République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 22/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 21/04291 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TY3R
Jugement n° 2020005672 rendu le 27 mai 2021 par le tribunal de commerce de Lille-Métropole
Ordonnnace incident n° 22/179 rendue le 28 avril 2022 par le magistrat chargé de la mise en état
APPELANTE
SAS [D] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Catherine Lemaire, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assistée de Me Isabelle Aidat Rouault, avocat au barreau de Chartres, avocat plaidant
INTIMÉE
SARL Agrochange-Peo prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Gérald Malle, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 22 mars 2023 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré initialement prévu au 08 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 1er mars 2023
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La SARL [D] a pour activité l’entreposage de produits à caractère agricole et le négoce de tous produits.
A ce titre, elle produit et commercialise des pommes de terre.
La société à responsabilité limitée Agrochange-Peo est quant à elle spécialisée dans le courtage et le négoce de produits alimentaires.
Par contrat du 18 avril 2019, la SARL Agrochange-Peo a acheté à la SAS [D] 125 tonnes de pommes de terre variété Agata calibre 45/75 en conditionnement dit ‘ big bag’, au prix de 500 euros/tonne et une tare de 5 %, ce qui représentait 5 camions de 25 tonnes. Le contrat précise que la marchandise est à destination d’Udapa en Espagne.
Cependant, si les 2 premiers camions ont été livrés en Espagne, le 3ème camion a été livré en Italie. Les 4ème et 5ème camions ont été livrés au Portugal le 3 mai 2019 et ont fait l’objet d’une contestation en raison de la qualité des pommes de terre qui auraient été affectées de la dartrose.
Le client portugais a proposé alors d’appliquer une tare globale de 45 % sur le camion présentant le plus de dartrose et 25 % sur l’autre.
M. [D] a contesté cette proposition et a sollicité le retour d’un camion.
Considérant que la marchandise du camion retourné devait lui être payée (12. 464,40 euros TTC, sous déduction de la valeur de revente de la marchandise retournée soit 4.480 TTC et augmentée du coût du transport, soit 3.450 euros TTC), la SAS [D] a réclamé à la SARL Agrochange-Peo le paiement de 11 433,54 euros TTC, outre des dommages et intérêts.
Par exploit d’huissier du 23 avril 2020, la SAS [D] a fait délivrer assignation à la S.A.R.L. Agrochange-Peo devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de voir celle-ci :
– condamnée à lui verser la somme de 11’433,54 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 septembre 2019,
– condamnée à lui verser 1’500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi,
– condamnée à lui verser 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 27 mai 2021, le tribunal de commerce a :
– débouté la SAS [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamné la SAS [D] à payer à la SARL Agrochange-Peo, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé que l’exécution provisoire du jugement est de droit,
– condamné la SAS [D] aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe du 30 juillet 2021, la SAS [D] a interjeté appel du jugement, déférant à la cour chacun de ses chefs.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 octobre 2021, la SAS [D] demande à la cour de :
– vu les articles L. 110-1 du code de commerce, 1100-1 du code civil,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 27 mai 2021en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
– en conséquence,
– condamner la société Agrochange-Peo à lui verser 11’433,54 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 septembre 2019,
– condamner la société Agrochange-Peo à lui verser 1’500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi,
– condamner la société Agrochange-Peo à lui verser 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 4’000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel,
– condamner la société Agrochange-Peo aux entiers dépens de première instance et d’appel avec faculté de recouvrement au profit de son conseil.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
– la société Agrochange-Peo prétendant à la mauvaise qualité des pommes de terre ne démontre pas qu’elles n’étaient pas commercialisables,
– le taux de tare de dépassait pas 17 % et était conforme aux stipulations contractuelles de l’article 7 des conditions générales de vente,
– la société Agrochange-Peo ne pouvait refuser le camion et devait assumer les frais de transport,
– un huissier de justice n’est pas compétent pour estimer la valeur des pommes de terre et déterminer la maladie de ces dernières, seule une société agréée peut le faire,
– la société Agrochange-Peo devait saisir la société Eurocelp expert,
– à défaut de saisine de Eurocelp, la société Agrochange-Peo devait payer l’intégralité du camion ainsi que les frais.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 janvier 2022, la société Agrochange-Peo demande à la cour de :
– confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
– condamner la SAS [D] au paiement de la somme de 5’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous frais et dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
– les parties se sont accordées pour ne pas organiser une expertise Eurocelp dont les frais auraient impacté fortement l’intérêt du litige,
– les parties ont décidé de faire revenir un seul des deux camions litigieux afin de constater par elle-même de visu l’état de la marchandise livrée,
– la constatation s’est faite d’un commun accord en présence d’un huissier de justice,
– les parties ont constaté que la marchandise expédiée était viciée de 35 % de dartrose et que la marchandise restant en stock était elle-même viciée de la même manière,
– l’absence d’agréage par la société Eurocelp n’interdisait pas à la société Agrochange-Peo d’invoquer une mauvaise qualité de la marchandise livrée pour en refuser la livraison,
– le mauvais état de la marchandise est attesté par :
* le refus d’Eurobatata,
* le constat d’huissier,
* l’acceptation de la société [D] pour non-retour du 5ème camion,
* la revente par la société [D] de la même marchandise avec une tare équivalente à ce qui lui était opposé,
– la SAS [D] n’a émis aucune protestation, ni aucune condition à la reprise de la marchandise sinistrée,
– la SAS [D] pouvait organiser une expertise Eurocelp.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er mars 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 22 mars 2023.
