COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 14 DÉCEMBRE 2022
PRUD’HOMMES
N° RG 21/07127 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MPSF
par disjonction (RG 20/02479)
Monsieur [K] [E]
c/
S.A.S. ORION ENGINEERED CARBONS
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 juin 2020 (R.G. n°F 17/00911) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 17 juillet 2020,
APPELANT :
Monsieur [K] [E]
né le 29 Novembre 1956 à [Localité 6] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté de Me Pierre BURUCOA, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS Orion Engineered Carbons, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 4]
N° SIRET : 461 200 495
représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Delphine JOURNO substituant Me Pauline PIERCE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 octobre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Orion Engineered Carbons (ci-après dénommée société OEC SAS), précédemment dénommée société Evonik Cofrablack Compagnie française du Carbon Black SAS, dont le siège social était situé en Gironde à [Localité 2], avait pour seule activité la production de noir de carbone, sorte de caoutchouc destiné principalement au marché du pneu de l’industrie automobile.
Cette société, créée en 1959, a fait l’objet de cessions au profit de plusieurs groupes de l’industrie chimique ; en août 2011, elle est passée sous le contrôle du groupe Orion Engineered Carbons (ci-après groupe OEC), en lieu et place du groupe Evonik.
Le groupe OEC, qui figure parmi les premiers fournisseurs de noir de carbone au plan mondial, est présent sur tous les continents avec 4 usines en Amérique du Nord, 2 en Corée et une usine dans chacun des pays suivants, Brésil, Chine, Afrique du Sud, Pologne, Allemagne et Suède et emploie environ 1.500 salariés.
Il est composé notamment d’une société holding au Luxembourg, la SA Orion Engineered Carbons (ci-après dénommée société OEC SA) qui détient l’intégralité du capital de ses filiales, dont la société de droit allemand Engineered Carbons GmbH (ci-après dénommée société OEC GmbH).
Le groupe dispose de filiales dans les différents pays où il possède des sites de production, une société holding étant implantée dans chacun de ces pays et une filiale sur chacun des sites de production : en France, il s’agissait de la société OEC Holdco SAS, société mère et associée unique de la société OEC SAS.
La totalité de la production de la société OEC SAS était commercialisée par la société OEC GmbH en vertu d’un contrat de fabrication à marge garantie, dit «’ Cost +’» qui prévoyait que la société OEC GmbH versait à la société OEC SAS une redevance représentant le coût de la production majoré de 5%.
Ce contrat a été résilié le 25 mai 2016 par la société OEC GmbH, à effet au 31 décembre 2016, résiliation qui a entraîné la cessation totale et définitive de l’activité de la société OEC SAS par la perte de son seul et unique client.
Une procédure de licenciement collectif pour motif économique a été mise en ‘uvre à compter du 26 mai 2016, la société OEC SAS employant alors 38 salariés à temps plein et 14 emplois équivalents temps plein provenant d’entreprises extérieures (en sous-traitance).
L’accord collectif majoritaire sur le plan de sauvegarde de l’emploi, signé par la société OEC SAS avec la CFDT le 2 août 2016, a été validé par la DIRECCTE le 12 août 2016.
Le 1er septembre 2016, la société a adressé aux salariés des propositions de reclassement à l’étranger puis, le 9 décembre 2016, leur a proposé d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle et, le 16 décembre 2016, leur a notifié, à titre conservatoire, leur licenciement pour motif économique.
Les salariés protégés ont été placés à compter du 23 décembre 2016 en dispense d’activité rémunérée dans l’attente de l’autorisation de leur licenciement par la DIRECCTE, saisie à cet effet par la société OEC SAS le 19 janvier 2017 :
– cette autorisation a été refusée par décision du 23 mars 2017 ;
– sur le recours hiérarchique formé le 17 mai 2017 par la société, le ministre du travail a annulé la décision de l’inspection du travail et autorisé les licenciements des salariés protégés par une décision rendue le 19 septembre 2017 ;
– par jugement rendu le 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par les salariés, a annulé l’autorisation des licenciements en retenant l’existence d’une situation de coemploi entre la société OEC SAS et le groupe auquel elle appartient ;
– par arrêts rendus le 29 mars 2021, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté les recours formés par la société OEC SAS à l’encontre des jugements rendus par le tribunal administratif ;
– le 31 mai 2021, la société OEC SAS a saisi le Conseil d’Etat d’un recours contre les décisions rendues par la cour administrative de Bordeaux.
