4ème Chambre
ARRÊT N° 157
N° RG 21/07834
N° Portalis DBVL-V-B7F-SJVR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Guillaume FRANCOIS, Conseiller en charge du secrétariat général de la première présidence, désigné par ordonnance du premier président rendue le 29 mars 2023
GREFFIER :
Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Avril 2023, devant Madame Nathalie MALARDEL, magistrat rapporteur, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [F] [I]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Philippe GRESLE de la SCP AVOCATS NORD LOIRE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
Monsieur [L] [R] [J] [O] [D]
né le 26 Janvier 1979 à [Localité 3] (44)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Agathe BELET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
Madame [U] [Y] épouse [D]
née le 13 Juin 1979 à [Localité 6] (44)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Agathe BELET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant devis du 1er juin 2016, accepté le 20 juin suivant, M. et Mme [D] ont confié à M. [F] [I], exerçant à titre personnel sous l’enseigne [I] Nature, l’enrobage de l’accès à leur maison d’habitation, moyennant la somme de 8 239 euros TTC.
Si M. [I] a procédé à la préparation avant enrobage en octobre 2016, son sous-traitant, la société Loire Vendée Aménagement qui devait intervenir les jours suivants, ne s’est pas déplacée.
M. [I] a adressé le 27 décembre 2016 aux maîtres de l’ouvrage une facture de 1 713,56 euros TTC au titre des travaux réalisés avec les conditions générales de vente de son sous-traitant.
Par courrier du 5 mars 2017, M. [I] a écrit aux époux [D] qu’ils devaient payer et suspendre tout contact avec lui et a réclamé le règlement de la somme supplémentaire de 440 euros TTC.
Par courrier du 7 mars 2017, M. et Mme [D] ont mis en demeure M. [I] d’achever les travaux, proposant un calendrier de paiement échelonné.
Par mise en demeure notifiée par huissier le 18 mai 2017, M. [I] a réitéré sa demande en paiement de la somme de 2 486,57 euros TTC, outre celles de 195,77 euros, au titre d’un complément de TVA de 10 %, et de 40 euros de pénalité de retard.
Après avoir fait diligenter une expertise amiable par l’intermédiaire de leur assureur de protection juridique, par acte d’huissier du 12 mars 2018, M. et Mme [D] ont fait assigner M. [I] devant le tribunal de grande instance de Nantes en indemnisation de leurs préjudices.
Par ordonnance du 21 mars 2019, le juge de la mise en état a ordonné une expertise. L’expert, M. [K] a déposé son rapport en septembre 2019.
Par un jugement en date du 18 novembre 2021, le tribunal judiciaire a :
– constaté la résiliation à la date du 5 mars 2017 du contrat conclu entre M. [I] et les époux [D] aux torts réciproques ;
– condamné solidairement les époux [D] à payer à M. [I] la somme de 2 153,56 euros, productive d’intérêts légaux du 12 mars 2018, date de l’assignation valant mise en demeure ;
– condamné M. [I] à payer à M. et Mme [D] la somme de 18 028,80 euros au titre des travaux de reprise de l’enrobé, somme indexée sur l’évolution de l’indice BT01, applicable au 17 septembre 2017, entre le mois de septembre 2017 et la signification du jugement ;
– débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;
– condamné chacune des parties à supporter pour moitié les entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise ;
– ordonné l’exécution provisoire.
M. [I] a interjeté appel de cette décision le 15 décembre 2021, intimant M. et Mme [D].
L’instruction a été clôturée le 7 mars 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions en date du 11 mars 2022, M. [I] demande à la cour de :
Recevant M. [I] en son appel, l’en déclarer bien fondé ;
– confirmer le jugement du 18 novembre 2021 en ce qu’il a constaté la résiliation du contrat au 5 mars 2017 ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. et Mme [D] au paiement de la somme de 2 153,56 euros avec intérêts au taux légal ;
– réformer le jugement en ce qu’il a constaté la résiliation du contrat aux torts réciproques des parties et dire que cette résiliation est imputable aux époux [D] ;
– en conséquence, débouter les époux [D] de toutes leurs demandes à l’encontre de M. [I] ;
– subsidiairement, dire que la créance des époux [D] ne saurait excéder la somme de 9 000 euros ;
– en tout état de cause, condamner les époux [D] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens en lesquels seront compris les frais d’expertise judiciaire.
Il fait valoir avoir mis à niveau la terre végétale et reprofilé la cour. Il soutient que M. [D] est responsable de la rupture du contrat pour avoir remis en cause son travail sans aucun fondement technique et avoir fait pression sur lui pour poursuivre le chantier tout en refusant de lui régler les travaux réalisés conformément aux conditions générales de vente.