MOTIVATION
Par contrat n° 26301 en date du 18 avril 2019, la SARL Agrochange-Peo a acheté à la SAS [D] 125 tonnes de pommes de terre variété Agata calibre 45/75, marchandise non lavée mais lavable, en conditionnement dit «’big bag’», au prix de 500 euros/tonne et une tare de 5 %, ce qui représentait 5 camions de 25 tonnes. Le contrat précise que la marchandise était à destination d’ Udapa en Espagne et que le chargement du premier camion aurait lieu le 22 avril.
L’article 4 du contrat mentionne que lorsque le contrat porte sur une quantité nécessitant plusieurs transports, le premier camion aura une valeur de test, et s’il ne donne pas satisfaction et fait l’objet d’un refus, le contrat est réputé n’avoir jamais existé pour les chargements suivants et se trouve résolu sans pénalités de part et d’autre.
L’article 5 des conditions générales en page 2 du contrat et à laquelle renvoie la page 1, précise qu’en cas de désaccord sur la qualité du lot ou d’un camion de pommes de terre, les parties s’entendent pour confier à la société Eurocelp mission pour l’examen, la réception et la détermination de la qualité de la marchandise objet du litige.
L’article 7 du contrat prévoit que l’acquéreur peut demander la rupture du contrat si la tare dépasse 17 % et refuser le camion.
La lettre de voiture du 22 avril 2019 atteste que la société [D] a expédié le premier camion, ce même jour, à Udapa en Espagne, au moyen d’un ensemble routier identifié.
La société Agrochange-Peo produit une lettre de voiture du 3 mai 2019 attestant que la société [D], pour l’exécution du même contrat n°26301, a expédié un camion de 24’400 kg de marchandise à Bianchi en Italie, par un transporteur italien.
La société Agrochange-Peo produit ensuite une lettre de voiture du 3 mai 2019 également, attestant que la société [D], pour l’exécution du même contrat n°26301, a expédié un camion (63-UV 23) de 24’840 kg de marchandise à Eurobatata au Portugal.
La société Agrochange-Peo produit ensuite une autre lettre de voiture du 3 mai 2019, attestant que la société [D], pour l’exécution du même contrat n°26301, a expédié un camion (72-VI-43) de 24’620 kg de marchandise à Eurobatata au Portugal.
Il n’est pas établi que la modification de destination des pommes de terre ait une incidence sur l’issue du litige.
Par courriel du 9 mai 2019, la société Agrochange-Peo a décrit les problèmes de qualités rencontrés à l’arrivée chez Eurobatata des deux camions déjà mentionnés. Un premier camion, selon ce courriel, a présenté, sur 15 kg d’échantillon, 6,225 kg de pommes de terre jugées non lavables par le client pour cause de dartrose. L’échantillon de l’autre camion, selon le client a été meilleur mais qu’il présente beaucoup plus de dartrose que le premier camion réceptionné. La société Agrochange-Peo a demandé son accord à la société [D] pour régler la difficulté en accordant 35% de tare globale sur le camion présentant le plus de dartrose et 20% sur l’autre.
Cette société a refusé cet accord et, par courriel du 10 mai 2019, a demandé le renvoi d’un camion. Dans ce courriel, la société [D] a indiqué : «’ je conteste la décision d’Eurobatata et je demande le renvoi d’un camion pour voir. Il est inutile de faire trop de frais dans un premier temps. Ce camion sera à comparer avec le stock de pommes de terre présent dans mon frigo. Il reste environ 25 caisses de 2 t. nous en prendrons 5 au hasard et nous les échantillonnerons. Nous prendrons 5 bb [big bag] au hasard et nous les échantillonnerons. Nous comparerons les résultats. Je fais appel à ma protection juridique pour me faire assister par un expert.’»
Par courriel plus tardif du même 10 mai, la société Agrochange-Peo a regretté le refus de la proposition d’Eurobatata par la société [D]. Il était précisé : «’Suite à votre demande concernant le retour du camion, nous venons de donner l’ordre de chargement des pomes de terre. Le transporteur nous a informé que le camion partira de Palmela lundi 13/05/2019 après-midi. Par ailleurs, veuillez trouver ci-joint un document à nous retourner signé, où vous donnez votre accord pour la venue d’un huissier dans vos locaux’». La société Agrochange-Peo a produit ce document signé de M. [I] [D].
Le constat d’huissier qui s’en est suivi le 16 mai 2019 a été établi sur la réquisition de la société Agrochange-Peo et en présence de la société [D] qui ont ensemble pioché aléatoirement 5 pommes de terre dans chacun des 20 bigs bags déchargés du camion en cause. Après rinçage, il est apparu que : 35% des pommes de terre étaient affectées de dartrose, que 23% présentaient quelques tâches mais demeuraient commercialisables et que 42% étaient lavables.
M. [D] ayant, avant l’arrivée de l’huissier, préparé un échantillon de 31 pommes de terre provenant de la société [D], l’huissier a constaté que 32% de ces pommes de terre étaient fortement marquées de datrose et que 68% étaient lavables.
L’huissier a enfin obtenu un troisième échantillon, de 51 pommes de terre, prises dans le réfrigérateur de la société [D], avec la participation de M. [L] représentant la société Agrochange-Peo. Le résultat a été pour ce dernier échantillon de 38% de dartrose et de 62% de pommes de terre commercialisables.
Le 17 mai 2019, M. [D] a indiqué par courriel à la société Agrochange-Peo que les pommes de terre s’étaient dégradées avec la chaleur et le transport et qu’il ne souhaitait pas faire revenir le second camion. Il demandait à la société Agrochange-Peo de demander à son client de «’travailler ce camion’», précisant ne pas être d’accord avec la tare proposée et vouloir poursuivre le litige. Le même jour la société Agrochange-Peo a indiqué en réponse que l’autorisation pour le dernier camion avait été transmise au client et qu’après négociation la nouvelle tare globale de 15% serait appliquée sur ce chargement.
Le 30 mai 2019, la société [D] a établi une facture de 43’357,42 euros TTC à l’adresse de la société Agrochange-Peo, correspondant à quatre camions livrés et conservés par le destinataire, étant observé que cette facture mentionne une lettre de voiture du 27 avril 2019, qui n’est pas produite, mais qui est hors litige, la société [D] indiquant que ce camion a été livré sans difficulté en Espagne.
Le 21 juin 2019, la société Agrochange-Peo, dans le cadre du litige en cours, a indiqué par courriel considérer que la demande du client était justifiée au regard du constat d’huissier. Elle a demandé la prise en charge du retour du camion, soit 2’900 euros, par la société [D] et a indiqué prendre à sa charge le coût du constat d’huissier.
La société [D] demande le seul paiement du prix du camion litigieux, faisant valoir que faute d’avoir saisi Eurocelp, la société Agrochange-Peo est mal fondée à sa plaindre de la qualité des pommes de terre, un simple constat d’huissier ne pouvant remplacer l’expertise à laquelle elle n’a pas renoncé.
Considérant que la marchandise du camion retourné devait lui être payée (12 464,40 euros TTC, sous déduction de la valeur de revente de la marchandise retournée soit 4 480 TTC et augmentée du coût du transport, soit 3 450 euros TTC), la société [D] réclame à la SARL Agrochange-Peo le paiement de 11 433,54 euros TTC, outre dommages et intérêts.
Il résulte des éléments déjà mentionnés que les premiers juges doivent être approuvés d’avoir retenu que le client portugais, la société Agrochange-Peo et la société [D] se sont entendus pour retourner un des camions tel que sollicité par M. [D] et pour faire constater l’état de la marchandise par huissier, et pour ne pas retourner l’autre camion.
La cour considère en outre que c’est la société [D] qui a voulu faire l’économie de l’évaluation par Eurocelp et que la négociation sur ce point avec la société Agrochange-Peo et acceptée par celle-ci prive de fondement le moyen pris du défaut d’intervention d’Eurocelp.
Le constat d’huissier de justice a été réalisé avec la participation des deux cocontractants et la société [D] est également mal venue d’en contester la force probante.
Rien n’indique que les quelques jours écoulés dans l’attente du constat d’huissier, les conditions du voyage de retour et la chaleur aient modifié l’état des pommes de terre observé par les parties et relaté dans le constat d’huissier.
Il est démontré que la marchandise n’était pas de la qualité promise, dès lors que le constat d’huissier réalisé avec la participation des parties démontre que la tare était en réalité manifestement bien supérieure aux prévisions du contrat, qui mentionne 5% et encore manifestement bien supérieure à 17%, figurant au contrat comme entraînant la possibilité de rupture du contrat par l’acquéreur et de refus du camion.
Le constat d’huissier démontre que le client de la société Agrochange-Peo était bien fondé à ne pas accepter le camion.
La société [D] n’ayant pas livré une marchandise conforme aux prévisions du contrat, sa demande en paiement et sa demande en dommages-intérêts sont mal fondées.
Le jugement entrepris sera confirmé et la société [D] déboutée de toutes ses demandes.
La société [D], qui succombe, versera à la société Agrochange-Peo une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
La société [D] sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris ;
Déboute la société [D] de toutes ses demandes ;
La condamne à payer 3’500 euros à la société Agrochange-Peo au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens d’appel.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles