Conditions de validité et d’exécution des saisies sur rémunérations en cas de domiciliation incertaine

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Conditions de validité et d’exécution des saisies sur rémunérations en cas de domiciliation incertaine

Le tribunal de commerce de Grenoble a, par jugement du 16 novembre 2022, condamné M. et Mme [C] à payer chacun 24 960 euros à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes en raison de leur engagement de caution pour un prêt consenti à la société Aphilsand, avec des intérêts à compter de la mise en demeure du 24 octobre 2018. Les époux ont également été condamnés solidairement à verser 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens. La Caisse d’épargne a signifié ce jugement le 2 décembre 2022. Le 6 mars 2023, elle a demandé la saisie des rémunérations de Mme [C] pour un montant de 26 008,26 euros. Le juge de l’exécution a rejeté cette demande par jugement du 14 novembre 2023, condamnant la Caisse d’épargne aux dépens et constatant l’exécution provisoire. La Caisse d’épargne a interjeté appel le 27 décembre 2023, demandant l’infirmation du jugement et la saisie des rémunérations de Mme [C]. Mme [C] a, dans ses conclusions, demandé la confirmation du jugement et la condamnation de la Caisse d’épargne à lui verser des frais.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel de Douai
RG
23/05753
République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 3

ARRÊT DU 05/09/2024

N° de MINUTE : 24/617

N° RG 23/05753 – N° Portalis DBVT-V-B7H-VILV

Jugement (N° 23/00838) rendu le 14 Novembre 2023 par le Juge de l’exécution d’Arras

APPELANTE

Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône Alpes Banque coopérative régie par les articles L.512-85 et suivants du Code monétaire et financier, société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillance au capital de 1.150.000.000 euros, immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 384.006.029, Intermédiaire

d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07.004.760, et titulaire de l’identifiant unique REP Papiers n°FR232581 03FWUB (BPCE Siret 493.455.042) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assisté de Me Pascal Eydoux, avocat au barreau de Grenoble avocat plaidant

INTIMÉE

Madame [V] [L] épouse [C]

née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 9] – de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué assisté de Me Anne-Sophie Gabriel, avocat au barreau d’Arras, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 27 juin 2024 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sylvie Collière, président de chambre

Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Catherine Ménegaire, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 4 juin 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement réputé contradictoire du 16 novembre 2022, le tribunal de commerce de Grenoble a :

– condamné M. [O] [C] à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes la somme de 24 960 euros au titre de son engagement de caution du prêt n°9471112 (consenti à la société Aphilsand), outre intérêts au taux contractuel majoré de 5,30 % l’an, à compter de la mise en demeure du 24 octobre 2018 ;

– condamné Mme [V] [C] à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes la somme de 24 960 euros au titre de son engagement de caution du prêt n° 9471112 (consenti à la société Aphilsand), outre intérêts au taux contractuel majoré de 5,30 % l’an, à compter de la mise en demeure du 24 octobre 2018 ;

– ordonné la capitalisation des intérêts ;

– condamné solidairement les époux [C] au paiement de la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.

Par acte du 2 décembre 2022, la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes a fait signifier ce jugement aux époux [C] selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile.

Par requête du 6 mars 2023, la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Arras afin de voir ordonner la saisie des rémunérations de Mme [C], à hauteur de la somme de 26 008,26 euros, en vertu du jugement du 16 novembre 2022.

Par jugement contradictoire du 14 novembre 2023, le juge de l’exécution a :

– rejeté la requête en saisies des rémunérations de la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes à l’encontre de Mme [C] ;

– condamné la société Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes aux entiers dépens ;

– constaté l’exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration adressée par la voie électronique le 27 décembre 2023, la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions du 9 février 2024, elle demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

de :

– juger que l’acte de signification du jugement 16 novembre 2022 est régulier ;

– juger qu’elle justifie d’un titre exécutoire ;

– prononcer la saisie des rémunérations de Mme [C] à hauteur de la somme de 26 008,26 euros, entre les mains de la Derichebourg interim – agence d'[Localité 8] située [Adresse 11] ;

– condamner Mme [C] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter Mme [C] de l’ensemble de ses moyens, fins et prétentions ;

– condamner Mme [C] aux entiers dépens comprenant les frais d’inscription hypothécaire avec, au profit de la S.C.P. Processuel qui le demande, droit de recouvrer directement sur la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Aux termes de ses dernières conclusions du 29 février 2024, Mme [C] demande à la cour de :

– déclarer l’appel irrecevable en tous les cas, mal fondé ;

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

– condamner la société Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d’appel.

MOTIFS

Sur la saisie des rémunérations :

Selon l’article R. 3252-1 du code du travail, le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur.

Le jugement déféré a retenu que la signification en date du 2 décembre 2022 du jugement du 16 novembre 2022 était nulle de sorte qu’en application de l’article 478 du code de procédure civile, ce jugement avait perdu sa nature exécutoire et ne pouvait pas fonder la saisie des rémunérations. Il a relevé que la société requérante avait connaissance d’une autre adresse utile à laquelle il était possible de signifier le jugement, à savoir l’adresse [Adresse 2] à [Localité 6] mentionnée sur le contrat de prêt du 26 novembre 2014, à laquelle Mme [C] se trouve à nouveau domiciliée à compter au minimum du mois d’août 2018.

La Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes soutient notamment que tous les éléments en sa possession permettaient de domicilier Mme [C] à [Localité 12], dernier domicile connu de cette dernière et qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait d’autres recherches.

Mme [C] précise que son domicile de [Localité 6] était à l’époque de la signification du jugement du 16 novembre 2022 connu des services de la mairie, des Finances Publiques, de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et de son employeur.

*

*

Il résulte de l’article 659 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution que lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.

Il résulte de la signification du 2 décembre 2022 que le commissaire de justice a procédé aux diligences suivantes :

‘Je me suis rendu ce jour [Adresse 4] afin de signifier le présent acte à Madame [L] [V] épouse [C].

Là étant, j’ai constaté que le nom de Madame [L] [V] épouse [C] ne figure sur aucune des boîtes aux lettres, ni sur aucune des portes palières de l’immeuble.

Cet immeuble est dépourvu de gardien ou de concierge.

A tous les étages, j’ai frappé aux portes de l’immeuble sans obtenir la moindre réponse.

Je me suis alors rendu [Adresse 10]. sur la même commune où les époux [C] sont gérants de la société APHILSAND, afin de tenter une signification sur son lieu de travail.

A cette adresse, j’ai constaté que la société APHILSAND, exerçant sous l’enseigne LE FOURNIL DE [Localité 12] n’a aucune activité.

Les commerçants interrogés à proximité me confirment que LE FOURNIL DE [Localité 12] est fermé et m’exposent que les époux [C] ont quitté la

commune ; qu’ils ne savent rien d’autre.

La mairie de [Localité 12] me confirme le départ de Madame [C], me précise ne pas connaître sa nouvelle adresse.

Les recherches sur internet se sont révélées infructueuses.

Les éléments du dossier ne m’ont pas permis d’avoir connaissance d’une autre adresse ni d’un éventuel lieu de travail ou d’une tierce personne qui aurait pu me renseigner.

Les diligences ainsi effectuées ne m’ayant pas de retrouver la destinataire de l’acte, j’ai constaté que celle-ci n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail précisément connus.

En conséquence j’ai dressé le présent procès-verbal conformément aux dispositions de l’article 659 du code de procédure civile pour servir et valoir ce que de droit (…).’

Il ne peut être reproché au commissaire de justice de ne pas s’être présenté à l’adresse figurant sur le contrat de prêt du 26 novembre 2014 consenti à la société Aphilsand, ainsi que sur les engagements de caution solidaire signés par les époux [C] à la même date, à savoir [Adresse 2] à [Localité 6] (62) alors que cette adresse n’était pas la dernière adresse connue de Mme [C]. En effet, le prêt du 26 novembre 2014 avait été consenti à la société Aphilsand dont les époux [C] étaient cogérants afin de financer l’acquisition d’un fonds de commerce situé [Adresse 10] à [Localité 12] (38), le droit au bail, les investissements liés et les besoins en fonds de roulement, et la localisation de cette société dans l’Isère avait nécessairement entraîné le déménagement des époux [C] vers un lieu plus proche de leur lieu de travail, à savoir [Adresse 5] à [Localité 12], cette adresse figurant sur un courrier de mise en demeure adressé à Mme [C] en sa qualité de caution par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 25 octobre 2018. C’est donc à juste titre que le commissaire de justice s’est présenté à la dernière adresse connue de Mme [C] à [Localité 12] et n’a pas procédé à des diligences sur une ancienne adresse de ce dernier.

En outre, le commissaire de justice simplement chargé de la signification du jugement du 16 novembre 2022 ne pouvait obtenir de l’administration fiscale ni de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie les informations (et notamment l’adresse de sa débitrice ainsi que l’identité et l’adresse de son éventuel employeur) qu’il est fondé à obtenir en vertu de l’article L. 152-1 du code des procédures civiles d’exécution quand il est ‘chargé de l’exécution’. Il ne peut donc lui être fait grief de ne pas avoir interrogé ces administration et caisse.

Il en résulte que les diligences effectuées par le commissaire de justice telles qu’énumérées dans le procès-verbal ci-dessus reproduit sont suffisantes et permettait à ce dernier de dresser un procès-verbal de recherches infructueuses.

La signification du 2 décembre 2022 est donc régulière, étant précisé qu’à supposer même qu’elle soit affectée d’une irrégularité, une telle irrégularité ne serait qu’un vice de forme et la nullité pour vice de forme ne peut être prononcée, en application de l’article 114 alinéa 2 du code de procédure civile, qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité alléguée. Or, Mme [C] n’allègue aucun grief.

C’est donc à tort que le premier juge a retenu la nullité de la signification et, partant, l’absence de caractère exécutoire du jugement du 16 novembre 2022.

Ce jugement constitue au contraire un titre exécutoire permettant de fonder la saisie des rémunérations.

Il convient donc d’infirmer le jugement déféré et d’autoriser la saisie des rémunérations de Mme [C] à hauteur de la somme de 26 008,26 euros soit :

– 24 960 euros en principal

– 5 565,90 euros au titre des intérêts au taux contractuel de 5,30 % du 24 octobre 2018 au 30 janvier 2023 ;

– 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .

– 322,75 euros au titre des frais (soit 105,80 euros au titre des frais d’assignation ; 80,29 euros au titre des frais de greffe ; 13 euros au titre du droit de plaidoirie ; 123,66 euros au titre des frais de signification du jugement) ;

– à déduire acompte pour 5 540,39 euros.

Sur les frais du procès :

Le sens de la présente décision conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, à condamner Mme [C] aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à régler à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Autorise la saisie par la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes des rémunérations de Mme [V] [L] épouse [C] pour la somme de 26 008,26 euros soit :

– 24 960 euros en principal

– 5 565,90 euros au titre des intérêts au taux contractuel de 5,30 % du 24 octobre 2018 au 30 janvier 2023 ;

– 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .

– 322,75 euros au titre des frais;

– à déduire acompte pour 5 540,39 euros ;

Condamne Mme [V] [L] épouse [C] à régler à la Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes la somme de 750 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l’appel ;

Condamne Mme [V] [L] épouse [C] aux dépens de première instance et d’appel, qui seront, pour ces derniers, recouvrés par la SCP Processuel, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier

Ismérie CAPIEZ

Le président

Sylvie COLLIERE


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