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M. [K] [E], né en 1956, travaillait au sein de la société OEC SAS depuis le 1er février 1977, en dernier lieu au poste de chef de quart, moyennant une rémunération mensuelle brute moyenne durant les trois mois précédant la rupture de 5.939,15 euros.
Au vu de l’attestation Pôle Emploi, son contrat de travail a pris fin le 9 mars 2017, à l’expiration de son préavis ; M. [E] a perçu une somme totale de 200.000 euros au titre des indemnités prévues par le plan de sauvegarde, incluant l’indemnité de licenciement d’un montant de 121.544 euros.
Il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er avril 2017.
Ainsi que la plupart des salariés licenciés, M. [E], estimant que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a sollicité, le 12 juin 2017, la convocation de la société OEC SAS devant le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage de la section industrie le 10 juin 2020, a :
– retenu l’existence d’une situation de coemploi entre la société OEC SAS, de droit français, la société OEC SA, de droit luxembourgeois, et la société OEC GmbH de droit allemand ;
– dit que la rupture du contrat de travail de M. [E] est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société OEC SAS à payer à M. [E] les sommes suivantes :
* 38.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
* 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné le remboursement par la société OEC SAS aux organismes intéressés des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [E] à hauteur de six mois d’indemnités ;
– dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire, autre que de droit ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– condamné la société OEC SAS aux dépens.
Par déclaration au greffe enregistrée le 17 juillet 2020, M. [E] a relevé appel de cette décision.
La société OEC SAS a également relevé appel de cette décision le 3 août 2020.
Après jonction et disjonction ordonnées par le conseiller de la mise en état, le dossier concernant M. [E] porte le n° RG 21/7127.
Aux termes de ses dernières écritures régulièrement adressées au greffe le 30 mars 2022, M. [E] demande à la cour de :
– déclarer son appel recevable et bien fondé,
– déclarer la société Orion recevable mais mal fondée en ses appels principal et incident,
En conséquence,
– infirmer le jugement entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– confirmer le jugement pour le surplus.
Statuant à nouveau, M. [E] demande à la cour que :
– la société Orion soit condamnée à lui verser la somme de 285.100 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,
– ces condamnations portent intérêts au taux moratoire à compter du 12 juin 2017, avec capitalisation des intérêts,
– ces condamnations soient assorties d’une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, astreinte que la cour se réservera le droit de liquider,
– la société Orion soit déboutée de toutes ses demandes principales et reconventionnelles et condamnée aux dépens.
Dans ses dernières écritures régulièrement adressées au greffe le 11 juillet 2022, la société OEC SAS demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
– d’infirmer le jugement du 10 juin 2020 en ce qu’il :
* a retenu l’existence d’une situation de coemploi entre elle-même et les sociétés OEC SA et OEC GmbH,
* a dit le licenciement de M. [E] sans cause réelle et sérieuse,
* l’a condamnée en paiement de diverses sommes à M. [E],
* a fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail,
* l’a condamnée aux dépens ;
Statuant à nouveau,
– débouter M. [E] de l’intégralité de ses demandes dépourvues de tout fondement tant en leur principe qu’en leur quantum ;
A titre subsidiaire,
– réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions, dans la limite de six mois de salaire,
– condamner M. [E] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites ainsi qu’au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [E] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs d’une part, d’une situation de coemploi entre la société OEC SAS, la société OEC SA et la société OEC GmbH, d’autre part, de l’absence de difficultés économiques au niveau du groupe et de la légèreté blâmable de la société OEC SAS à l’origine de la cessation d’activité et de la rupture de son contrat.
