D’autre part, il y a lieu de relever, comme le fait à bon droit la sarl CDF, qu’il ne s’agit pas d’une clause de compétence relative au contrat de prestation de service, objet principal du litige et préalable à la livraison de produits par la société BASF Espagnola, mais uniquement d’une clause figurant dans les conditions générales de vente figurant sur les bons de livraison. Et cette clause y figure sans mention très distincte et sans acceptation expresse de la sarl CDF. Elle n’est donc pas conforme aux exigences de l’article 25-1 du règlement à l’égard d’une société cliente résidant en France et elle ne porte pas sur le contrat de prestation de service de fourniture de la formule chimique recherchée.
Il n’est donc pas établi que la sarl CDF a accepté une quelconque clause attributive de compétence s’agissant du contrat d’entreprise ou de prestation de service sur la formule litigieuse.
Le tribunal de Castres était donc compétent. Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
– sur le fond :
sur la loi applicable :
La société BASF Espagnola considère que le contrat de prestation de service allégué qu’elle conteste avoir souscrit est soumis à la loi de résidence habituelle du vendeur ou du prestataire de service en application de l’article 4 du Règlement CE n°593/2008 du 17 juin 2008 dit Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. De plus, elle conteste avoir un établissement en France.
L’article 4 dudit règlement dispose que :
« 1. À défaut de choix exercé conformément à l’article 3 et sans préjudice des articles 5 à 8, la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit :
a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle
b) le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle
c) le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d’immeuble est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’immeuble;
d) nonobstant le point c), le bail d’immeuble conclu en vue de l’usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs est régi par la loi du pays dans lequel le propriétaire a sa résidence habituelle, à condition que le locataire soit une personne physique et qu’il ait sa résidence habituelle dans ce même pays;
e) le contrat de franchise est régi par la loi du pays dans lequel le franchisé a sa résidence habituelle;
f) le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle;
g) le contrat de vente de biens aux enchères est régi par la loi du pays où la vente aux enchères a lieu, si ce lieu peut être déterminé;
h) le contrat conclu au sein d’un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 17), de la directive 2004/39/CE, selon des règles non discrétionnaires et qui est régi par la loi d’un seul pays, est régi par cette loi.
2. Lorsque le contrat n’est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.
3. Lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique.
4. Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. »
La sarl CDF invoque l’article 3 du règlement qui précise que « 1. Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
2. Les parties peuvent convenir, à tout moment, de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant soit en vertu d’un choix antérieur selon le présent article, soit en vertu d’autres dispositions du présent règlement. Toute modification quant à la détermination de la loi applicable, intervenue postérieurement à la conclusion du contrat, n’affecte pas la validité formelle du contrat au sens de
l’article 11 et ne porte pas atteinte aux droits des tiers.
3. Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne porte pas atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord.
4. Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres, le choix par les parties d’une autre loi applicable que celle d’un État membre ne porte pas atteinte, le cas échéant, à l’application des dispositions du droit communautaire auxquelles il n’est pas permis de déroger par accord, et telles que mises en ‘uvre par l’État membre du for
5. L’existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont régies par les dispositions établies aux articles 10, 11 et 13 ».
Si la sarl CDF ne peut se prévaloir du fait que la société BASF Espagnola n’a pas soulevé l’inapplication du droit français au stade du référé pendant plus de 6 années correspondant aux deux expertises ordonnées, elle fait valoir que la société BASF Espagnola a présenté des dires en visant l’article 1641 du code civil (dire n°6 du 13 mars 2015) sans jamais faire allusion à l’application du droit espagnol et elle fait observer que les échanges entre les parties se sont réalisés par l’intermédiaire de la société Indigo Chimie dont la résidence habituelle est à [Localité 8]. Cette dernière reconnaît avoir proposé la formule litigieuse et se présente comme distributive exclusive de BASF (pièce 12 lettre d’indigo chimie du 1er décembre 2009). Enfin, la sarl CDF fait valoir que la société BASF Espagnola dispose au moins d’un établissement en France.
Il ressort de l’ensemble de ces circonstances que le contrat d’entreprise allégué présentait les liens les plus étroits avec la France alors que la sarl CDF expose que la formule chimique litigieuse pour résoudre le problème du dégorgement sur les produits de couleur noire a été proposée par la société BASF Espagnola, et les sociétés Indigo Chimie et Indigo Quimica, qui ont des liens avec la société espagnole, comme en atteste la lettre de la société Indigo Chimie du 1er décembre 2009, société domiciliée à [Localité 8].
Ainsi, et à défaut de choix expressément stipulé par les parties sur la loi applicable, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec la France que celui visé au paragraphe 1 ou 2 de l’article 4 du Règlement Rome I ; la loi française doit donc s’appliquer et la société BASF Espagnola y a bien fait référence dans ses dires en cours d’expertise sans mettre en avant la loi espagnole, ce qui laisse présumer que l’ensemble des parties entendaient bien appliquer la loi française dans leurs relations contractuelles relatives à la détermination de la formule chimique recherchée.
Le jugement sera également confirmé de ce chef.
– sur la responsabilité de la société Basf Espagnola, de la société Indigo Quimica et de la société Indigo Chimie :
La société BASF Espagnola et la société MMA, assureur de la société Indigo Chimie, critiquent le jugement pour avoir retenu la responsabilité contractuelle des dites sociétés dans l’origine du sinistre alors qu’il n’existait aucun lien de sous-traitance entre BASF Espagnola et Indigo Chimie et Indigo Quimica et qu’aucun écrit n’établit une relation contractuelle avec la société CDF. De plus, Basf Espagnola prétend ne pas être la société BASF citée par l’expert judiciaire sous le nom BASF alors qu’elle appartient à un groupe international et qu’au départ, la société CDF expose avoir été en relation avec BASF Chine.
La sarl CDF expose qu’elle a eu recours aux services de la société BASF pour résoudre son problème de dégorgement avec les produits de couleur noire souhaitant devenir son fournisseur fin 2007 et a joué sur les interventions de ses deux filiales, chinoise puis espagnole, pour y parvenir. Elle ne conteste pas le fait que chaque entité du groupe international a sa personnalité propre mais affirme que les informations ont circulé entre BASF Chine, BASF Allemagne et BASF Espagne notamment pendant la période de test et de mise au point pour ensuite élaborer une formule qui a été livrée par les distributeurs exclusifs de BASF, Indigo Quimica et Indigo Chimie, sociétés créées par d’anciens salariés de BASF.