À titre subsidiaire, il demande de voir réduire le montant des condamnations retenues par le tribunal.
Dans leurs dernières conclusions en date du 7 juin 2022, M. et Mme [D] demandent à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nantes en ce qu’il a condamné M. [I] à payer à M. et Mme [D] la somme de 18 028,80 euros au titre des travaux de reprise de l’enrobé, avec indexation sur l’évolution de l’index BT01 entre le mois de septembre 2017 et le mois du jugement à intervenir ;
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nantes en ce qu’il a :
– constaté la résiliation à la date du 5 mars 2017 du contrat conclu entre M. [I] et les époux [D] aux torts réciproques ;
– condamné solidairement les époux [D] à payer à M. [I] la somme de 2 153,56 euros, productive d’intérêts légaux du 12 mars 2018, date de l’assignation valant mise en demeure ;
– débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;
– condamné chacune des parties à supporter pour moitié les entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise ;
Statuant à nouveau,
– constater la résiliation à la date du 5 mars 2017 aux torts exclusifs de M. [I] ;
– débouter M. [I] de sa demande, prescrite ;
– condamner M. [I] à leur verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires ;
– condamner M. [I] à régler à M. et Mme [D] la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et à assumer les entiers dépens d’appel et de première instance, comprenant ceux de l’incident.
Ils demandent que la résiliation soit prononcée aux seuls torts de M. [I]. Ils lui reprochent d’avoir abandonné le chantier après avoir mal exécuté le fond de forme puis l’avoir laissé se dégrader. Ils excipent de la prescription de la demande en paiement des factures par M. [I]. Ils réclament une indemnité de 8 000 euros en indemnisation de leurs préjudices liés à la rupture du contrat.
MOTIFS
Sur la résiliation du contrat
À titre préliminaire, il convient de constater que le devis ayant été signé le 1er juin 2016, n’est pas applicable au litige l’article 1219 du code civil créé par l’ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016.
En application de l’article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance précitée, le contrat peut être résilié en cas de faute grave de l’entrepreneur ou du maître de l’ouvrage.
Aux termes du devis du 1er juin 2016, M. [I] devait :
– mettre la terre végétale à niveau derrière les bordures et décaper certaines zones avec une mini pelle (225 euros HT),
– procéder au décapage de l’empierrement de certaines zones, à l’apport de gravier 0/20 et au cylindrage (1 600 euros HT),
– fournir et poser un regard pour les eaux pluviales avec une grille et réaliser le branchement au réseau (65 euros HT),
– fournir et poser un enrobé noir à chaud d’une épaisseur de 5 cm avec du gravier 0/6 et effectuer le compactage (5 600 euros HT).
L’expert a constaté que M. [I] avait réalisé la mise à niveau de la terre végétale, la préparation de la cour en la reprofilant en grave non traitée sur environ 5cm et avait fourni et posé deux regards d’eaux pluviales.
Il a exposé, sans être contredit par les parties, que s’étant fâché avec le sous-traitant qui devait poser l’enrobé, M. [I] n’avait pas recherché une autre entreprise susceptible de terminer les travaux.
M. [I] était tenu d’une obligation de résultat. Il n’a pas terminé les travaux commandés. Sa responsabilité contractuelle est engagée à ce titre.
S’agissant des torts dans la résiliation du contrat, le devis du 1er juin 2016 établi par M. [I] ne comporte ni conditions générales ni stipulation sur les modalités de paiement (pièce n°1 [I]) de sorte que l’artisan ne peut sérieusement soutenir qu’il était légitime à résilier le contrat faute de règlement de sa facture de 1 713,56 euros du 27 décembre 2016 par les maîtres de l’ouvrage alors que l’enrobé n’était pas mis en ‘uvre et qu’il n’était pas prévu de règlement d’acompte.
En outre, l’envoi par M. [I] aux époux [D] des conditions générales de vente de son sous-traitant avec sa facture ne lui conférait aucun droit, les époux [D] n’ayant jamais contracté avec la société Loire Vendée Aménagement. Ainsi que l’observe l’expert, il appartenait à M. [I] de rechercher une autre société pour effectuer l’enrobé puisqu’il s’était engagé par son devis à la réalisation de ces travaux.