Sur le coemploi
Ainsi que le fait valoir à juste titre la société OEC SAS et, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’existence d’une situation de coemploi et, par voie de conséquence, la reconnaissance de la qualité de coemployeur des sociétés OEC SA, de droit luxembourgeois et OEC GmbH de droit allemand, ne peuvent être examinées sans que ces sociétés aient été en mesure de faire valoir leurs moyens de défense.
Il appartenait à M. [E], qui allègue l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement en raison de cette situation prétendue de coemploi, d’appeler en la cause ces sociétés.
La demande tendant à voir déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à ce titre, ne peut donc qu’être rejetée, le jugement déféré étant infirmé en ce qu’il a constaté que les sociétés OEC SAS, OEC SA et OEC GmbH étaient les coemployeurs de M. [E].
Sur le motif économique du licenciement
M. [E] fait valoir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs d’une part, que la lettre de licenciement ne vise que les difficultés économiques rencontrées par la société OEC SAS sans que la situation du groupe ne soit évoquée et, d’autre part, que la cessation d’activité de la filiale repose sur la légèreté blâmable de l’employeur.
La société OEC SAS fait valoir que le licenciement repose sur la cessation d’activité totale et définitive de la filiale française, motif autonome de licenciement qui s’apprécie dans le cadre de la seule entreprise concernée même si celle-ci appartient à un groupe, et conteste toute faute ou légèreté blâmable à l’origine de cette cessation.
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La lettre de licenciement adressée à M. [E] rappelle le contexte économique défavorable à la poursuite de l’activité de la société OEC SAS en raison de la crise économique touchant l’Europe depuis 2008, plus spécialement le secteur de l’automobile et, par voie de conséquence, celui du marché du pneu et donc le marché du noir de carbone, crise aggravée à la fois par la pression sur les prix, résultant des importations à des prix plus compétitifs de ce matériau en provenance de la Russie, de l’Inde et de la Chine mais aussi de l’évolution défavorable du coût des matières premières.
Elle évoque ensuite les difficultés de la société OEC SAS, la baisse de son chiffre d’affaires – passé de 53,2 millions d’euros en 2012 à 45,4 millions en 2013, à 41,6 millions en 2014 et à 36,5 millions en 2015 – données chiffrées faussées par le contrat de marge garantie, tant en termes de chiffre d’affaires que de résultat, puisque, sans cette marge garantie par la société OEC GmbH, le résultat de la société OEC SAS aurait en réalité été déficitaire, à hauteur de ‘ 0,53 million d’euros en 2013, ‘ 2,18 millions en 2014 et ‘ 6,57 millions en 2015.
Il est ensuite précisé que des perspectives de redressement ne peuvent être envisagées dans un délai raisonnable, au regard notamment des investissements déjà effectués et à ceux qui seraient nécessaires – de l’ordre de 15 millions d’euros – pour satisfaire aux nouvelles normes françaises applicables en matière d’émission de dioxyde de soufre (ci-après SO2) et que, dans ce contexte, la société OEC GmbH a résilié le 25 mai 2016 le contrat à marge garantie à effet au 31 décembre 2016, contraignant la société OEC SAS à une cessation totale et définitive d’activité à cette date.
La lettre de licenciement fait enfin le rappel des dispositions du contrat de sécurisation professionnelle et des conséquences de l’adhésion à ce dispositif ou de son refus, rappelant qu’en cas d’acceptation, le contrat de travail sera rompu d’un commun accord le 30 décembre 2016 et que, dans le cas contraire, le licenciement pour motif économique de M. [E] prendra effet à cette date.
*
Aux termes de l’article L. 1233-3 4° du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la notification du licenciement, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à la cessation d’activité de l’entreprise.
Hors situation de coemploi, la cessation totale et définitive de l’activité de l’entreprise constitue un motif autonome de licenciement économique quand elle n’est pas due à une faute de l’employeur.
En l’espèce, la société OEC SAS a cessé définitivement toute activité à la suite de la résiliation du contrat de fabrication à marge garantie par la société OEC GmbH le 25 mai 2016, résiliation prenant effet au 31 décembre 2016.