Le caractère innovant du produit Lugafast proposé par BASF est discuté ; il a conduit aux premières réclamations de clients ayant constaté des problèmes de déchirure sur les produits en cuirs stretch de couleur noire.
Elle précise que trois autres formules ont été successivement proposées par BASF, Indigo Chimie et Indigo Quimica les 24 novembre 2008, 16 janvier 2009 puis 1er décembre 2009 et la dernière formule donnera satisfaction comme ne comportant plus d’Immergan A, produit qui, mis au contact du coton, a généré les désordres dénoncés.
Comme le fait observer, à juste titre, la société MMA qui conteste les responsabilités alléguées, il faut reprendre le déroulement des faits tel que la société CDF l’a présenté dans son assignation initiale ; elle y explique qu’en 2007, la société CDF fait un essai selon un bain de teinture proposé par BASF Chine puis s’est rapprochée de [R] [N] de BASF à [Localité 8] en janvier 2008 et les essais ont été envoyés à BASF Espagne pour refaire des essais et mettre au point définitivement une formule avec un produit non utilisé en Europe. Le 11 février 2008, BASF a envoyé à la société CDF la formule définitive à appliquer et les essais se sont poursuivis dans les locaux de la société CDF avec la collaboration de BASF.
Les premières commandes de produits entrant dans la composition de la formule auprès de BASF ont été passées le 26 février 2008 et les commandes ont ensuite été honorées par la société Indigo, devenue distributeur exclusif de BASF.
La société CDF expose qu’elle a lancé la fabrication industrielle dès mars 2008 et ce n’est qu’en septembre 2008 que la société CDF a reçu les premières réclamations, notamment du client Décathlon, concernant le problème des déchirures. BASF a alors modifié légèrement la formule en novembre 2008.
Comme les réclamations continuaient à s’accumuler, la société CDF explique, dans son assignation, avoir adressé une lettre recommandée à Indigo Chimie le 15 janvier 2009, et une 3ème formule a été mise au point par BASF et appliquée aussitôt sans faire disparaître les sinistres.
Après plusieurs échanges, les parties ont décidé d’organiser une réunion d’expertise le 31 août 2010 avec le cabinet Fresquet, intervenant pour le compte de CDF, sans aboutir à une solution et une expertise judiciaire a donc été ordonnée sur assignation du 21 avril 2011 et confiée à [K] [P].
La SA MMA fait observer que la société Indigo Chimie, son assurée, a démarré son activité le 16 février 2008 et ne peut avoir été en relation avec CDF auparavant alors que les pièces produites établissent une relation avec Indigo Quimica, comme distributeur de BASF.
Par ailleurs, elle fait observer que la société CDF avait à peine reçu la formule de BASF, le 11 février 2008, qu’elle lançait les premières commandes « Magisco Noir lavable » le 26 février pour une mise en production industrielle dès mars 2008. Elle en déduit que la société CDF n’a donc effectué aucun test de vieillissement pour étudier les effets à moyen et long terme de la teinture ainsi utilisée sur le cuir et que la société CDF a pris, volontairement et unilatéralement, un risque professionnel qu’elle doit assumer seule alors qu’en outre, elle est dans l’incapacité de produire un cahier des charges à l’appui du contrat d’entreprise allégué et que l’expert judiciaire relève le défaut de traçabilité de la formule utilisée sur les cuirs dits sinistrés ni sur les modalités de mise en ‘uvre des diverses formules.
Dans le rapport d’expertise sur la recherche des causes du sinistre, [K] [P] précise préalablement qu’il a convoqué les parties pour la réunion contradictoire de démarrage du 25 mars 2012 et seule la société BASF Espagnola intervenait comme entité du groupe international BASF, seule entité BASF, partie au procès. De même, à la réunion du 25 mai 2012 à [Localité 8], seule BASF Espagne participait à la réunion et BASF y a précisé qu’elle n’avait de responsabilité que sur le produit lui-même, le « lugafast black an », et non sur l’application dudit produit sur le cuir stretch par la sarl CDF. Cette dernière a ajouté que le personnel d’Indigo Quimica est le même personnel que BASF ayant basculé chez Indigo Chimie au moment de la création de cette société, que ce personnel a participé chez BASF aux formulations de produit et que les premières factures d’achat étaient sous identification BASF (cf page 113 du rapport). Aucune des parties n’a contesté cette affirmation. Et lors des réunions suivantes des 7-8-11 mars 2013 et 31 octobre 2014, n’étaient présents que les représentants de BASF Espagnola et son avocat, ainsi qu’un expert de sa compagnie d’assurance et un technicien de la société BASF Espagnola.
La cour constate qu’en 2008, la société Indigo Quimica, société espagnole, est associée majoritaire de la société Indigo chimie et l’autre associé est Stellio Cappuzzi.
L’objet de la société Indigo Chimie est : « la prospection, la promotion et le suivi technique et administratif des produits chimiques vendus par Indigo Quimica en Europe et en Afrique ». La société Indigo Chimie, installée à [Localité 8], est donc le partenaire impliqué dans la recherche de la formule pour produire du cuir stretch de couleur noire avec BASF auprès de la sarl CDF et non Indigo Quimica qui ne sera que le distributeur du produit chimique et facturera le produit à la sarl CDF. Il convient de débouter la sarl CDF de ses demandes de dommages-intérêts à l’encontre d’Indigo Quimica qui n’est que le distributeur des produits commandés par la sarl CDF.
La cour relève également que, depuis l’origine du litige, seule BASF Espagnola du groupe BASF International a été concernée par les travaux d’expertise judiciaire et qu’à aucun moment, elle n’a contesté le fait que la société BASF, évoquée par l’expert judiciaire, est une autre société du groupe international BASF que la société BASF Espagnola.
Par ailleurs, les seules pièces produites auprès de l’expert et dans les débats devant la cour d’appel pour prouver la relations contractuelles initiales entre la société CDF, BASF et les sociétés Indigo sont une facture d’Indigo Quimica visant la formule « Lugafast noir AN » de BASF en avril 2008 pour 1440 euros et une facture BASF du 29 février 2008 comprenant la formule « Lugafast noir AN » et d’autres produits dont l’Immergan A pour 2438,60 euros du 29 février 2008.
De surcroît, le rapport judiciaire relève que la société BASF expose clairement (cf page 149) que « les formules ont été mises au point conjointement entre les différentes parties concernées » et, dans son dire du 27 mars 2015, la société BASF indique « la société BASF a été consultée par la société CDF pour tenter de lui trouver une formule de teinture à appliquer sur du cuir stretch sans qu’il ne dégorge … ». Et elle ajoute que « la société BASF est intervenue à titre gracieux , elle n’a facturé aucun frais de recherche, ni aucun frais de gestion du projet . Aucun cahier des charges n’a été établi » (cf page 351 du rapport).
De même, dans la lettre de la société Indigo Chimie adressée à la société CDF le 1er décembre 2009, (figurant en annexe du Rapport Fresquet et pièce 12 de la sarl CDF), qui fait état d’une déchirure sur la partie textile de l’article Magisco, la société Indigo Chimie précise : «nous vous avons effectivement proposé une formule de velours noir lavable en 2008 qui a révélé une déchirure survenant dans le temps, suite à cette première expertise un certain nombre d’interrogations ont subsisté, nous vous avons proposé avec notre fournisseur BASF une formule modifiée. Les différents éléments vous ont permis de valider l’évolution de la formule modifiée, cependant des désordres persistent avec une déchirure évident de cette partie textile, toutefois après une temps d’apparition plus long.
Nous vous confirmons qu’il appartient à CDF de déterminer l’origine de la déchirure de la partie textile et de vérifier l’adéquation entre cuir, colle et tissus, la prestation de Indigo Chimie étant de fournir une formule adaptée au cuir avec les produits BASF. Après diverses réunions, un rendez vous a été pris avec les techniciens de BASF afin de répondre à vos besoins. Une nouvelle formule est en cours d’essai avec leur collaboration technique. Les essais en entreprise se feront sous la responsabilité de Cuir du Futur à qui il appartiendra de prendre la décision finale de la mise ou non sur le marché de la dite formule si cette dernière s’avère viable. »
Il ressort de ces éléments relevés par l’expert et des écrits des sociétés Indigo Chimie et BASF elles-mêmes que la société BASF et la société Indigo Chimie ont participé à la mise au point de la formule recherchée en coopération avec la société CDF, conformément à un contrat d’entreprise sans qu’aucun écrit ne lie les parties à ce stade mais il s’agissait bien de relations contractuelles entre plusieurs prestataires de service dont BASF, la société Indigo Chimie et la société cliente, la sarl CDF dans le cadre d’un contrat de coopération industrielle.
Si la facture du 9 février 2008 de la société BASF Espagnola pour sa prestation de service de mise au point de la formule proposée initialement aboutit à la formule « Lugafast noir AN » est d’un montant très limité, elle participera aux travaux pour la rectifier à trois reprises et il s’agissait pour elle de vendre les produits chimiques nécessaires à la production du produit « Magisco de couleur noire » élaboré par la société CDF par l’intermédiaire de ses distributeurs exclusifs Indigo Chimie et Indigo Quimica. La société BASF fait observer que dans les comptes de la sarl CDF est apparu en compte de tiers pour 100.000 euros de produits achetés à la société Indigo Chimie, produits commandés chez BASF. Il est établi que les commandes de produits BASF et les livraisons se faisaient ensuite par Indigo Quimica selon les factures produites.
Concernant la portée des engagements de chacun des professionnels, le tribunal de commerce a considéré que les sociétés Indigo Chimie et Indigo Quimica étaient des sous traitants de la société BASF à laquelle il reproche d’avoir omis d’informer son client des risques d’utilisation de son produit sur le cuir stretch.
Or, aucun élément précis ne permet d’affirmer qu’il existait une relation de sous-traitance, au sens juridique du terme, entre les trois sociétés BASF Espagnola, Indigo Chimie et Indigo Quimica qui sont des entités distinctes.
Mais il est manifeste que la société Indigo Chimie a participé à l’élaboration de la formule recherchée par la sarl CDF avec la société BASF, en définitive proposée et facturée par BASF Espagnola le 29 février 2008 sous la formule « Lugafast noir AN », quand Indigo Quimica a distribué les produits BASF ensuite auprès de la société CDF.
Il est tout aussi établi que la société CDF n’avait adressé à ses partenaires aucun cahier des charges sur les obligations respectives des parties dans l’élaboration de la formule, sur les résultats attendus, sur les tests à effectuer, sur les délais à respecter avant de pouvoir commercialiser des produits fabriqués à l’aide de la formule commandée.
Par ailleurs, tant la société BASF Espagnola pour trouver la formule adéquate, que ses deux sociétés partenaires Indigo Chimie et Indigo Quimica , distributrices exclusives de ses produits BASF, avaient intérêt à devenir les fournisseurs de la formule et des produits associés pour la société CDF, leader mondial du cuir stretch et, en participant à l’élaboration de la formule, chacune d’elles entendait gagner des parts de marché par la production du nouveau produit Magisco de couleur noir, que la société CDF fabriquerait. Elles obtenaient ainsi indirectement rémunération des efforts effectués en commun pour produire la formule recherchée dans le cadre d’un contrat d’entreprise de coopération avec le client, contrat qui n’était donc pas gratuit comme veut le faire juger la société BASF Espagnola.
La société BASF Espagnola et la société Indigo Chimie, ont été associées à la mise au point de la formule commandée par la société CDF dans des conditions qui demeurent très floues sur les exigences posées par cette dernière à ses prestataires de service.
Au-delà des engagements contractuels de chacune des parties au sein de ce contrat d’entreprise commun qui est établi, il appartient à la société CDF, de rapporter la preuve des manquements aux obligations contractuelles qu’elle allègue.
Les sociétés CDF d’une part et BASF Espagnola et Indigo Chimie d’autre part sont toutes des professionnels, chacune dans leur activité, la première dans la mégisserie et les autres dans la chimie.
L’expert judiciaire [K] [P] a conclu que l’origine du sinistre, qui apparaissait 4 à 5 mois après le traitement, « consistait à ce qu’une paraffine sulfochlorée dite Immergan, apparemment inconnue jusqu’alors pour créer des désordres sur les peaux de cuir seules, s’est avérée délétère en présence de coton , parce que lorsqu’on la met en solution, elle libère des acides et que ces acides créent des désordres complexes qui se propagent dans le coton jusqu’à sa destruction totale dans le temps ».
L’immergan a été fournie à la sarl CDF par les sociétés BASF, Indigo Chimie et Indigo Quimica dans la formule Lugafast et séparément selon les factures.
Les sociétés BASF et Indigo chimie, professionnelles de la chimie, se devaient par conséquent de mettre en garde leur client sur les conditions d’utilisation de sa formule de teinture Lugafast noir AN et du produit Immergan sur les supports utilisés et notamment le cuir stretch et le coton.