L’appelant ne démontre par ailleurs aucune pression des époux [D] bien que ses courriers des 10 janvier et 5 mars 2017 contiennent des menaces à leurs encontre (pièce 14 [D]). Enfin, l’artisan ne peut leur reprocher d’avoir formulé à tort des critiques sur la qualité de ses travaux alors que les maîtres de l’ouvrage l’ont au contraire enjoint le 7 mars 2017 de les terminer.
L’artisan est ainsi fautif de n’avoir pas mis en ‘uvre l’enrobage après avoir préparé le sol à cet effet, toute attente entrainant la dégradation des travaux réalisés. Il aurait ainsi dû les achever avant de réclamer le paiement de la facture contrairement à ce qu’a retenu le tribunal. Il a également résilié unilatéralement le contrat sans motif valable.
Compte tenu de l’absence d’exécution de la partie la plus importante des travaux commandés, la gravité de la faute justifie la résiliation du contrat aux torts de M. [I] au 5 mars 2017, date à laquelle il a demandé par courrier aux époux [D] de payer les travaux réalisés et de suspendre toutes relations avec lui.
Sur les comptes entre les parties
Saisi d’une mission d’apurement des comptes, M. [K] a chiffré le coût des travaux réalisés par M. [I] à la somme de 2 153,56 euros TTC.
L’expert a constaté que compte tenu du délai écoulé sans que l’enrobé ne soit coulé, des travaux préparatoires supplémentaires devraient être réalisés pour un coût de 1 000 euros.
Il a estimé que compte tenu de l’augmentation du coût de l’enrobé, M.[I] devrait payer le surcoût de 1 840 euros pour les 400 m² à mettre en ‘uvre.
Il a chiffré à 8 000 euros les travaux qui n’avaient pas été réalisés.
Il a conclu que M. [I] devait la somme arrondie de 686 euros à M. et Mme [D] au titre du préjudice matériel. (2 153,56-1 000- 1 840).
S’agissant de la fin de non-recevoir soulevée par les époux [D] tirée de la prescription de la demande en paiement du prix des travaux réalisés par M.[I], elle sera rejetée. Le point de départ de la prescription biennale de l’article L 218-2 du code de la consommation se situe à la date d’achèvement des travaux. Ces derniers n’ayant pas été terminés, le délai de prescription n’a donc pas encore commencé à courir. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné M. et Mme [D] à payer à l’appelant la somme de 2 153,56 euros au titre des travaux réalisés.
Sur le fond, le tribunal ne pouvait fait droit à la demande d’indemnisation de M. et Mme [D] de la somme de 18 028,80 euros correspondant à un devis en date du 19 septembre 2017 qu’ils produisent, pour des travaux qu’ils n’ont pas réglés.
L’anéantissement du contrat ayant été fixé au 5 mars 2017 à partir du moment de l’inexécution, il ne peut y avoir ni demande d’exécution des travaux non réalisés ni du paiement de leur prix.
En revanche, M. [I] sera condamné à payer aux maîtres de l’ouvrage la somme de 1 000 euros TTC pour la remise en état du fond de forme et à celle de 1 840 euros TTC correspondant au surcoût des travaux d’enrobage en raison de l’augmentation des prix. Cette somme de 2 840 euros TTC sera actualisée sur l’indice de la construction BT01 selon les modalités reprises au dispositif.
Sur le préjudice de jouissance
M. et Mme [D] demandent une indemnité complémentaire de 8 000 euros arguant devoir depuis juin 2016 utiliser un accès boueux à leur habitation.
Les maîtres de l’ouvrage démontrent l’existence de leur préjudice de jouissance qui sera justement réparé par l’octroi d’une indemnité de 3 000 euros par voie d’infirmation.
Sur les autres demandes
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
M. [I] qui succombe pour l’essentiel sera condamné à verser une indemnité de 3 500 euros à M. et Mme [D] en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise, ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DECLARE M. [I] recevable en sa demande en paiement au titre des travaux réalisés,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné solidairement les époux [D] à payer à M. [I] la somme de 2 153,56 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018,
L’INFIRME pour le surplus,
STATUANT à nouveau,
PRONONCE la résiliation du contrat du 1er juin 2016 conclu entre M. [I] et les époux [D] aux torts de M. [I] le 5 mars 2017,
CONDAMNE M. [I] à payer à M. et Mme [D] la somme de 2 840 euros TTC au titre des travaux de reprise, actualisée en fonction de l’indice BT01, entre le 1er septembre 2017 et la date du jugement,
CONDAMNE M. [I] à payer à M. et Mme [D] la somme de 3 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance,
CONDAMNE M. [I] à payer la somme de 3 500 euros à M. et Mme [D] en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [I] aux dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise, et aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,