S’il n’est pas contesté que l’activité du groupe, reposant exclusivement sur la production et la commercialisation de noir de carbone, était florissante et que le groupe présentait un résultat comptable largement bénéficiaire, ce seul constat ne peut suffire à caractériser une faute de l’employeur, faute dont la preuve doit être rapportée par M. [E].
Au soutien de la légèreté blâmable que M. [E] invoque, sont allégués trois manquements :
– un déficit d’investissement coupable,
– l’inexistence de tentatives de redressement,
– la dénonciation abusive du contrat de fabrication à marge garantie.
1. Un déficit d’investissement coupable
M. [E] fait valoir que lorsque le groupe Orion a racheté la société Evonik Cofrablack Compagnie Française du Carbon Black SAS qui était antérieurement propriétaire du site d'[Localité 2], il était pleinement conscient des erreurs de cette dernière dans la gestion des usines puisque le directeur expliquait au comité d’entreprise lors d’une réunion du 23 septembre 2013 : « la société Evonik a commis plusieurs erreurs notamment par la faiblesse de leurs investissements dans les 3 à 4 dernières années ».
Or, selon M. [E], le groupe a commis plusieurs fautes en ne procédant pas aux investissements nécessaires pour la réduction du taux d’émission de SO2, pour la mise en place de la cogénération et pour le remplacement d’une des chaudières dont l’usine était équipée.
– Sur la réduction du taux d’émission de SO2
M. [E] fait observer dans ses écritures que «’Pour justifier la fermeture du site, l’employeur explique que pour se conformer au nouveau taux d’émission de SO2 imposé par l’Etat Français, il aurait dû procéder à un investissement de 15 millions d’euros. Certes.’».
Est ensuite invoqué le fait que la nécessité de baisser le taux d’émission de SO2 résultait d’une directive européenne du 24 novembre 2010, que le groupe ne pouvait donc ignorer qu’il devait procéder aux investissements nécessaires pour toutes ses usines européennes mais, que plutôt que de planifier cet investissement, il a préféré miser sur l’obtention d’une dérogation en recourant d’ailleurs auprès du ministère de l’écologie à du chantage à l’emploi.
La société OEC SAS fait valoir que, s’agissant de la mise en conformité de l’usine au nouveau taux d’émission de SO2 imposé par l’Etat français, un investissement de 15 millions d’euros était nécessaire.
Elle ajoute que c’est dans le cadre d’une inspection menée fin 2015 que la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement d’Aquitaine (ci-après dénommée la DREAL) l’a informée de la nécessité de se mettre en conformité à compter du 1er janvier 2016 avec la transposition en droit français de la directive UE, imposant de limiter, pour les équipements de combustion, les émissions de SO2 à 15kg par tonne de noir de carbone produite.
La société indique avoir sollicité une dérogation mais qu’après 4 mois de réflexion, l’administration lui a verbalement transmis un avis défavorable et lui a demandé de mener une étude technico-économique afin de rendre le site conforme.
Sa demande tendant à bénéficier d’un taux de 30kg par tonne, soit 15kg pour chacune des deux chaudières de l’usine, a été rejetée.
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Etant rappelé qu’il n’appartient pas au juge de porter une appréciation sur les choix de gestion faits par l’employeur, il convient de relever les éléments suivants :
– le coût de l’investissement nécessaire pour la mise en conformité du site, soit 15 millions d’euros, n’est pas contesté par M. [E] ;
– la lecture des courriers et courriels échangés entre le président de la société, M. [G] [Y], et la DREAL démontre que lorsque l’information de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2016 de l’arrêté ministériel du 26 août 2013, transposant, en droit français, la directive européenne limitant le taux d’émission de SO2, a été donnée à la société, soit le 23 juillet 2015, celle-ci a tenté, dès le 3 août 2015, d’obtenir de la DREAL l’autorisation de poursuivre néanmoins son activité, autorisation qui lui a été refusée par courrier du 23 novembre 2015 ;
– cette tentative n’était cependant pas hasardeuse dès lors qu’il n’est pas contesté, ainsi qu’il ressort des termes du courrier adressé par M. [Y] le 23 novembre 2015, que les précédents arrêtés ministériels pris en application des directives européennes ne s’appliquaient pas aux installations de production de noir de carbone ; dans son courrier, M. [Y] exposait d’ailleurs un argumentaire précis tendant à écarter l’application de l’arrêté du 26 août 2013 à l’usine d'[Localité 2] ; il y ajoutait que la limitation devrait s’appliquer à chaque cheminée et donc représenter une limite cumulée de 30kg/tonne, limite que le site serait en mesure de respecter après remplacement de la chaudière n°4 prévue en 2016 ;
– par la suite, M. [Y] a également tenté, mais en vain, de faire fléchir l’administration sur sa position en faisant intervenir auprès de la DIRRECTE un membre de l’Union des Industries Chimiques Aquitaine et ce, par des courriels échangés jusqu’au 18 mai 2016 (pièce commune 40 société) ;
– ces démarches, en dehors des considérations de «’chantage à l’emploi’» ou de «’bel exemple de responsabilité environnementale’» évoquées par M. [E] dans ses écritures, qui sont sans incidence sur l’appréciation de l’existence d’une faute de l’employeur, étaient incontestablement destinées à éviter la cessation de l’activité de la société ;
– or, la situation financière de la société OEC SAS ne permettait pas de réaliser l’investissement nécessaire à la mise en conformité du site :
* en effet, la note économique établie en vue de la réunion du comité d’entreprise du 2 juin 2016 (pièce commune société 10 – pages 6 à 8), d’une part, démontre une baisse du chiffre d’affaires de la société, passé de 53,2 millions d’euros en 2012 à 45,4 millions en 2013, puis 41,6 millions en 2014 et enfin 33,7 millions en 2015,
* d’autre part, cette note évoque le caractère artificiel du résultat net comptable par l’effet de la mise en ‘uvre du contrat à marge garantie qui assurait à la société OEC SAS le paiement de la marchandise vendue à la société OEC GmbH au coût de sa production majoré de 5% et, par conséquent, lui permettait d’afficher une situation nécessairement bénéficiaire, situation d’ailleurs évoquée dans le rapport SECAFI réalisé à la demande du comité d’entreprise (pièce commune salariés 15),
* le chiffre d’affaires de la société OEC SAS ne correspondait pas à celui généré par la commercialisation de la production par la société OEC GmbH : le tableau figurant en page 8 de la note économique établit en effet que, sans le bénéfice du contrat à marge garantie, le résultat de la société OEC SAS aurait en réalité été déficitaire, la perte s’aggravant depuis 2013, pour être passée de ‘ 0,53 million d’euros en 2013 à ‘ 2,18 millions en 2014 et à ‘ 6,52 millions en 2015 ;
* la note explique enfin que la dégradation de la situation de la société reposait notamment sur la crise du secteur automobile, l’évolution du marché avec l’apparition de nouveaux concurrents et l’augmentation massive des importations en provenance de pays proposant des prix de vente inférieurs à ceux des producteurs français mais aussi sur des coûts de production élevés, qui avaient déjà été antérieurement évoqués, en septembre 2013, à l’occasion de la présentation au comité d’entreprise d’un projet de licenciement économique concernant 7 postes, la direction de la société faisant état, dès cette date, de ces difficultés ainsi que de résultats comptables faussés par le contrat de marge garantie qui étaient en réalité déficitaires depuis 2011 (pièce commune salariés 25-e).
Compte tenu de ces éléments, le refus de la société et du groupe de réaliser un investissement de 15 millions d’euros ne peut être considéré comme caractérisant une faute ou une légèreté blâmable.
– Sur la mise en place de la cogénération
La cogénération consiste en la production d’électricité par la mise en place d’une turbine alimentée par la vapeur dégagée par la combustion des gaz produits par celle des huiles destinée à l’obtention du noir de carbone.
L’électricité ainsi produite peut servir au fonctionnement général de l’usine mais aussi être revendue au fournisseur public (EDF en France) sous réserve de l’éligibilité à l’obligation d’achat de ce fournisseur.
La cogénération permet ainsi d’améliorer la rentabilité des installations.
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M. [E] reproche à la société, consciente dès 2011 de la nécessité de la mise en place de la cogénération, d’avoir tardé à la réalisation des études nécessaires, en sorte que la DREAL a refusé de délivrer à la société le certificat d’obligation d’achat en janvier 2014.
La société fait valoir qu’en dépit de ses efforts, le projet de mise en place de la cogénération s’est heurté au refus de la DREAL opposé en janvier 2014 de lui délivrer le certificat d’obligation d’achat.
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Il ressort des écritures et pièces des parties les éléments suivants :
– la société OEC SAS a sollicité et obtenu d’EDF Optimal Solutions une note d’évaluation du potentiel de la cogénération en septembre 2011 (pièce commune société 34) ;
– un contrat d’études a été conclu avec cette même société le 16 février 2012 (pièce commune société 35) représentant un coût de 10.000 euros ;
– en novembre 2012, un nouveau contrat d’études a été conclu avec la société EDF pour la réalisation d’un avant-projet sommaire relatif à l’installation d’un système de valorisation des gaz qui prévoyait trois options, cette étude représentant un coût de 76.000 euros (pièce commune société 37), information qui a été donnée au comité d’entreprise le 28 novembre 2012 (pièce commune salariés 25-a page 3) ;
– en janvier 2013, l’étude a été présentée au comité d’entreprise, le compte-rendu de la réunion du 21 janvier 2013 précisant que le troisième projet était retenu au regard de son coût (24 millions d’euros) et de sa rentabilité de 20% (pièce commune salariés 25-b) ;
– la société justifie de la demande de certificat d’obligation d’achat à la DREAL le 18 mars 2013 (pièce commune société 38) mais aussi, faute de réponse, d’une relance adressée à ce sujet à la DREAL par son directeur en fin d’année 2013 (pièce commune société 36) ;
– par décision notifiée le 14 janvier 2014, la DREAL a refusé la délivrance du certificat d’obligation d’achat au motif d’une modification de l’arrêté du 3 juillet 2001, fixant les caractéristiques techniques des installations de cogénération pouvant bénéficier de l’obligation d’achat, intervenue par arrêté du 19 octobre 2013 (pièce commune société 39).
De cette chronologie, mais aussi en tenant compte du fait que la société OEC SAS était nécessairement soumise à l’aval du groupe, n’étant pas en mesure de financer elle-même le projet, il ne peut qu’être retenu qu’aucun retard caractérisant une faute ou une légèreté blâmable n’est établi, d’autant qu’à la date de présentation du dossier à la DREAL, la société était réglementairement éligible à l’obligation d’achat et qu’elle ne peut être considérée comme responsable du délai de réponse de la DREAL.
– Sur le non-remplacement d’une des deux chaudières
M. [E] reproche à la société OEC SAS d’avoir tardé au remplacement d’une des deux chaudières utilisées sur le site d'[Localité 2] et d’avoir prévu des réductions drastiques des investissements pour 2016.
La société OEC SAS fait valoir que le site d'[Localité 2] avait bénéficié, au même titre que les autres usines du groupe, d’investissements significatifs et réguliers représentant 22,9 millions d’euros au cours des dix dernières années ainsi que de nombreuses opérations de maintenance (pièces communes société 11 et 12) et que la garantie de la préservation et de la conformité du site aurait supposé des dépenses d’investissements, évaluées en 2015, à 21 millions d’euros sur les 10 années à venir.
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Les pièces communes 11 et 12 de la société ainsi que la note économique déjà évoquée (pièce 10) établissent que le groupe avait consenti des dépenses non négligeables au titre des investissements de remplacement, de réparations et maintenance, spécialement au regard des résultats ci-avant évoqués de la société OEC SAS puisque ces dépenses, représentant 22,9 millions sur les années 2005 à 2015 s’étaient élevées en 2013 à 2,4 millions d’euros, à 1,8 million d’euros en 2014 et à 2,8 millions d’euros en 2015 pour un résultat en réalité déficitaire de ‘ 0,53 million d’euros en 2013, ‘ 2,18 millions en 2014 et de ‘ 6,52 millions en 2015.
