N° RG 21/03672 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LAKJ
C2
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
la SELAS AGIS
la SCP MAGUET & ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 13 JUIN 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/00176)
rendue par le Tribunal judiciaire de BOURGOIN JALLIEU
en date du 08 juillet 2021
suivant déclaration d’appel du 16 août 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. DIECI FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Manuella STEPHAN, avocat au barreau de RENNES
INTIMEES :
S.A.S. ETABLISSEMENTS PEILLET prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Alexia SADON de la SELAS AGIS, avocat au barreau de VIENNE
GROUPAMA AUVERGNE RHONE ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6]
L’EARL DE VERRIERE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentées par Me Laurent MAGUET de la SCP MAGUET & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 25 avril 2023 Mme Clerc président chargée du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L’EARL DE VERRIERE, qui est assurée auprès de la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE, a acquis le 31 octobre 2014 auprès de la société BILLET EQUIPEMENTS un élévateur télescopique de marque DIECI modèle «’Agri plus’» moyennant le prix de 92’280 euros TTC.
Ce véhicule a été mis en circulation le 7 mai 2015, et le 17 septembre 2015 la société BILLET EQUIPEMENTS y a adapté un godet pailleur avec un boîtier de commande en cabine.
Par acte du 27 janvier 2016 la société BILLET EQUIPEMENTS, alors au bénéfice d’un plan de continuation, a cédé à la société ETABLISSEMENT PEILLET la branche d’activité « commerce de gros matériel agricole » de son fonds de commerce à l’exclusion du nom commercial de l’entreprise, de son site Internet et de sa branche d’activité dénommée «’import et distribution de gros matériels agricoles et pièces’».
Le 23 mars 2016 l’élévateur a été entièrement détruit dans un incendie alors qu’il circulait sur la voie publique.
L’expert amiable désigné par l’assureur du propriétaire du matériel a rédigé le 18 juin 2016 un rapport au contradictoire de la société ETABLISSEMENT PEILLET, ainsi que de la société DIECI FRANCE, en sa qualité de distributeur en France des matériels de la marque DIECI, aux termes duquel il a constaté que le véhicule était économiquement irréparable comme devant être reconstruit complètement et que le sinistre était dû à un court-circuit survenu sur un faisceau électrique monté d’origine par le constructeur.
Sur la base de ce rapport, la compagnie GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE a versé à l’EARL DE VERRIERE les sommes de 1 939 euros au titre des frais de dépannage et de grutage, de 59’569 euros représentant la valeur de remplacement du matériel sous déduction de la franchise contractuelle et de 4 113,89 euros représentant la valeur du godet.
La société DIECI FRANCE a refusé de prendre en charge les conséquences du sinistre sur la base des conclusions de l’expertise amiable, ce qui a conduit la compagnie GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE, subrogée dans les droits de son assurée, et celle-ci, à solliciter l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire, qui a été ordonnée par décision du juge des référés du tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu en date du 7 février 2017.
Les opérations d’expertise ont été étendues à la société BILLET EQUIPEMENTS.
Sur la base du pré-rapport de l’expert judiciaire, la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et l’EARL DE VERRIERE ont fait assigner le 6 février 2019 les sociétés ETABLISSEMENT PEILLET, DIECI FRANCE et BILLET EQUIPEMENTS devant le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu aux fins de les entendre condamnées in solidum à prendre en charge l’ensemble des coûts de remplacement et de réparation du matériel tels qu’ils seront évalués par l’expert judiciaire sur le fondement de la garantie légale des vices cachés.
L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 29 août 2019 dont il résulte en substance que l’incendie est dû au faisceau électrique d’origine DIECI.
Le 22 juin 2020 les demandeurs ont appelé en cause Me [M] ,ès qualités de liquidateur judiciaire de la société BILLET EQUIPEMENTS, désigné par jugement du tribunal de commerce du 23 avril 2019.
La société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE a sollicité la condamnation solidaire des sociétés DIECI FRANCE et ETABLISSEMENT PEILLET au paiement des sommes avancées à son assurée et cette dernière a réclamé le paiement de la franchise contractuelle restée à sa charge, de la différence entre l’indemnité perçue et le prix d’acquisition du matériel, ainsi que des frais de location du matériel utilisé entre la date du sinistre et le jour de l’acquisition d’un nouvel élévateur.