Elles ne justifient d’aucune mise en garde sur l’utilisation de la formule pour le cuir stretch utilisé en dehors de la fiche de données de sécurité du produit « Lugafast » qui porte sur les personnes et sur sa manipulation et son stockage.
Le manquement au devoir de mise en garde est donc établi.
En revanche, la société CDF n’a manifestement pas pris le temps de vérifier l’efficacité de la formule, élaborée avec les sociétés BASF Espagnola et Indigo Chimie, sur la durée alors qu’elle n’a fait procéder à aucun test de vieillissement des produits en cuir qu’elle a traités à l’aide de la formule Lugafast en dépit du fait que, dans son courrier du 1er décembre 2009, la société Indigo Chimie lui rappelait précisément que les essais en entreprise se feraient sous la responsabilité de Cuir de France qui prenait seule la responsabilité de mise sur le marché.
La sarl CDF n’établit pas avoir demandé à ses partenaires, dans la mise au point de la formule commandée, de réaliser des tests et des essais et de lui en communiquer les résultats avant de pouvoir l’utiliser aux fins de commercialisation, ce qui prouve qu’elle savait très bien que les sociétés BASF et Indigo Chimie n’avaient pas à lui préciser les résultats obtenus sur les essais pratiqués ni sur leurs modalités techniques.
La sarl CDF a donc participé à son propre préjudice, d’une part en n’exigeant aucun test de vieillissement du produit traité avec la formule Lugafast à ses partenaires, d’autre part en n’y procédant pas elle-même, avant commercialisation de ses produits Magisco de couleur noire à échelle industrielle.
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit qu’il existait un contrat d’entreprise entre la sarl CDF et les sociétés BASF Espagnola et Indigo Chimie qui consistait à lui livrer une formule chimique pour pouvoir teindre ses cuirs stretch en noir sans dégorgement du produit qu’elles ont élaborée avec elle.
La responsabilité des trois partenaires, CDF, BASF Espagnola et Indigo Chimie, dans la survenance du sinistre industriel allégué est donc partagée mais la responsabilité principale et essentielle incombe à la sarl CDF qui n’a pas mis en place les mesures d’essais et de tests indispensables et suffisants avant de produire à grande échelle le produit Magisco de couleur noire.
Sur le préjudice allégué :
En cause d’appel, la sarl CDF demande la somme de 2.305.000 € en réparation du préjudice subi.
La SA MMA et la société BASF Espagnola insistent sur le fait que la sarl CDF ne justifie pas de son préjudice dans la mesure où il n’existe aucune traçabilité des produits endommagés.
La sarl CDF se fonde sur les deux rapports d’expertise judiciaire, concernant l’origine du dommage et l’évaluation du préjudice subi, et sur l’attestation de son commissaire aux comptes « sur la quantité des peaux stockées dans l’usine dans le cadre du litige BASF et la valorisation de ce stock de peaux sinistrées » en date du 14 novembre 2016.
Il appartient à celui qui sollicite réparation de son préjudice d’en établir l’existence et le montant en lien de causalité direct avec la faute établie.
Il convient préalablement de constater qu’aucun accord n’est intervenu entre les différentes parties pour admettre la réalité et l’ampleur du préjudice notamment concernant les retours clients des produits endommagés.
Or, l’expert judiciaire [K] [P], chargé de déterminer l’origine de la défectuosité du produit vendu, relève en effet, à la demande des parties défenderesses, l’absence de traçabilité du processus de traitement de l’Immergan par la société CDF et de traçabilité de la façon dont ont été appliquées les différentes formules proposées par les sociétés BASF Espagnola et Indigo Chimie pendant la période du sinistre.
Dans le compte rendu de la réunion du 18 juin 2012 (cf page 116 du rapport), [K] [P], expert judiciaire, indique « nous sommes conduits aux étages de stockage pour effectuer le prélèvement des échantillons de cuir à identifier, numéroter et préparer les étiquetages pour envoi en Belgique. Nous constatons que les peaux empilées ne sont pas référencées. Nous sommes à défaut informés de la nature des différentes piles de peaux par les indications du technicien de Cuirs du Futur ».
Et en conclusion à un dire d’une partie, il a précisé le 12 juin 2013 (page 158 du rapport), ce qu’il a relevé en synthèse: « absence de traçabilité de Cuirs du Futur pour les stocks de peaux teintées, empilées dans une zone de stockage après dommage, absence de traçabilité des traitements faits aux articles confectionnés par les confectionneurs, mauvaises conditions de stockage de CDF, de température, d’humidité et de ventilation des stocks pouvant avoir partiellement aggravé potentiellement des dommages, procédures de contrôles paramètres de production de CDF inexistantes, absence de tests de vieillissement de CDF avant lancement de production à grande échelle, absence de contrat de collaboration pour les programmes de mises au point de formules de teinture et nourriture, absence de compte rendu de travaux BASF et CDF mentionnant les méthodes, les moyens et les résultats obtenus ».
Et enfin, en conclusion récapitulative de son rapport en page 15 , il indique, « nous avons constaté l’absence de traçabilité du processus de traitement à l’immergan de Cuirs du Futur. Pour ces raisons, nous n’avons pas pu conforter une revendication de partie demandant la certitude que les articles Magisco aient été fabriqués tous avec le produit Lugafast. Nous précisons d’ailleurs que cette demande est une considération hors mission. Dans la même considération, nous n’avons pas pu répondre à la question pourquoi certains types d’articles Magisco n’ont pas été concernés par le retour client et soulignons que cette recherche ne relève pas des travaux de mission factuels de l’expert. Nous laissons ainsi non résolue une interrogation des parties, en raison du manque de traçabilité , de savoir si les formules avaient été appliquées correctement pendant la période du sinistre. »
Dans son rapport judiciaire sur l’évaluation du préjudice subi par la sarl CDF, l’expert [V] expose, en page 20, comment il a procédé à son évaluation du préjudice de CDF et, concernant le préjudice lié aux réclamations des clients qui ont acheté des peaux sinistrés en 2008 et 2009, il précise : « correspond aux dédommagements qui ont été ou qui seront accordés de manière certaine aux clients par CDF suite à leur réclamation écrite ou orale. Ce poste se décompose en deux parties :
un préjudice n°1 correspondant aux dédommagements, décaissés ou dus, déjà accordés par CDF à certains clients
un préjudice n° 2, correspondant aux dédommagements que CDF s’est engagé à consentir à certains clients sans que ceux ci n’aient formulé de réclamations écrites dès lors qu’il aura lui-même été indemnisé ».
Il considère qu’à la lecture des conclusions de l’expert [P], « la seule présence de l’immergan dans la formule de teinture était à l’origine du sinistre » et il en déduit que les retours clients sont nécessairement liés au produit Immergan. (page 23 et 24 du rapport).
La société CDF ne produit, en cause d’appel, aucun élément permettant de pallier cette carence liée au défaut de traçabilité des produits endommagés quant à l’origine du sinistre et quant à l’ampleur du préjudice subi, pour justifier de la réalité de son préjudice et du lien de causalité direct avec les manquements retenus à l’encontre des sociétés BASF Espagnola et Indigo chimie.
Il est donc impossible de savoir si les cuirs stretch sinistrés présentés à l’expert judiciaire [P] sont bien ceux qui ont été fabriqués à l’aide de la formule de la société BASF Espagnola et Indigo Chimie et si l’application de la formule a été mise en ‘uvre conformément aux prescriptions de la société BASF et Indigo chimie.
Mais surtout, l’ampleur des retours clients en lien avec la seule cause de l’usage de l’immergan n’est pas établie, à défaut de les avoir présentés à l’expert judiciaire ni de présenter les lettres de réclamations en lien direct avec ce seul sinistre.
Enfin, il n’est pas contesté que la société CDF a, d’emblée, utilisé les diverses formules Lugafast sur les peaux sans justifier d’un inventaire précis concernant le processus industriel utilisé ni avoir inventorié les retours de produits retournés par ses clients ni les cuirs qu’elle a stockés et présentés à l’expert judiciaire.
Dans ces circonstances d’évaluation incertaine de la réalité du préjudice subi en lien avec une cause déterminée du sinistre industriel, il convient d’infirmer le jugement et de débouter la sarl CDF de ses demandes indemnitaires à l’encontre des sociétés BASF Espagnola et Indigo Chimie et de leurs assureurs MMA et MMA iard mutuelles pour Indigo Chimie et Basf Espagnola.
Les demandes principales au fond des assureurs de MMA et MMA iard mutuelles pour Indigo Chimie et Basf Espagnola ainsi que celles de la société BASF Espagnola ayant été satisfaites, il n’y a aucune autre demande à trancher en dehors des frais irrépétibles.
sur les demandes formées par la sarl CDF à l’encontre de son courtier Sagesse et de son assureur Ace Europe, devenue Chubb :
Les demandes formées à l’encontre du courtier et de l’assureur relèvent d’un régime juridique différent de celles formées contre les sociétés Basf et Indigo Chimie et leurs assurances dès lors que le courtier Sagesse et l’assureur Ace Europe ne garantissaient que la responsabilité civile professionnelle de la sarl CDF selon les contrats souscrits.
La SAS assurances Gestion Services, sous l’enseigne Sagesse a racheté le cabinet de M [A] en 2005 auprès duquel la société Cuirs du Futur avait souscrit un contrat d’assurance responsabilité civile le 30 juillet 2003 auprès d’Ace Europe.
Le 30 juillet 2003, la société Cuirs du Futur a souscrit un contrat d’assurance responsabilité civile auprès de la compagnie Ace Europe, devenue Chubb, par l’intermédiaire du courtier en assurance Sagesse.
Concernant les demandes formées à l’encontre du courtier Sagesse :
La sarl CDF demande de condamner la sarl Sagesse solidairement avec les autres parties défenderesses à lui régler la somme de 92.689,85 euros correspondant au préjudice subi auprès des clients d’Amérique du Nord.
Elle expose en pages 28 et suivantes de ses conclusions que la société Sagesse a commis une faute en qualité de courtier en assurance en ne l’ayant pas alertée sur le fait que ne seraient pas couverts les risques concernant des clients d’Amérique du Nord alors qu’elle savait nécessairement qu’une partie du chiffre d’affaires était réalisée en Amérique du Nord et que les déclarations produites notamment en 2012 comportent sur l’imprimé « nous vous rappelons que la garantie USA/Canada est exclue » avec le tampon de Sagesse et ce n’est que par lettre du 6 juillet 2011, que Sagesse a alerté son client sur cette exclusion territoriale du contrat d’assurance souscrit.
La société Sagesse répond, préalablement qu’elle ne peut pas être condamnée solidairement avec les parties défenderesses alors qu’elle n’est pas à l’origine des désordres et ne peut être auteur des mêmes dommages indemnisables, sa faute éventuelle n’étant pas assimilable à celle des auteurs poursuivis.
Par ailleurs, elle conteste avoir commis une quelconque faute à l’égard de sa cliente, la sarl CDF, en rappelant qu’en qualité d’intermédiaire en assurance, elle est tenue d’une obligation de conseil, obligation de moyen et que le courtier n’a pas d’obligation de vérification des déclarations de l’assuré ni de la permanence de leur exactitude notamment sur l’activité déclarée et sur les montants des chiffres d’affaires réalisés. Elle précise que la sarl CDF ne l’a pas informée qu’elle avait développé une activité à destination de la zone USA-Canada pour laquelle elle souhaitait être couverte et ne justifie pas du contraire.
La cour rappelle qu’il appartient à la partie qui l’invoque de justifier du manquement allégué. En l’espèce et s’agissant de deux professionnels, le courtier en assurance a un obligation de mise en garde et de conseil vis à vis de son client, fut il professionnel dans son secteur d’activité, mais ce devoir de conseil ne peut s’exercer que dans la limite des déclarations du client dans la présentation de son activité, pour l’essentiel quant à sa nature, ses moyens, ses risques, son implantation géographique, son volume d’activité etc .. .
Il est évident que le client doit déclarer le plus précisément possible son activité à son courtier pour lui permettre de définir la meilleure garantie d’assurance possible en fonction des attentes de son client et permettre à ce dernier de déterminer les exclusions d’assurance admissibles, voire d’envisager des garanties complémentaires auprès d’autres acteurs de l’assurance.
D’une part, il n’appartient donc pas au courtier de procéder à des vérifications sur l’activité déclarée de son client avant qu’il soumette le dossier aux assureurs potentiels.
D’autre part, quand le client souscrit le contrat d’assurance, il doit y retrouver l’ensemble des exclusions et limites de garantie qui lui seront opposées en cours d’exécution du contrat.
En l’espèce, aucune pièce ne fait état d’échanges, entre le courtier Sagesse et sa cliente la sarl CDF, sur l’exclusion envisagée de la garantie USA-Canada avant la signature du contrat d’assurance auprès d’Ace Europe, devenue Chubb, le 30 juillet 2003.
Le contrat d’assurance que la sarl CDF a signé n’est signé que sur la première page des conditions particulières qui précise uniquement « voir conditions particulières suites ».
Les conditions particulières comportent 5 pages, non paraphées mais signées en dernière page par le souscripteur, et à l’article III, il est stipulé « le présent contrat comporte les imprimés suivants dont l’assuré reconnaît avoir reçu un exemplaire :
les conditions générales responsabilité civile ref PA 40065-12/01
les conventions spéciales
– responsabilité civile exploitation ref PA 40066-10/00
– responsabilité civile produits livrés ref PA 40067-01/02
– défense pénale et recours ref PA 40051- 07/01
– l’annexe base réclamation ref BR-12/01
– les présentes conditions particulières. »
Dans la responsabilité civile conventions spéciales est stipulé en gras le paragraphe « limites géographiques de la garantie » et à l’intérieur en gras également il est précisé :« la garantie ne pourra s’exercer aux Etats-Unis d’Amérique ou au Canada, y compris dans leurs territoires ou possessions, pour les PRODUITS dont l’ASSURE a la connaissance formelle qu’ils sont destinés à être distribués dans ces pays, qu’aux conditions suivantes : l’ASSURE devra avoir déclaré à l’ASSUREUR le montant chiffré de ces exportations
l’ASSUREUR devra avoir notifié son accord de garantir moyennant des conditions spécifiques à ce risque »
Il ressort de ces seules pièces que la sarl CDF a signé un contrat d’assurance qui mentionnait clairement les limitations de garanties en gras dans la partie conditions générales et conditions spéciales dont elle a dit avoir eu connaissance. S’agissant d’un professionnel et en sa qualité de commerçante qui fabrique des nouveaux produits, la sarl CDF ne peut avoir signé un contrat d’assurance responsabilité civile sans vérifier les conditions d’exclusion et de limitation de garantie du contrat d’assurance et ce d’autant plus qu’en l’espèce, elles étaient très lisibles et mentionnées en gras dans le contrat souscrit.
Elle savait nécessairement après la signature du contrat en juillet 2003 qu’il existait une limitation géographique de responsabilité civile et que ses déclarations annuelles à l’assureur pouvaient avoir des conséquences sur la portée de la garantie souscrite et que cette limitation de garantie pouvait être spécialement étendue, sous réserve de conditions de garantie différentes, par une déclaration spécifique du chiffre d’affaire réalisée dans la zone non couverte pour générer éventuellement une acceptation de garantie d’Ace Europe sous conditions spécifiques.
Il est donc faux d’affirmer que Sagesse n’avait pas dit à sa cliente qu’il existait une limitation géographique de garantie puisqu’elle était très distinctement lisible et qu’était stipulée la possibilité pour sa cliente de solliciter une nouvelle garantie spéciale sur la zone géographique limitée, auprès d’Ace Europe, sur simple déclaration et que cette hypothèse est évoquée dans les conditions générales et convention spéciale.
Par ailleurs, elle ne justifie pas du fait que les déclarations de chiffre d’affaires étaient déléguées au courtier puisque la signature des déclarations produites par Sagesse n’est pas contestée comme étant celle du souscripteur qui connaît le montant de son chiffre d’affaires et l’importance de celui réalisé aux Etats-Unis et au Canada à la date où il les a nécessairement signées.
De surcroît, les parties s’opposent sur les déclarations qui ont été transmises à l’assureur Ace Europe et sur le montant chiffré des exportations.
Pour Sagesse, la seule déclaration effectuée par la sarl CDF à Ace Europe contenant le montant du chiffre d’affaires USA/Canada est celle datée du 28 mai 2010, pour 1.206.342 euros sur 10,8 millions de chiffres d’affaires global réalisé en 2009.
Sagesse produit, en pièces 2 à 5, les 4 déclarations, toutes signées du responsable de la sarl CDF, en 2005, 2006, 2008 et 2010.
La déclaration 2010 est postérieure à la déclaration de sinistre de la sarl CDF du 27 janvier 2009, sinistre qui ne peut donc être couvert par la garantie alors que les déclarations produites pour les années 2005, 2006 et surtout celle du 15 avril 2008 ne déclaraient pas de chiffre d’affaires réalisé aux USA / Canada à garantir.
La sarl CDF produit également des déclarations de chiffres d’affaires faites à l’assureur mais pour celles de 2008 (pièces 18 et 19), curieusement, elles ne sont pas signées et sont dédoublées, datées du même jour le 3 avril 2008 et distinguant la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2008 avec un chiffre d’affaires de 4.803.264 euros sans autre précision signée le 15 avril 2008 (pièce 18) et pour l’autre, pour la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2009, avec mention manuscrite du dernier chiffre de chaque année, avec la mention du « chiffre d’affaires sans les USA » pour 6.434810 euros mais elle n’est ni signée ni datée au dessus de la signature (pièce 19).
Pour 2010, la sarl CDF produit une déclaration signée avec les mentions distinctes du CA global dont la part USA /Canada (pièce 20).
La Cour constate que la pièce 19 de la sarl CDF n’est pas cohérente puisqu’elle est datée du 3 avril 2008 et porte sur une période se terminant au 31 mars 2009 alors que la pièce 18 ressemble davantage aux chiffres et mentions figurant dans la pièce n°4 produite par Sagesse et signée. Mais cette pièce ne comporte aucune déclaration de chiffre d’affaires réalisé aux EU et au Canada.
La Cour en déduit que la pièce 4 de Sagesse est la seule probante de la déclaration faite en 2008 avant la déclaration de sinistre de 2009 à la société Ace Europe.
C’est donc volontairement que les déclarations produites ont visé les chiffres d’affaires réalisés sans mentionner la part de marché réalisée en Amérique du Nord avant 2010, et donc avant le sinistre de 2009, objet du présent litige alors que la sarl CDF avait bien identifié ses clients aux Etats Unis puisqu’elle évoquait le client Trend selection à New York dans son courrier du 27 janvier 2009 adressé au cabinet [A] pour évoquer les « problèmes de fabrication sur velours stretch noir lavable » (pièce n°3 de la SA Chubb).
En définitive, la sarl CDF n’établit pas le manquement de la société Sagesse à son devoir de mise en garde ou de conseil.
Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
sur les demandes de la Sarl CDF formées à l’encontre de son assureur, la société Chubb European Group ltd :
Il n’est pas contesté que le contrat d’assurance entre la sarl CDF et son assureur Chubb s’est renouvelé d’année en année par tacite reconduction.
La sarl CDF reproche à son assureur Chubb de ne pas l’avoir indemnisée d’emblée, dès la découverte du sinistre commercial et d’avoir dû indemniser elle-même ses propres clients sans le soutien financier de son assureur. Or, elle estime que ce dernier lui devait pourtant garantie dès lors que les expertises ont conclu au fait que les produits commercialisés par la sarl CDF étaient viciés et que les dits dommages étaient couverts pas la garantie souscrite.
Elle considère que son assureur Chubb lui a réglé la somme, qui était due d’emblée, de 290.310,15 euros, avec 12 années de retard et lui doit par conséquent plus de 40.000 euros d’intérêts légaux de retard à titre de dommages-intérêts.
Elle admet que le tribunal a octroyé des sommes bien supérieures à sa demande de 290.310,15 euros mais qu’il n’a pas répondu à sa demande complémentaire au titre de la faute contractuelle de son assureur.
Elle expose que l’assureur avait connaissance du fait dommageable dès la déclaration de sinistre à M . [A] du 27 janvier 2009 et qu’il importe peu que la sarl CDF ait d’ores et déjà indemnisé certains clients, pour opposer la sanction de l’article L124-5 du code des assurances. L’assureur a donc accepté de fournir sa garantie après fin janvier 2009 en toute connaissance de cause.
Elle conteste l’exclusion des produits livrés au marché américain prévue au contrat pour le client Chatam industrie ltd, qui est établi à Hong Kong, et non aux Etats-Unis sans que la sarl CDF connaisse la destination finale des produits.
Elle conteste également les nouvelles exclusions contractuelles de l’assureur qui n’ont pas été soulevées devant l’expert judiciaire [V] chargé de l’évaluation des dommages subis, relatives au rejet des peaux brutes pour 189.710,76 euros en appel après avoir rejeté cette demande à concurrence de 100.599,24 euros en première instance.
De son coté, la société Chubb demande la réformation du jugement et le débouté de son client à défaut de justifier de ses prétentions contractuelles. Elle fait valoir que le tribunal n’a pas appliqué les clauses du contrat d’assurance qui garantit la réparation due aux tiers du chef de la responsabilité civile engagée par son assurée à l’égard des tiers et non l’intégralité du préjudice que la sarl CDF a subi, soit les conséquences financières du sinistre au titre des dédommagements assumés par la sarl CDF au profit des clients, préjudice que cette dernière évalue à 290.310,15 euros.
Toutefois, elle demande également qu’il soit tenu compte des limites territoriales de la garantie et d’exclure les produits endommagés qui étaient destinés au marché américain et notamment les factures du client Chatam Industrie ltd, certes situé à Hong Kong mais l’indemnisation étant sollicitée par son sous-traitant à New York le groupe américain Théory-Helmut Lang pour 3.793,72 euros.
Elle sollicite également la déduction des 6.314 euros au titre des dédommagements accordés au client Oscar Fashion, faute d’éléments justificatifs liés aux peaux en litige alors que les remboursements ont été effectués entre février et décembre 2011 sans établir que le dommage indemnisé est lié au désordre visé dans le présent litige.
Sur le montant réclamé et selon les éléments apportés par l’expertise judiciaire de M. [V], elle entend voir écarté le montant d’indemnisation du préjudice lié aux peaux traités de celles qui ont été transformées, car le remboursement ou le remplacement des peaux brutes n’est pas couvert par la garantie responsabilité civile de la police souscrite, soit 189.710,76 euros à déduire du préjudice allégué.
La société Chub reproche aussi à son assurée de ne pas l’avoir informée des premiers sinistres enregistrés puisque la sarl CDF a commencé à rembourser ses clients mécontents, dès septembre 2008 et ce jusqu’en mars 2009, alors que la déclaration de sinistre a été effectuée le 31 janvier 2009. Elle lui reproche de lui avoir dissimulé un « passé connu » à la date de la reconduction du contrat en avril 2009 et elle évalue à 65.925,04 euros le montant des dommages à exclure comme étant la conséquence inévitable et prévisible des agissements de l’assuré.
Enfin, elle rappelle le montant de la franchise de 7.500 euros et déduit que sa garantie ne pourrait être limitée qu’a 17.066,48 euros. Elle rappelle qu’elle n’a aucune obligation à garantir immédiatement dès le sinistre déclaré et aucun soutien financier à apporter à sa cliente. La demande de 40.000 euros dommages-intérêts pour versement différé de l’indemnisation n’est, selon elle, pas fondée.
Préalablement, la Cour confirme la position de la société Chubb sur le contenu de la garantie souscrite à l’examen du contrat d’assurance. La police souscrite auprès de la société Ace Europe, devenue la société Chubb, ne garantit pas la sarl CDF au titre d’une responsabilité dommage mais uniquement au titre d’une police responsabilité civile professionnelle, garantissant ainsi le préjudice qu’elle a causé aux tiers.
Le sinistre a été déclaré à l’assureur le 31 janvier 2009, à une date où l’assureur garantissait les dommages subis par les clients, en dehors des clients situés aux Etats Unis et au Canada depuis avril 2008, date de renouvellement tacite du contrat, dès lors que le chiffre d’affaire réalisé dans cette zone géographique n’a été déclaré qu’ultérieurement en 2010.
Par ailleurs, la société CDF a répondu à son obligation de déclarer le sinistre au sens défini dans l’annexe du contrat d’assurance : « est considéré comme sinistre le premier des deux événements suivants :
– toute déclaration d’un dommage remise par l’assuré à l’assureur
– toute réclamation d’un tiers lésé, amiable ou judiciaire, portée à la connaissance de l’assureur,
dès lors que ce dommage ou cette réclamation est susceptible d’entraîner l’application d’une garantie de contrat.
En outre, toutes les déclarations ou réclamations procédant d’une même cause initiale, constituent un seul et même sinistre dont la date sera celle de la première déclaration ou réclamation »
Après la déclaration de sinistre en janvier 2009, l’assureur Chubb ne justifie pas avoir remis en cause sa garantie ; le contrat s’est donc poursuivi et renouvelé tacitement en avril 2009.