Le remplacement de la chaudière n° 4 d’un coût estimé à 4 millions d’euros et donc l’engagement du groupe de financer cette acquisition, était subordonné à l’autorisation de la poursuite de l’activité en lien avec la limitation du taux d’émission de SO2 ; le refus opposé par la DREAL le 23 novembre 2015, est de nature à justifier la décision du groupe de cesser d’investir des fonds au regard des résultats de sa filiale dont l’activité était condamnée par la décision de la DREAL.
Il ne saurait donc être retenu que le groupe a négligé des investissements indispensables à la survie de la société OEC SAS ni qu’il a commis une faute de ce chef.
2. L’inexistence de tentatives de redressement
M. [E] soutient que les tentatives prétendues de redressement de la situation sont en réalité inexistantes car les investissements allégués à hauteur de 2,29 millions d’euros par an, seraient relativement faibles en milieu industriel et auraient même baissé depuis 2010, les opérations de maintenance invoquées tels le remplacement de chaises ou le renouvellement de bouteilles d’air liquide ne pouvant être sérieusement qualifiées d’investissements.
M. [E] ajoute que la fermeture du site de Sinès [au Portugal] ne peut constituer une tentative de redressement, indiquant dans ses écritures, page 93, qu’il conviendrait d’évoquer plutôt la situation de la filiale suédoise, qui a converti une de ses lignes de production au profit de produits de spécialité, ou encore la situation du site de Ravenne qui a récupéré la production à forte valeur ajoutée du site d'[Localité 2] fin 2015, précipitant la fermeture de la filiale française au visa, pour ce dernier point, de la pièce commune salariés 25-i page 2.
M. [E] indique encore qu’en 2018, le groupe Orion a racheté au groupe pétrochimique Lyondellebassel une société de noir de carbone implantée sur [Adresse 3] [située à l’Ouest de [Localité 5]], ce qui démontrerait que la législation française n’est pas un frein à l’activité du groupe, y compris au niveau des normes environnementales, mais surtout que la transformation de la production de l’usine d'[Localité 2] était économiquement possible.
M. [E] soutient enfin que la société n’a recherché aucun débouché pour écouler sa production, ce qui signerait «’sa dépendance au groupe et le cynisme de ce dernier qui l’autorise à vendre sa production à un autre que lui ‘ mais pas à un concurrent’», ajoutant que le comité d’entreprise l’avait parfaitement compris en émettant un avis défavorable au projet de restructuration motivé par des considérations plus financières qu’économiques, projet inacceptable et incompréhensible pour les salariés.
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Il a été retenu précédemment que les investissements du groupe dans la société OEC SAS, depuis son acquisition, ne pouvaient être considérés comme négligeables au regard des résultats de celle-ci et il convient de rappeler que la preuve du comportement fautif de l’employeur à l’origine de la cessation d’activité et donc des licenciements en résultant incombe aux salariés licenciés.
L’évocation du site de Sinès ou de celui de la filiale suédoise, sans plus de précision, n’est pas la démonstration d’un comportement blâmable ni de la société OEC SAS ni du groupe auquel elle appartenait, pas plus que le rachat près de trois ans plus tard d’une société située près de [Localité 5].
S’agissant du transfert sur le site de Ravenne en Italie de la production de noir de carbone N134, le compte rendu de réunion du comité d’entreprise visé par M. [E], en date du 29 septembre 2015, mentionne qu’une compensation était prévue pour le site d'[Localité 2], par l’augmentation du volume produit pour d’autres grades.
Par ailleurs, compte tenu du refus d’autorisation opposé par la DREAL à défaut d’une mise en conformité des installations à la nouvelle limitation du taux d’émission de SO2, la recherche de nouveaux marchés de commercialisation ne présentait aucun intérêt puisque le site était condamné à court terme à cesser son activité dès lors que la société ne disposait pas des fonds nécessaires à cette mise en conformité.