La société DIECI FRANCE s’est opposée à l’ensemble de ces demandes et a sollicité subsidiairement l’organisation d’une nouvelle expertise. Plus subsidiairement elle a invoqué une clause d’exclusion et de limitation de garantie.
La société ETABLISSEMENT PEILLET s’est également opposée à l’ensemble de ces demandes en faisant valoir qu’elle n’avait pas repris le passif de la société BILLET EQUIPEMENTS. Subsidiairement elle a sollicité la condamnation de la société DIECI FRANCE à la relever et garantir intégralement.
Me [M] ,ès qualités, n’a pas constitué avocat.
Par jugement en date du 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a :
constaté le désistement des sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE à l’égard de la société BILLET EQUIPEMENTS,
rejeté les demandes formées à l’encontre de la société ETABLISSEMENT PEILLET,
dit que la machine acquise le 31 octobre 2014 par l’EARL DE VERRIERE était affectée d’un vice caché,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer à la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE les sommes de 59 069 euros, de 1 939 euros et de 4 113,89 euros au titre des indemnités versées à l’assurée pour le remplacement de la machine, son remorquage et les frais de réparation du godet,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer à l’EARL DE VERRIERE les sommes de 431 euros au titre de la franchise restée à sa charge, de 13’000 euros au titre du surcoût lié au remplacement de la machine et de 1500 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer aux demandeurs une indemnité de procédure de 3 000 euros,
condamné les sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE à payer à la société ETABLISSEMENT PEILLET une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,
déclaré le jugement opposable à Me [M], ès qualités,
condamné la SARL DIECI FRANCE aux dépens y compris les frais d’expertise judiciaire.
Le tribunal a considéré en substance :
que si la société ETABLISSEMENT PEILLET avait acquis une branche complète d’activité de la société BILLET EQUIPEMENTS constituant une unité économique, elle n’avait pas acquis le passif afférent à ce fonds de commerce,
qu’il résultait des opérations d’expertise judiciaire, qui n’étaient pas sérieusement critiquées, que l’incendie avait pris naissance sur le circuit électrique d’origine de la machine et que le montage électrique effectué après l’achat par la société BILLET EQUIPEMENTS n’était pas impliqué dans le sinistre,
que la montée anormale en température de l’installation électrique de la machine résultait d’un vice caché préexistant à la vente dès lors que toute erreur d’utilisation et tout défaut d’entretien étaient exclus,
que le vendeur professionnel, présumé connaître les vices de la chose, ne pouvait opposer au sous-acquéreur une limitation contractuelle de garantie,
que la société DE VERRIERE avait conservé à sa charge, outre la franchise contractuelle, la différence entre le prix de rachat d’un matériel de remplacement et l’indemnité versée par son assureur,
que la société DE VERRIERE était également fondée à solliciter le remboursement du coût de location d’une machine pour la période ayant couru entre le sinistre et le rachat d’un nouvel élévateur.
La SARL DIECI FRANCE a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 16 août 2021 en intimant les sociétés ETABLISSEMENT PEILLET, GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE et en critiquant le jugement en ce qu’il a rejeté toute demande à l’encontre de la société ETABLISSEMENT PEILLET, en ce qu’il a dit que la machine était affectée d’un vice caché et en ce qu’il l’a condamnée à payer à la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE les sommes de 59 069 euros, de 1 939 euros et de 4 113,89 euros et à la société DE VERRIERE celles de 431 euros, de 13’000 euros et de 1 500 euros, et enfin en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité de procédure, ainsi qu’aux dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire.
