Conditions du coemploi : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00443

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Conditions du coemploi : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00443

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 562/23

N° RG 21/00443 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TQSL

OB/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille

en date du

18 Février 2021

(RG 18/01112 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. ESPACE MOLINEL ASSURANCE IARD

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Yamin AMARA, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS :

M. [L] [S]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représenté par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE

S.A.R.L. ESPACE MOLINEL ASSURANCE

signification DA+ccl le 27.05.21 PV RECHERCHES INFRUCTUEUSES

[Adresse 4]

[Localité 6]

n’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Serge LAWECKI

DÉBATS : à l’audience publique du 28 Mars 2023

ARRÊT : Par défaut

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 07 Mars 2023

EXPOSE DU LITIGE :

M. [S] a été engagé en qualité d’employé de bureau par la société Espace Molinel Assurances (la société EMA) selon contrat initiative-emploi conclu pour une durée d’un an à compter du 9 octobre 2013.

La durée de travail hebdomadaire était de 20 heures pour un salaire mensuel brut de 856,30 euros.

Il a été licencié pour faute grave au motif d’un abandon de poste selon lettre du 18 septembre 2018.

Estimant que la société EMA et la société Espace Molinel Assurances incendie, accidents et risques divers (la société IARD) ne faisaient qu’une, il les a citées devant le conseil de prud’hommes de Lille au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de dommages-intérêts pour divers manquements ainsi qu’en rappel de salaire à raison d’heures supplémentaires.

Par un jugement du 18 février 2021, la juridiction prud’homale a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et que M. [S] avait été leur salarié de sorte qu’elle les a solidairement condamnées à lui payer, à titre de dommages-intérêts de ce chef, la somme de 5 137,80 euros ainsi que le préavis, et à lui délivrer sous astreinte les documents de fin de contrat, le déboutant de ses autres demandes.

Pour statuer comme elle l’a fait, elle a, d’abord, retenu que les deux sociétés avaient les mêmes adresse, ligne téléphonique et signatures des avis de réception et qu’il n’était communiqué aucun organigramme ni élément de gestion ou de ressources humaines permettant de les distinguer.

Elle a, ensuite, écarté toute faute grave en l’absence de preuve en ce sens.

La société IARD a fait appel par déclaration du 25 mars 2021 et, sollicitant sa mise hors de cause, elle réclame l’infirmation du jugement en ce qui la concerne et se propose de démontrer qu’elle est distincte de la société EMA, seul employeur, selon elle, de l’intéressé.

Réitérant ses prétentions, M. [S] réclame, quant à lui, par des conclusions du 2 août 2021 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la confirmation du jugement sur l’absence de cause réelle et sérieuse ainsi que sur le principe de la solidarité mais son infirmation sur le quantum de la condamnation ainsi que sur le rejet du surplus de ses demandes.

Citée par voie d’huissier, un procès-verbal de recherches infructueuses étant dressé, la société EMA n’a pas constitué de sorte que l’arrêt sera rendu par défaut conformément à l’article 474 du code de procédure civile.

MOTIVATION :

1°/ Sur la nature du contrat de travail :

Alors que M. [S] avait été engagé pour une durée d’un an selon contrat initiative-emploi à compter du 9 octobre 2013, les parties ne fournissent pas véritablement d’explications sur le cadre juridique dans lequel la relation contractuelle s’est poursuivie.

Les articles L.5134-65 et suivants du code du travail relatifs à ce type de contrat prévoient qu’il peut être prolongé dans la limite d’une durée totale de cinq ans pour les salariés âgés de cinquante et plus, ce qui n’est pas le cas de M. [S], né en 1983, ainsi que pour les personnes reconnues travailleurs handicapés, ce dont ne se prévaut pas spécialement l’intéressé, ou pour permettre d’achever la formation alors dispensée, ce qui supposerait, en l’espèce, que celle-ci ait nécessité plusieurs années, hypothèse improbable.

M. [S] conteste la lettre de licenciement, intitulée en tant que telle, et non de rupture anticipée, et cette lettre énonce qu’il sort des effectifs alors qu’un salarié sous contrat aidé en est exclu pendant toute la durée d’attribution de l’aide.

Il pourrait ainsi s’en déduire qu’en application de l’article L.1243-11 du code du travail, et à supposer ce texte applicable au contrat d’insertion, ce dernier, conclu à durée déterminée dès l’origine, soit devenu un contrat à durée indéterminée par suite du dépassement du terme, ce qui interroge dans la mesure où l’aide financière publique cesse à l’expiration de la durée du contrat conclu à durée déterminée.

La cour retient, en conséquence, que M. [S] est devenu, à la suite de l’expiration du contrat initiative-emploi à durée déterminée, salarié à durée indéterminée par suite d’une volonté commune de poursuivre la relation, et non nécessairement par suite du dépassement du terme.

L’enjeu de la nature du contrat réside dans les causes et les conséquences de la rupture, celles attachées à la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée n’étant pas les mêmes que celles résultant d’un licenciement propre à un contrat à durée indéterminée.

2°/ Sur la mise hors de cause de la société IARD :

Comme le rappelle avec pertinence la société IARD, le conseil de prud’hommes a procédé par inversion de la charge de la preuve : M. [S] ayant été initialement engagé par la société EMA, il lui appartient de démontrer l’existence d’un contrat de travail le liant également à la société IARD.

Il n’invoque pas à proprement parler de situation de coemploi mais plaide la fraude, les deux sociétés, selon lui, ne formant, en réalité, qu’un seul fonds de commerce en entretenant à dessein la confusion dans les adresses [Adresse 7], les numéros d’enregistrement au registre du commerce ainsi que dans les moyens matériels.

La cour s’étonne, il est vrai, que la société EMA, contre laquelle l’intimé forme des demandes pour un total d’environ 40 000 euros, ne constitue pas avocat et n’ait pas même de siège social identifié à [Localité 6], l’huissier qui a signifié la déclaration d’appel et les conclusions de la société IARD ayant, en effet, été contraint de dresser un procès-verbal de recherches infructueuses.

Mais, comme l’observe à bon droit la société IARD, il n’empêche que ces deux sociétés peuvent être différentes et qu’il incombe, en tout cas, au salarié de prouver le contraire.

La société appelante justifie, par un extrait Kbis, le registre des entrées et sorties du personnel et la copie de l’acte de cession du fonds de courtage, qu’elle a été créée en 2018, qu’elle a procédé à sa première embauche après le licenciement de M. [S] et qu’elle a repris non pas les parts sociales de la société EMA mais son activité de courtage attachée à l’activité incendie, accidents et risques divers.

Il s’ensuit qu’au-delà des légitimes interrogations que suscite la configuration dans laquelle se présente cette affaire, il ne peut être fait droit à la demande de condamnation solidaire, faute de pouvoir établir avec certitude un lien juridique entre le salarié et la société IARD laquelle sera donc mise hors de cause.

Le jugement sera infirmé.

3°/ Sur le licenciement :

Le seul employeur est la société EMA, défaillante à l’instance et qui ne justifie pas de la réalité des griefs invoqués à l’appui du licenciement pour faute grave.

Il s’ensuit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé.

4°/ Sur les dommages-intérêts au titre du licenciement :

L’article L.1235-3 du code du travail ouvre droit à un minimum de trois mois de salaire brut.

M. [S] ne s’explique pas spécialement sur son préjudice de perte d’emploi.

Il lui sera octroyé la somme de 2 600 euros qui correspond au plancher du barème, de sorte que sera infirmé le jugement qui lui accorde une indemnité égale à six mois de salaire brut.

5°/ Sur le préavis :

Un préavis d’un mois est sollicité et il est dû, le licenciement n’étant pas fondé.

La condamnation au paiement de la somme de 856,30 euros sera confirmé, mais seulement à l’encontre de la société EMA.

6°/ Sur l’indemnité de congés payés :

Il n’est pas justifié par l’employeur que ce dernier ait permis au salarié de prendre tous les congés payés auxquels il avait droit, en l’occurrence quatre semaines, avant le licenciement.

Il s’ensuit que la somme correspondante de 846,30 en brut et non de 856,30 euros en brut, qui est réclamée, sera accordée, à l’exception des congés payés sur cette somme puisque cette indemnité ne peut, contrairement à ce que soutient M. [S], produire elle-même un droit à congés payés.

Le jugement qui rejette la demande sera infirmé.

7°/ Sur les dommages-intérêts pour retard dans le paiement du salaire :

M. [S] ne justifie ni du retard allégué ni même d’un préjudice de sorte que la demande sera rejetée et le jugement confirmé.

8°/ Sur les heures supplémentaires :

M. [S] réclame la somme de 15 264,40 euros, outre congés payés, au titre de l’accomplissement de 1 545 heures au taux horaire de 8,88 euros.

Ce taux apparaît un peu supérieur au taux contractuel.

Quoi qu’il en soit, il produit un relevé.

Mais la cour relève que le nombre d’heures réclamées est très important puisqu’il représente, sur une période de cinq années, et exception faite de la prescription triennale, une moyenne de près de 30 heures supplémentaires par mois, soit plus du tiers de la durée contractuelle.

De telles prétentions interrogent au regard du type de contrat initialement conclu, en l’occurrence un contrat initiative-emploi, de la main d’oeuvre à laquelle il est en principe destiné et de la nature des tâches occupées.

La cour relève également, même si cet élément doit être considéré avec précaution, que M. [S] est particulièrement elliptique dans ses conclusions sur sa demande d’heures supplémentaires ce qui ajoute au contexte assez particulier de ce dossier.

Mais l’employeur, non constitué, ne répond rien et rejeter la demande du salarié reviendrait, en violation de l’article L.3171-4 du code du travail, à lui faire supporter entièrement la charge de la preuve du temps de travail.

Il lui sera accordé la somme de 3 500 euros, outre les congés payés.

Le jugement qui le déboute sera infirmé.

9°/ Sur la délivrance des documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle emploi, solde de tout compte) :

Conformément à la demande de M. [S], il y sera fait droit, mais sans le prononcé d’une astreinte qui n’apparaît pas nécessaire de sorte que, sur ce point, le jugement sera infirmé.

10°/ Sur les dommages-intérêts au titre de la délivrance avec retard de ces documents :

M. [S] ne justifie pas d’un quelconque préjudice de sorte que sa demande sera rejetée et le jugement confirmé.

11°/ Sur les frais irrépétibles d’appel :

Il sera équitable de condamner la société EMA à payer à M. [S] la somme de 1 000 euros mais en revanche, et malgré sa mise hors de cause, il serait inéquitable de faire droit à la demande de la société IARD.

PAR CES MOTIFS :

La cour d’appel statuant publiquement, par défaut, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

– confirme le jugement déféré mais seulement en ce qu’il requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il condamne la société Espace Molinel Assurances à payer à M. [S] la somme de 856,30 euros en brut au titre du préavis et celle de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles, en ce qu’il la condamne à lui délivrer un certificat de travail, l’attestation Pôle emploi et le solde de tout compte, le tout rectifié conformément à la décision de justice, et en ce qu’il rejette les demandes en dommages-intérêts au titre du retard dans le paiement des salaires et dans la délivrance des documents de fin de contrat ;

– l’infirme pour le surplus et statuant à nouveau et y ajoutant :

* dit que M. [S] et la société Espace Molinel Assurances sont liés par un contrat de travail à durée indéterminée ;

* met hors de cause la société Espace Molinel Assurances incendie, accidents et risques divers ;

* condamne la société Espace Molinel Assurances à payer à M. [S] les sommes de 2 600 euros à titre de dommages-intérêts au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 846,30 euros au titre de l’indemnité de congés payés et de 3 500 euros au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés de 200 euros ;

* précise que ces condamnations s’entendent déduction à faire des cotisations applicables ;

* la condamne également à payer à M. [S] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;

* rejette le surplus des prétentions ;

* condamne aux dépens de première instance et d’appel la société Espace Molinel Assurances.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

 


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