En outre, ainsi qu’il l’a été précédemment relevé, les coûts de production de la société OEC SAS rendaient vaine toute possibilité de vendre le noir de carbone à des concurrents.
L’existence d’une faute de l’employeur ne peut donc pas être retenue de ce chef.
3. La dénonciation abusive du contrat à marge garantie
M. [E] fait valoir que le contrat à marge garantie liant son employeur à la société OEC GmbH était crucial pour la survie de la société OEC SAS et qu’il a été dénoncé de manière abusive.
Selon M. [E], le contrat produit par la société intimée serait un faux puisqu’il prévoit une reconduction tacite annale et un préavis de 6 mois, faux que la société OEC SAS aurait volontairement accepté alors que le «’vrai’» contrat prévoyait un préavis d’un an et une reconduction triennale, soit l’obligation pour la société OEC GmbH de le dénoncer avant la fin de l’année 2015 et, à défaut, de voir le contrat renouvelé jusqu’au 31 décembre 2019.
En réponse à l’argumentation de la société OEC SAS, qui prétend que le contrat initial de marge garantie a été dénoncé et renégocié au moment de sa reprise par le groupe Orion, M. [E] souligne que cette dénonciation n’est pas justifiée et que la cour doit en tirer les conséquences qui s’imposent, d’autant que la société OEC SAS a refusé d’agir en justice devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour contester cette résiliation qui était abusive dès lors qu’aucun motif valable n’était invoqué, contrairement aux dispositions contractuelles exigeant un tel motif et ce, y compris aux termes du contrat produit par la société.
La société OEC SAS verse aux débats le contrat de fabrication à façon, qu’elle a signé le 9 septembre 2014, conclu avec la société OEC GmbH qui l’a elle-même signé le 2 octobre 2014 (pièce commune société 9), qui remplaçait le précédent contrat liant la société Evonik à sa société mère (pièce commune société 83), soutenant que le nouveau contrat a été établi dans des conditions similaires pour toutes les usines du groupe Orion.
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Le précédent contrat conclu entre la société Evonik Cofrablack Compagnie française du Carbon Black SAS et la société Evonik Carbon Black GmbH le 1er juillet 2010 (pièce commune société 83) prévoyait effectivement une durée renouvelable de 3 ans et un préavis de résiliation d’un an.
Il ne saurait cependant se déduire de ces conditions plus favorables que le contrat signé le 9 septembre 2014 par la société OEC SAS est un faux antidaté, la cour relevant notamment qu’un délai de préavis de 6 mois est relativement courant dans les contrats commerciaux.
Par ailleurs, s’il est exact que la lettre de résiliation de ce contrat adressée le 25 mai 2016 par la société OEC GmbH ne mentionne pas de motif, il ne peut qu’être constaté que cette résiliation était la conséquence de l’impossibilité pour l’usine d'[Localité 2] de poursuivre son activité, faute d’avoir pu obtenir une dérogation aux limitations du taux d’émission de SO2, avec, à terme, l’arrêt inéluctable de l’exploitation, un tel motif étant valable au sens de l’article 15.3 du contrat de fabrication qui n’exige pas que la lettre de résiliation en fasse mention.
Il ne peut donc être utilement reproché à la société OEC SAS de ne pas avoir engagé une procédure judiciaire pour contester cette résiliation, une telle procédure étant manifestement vouée à l’échec.
En conséquence, il y a lieu de considérer que la cessation d’activité de l’entreprise ne repose ni sur une faute ni sur une légèreté blâmable de la société OEC SAS, le licenciement de M. [E] étant dès lors fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a fait droit aux demandes de M. [E].
Sur les autres demandes
M. [E], partie perdante à l’instance, en supportera les dépens mais eu égard au contexte du litige, il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la société OEC SAS la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. [K] [E] repose sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [K] [E] de ses prétentions,
Condamne M. [K] [E] aux dépens.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire