COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT
DU 01 JUIN 2023
N° 2023/ 84
Rôle N° RG 22/04685 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJEPF
S.A.S. CLG YACHTING
C/
Société FERRETTI SPA (SDE)
S.A.S. [Localité 2] BOAT & YACHT SERVICES (ABYS)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-françois JOURDAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d’ANTIBES en date du 25 Février 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 2020001489.
APPELANTE
S.A.S. CLG YACHTING, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 4]
représentée par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JF JOURDAN – PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Guillaume ABADIE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
Société FERRETTI SPA (SDE) prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 3] ITALIE
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Nicolas ABED-DELMAS, avocat au barreau de PARIS substituant Me Dominique ANASTASI, avocat au barreau de PARIS
Société [Localité 2] BOAT & YACHT SERVICES (ABYS) représentée par son représentant légal, dont le siège est sis [Adresse 1]
représentée Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Nathalie ARNOL, avocat au barreau de NICE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 27 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Valérie GERARD, Président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre, magistrat rapporteur
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023,
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon acte sous signatures privées du 21 février 2019, la société de droit italien Ferretti S.p.a. a vendu à la SAS CLG Yachting, un yacht Pershing 5X pour un prix de 1 100 000 euros devant être livré le 15 juin 2019.
La mise à l’eau est intervenue le 28 mai 2019 et l’avis de mise à disposition a été adressé à la SAS CLG Yachting le 14 juin 2019.
Le capitaine du M/Y Why Not, dénomination du navire, a dressé un rapport le 24 juin 2019 mentionnant diverses malfaçons et a pris la mer le lendemain à destination d'[Localité 2].
Lors de la navigation, des dysfonctionnements ont été constatés (vibrations) et au port d'[Localité 2], une inspection a montré que l’une des deux hélices était voilée ; le remplacement a été effectué le 15 juillet 2019.
Après deux expertises amiables contradictoires les 2 mars et 16 juillet 2020, la SAS CLG a fait assigner la société de droit italien Ferretti S.p.a et la SAS [Localité 2] Boat & Yacht Services (ABYS) devant le tribunal de commerce d’Antibes pour avoir réparation de son préjudice dû aux malfaçons constatées sur le navire.
Par jugement du 25 février 2022 ce tribunal :
– a dit non écrite la clause attributive de compétence figurant dans le contrat,
– s’est déclaré incompétent et dit qu’il y avait lieu d’appliquer le Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 pour déterminer la juridiction compétente au fond,
– renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
– condamné la SAS CLG Yachting aux dépens.
La SAS CLG Yachting a interjeté appel par déclaration du 29 mars 2022 et a été autorisée à faire assigner les intimées, à jour fixe, par ordonnance du 4 avril 2022.
Par conclusions notifiées et déposées le 28 février 2023, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SAS CLG Yachting demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il déclare « non écrite » la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat de vente signé le 19 janvier 2019 entre la société Ferretti et la société CLG Yachting.
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il s’est déclaré incompétent et a dit qu’il y avait lieu d’appliquer le droit commun, en l’espèce, le règlement européen n°44/2001 du 22 décembre 2000 pour déterminer la juridiction compétente au fond ;
– dire que le tribunal de commerce d’Antibes est compétent pour statuer sur le litige qui lui a été soumis par assignation en date du 22 avril 2020 ;
– condamner solidairement les sociétés ABYS et Ferretti à payer à la société CLG Yachting la somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner solidairement les sociétés ABYS et Ferretti aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Par conclusions notifiées et déposées le 18 août 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société de droit italien Ferretti S.p.a. demande à la cour de :
‘ infirmer le jugement entrepris en ce qu’il déclare « non écrite » la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat de vente et ses conditions générales de vente conclus le 19 janvier 2019 entre la société Ferretti et CLG Yachting ;
‘ juger le tribunal de commerce d’Antibes incompétent au regard de ladite clause attributive de compétence ;
‘ renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
à titre subsidiaire :
‘ juger la société CLG Yachting irrecevable et mal fondée dans son appel ;
‘ juger la société CLG Yachting irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l’en débouter purement et simplement
‘ confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal de commerce d’Antibes se déclare incompétent ;
en tout état de cause
‘ condamner la société CLG Yachting à payer une somme de 6.000 euros en faveur de la société Ferretti au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel en ce compris les frais de saisie, de traduction, d’expertise, ceux d’appel distraits au profit de Maître Romain Cherfils, membre de la SELARL Lexavoue Aix en Provence, avocats associés, aux offres de droit.
Par conclusions notifiées et déposées le 26 août 2022, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SAS [Localité 2] Boat & Yacht Services demande à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce d’Antibes du 25 février 2022 en ce que le tribunal s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
– dans l’hypothèse où il serait fait droit à l’appel incident régularisé par la société Ferretti, juger pour une bonne administration de la justice que l’ensemble des parties doit être jugée devant la même juridiction,
– condamner la société CLG Yachting au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS
1. Sur la licéité de la clause attributive de compétence :
La société de droit italien Ferretti S.p.a, appelante incidente sur ce point, soutient que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré non écrite la clause attributive de compétence figurant dans le contrat conclu avec la SAS CLG Yachting au motif qu’elle n’était pas libellée en caractères très apparents, alors que la validité d’une telle clause ne relève que des conditions de l’article 25 du Règlement Bruxelles I Bis et non de celles de l’article 48 du code de procédure civile.
La SAS CLG Yachting expose qu’elle croyait légitimement que les conditions générales annexées au contrat signé le 21 janvier 2019, rédigées en anglais, étaient les mêmes que celles que lui avait adressé la SAS ABYS et qui prévoyaient la compétence d’une juridiction française. Elle en déduit qu’elle ne pouvait connaitre cette clause attributive de compétence en utilisant les diligences ordinaires conformément aux dispositions de l’article 1341 du code civil italien. Elle ajoute qu’au surplus cette clause est écrite en caractères minuscules, difficilement lisible, qu’elle est insérée au milieu des conditions générales qui constituent un texte copieux et serré, qu’elle n’est pas encadrée ou précédée d’un titre et ne se trouve pas, comme dans la plupart des contrats, juste avant la signature des parties. Enfin, elle argue que cette clause ne respecte pas les prescriptions de l’article 48 du code de procédure civile pour sa validité.
La clause litigieuse figure à l’article 13.2 des conditions générales du contrat de vente, rédigées en anglais, et stipule, après que la clause 13.1 ait énoncé que « the contract is regulated by italian law », « the Court of Bologna, Italy, is the sole competent court for any disputee arising from ou pertaining to this contract ».
L’article 25 du Règlement UE n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, dispose : si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. (‘)
Les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites lorsqu’il s’agit d’un litige international et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française.
Tel est bien le cas en l’espèce où les deux parties au contrat sont domiciliées sur le territoire d’États membres différents et où il n’existe aucune compétence territoriale impérative d’une juridiction française qui pourrait y faire échec.
La clause litigieuse a été formulée par écrit et expressément approuvée par les parties, elle répond par conséquent aux prescriptions de l’article 25 susvisé.
En effet, la SAS CLG Yachting a apposé sa signature à trois reprises sur les conditions générales : d’abord sur la première page sous les articles 1 à 9, puis sur la seconde page, d’une part, à la fin des conditions générales et, d’autre part, sous la mention « the buyer declares to specifically approve the following articles of this contract, pursuant to articles 1341 and 1342 of the Italian Civil Code », l’article 13 (applicable law and competent court) étant expressément cité immédiatement au-dessus de la signature du représentant légal de la SAS CLG Yachting.
La SAS CLG Yachting n’est pas fondée à opposer la rédaction en langue anglaise du contrat alors :
– qu’elle a eu du temps pour examiner le contrat, le comprendre voire le faire traduire si elle le souhaitait avant sa signature ;
– qu’il résulte des pièces produites aux débats et notamment des échanges avec la SAS ABYS, que le contrat a été négocié entre la SAS CLG et la société Ferretti et que deux versions du contrat lui ont été adressées à la suite de ces négociations : le 21 décembre 2018 d’abord puis le 15 janvier 2019, toujours en anglais, bien qu’elle ait effectivement fait valoir cette difficulté liée à la langue à la SAS ABYS dès début janvier 2019,
– qu’elle a signé le 12 février 2019, un avenant au contrat, intégralement rédigé en langue anglaise,
– que l’usage dans les contrats internationaux est l’utilisation de la langue anglaise.