Vu les conclusions n°4 déposées et notifiées le 10 janvier 2023 par la SARL DIECI FRANCE qui demande à la cour, par voie d’infirmation du jugement :
à titre principal
de dire et juger que la preuve n’est pas rapportée d’un vice caché affectant le matériel vendu et de débouter en conséquence la société DE VERRIERE et son assureur de l’ensemble de leurs demandes,
à titre subsidiaire
d’ordonner une nouvelle expertise judiciaire aux frais des demandeurs avec mission habituelle,
à titre très subsidiaire
de dire et juger que sa garantie est exclue par une clause opposable à la société DE VERRIERE et à son assureur et en conséquence de débouter purement et simplement ces derniers de l’ensemble de leurs demandes,
à titre très infiniment subsidiaire
de dire et juger que sa garantie est limitée au remboursement du prix de vente payé par la société BILLET EQUIPEMENTS, soit la somme de 58’897,01 euro hors-taxes, à l’exclusion de toutes autres prétentions indemnitaires,
de condamner la société ETABLISSEMENT PEILLET à la relever et garantir de l’ensemble des condamnations prononcées au profit de la société DE VERRIERE et de son assureur en principal, dommages et intérêts, frais et accessoires,
à titre encore plus subsidiaire
de débouter la société DE VERRIERE de sa demande en paiement de la somme de 13’000 euros correspondant à la différence entre l’indemnité d’assurance perçue et le prix de l’élévateur de remplacement,
de dire et juger que le préjudice résultant de la réparation du godet n’excède pas la somme de 3 766,14 euros hors-taxes et que la demande de remboursement de la facture de travaux établie par l’EARL du CHATELARD n’est pas justifiée,
de condamner la société ETABLISSEMENT PEILLET à la relever et garantir de l’ensemble des condamnations mises à sa charge,
à titre très très infiniment subsidiaire
de limiter à la somme de 1 500 euros le préjudice en lien avec la location d’un matériel de remplacement et de confirmer le jugement pour le surplus,
en tout état de cause
de condamner la ou les parties succombantes à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
que la preuve du vice caché allégué n’est pas rapportée alors que le rapport d’expertise judiciaire ne permet pas de déterminer avec certitude les causes du sinistre, puisque d’une part l’expert s’est fondé sur des investigations menées sur un véhicule neuf ne correspondant pas aux caractéristiques du véhicule sinistré, et d’autre part que l’expert mandaté par la société ETABLISSEMENT PEILLET a mis en évidence une anomalie de montage du faisceau d’alimentation du godet pailleur par la société BILLET EQUIPEMENTS,
qu’une contre-expertise s’avère par conséquent nécessaire,
que dans le cadre de l’action directe formée par le sous-acquéreur le vendeur initial est en droit d’opposer à ce dernier les clauses d’exclusion et de limitation de garantie stipulées dans le contrat conclu avec le vendeur intermédiaire,
que sa garantie est donc exclue du fait des modifications apportées au véhicule par la société BILLET EQUIPEMENTS, mais aussi en raison du non-respect des délais de notification du vice,
que la prise en charge des dommages causés par un incendie est en outre exclue,
qu’en toute hypothèse elle ne pourrait être tenue qu’au remboursement du prix qu’elle a elle-même reçu, soit la somme de 58’897,01 euros HT,
que la société ETABLISSEMENT PEILLET devra être condamnée à la relever et garantir de toutes condamnations éventuelles s’il devait être retenu qu’elle vient aux droits de la société BILLET EQUIPEMENTS dans le cadre de la cession de branche d’activité de cette dernière.
Vu les conclusions récapitulatives n°2 déposées et notifiées le 15 mars 2023 par les sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE qui par voie d’appel incident demandent à la cour :
de déclarer les sociétés DIECI FRANCE et ETABLISSEMENT PEILLET responsables du sinistre survenu le 23 mars 2016,
de les condamner en conséquence solidairement à payer à la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE les sommes de 59 069 euros, de 1 939 euros et de 4 113,89 euros et à la société DE VERRIERE celles de 431 euros, de 3 000 euros et de 17 331 euros,
de confirmer le jugement pour le surplus,
à titre subsidiaire d’ordonner une contre-expertise aux frais de la société DIECI FRANCE,
en tout état de cause de condamner solidairement les sociétés DIECI FRANCE et ETABLISSEMENT PEILLET à leur payer une indemnité de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elles font valoir :
que sur la base des constatations techniques indiscutables de l’expert judiciaire, qui a examiné un véhicule strictement identique, il y a lieu de considérer que l’incendie a pris naissance sur le circuit électrique d’origine équipant la machine vendue par la société DIECI FRANCE,
