Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 22 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/05044 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OIFU
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 JUIN 2019 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER
N° RG F 17/01097
APPELANTES :
SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité, audit siège.
[Adresse 3]
Représentée par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me CORTEY-LOTZ, avocat au barreau de Montpellier (postulant) et par Me GRELIN, avocate au barreau de Paris (plaidant)
SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité, audit siège.
[Adresse 3]
Représentée par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me CORTEY-LOTZ, avocat au barreau de Montpellier (postulant) et par Me GRELIN, avocate au barreau de Paris (plaidant)
Société civile LA VIGIE S.C prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité, audit siège.
[Adresse 2]
Représentée par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me CORTEY-LOTZ, avocat au barreau de Montpellier (postulant) et par Me GRELIN, avocate au barreau de Paris (plaidant)
INTIME :
Monsieur [M] [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Catherine FEBVRE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 05 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 JANVIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Mme Caroline CHICLET, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
[M] [T] a été embauché par la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) à compter du 16 décembre 2015, en qualité d’administrateur général des données, avec un salaire mensuel brut de 7 083,33€.
Antérieurement à la relation contractuelle, il a eu accès à la plate-forme de la SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY (TPA).
Le 22 octobre 2016, il était convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé au 7 novembre 2016, et mis à pied simultanément à titre conservatoire.
Il a été licencié par lettre du 6 décembre 2016 pour les motifs suivants, qualifiés de faute lourde : ‘Depuis le mois de juillet dernier, nous n’avons eu de cesse de vous relancer pour obtenir l’état d’avancement des tâches confiés à votre équipe… Vous n’ignoriez pas que la réalisation de ces feuilles de temps était vitale à l’entreprise, s’agissant des éléments constitutifs des dossiers à remettre à l’administration fiscale…
Or le ton que vous avez choix d’adopter dans nos échanges a rendu impossible plus avant votre maintien dans l’entreprise… Ce faisant vous avez abusé de la liberté d’expression qui peut être celle d’un cadre…
Le 16 novembre 2016, nous avons en effet découvert que les ordinateurs des stagiaires avaient été réinitialisés… faisant ainsi disparaître tout le travail réalisé par ces derniers… Le travail de M. [D], qui avait réalisé des développements essentiels à la société, a ainsi été totalement perdu…’
Estimant son licenciement injustifié, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 24 juin 2019, a dit que les sociétés TPC, TPA et LA VIGIE étaient co-employeurs et les a condamnées solidairement au paiement de :
– la somme de 3 275,16€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 327,51€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 21 250€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– la somme de 2 125€ à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– la somme de 2 597,21€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– la somme de 70 833€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la somme de 42 500€ à titre d’indemnité de travail dissimulé,
– la somme de 1 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal,
au remboursement des indemnités de chômage, dans la limite de six mois, et à la délivrance sous astreinte de bulletins de paie et de documents de rupture rectifiés.
La SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC), la SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY (TPA) et la SC LA VIGIE ont interjeté appel. Elles concluent à la mise hors de cause des sociétés TPA et LA VIGIE et au rejet des prétentions adverses.
La SAS TPC demande de lui allouer les sommes de 21 000€ à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de 5 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle demande de condamner [M] [T] au paiement d’une amende civile.
Relevant appel incident, [M] [T] demande de lui allouer :
– la somme de 13 006,59€ à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
– la somme de 1 300,70€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
– la somme de 3 275,16€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 327,51€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 21 250€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– la somme de 2 125€ à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– la somme de 2 597,21€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– la somme de 70 833€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la somme de 42 500€ à titre d’indemnité de travail dissimulé,
– la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le coemploi :
Attendu qu’il est établi qu’antérieurement à la date du début de son contrat de travail avec la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC), [M] [T] a eu accès à la plate-forme de la SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY (TPA) et accompli diverses prestations dont il a été ensuite rémunéré sous forme de primes exceptionnelles, payées en sus de ses salaires par la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) ;
Qu’il a également perçu un virement de 5 400€ de la SC LA VIGIE ;
Attendu, pour autant, qu’il n’est produit aucun élément propre à établir qu’au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, la société employeur a perdu tout client propre et se trouve sous la totale dépendance économique de la société mère, laquelle lui sous-traite et organise elle-même son activité, que ses dirigeants ont perdu tout pouvoir décisionnel, que la société mère s’est substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives et assure également sa gestion financière et comptable ;
Qu’au contraire, à l’issue de la création de la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC), c’est la SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY (TPA) qui est devenue la filiale à 100% de la société employeur ;
Attendu que, pour sa part, la société LA VIGIE est une société civile dont l’activité d’acquisition, souscription, détention, gestion, cession ou apport de valeur mobilière est étrangère au contrat de travail;
Attendu qu’ainsi, il n’est pas caractérisé une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de la société employeur et à l’existence d’une situation de coemploi ;
Sur les heures supplémentaires :
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ;
Attendu qu’outre un décompte des heures supplémentaires qu’il réclame, [M] [T] produit divers messages électroniques de ses employeurs, adressés en dehors des horaires de travail habituels, des attestations de stagiaires ainsi que des captures d’écran de nature à justifier des heures supplémentaires qu’il aurait réalisées ;
Qu’il fait ressortir que sa demande est fondée sur des éléments suffisamment précis ;
Attendu que, pour sa part, la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) se borne à faire état de l’insuffisance des preuves apportées par le salarié, du caractère non-urgent des tâches demandées que ‘M. [T] pouvait réaliser sans difficulté pendant ses horaires de travail habituels’ et du fait qu’il n’est pas ‘démontré que ces heures supplémentaires auraient été effectuées à la demande de l’employeur’, sans répondre utilement en produisant ses propres éléments ;
Attendu, en outre, qu’il résulte des messages électroniques produits par [M] [T] que ses dirigeants lui demandaient d’effectuer dans l’urgence, ‘à l’arrache’, ‘aussitôt’, ‘idéalement pour le lendemain au plus tôt’ et en dehors de ses horaires habituels de travail (samedi, dimanche, 19 heures 52, 19 heures 59, 20 heures 34, 22 heures 53, 1 heure du matin) diverses prestations et créations de campagne ;
Qu’il est ainsi établi que la réalisation de telles heures était accomplie avec l’accord au moins implicite de l’employeur et rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ;
Attendu qu’il en résulte, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, qu’il y a lieu de condamner la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) au paiement de la somme de 5 620€ à titre d’heures supplémentaires impayées, augmentées des congés payés afférents ;
Attendu qu’il n’est pas établi que, compte tenu du délai nécessaire à son immatriculation, la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) se soit soustraite intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
Qu’il n’est pas davantage démontré, au vu du nombre limité des heures supplémentaires non rémunérées, qu’elle ait, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué ;
Attendu que la demande à titre d’indemnité de travail dissimulé sera dès lors rejetée ;
Sur le licenciement :
Attendu que la faute lourde se caractérise par l’intention de nuire du salarié vis-à-vis de l’employeur ou de l’entreprise ;
Que la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée même limitée du préavis ;
Que c’est à l’employeur et à lui seul d’apporter la preuve de la faute lourde ou grave invoquée par lui pour justifier le licenciement ;
Attendu que si, aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC), qui, dans la lettre de licenciement, invoque des relances depuis le mois de juillet 2016, prenne en considération un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié se serait poursuivi ou aurait été réitéré dans ce délai ;
Attendu, cependant, que, prononcé pour faute lourde, le licenciement présente nécessairement un caractère disciplinaire et que, sous couvert de l’absence de justification de l’état d’avancement des tâches de son équipe ou d’un abus de la liberté d’expression, l’employeur, qui n’apporte pas la preuve d’une mauvaise volonté délibérée du salarié ou d’une faute de sa part, se fonde en réalité sur une mésentente qui ne constitue pas en elle-même une cause de licenciement ni ne revêt un caractère fautif ;
Qu’il n’est d’ailleurs pas établi que les reproches formulés dans la lettre de licenciement entraient dans les attributions de [M] [T] ou qu’il lui aurait été demandé d’établir des feuilles de temps ;
Attendu qu’il n’est pas davantage démontré que le fait que les ordinateurs des stagiaires aient été réinitialisés soit dû à un comportement à la fois fautif et imputable au salarié ;
Que M. [D] atteste ainsi que, dans ses souvenirs, tout le projet sur lequel il a travaillé a été sauvegardé tandis que [M] [T] écrit dans sa lettre du 27 novembre 2016, sans être démenti par des éléments objectifs, que les ordinateurs des anciens stagiaires ont été réinitialisés afin de pouvoir être réutilisés par de nouveaux stagiaires ;
Attendu qu’il en résulte qu’à défaut de preuve d’une faute, le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Attendu que seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire, en sorte que c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur au paiement de la somme de 3 275,16€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, augmentée des congés payés afférents ;
Attendu que le conseil de prud’hommes a exactement calculé le montant des indemnités de rupture revenant au salarié, au demeurant non contesté par la partie adverse ;
Attendu qu’au regard de l’ancienneté de [M] [T], de son salaire au moment du licenciement mais à défaut d’élément sur sa situation familiale et l’évolution de sa situation professionnelle, il y a lieu de lui allouer la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculée en fonction du préjudice subi ;
* * *
Attendu que [M] [T] ayant moins de deux ans d’ancienneté dans une entreprise occupant moins de onze salariés, c’est à tort que le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur fautif au remboursement des indemnités de chômage;
Attendu qu’il convient de condamner la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) à reprendre les sommes allouées à titre de rappel de salaires, de congés payés et d’indemnités de rupture sous forme d’un bulletin de paie ainsi qu’à rectifier, conformément au présent arrêt, le certificat de travail et l’attestation destinée au Pôle emploi, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette condamnation d’une astreinte ;
Attendu qu’enfin, l’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au cas d’espèce ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirmant le jugement et statuant à nouveau,
Dit que la SAS THE PROGRAMMATIC AGENCY (TPA) et la SC LA VIGIE ne sont pas co-employeurs ;
Condamne la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) à payer à [M] [T] :
– la somme de 5 620€ à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
– la somme de 562€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
– la somme de 3 275,16€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 327,51€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
– la somme de 21 250€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– la somme de 2 125€ à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
– la somme de 2 597,21€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) à reprendre les sommes allouées à titre de rappel de salaires, de congés payés et d’indemnités de rupture sous forme d’un bulletin de paie et à rectifier, conformément au présent arrêt, le certificat de travail et l’attestation destinée au Pôle emploi ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la SAS THE PROGRAMMATIC COMPANY (TPC) aux dépens.
La Greffière Le Président