La SAS CLG Yachting, professionnelle de la navigation, puisqu’elle exerce une activité de transport maritime et de fret selon l’extrait Kbis produit aux débats, et immatriculée à Saint Barthélemy, ne peut donc sérieusement prétendre n’avoir pas compris les termes des conditions générales écrites en anglais dans un contrat conclu avec une société italienne et, de fait, avoir signé sans avoir lu lesdites conditions générales en se fiant uniquement aux indications données par un intermédiaire.
Enfin, la clause attributive de compétence est insérée dans les conditions générales, que la SAS CLG Yachting a expressément approuvées en y apposant la signature de son représentant légal et son tampon, comme rappelé ci-dessus, notamment sous la mention attirant spécialement son attention sur l’article relatif à la clause attributive de compétence, conformément à l’article 1341 du code civil italien.
L’usage invoqué par les premiers juges, tiré manifestement des dispositions de l’article 48 du code de procédure civile, n’est corroboré par aucune pièce comme des exemples de contrats ou avis d’organismes traitant du nautisme, il n’est d’ailleurs même pas revendiqué par la SAS CLG Yachting elle-même qui se borne à dire applicable l’article 48 du code de procédure civile alors que seules sont applicables les dispositions de l’article 25 du Règlement précité.
La clause est valide au regard des dispositions de l’article 25 du Règlement 1215/2012 et instaure par conséquent une compétence exclusive au profit du tribunal de Bologne (Italie).
Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a déclaré non écrite la clause attributive de compétence.
2. Sur l’incidence de la pluralité de défendeurs :
La SAS CLG Yachting conclut à l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il s’est déclaré à tort incompétent en estimant que le litige avait pour seule origine le contrat qu’elle a signé avec la société Ferretti alors que le litige a également pour origine les manquements qu’elle impute à la SAS ABYS, agent exclusif de la société Ferretti sur le territoire français et également son mandataire lors de la prise de possession du navire. Elle fait valoir que la juridiction territorialement compétente doit donc être déterminée sur la considération des parties à l’origine du préjudice dont la réparation est sollicitée et que la SAS ABYS fait valoir elle-même que les demandes sont étroitement liées et doivent être évoquées devant la même juridiction.
La société Ferretti réplique que la SAS CLG Yachting ne peut se prévaloir de la compétence du tribunal de commerce d’Antibes sur le fondement de l’article 8.1 du Règlement.
L’article 8.1 du Règlement 1215/2012 dispose : une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (‘)
Mais, la compétence exclusive au profit de la juridiction italienne instaurée par la clause attributive conforme à l’article 25 du Règlement 1215/2012, prime sur la compétence spéciale édictée à l’article 8.1 de ce même règlement et la société Ferretti ne peut être attraite devant les juridictions françaises.
Le jugement déféré est réformé en ce qu’il a annulé la clause d’élection de for et la SAS CLG Yachting sera renvoyée à mieux se pourvoir en ce qui concerne les demandes formées à l’encontre de la société Ferretti. Il est également réformé en ce qu’il a dit applicable le Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 pour déterminer la juridiction compétente au fond, alors que ce règlement n’était plus en vigueur, remplacé par le Règlement 1215/2012 du 12 décembre.
Il n’y a pas lieu, comme le demande la SARL ABYS de dire ou juger qu’il serait d’une bonne administration de la justice que l’ensemble des parties doive être jugé devant la même juridiction, cette demande ne constituant pas une prétention sur laquelle pourrait statuer la cour.
La SAS CLG Yachting, qui succombe, est condamné aux dépens et au paiement de la somme de trois mille euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à chacun des intimés.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce d’Antibes du 25 février 2022 en ce qu’il :
– a dit non écrite la clause attributive de compétence du contrat soulevée par la société Ferretti S.p.a,
– s’est déclaré incompétent et dit qu’il y avait lieu d’appliquer le Règlement européen n°44/2001 du 22 décembre 2000 pour déterminer la juridiction compétence au fond,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare valide la clause d’élection de for figurant dans le contrat de vente conclu le 21 février 2019,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Y ajoutant,
Condamne la SAS CLG Yachting aux dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS CLG Yachting à payer à la société de droit italien Ferretti S.p.a la somme de trois mille euros,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS CLG Yachting à payer à la SARL [Localité 2] Boat & Yacht Services (ABYS) la somme de trois mille euros.
LE GREFFIER LE PRESIDENT