que la société ETABLISSEMENT PEILLET s’est portée acquéreur d’une branche complète d’activité de la société BILLET EQUIPEMENTS, ce qui caractérise un apport partiel d’actifs pouvant être placé sous le régime des scissions, qui opère transmission universelle du patrimoine,
que tous les biens, droits et obligations de l’apporteuse ont donc été transmis de plein droit au bénéficiaire sauf clause expresse contraire, qui est absente de l’acte de cession intervenu entre les sociétés BILLET EQUIPEMENTS et ETABLISSEMENT PEILLET le 27 janvier 2016,
qu’ainsi la société ETABLISSEMENT PEILLET a nécessairement repris avec la clientèle de la société BILLET EQUIPEMENTS l’ensemble des contentieux judiciaires qui concernent cette clientèle, peu important que l’acte de cession ne fasse pas état du passif,
que la société DIECI FRANCE, qui en sa qualité de professionnelle est présumée connaître les vices affectant la chose vendue, n’est pas fondée à opposer les exclusions, déchéances et limitations de garantie qui auraient été stipulées dans ses rapports avec la société BILLET EQUIPEMENTS, alors qu’il n’est pas établi que cette dernière aurait accepté les conditions générales de vente du distributeur de la marque DIECI, que le sinistre est sans lien avec les modifications apportées par le vendeur intermédiaire, qu’ignorant que l’incendie avait été causé par un vice de fabrication la société DE VERRIERE ne pouvait à l’évidence le dénoncer dans le délai de 72 heures et que l’exclusion de garantie en cas d’incendie ne pourrait concerner que les sinistres dus à une cause extérieure, et non pas à un vice interne de la machine,
que la société DE VERRIERE est fondée à demander le paiement d’une somme de 17’331 euros hors-taxes correspondant à la différence entre le prix de l’engin incendié, et non pas celui du matériel acheté en remplacement, et l’indemnité payée par l’assureur.
Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 10 octobre 2022 par la SAS ETABLISSEMENT PEILLET qui demande à la cour :
à titre principal
de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire pour le cas où il serait considéré qu’elle vient aux droits et obligations de la société BILLET EQUIPEMENTS
de déclarer la société DIECI FRANCE seule responsable du dommage et de confirmer le jugement en ce sens,
de débouter la société DIECI FRANCE de sa demande de contre-expertise,
de débouter la société DIECI FRANCE de sa demande de garantie formée à son encontre,
à titre très subsidiaire
de condamner la société DIECI FRANCE à la relever et garantir de toutes condamnations éventuelles qui pourraient être prononcées à son encontre,
en tout état de cause
de débouter les sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation, y compris sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
de condamner la société DIECI FRANCE à lui payer une nouvelle indemnité de 3 000 euros pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir :
que le fonds de commerce, qui n’est pas un patrimoine autonome, ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant, de sorte que, sauf clause contraire, le cessionnaire n’est pas tenu des dettes du cédant,
qu’en l’espèce, l’acte de vente du 27 janvier 2016 de la branche d’activité de commerce de gros de matériel agricole dépendant du fonds de commerce de la société BILLET EQUIPEMENTS ne prévoit aucune cession de dettes ni aucune reprise du passif,
qu’elle n’a pas participé à la vente du matériel intervenue en 2014 et n’a effectué aucune réparation sur ce matériel, tandis que la société BILLET EQUIPEMENTS, qui n’a à aucun moment opposé une quelconque reprise de son passif, a conservé une branche de son activité, ainsi que sa personnalité juridique, jusqu’à sa liquidation judiciaire en avril 2019,
qu’elle a donc été appelée en cause par pure opportunité en raison de la procédure collective frappant la société BILLET EQUIPEMENTS,
qu’en toute hypothèse le sinistre est exclusivement imputable à la société DIECI FRANCE alors qu’il résulte incontestablement des opérations d’expertise que l’incendie a pris naissance au niveau du circuit électrique d’origine sous le bras de levage en l’absence de toute anomalie électrique sur le faisceau de la pailleuse installée par la société BILLET EQUIPEMENTS.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 21 mars 2023.
MOTIFS
Sur les demandes dirigées contre la société ETABLISSEMENT PEILLET
La cession, par acte du 27 janvier 2016, de la branche complète d’activité «’de commerce de gros matériels agricoles’» dépendant du fonds de commerce appartenant à la société BILLET EQUIPEMENTS ne porte que sur la clientèle et l’achalandage, les droits au bail sur divers locaux, le bénéfice de la jouissance d’une ligne téléphonique, le matériel, le mobilier et divers agencements, sans référence aucune à une quelconque reprise du passif, qui n’est pas au demeurant un élément constitutif du fonds de commerce.