Comme les sinistres ont été déclarés à l’assureur en janvier 2009 comme étant en lien avec la production du produit Magisco en noir à compter de mars 2008 par utilisation d’une formule chimique inadaptée révélée après les premiers retours de produits en septembre 2008, ce qui, selon sa cliente, a généré l’arrêt de la production avant de déterminer une formule modifiée, la garantie est due à l’égard des tiers sinistrés liés au dommage déclaré par la sarl CDF à son assureur.
Et il n’y a pas lieu de déduire « les dommages qui sont la conséquence inévitable et prévisible de l’assuré » comme veut le faire juger la société Chubb alors que les préjudices étaient couverts sur la période de la déclaration du sinistre.
Toutefois et à bon droit, la société Chubb reproche à son client d’avoir dédommagé des clients, sans en avertir son assureur, avant le 31 janvier 2009 ; les remboursements effectués à titre commercial et discrétionnairement avant déclaration du sinistre à son assureur responsabilité civile ne peuvent être remboursés. Il appartenait cependant à la société Chubb de préciser, pour éventuellement le déduire, le montant des remboursements déjà opérés par la sarl CDF spontanément avant la déclaration de sinistre, ce qu’elle ne fait pas.
Eu égard à l’étendue de la garantie contractuelle, ne peuvent être garantis que les retours de produits transformés et sinistrés c’est à dire les produits retournés par les clients en lien avec l’utilisation de l’Immergan.
Quand dans son courrier du 27 janvier 2009, la sarl CDF précise : « notre gros souci est que nous restons maintenant avec un stock invendable et des clients qui nous font des réclamations régulièrement suite aux retours qu’ils ont de leurs acheteurs », il convient de rappeler que la police d’assurance ne peut couvrir que les stocks de peaux traités et retournés par ses clients.
Par ailleurs, comme cela a été établi à l’égard du courtier Sagesse, la police souscrite comportait une limitation territoriale exclusive des produits destinés aux Etats Unis et au Canada, limitation que connaissait parfaitement l’assurée comme cela ressort du contrat d’assurance et des diverses déclarations effectuées auprès de l’assureur. Les retours du client Chattam industrie qui a vendu aux Etats unis et au Canada en 2008 et début 2009 ne peuvent être garantis.
Concernant le client Oscar Fashion dont la société Chubb souhaite que la demande d’indemnisation correspondante soit écartée pour avoir été indemnisée tardivement, les 28 février et 20 décembre 2011, sans lien certain avec la cause du sinistre, la sarl CDF renvoie au rapport de l’expert [V] qui mentionne en annexe 1 une commande de produits pour 2009, sans autre élément que détient nécessairement la sarl CDF pour préciser la commande, sa date et la nature du produit.
Il sera fait droit à la déduction sollicitée par la SA Chubb au visa de sa pièce n°10, soit une déduction de 6314 euros
Eu égard à l’ensemble de ces éléments et des chefs de préjudice retenus au titre des réclamations des clients par l’expert [V] et des seuls dommages garantis après déclaration du sinistre responsabilité civile de la sarl CDF, l’assureur Chubb ne sera tenu d’indemniser que les produits transformés pour un montant de 100.599,24 euros, desquels il convient de déduire la somme de 17.607,72 euros correspondant uniquement aux dédommagements du client Chatam industries Ltd (3.793 ,72 euros), du client Oscar Fashion ( 6.314 euros) et de la franchise de 7500 euros qui est effectivement prévue au contrat pour chaque sinistre.
La SA Chubb sera condamnée à verser à sa cliente, la sarl CDF, la somme de 82.991,52 euros au titre de sa garantie contractuelle et le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Enfin sur la demande de dommages intérêts pour retard dans le versement de l’indemnité due par la SA Chubb à son assurée la sarl CDF, cette dernière ne se fonde sur aucune stipulation contractuelle imposant à l’assureur de verser des provisions sur l’indemnisation éventuellement due ni davantage de lettre de mise en demeure adressée à cette fin.
Dans le contrat d’assurance, il est stipulé au règlement des sinistres, que l’assureur prend en charge les frais et honoraires d’enquête, d’instruction, d’expertise d’avocat et de frais de procès qui viendront en déduction du montant de la garantie mais aucune stipulation ne précise que le montant de la garantie est versé par provision ou d’emblée dès la déclaration du sinistre.
Il convient de débouter la sarl CDF de sa demande de dommages-intérêts à l’égard de la SA Chubb.
sur les demandes accessoires :
La sarl CDF et la SA Chubb qui succombent seront condamnées aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais des deux expertises judiciaires.
Sur les demandes relatives aux frais irrépétibles, en raison de la spécificité du litige et des seules responsabilités retenues ainsi que de la qualité des parties dans le cadre d’un sinistre industriel, la sarl CDF versera 3.000 euros à la Sagesse et toutes les autres parties, en dehors de la Sagesse, conserveront la charge de leurs frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt par défaut et en dernier ressort,
Infirme le jugement, mais seulement en ce qu’il a :
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de la compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 1.746.000 € en réparation du préjudice subi,
fixé la créance de la société Cuirs du Futur au passif de la liquidation judiciaire de la société Indigo Chimie au même montant,
dit et jugé que ces condamnations solidaires le seront dans la limite du préjudice global de la société Cuirs du Futur chiffré à 1.746.000€,
condamné solidairement les sociétés Basf, Indigo Quimica, les compagnies Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, venant aux droits de Ia compagnie Covea Risks, assureurs de la société Indigo Chimie, et la compagnie Chubb à payer à la société Cuirs du Futur la somme de 11.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (cpc),
les a condamnées solidairement aux entiers dépens dont frais des deux expertises et les frais de greffe taxés et liquidés la somme de 455,64 € TTC.
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
déboute la sarl CDF de ses demandes d’indemnisation formées à l’encontre des sociétés BASF Espagnola, Indigo Chimie et Indigo Quimica ainsi que des sociétés MMA iard et MMA iard assurances mutuelles
déboute la sarl CDF de sa demande de fixation de créance au passif de la société Indigo Chimie
condamne la société Chubb à verser à son assurée la sarl CDF la somme de 82.991,52 euros au titre de sa garantie contractuelle responsabilité civile
déboute la sarl CDF de sa demande de dommages-intérêts à l’encontre de la sarl Chubb
condamne la sarl CDF et la société Chubb aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertises judiciaires,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
condamne la sarl CDF à payer à la société Sagesse la somme de 3.000 euros
déboute les autres parties de leurs demandes de ce chef.
Le greffier, La présidente,
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