La société DE VERRIERE et son assureur se prévalent à tort du régime juridique de l’apport partiel d’actifs qui se définit comme l’opération par laquelle une société apporte un élément d’actif à une autre société et obtient en contrepartie des titres représentatifs du capital social de celle-ci.
Tel n’est, en effet, nullement le cas de l’opération de cession réalisée le 27 janvier 2016, à l’occasion de laquelle la société ETABLISSEMENT PEILLET a acquis une branche d’activité du fonds de commerce de la société BILLET EQUIPEMENTS sans que des liens capitalistiques ne soient créés entre les deux sociétés, de sorte qu’il ne peut en aucun cas être soutenu que la société ETABLISSEMENT PEILLET viendrait aux droits de la société BILLET EQUIPEMENTS par l’effet d’une transmission universelle de patrimoine.
Le jugement, qui a à bon droit constaté que l’acte du 27 janvier 2016 n’emportait pas cession du passif afférent au fond vendu, mérite par conséquent confirmation en ce qu’il a mis hors de cause la société ETABLISSEMENT PEILLET, dont il est constant qu’elle n’a pas participé à la vente du matériel litigieux intervenue en 2014 et qu’elle n’a effectué aucune réparation sur ce matériel.
L’équité commande de faire à nouveau application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société ETABLISSEMENT PEILLET.
Sur les demandes dirigées contre la société DIECI FRANCE
Contrôlant le véhicule incendié, l’expert judiciaire a constaté que la ligne électrique d’origine, qui chemine sous le bras télescopique, avait été le siège d’une importante fusion avec perlage des conducteurs en cuivre et destruction de la gaine protectrice en aluminium.
Examinant ensuite un engin neuf présenté comme identique à celui livré à la société DE VERRIERE, il a relevé la présence d’une tension électrique au niveau de la prise en bout de flèche.
Revenant toutefois sur ses premières déclarations, la société DIECI FRANCE a soutenu que le véhicule neuf examiné n’était pas identique à l’engin sinistré, ce qui a conduit l’expert à confier le faisceau électrique suspect à un laboratoire spécialisé, lequel a conclu que cet élément présentant un perlage était monté à une température bien supérieure à 1083°C.
Excluant tout défaut d’entretien ou toute erreur d’utilisation, l’expert judiciaire a estimé que l’incendie avait pris naissance au niveau du circuit électrique d’origine DIECI sous le bras de levage et a mis hors de cause l’installation électrique réalisée par la société BILLET EQUIPEMENTS.
En se fondant sur les conclusions techniques précises du laboratoire d’analyse, qui a constaté que le faisceau en cuivre était monté en température le premier et avait entraîné la fusion du tube de protection en aluminium,il a, en effet, considéré que la température de fusion très élevée du faisceau électrique ne pouvait être que la cause du sinistre et non pas sa conséquence.
Répondant au dire technique de la société DIECI FRANCE, l’expert a notamment précisé :
que le laboratoire d’analyse appelé à se prononcer sur un point bien précis ne pouvait émettre qu’une hypothèse sur l’origine du sinistre comme n’ayant pas une vue d’ensemble du litige,
que les constatations effectuées sur l’engin neuf de même type ont mis en évidence qu’en l’absence d’interrupteur de verrouillage hydraulique du type « homme mort » la présence d’un courant continu de 12 V avait été relevée sur la prise installée en bout de flèche, ce qui invalidait l’affirmation du distributeur selon laquelle le courant continu ne pouvait circuler qu’en cas de déverrouillage,
que les affirmations de l’inspecteur technique de la société DIECI FRANCE étaient fausses alors que la très forte température atteinte au niveau du câble avait été produite par un effet Joule local de nature à expliquer le non fonctionnement du fusible de protection situé plus en amont, que si l’incendie avait été provoqué par une flamme jaune extérieure au câble, la gaine protectrice en aluminium aurait été détruite la première, ce qui a été exclu par le laboratoire d’analyse, et enfin que le câble en cause se situe sous la flèche de l’engin, bien loin de la réserve d’huile hydraulique.
Ces constatations et conclusions rejoignent en tous points celles du cabinet d’expertise PERFORM Groupe désigné par l’assureur de protection juridique de la société DE VERRIERE, lequel a relevé la même fusion avec perlage sur une section du faisceau électrique monté à l’origine sous la flèche de l’engin, tout en constatant que le faisceau de la pailleuse mise en place après l’achat par la société BILLET EQUIPEMENTS était intact, étant observé qu’à ce stade la société DIECI FRANCE, qui était représentée par son propre expert, avait expressément admis, comme l’ensemble des autres parties, que l’incendie était dû à un court-circuit sur le faisceau sous flèche monté d’origine par le constructeur.
L’expert judiciaire, qui a répondu point par point au dire de la société DIECI FRANCE, a procédé à une analyse technique rigoureuse en confiant des investigations à un laboratoire spécialisé et en examinant un élévateur neuf, dont le gérant du distributeur de la machine, présent aux opérations d’expertise, a lui-même reconnu, avant de le contester, qu’il était identique au véhicule sinistré.
Ses conclusions sur l’origine de l’incendie ne sont donc pas sérieusement contestées, ce qui conduit à la confirmation du jugement ayant retenu, sans nécessité d’une nouvelle expertise, que la montée anormale en température du faisceau électrique d’origine de l’engin résultait d’un vice caché préexistant à la vente en l’absence de toute erreur d’utilisation ou de tout défaut d’entretien.
Si le sous-acquéreur agissant contre le vendeur initial exerce l’action en résolution pour vices cachés de son propre vendeur et peut donc se voir opposer les exclusions, déchéances et limitations de responsabilité stipulées dans les rapports entre les parties à la première vente, il n’est pas établi en l’espèce que la société BILLET EQUIPEMENTS aurait eu effectivement connaissance et aurait accepté les conditions générales de vente de la société DIECI FRANCE, de sorte que les clauses d’exclusion de garantie invoquées par cette dernière ne sont pas opposables à la société DE VERRIERE.
Il doit être observé en effet :
que l’exemplaire des conditions générales de vente produit aux débats n’est ni signé ni paraphé par la société BILLET EQUIPEMENTS,
qu’il n’est pas justifié d’un bon de commande faisant référence à des conditions générales de vente et contenant une clause expresse d’acceptation,
que la facture de vente du 5 mai 2014 de la société DIECI FRANCE à la société BILLET EQUIPEMENTS mentionne seulement que tout retard de paiement entraînera de plein droit l’exigibilité d’une indemnité pour frais de recouvrement sans faire référence à de quelconques conditions générales,
que ni la facture de vente à l’utilisateur du 31 octobre 2014 établie par la société BILLET EQUIPEMENTS, ni le contrat d’extension de garantie et de manutention conclu le 6 janvier 2015 entre l’acquéreur final et le concessionnaire, ne renvoient davantage aux conditions générales de vente invoquées.
En toute hypothèse, les objections de fond de la société DE VERRIERE et de son assureur apparaissent particulièrement sérieuses alors que le sinistre est sans lien avec les modifications apportées par le revendeur, que le bref délai de dénonciation du vice ne pouvait être respecté, puisque l’origine de l’incendie a été déterminée au plus tôt le 18 juin 2016 avec le dépôt du rapport d’expertise amiable et enfin que la clause excluant la garantie en cas d’incendie ne vise pas à l’évidence le sinistre dû à un vice interne de la machine qui est expressément garanti.
En outre, si le vendeur d’origine n’est tenu qu’au remboursement du prix qu’il a lui-même reçu, il n’est pas sollicité en l’espèce le prononcé de la résolution de la vente en l’absence de toute possibilité de restitution en nature ou en valeur du véhicule vendu, qui a été intégralement détruit dans l’incendie, et dont la valeur de sauvetage a été fixée à la somme de 500 euros.
Il est en effet de principe que l’action autonome en réparation du préjudice subi du fait d’un vice caché n’est pas subordonnée à l’exercice d’une action rédhibitoire ou estimatoire.
La société DIECI FRANCE, qui est irréfragablement présumée connaître les vices de la chose en sa qualité de professionnelle, est par conséquent tenue de réparer l’intégralité des préjudices subis par l’acquéreur, sans pouvoir d’ailleurs opposer une quelconque limitation contractuelle de garantie à défaut d’acceptation de ses conditions générales de vente.
La société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE, régulièrement subrogée dans les droits de son assuré selon trois quittances d’indemnités du 18 novembre 2016, justifie avoir versé à la société DE VERRIERE les sommes de 59’069 euros au titre de la valeur de l’élévateur détruit, de 1 939 euros au titre des frais de grutage et de 4 113,89 euros au titre de la remise en état du godet pailleur.
Il a par conséquent justement été fait droit à la demande en paiement de ces sommes, étant observé que tant l’expert d’assurance que l’expert judiciaire ont estimé que le coût de la dépose, de la repose et de la réparation du godet pailleur était en lien avec le sinistre, puisque cet élément était récupérable et réutilisable.
Pour sa part la société DE VERRIERE justifie d’une franchise contractuelle restée à sa charge d’un montant de 431 euros, et d’une dépense de 3 000 euros au titre de travaux avec tracteur/chargeur réalisés par l’EARL du châtelard au cours de la période du 1er avril 2016 au 30 juin 2016 avant l’acquisition d’un matériel de remplacement.
Le tribunal a cependant justement ramené ce dernier chef de préjudice à la somme de 1 500 euros , alors que la société DE VERRIERE n’établit pas qu’elle aurait dû supporter la même dépense si elle avait eu recours durant la même période à la location d’un engin élévateur plutôt que de faire appel à l’entraide agricole.
Enfin, sauf à permettre à la victime de s’enrichir, la perte financière incontestablement subie par la société DE VERRIERE du fait de l’incendie ne saurait être calculée par différence entre le prix d’achat du véhicule incendié (76 900 euros) et l’indemnité versée par l’assureur augmentée de la valeur de sauvetage de 500 euros (59 569 euros), alors d’une part que la valeur d’acquisition d’un matériel de remplacement identique n’a été que de 73’000 euros, et d’autre part que la valeur patrimoniale de l’engin d’origine était nécessairement inférieure à son prix d’acquisition au jour du sinistre survenu après 700 heures d’utilisation.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a limité l’indemnisation de ce chef de préjudice à la différence entre le prix d’acquisition du matériel de remplacement et l’indemnité reçue de l’assureur, sauf à porter l’indemnité revenant à la société DE VERRIERE à la somme de 13’431 euros (73 000- 59 569).
L’équité commande enfin de faire à nouveau application de l’article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE.
Les dépens d’appel sont à la charge de la SARL DIECI FRANCE.
Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions relatives aux mesures accessoires.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
constaté le désistement des sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE à l’égard de de la société BILLET EQUIPEMENTS,
rejeté les demandes de condamnation et de garantie formées à l’encontre de la société ETABLISSEMENT PEILLET,
dit et jugé que la machine acquise le 31 octobre 2014 par l’EARL DE VERRIERE était affectée d’un vice caché et déclaré la SARL DIECI FRANCE tenue à garantie de ce chef,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer à la société GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE les sommes de 59 069 euros, de 1 939 euros et de 4 113,89 euros au titre des indemnités versées à l’assurée pour le remplacement de la machine, son remorquage et les frais de réparation du godet,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer à l’EARL DE VERRIERE les sommes de 431 euros au titre de la franchise restée à sa charge et de 1 500 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
condamné la SARL DIECI FRANCE à payer aux demandeurs une indemnité de procédure de 3 000 euros,
condamné les sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE à payer à la société ETABLISSEMENT PEILLET une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
déclaré le jugement opposable à Me [M] ,ès qualités,
condamné la SARL DIECI FRANCE aux dépens y compris les frais d’expertise judiciaire.
Confirme également le jugement déféré en ce qu’il a limité l’indemnisation de la perte financière subie par l’EARL DE VERRIERE à la différence entre le prix d’acquisition du matériel de remplacement et l’indemnité reçue de l’assureur, mais le réforme en ce qu’il a alloué à ce titre la somme de 13 000 euros et statuant à nouveau de ce chef :
condamne la SARL DIECI FRANCE à payer à l’EARL DE VERRIERE la somme de 13’431 euros représentant la différence entre le prix d’acquisition du matériel de remplacement et l’indemnité reçue de l’assureur augmentée de la valeur de sauvetage du matériel,
Ajoutant au jugement :
condamne la SARL DIECI FRANCE à payer à la SA GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et à l’EARL DE VERRIERE une nouvelle indemnité de procédure de 3000 euros,
condamne in solidum la SARL DIECI FRANCE et les sociétés GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE et DE VERRIERE à payer à la société ETABLISSEMENT PEILLET une nouvelle indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
déboute la SARL DIECI FRANCE de sa demande en paiement d’une indemnité pour frais irrépétibles,
Condamne la SARL DIECI FRANCE d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT