Conditions de recevabilité et obligations contractuelles dans le cadre d’un contrat de maîtrise d’œuvre

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Conditions de recevabilité et obligations contractuelles dans le cadre d’un contrat de maîtrise d’œuvre

La SCI de l’[7] a engagé des travaux d’aménagement au rez-de-jardin de la faculté de [6] et a confié la phase II à la société [G] [H] Architecte pour un montant de 12.250 euros HT. L’architecte a émis une facture le 22 octobre 2020. La SCI a décidé de déduire 2.238 euros de cette facture, correspondant à des erreurs imputées à l’architecte lors de la phase I des travaux. Le 22 janvier 2021, la SCI a réglé 12.462 euros à l’architecte. En avril 2021, l’architecte a mis en demeure la SCI de payer le solde de 2.238 euros. En janvier 2022, l’architecte a assigné la SCI en paiement devant le tribunal judiciaire de Lille. Dans ses conclusions, l’architecte demande la condamnation de la SCI à payer le solde, à transmettre un décompte général et à verser des frais. La SCI, dans ses propres conclusions, demande le déboutement de l’architecte et la condamnation de ce dernier aux dépens. Le tribunal a invité les parties à se prononcer sur une fin de non-recevoir soulevée par la SCI concernant la forclusion. Les deux parties ont échangé des notes en délibéré sur cette question.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG
22/00320
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/00320 – N° Portalis DBZS-W-B7G-V2XN

JUGEMENT DU 10 SEPTEMBRE 2024

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. [G] [H] ARCHITECTE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Julien NEVEUX, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE :

S.C.I. DE L’[7] La Société DE L’[7], Société civile immobilière, au capital de 22.925,00 €, immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le numéro 308 078 765, dont le siège social est sis [Adresse 3] à [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
[Localité 5]
représentée par Me Benoît LOSFELD, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Claire MARCHALOT, Vice Présidente, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

Greffier : Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Avril 2024 ;

A l’audience publique du 11 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 10 Septembre 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 10 Septembre 2024, et signé par Claire MARCHALOT, Présidente, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

La SCI de l’[7] a entrepris des travaux d’aménagement du rez-de-jardin de la faculté de [6] sise [Adresse 2] [Localité 5].

Dans ce cadre, elle a notamment confié la phase II à la société [G] [H] Architecte en qualité de co-traitants maîtres d’œuvre moyennant la somme finale de 12.250 euros HT, soit 14.700 euros TTC, suivant acte d’engagement du 18 décembre 2019 et avenant n°1 du 15 janvier 2020.

L’architecte a adressé au maître de l’ouvrage une facture à hauteur de ce montant le 22 octobre 2020.

Par courrier du 10 décembre 2020, la SCI de l’[7] a notifié à l’architecte sa décision de déduire de sa facture la somme de 2.238 euros TTC correspondant à 50% du montant d’une facture de la société Geolys du 29 octobre 2020 relative à la reprise d’erreurs, qu’elle lui impute dans la réalisation de la phase I des travaux qu’elle lui avait également confiée suivant autre marché de travaux du 14 mars 2018.

Le 22 janvier 2021, le maître de l’ouvrage a donc réglé la somme de 12.462 euros à la société [G] [H] Architecte.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 avril 2021, la société [G] [H] Architecte a, par le biais de son conseil, mis en demeure la SCI de l’[7] d’avoir à lui payer la somme de 2.238 euros au titre du solde du marché de travaux.

Par acte d’huissier signifié le 6 janvier 2022, la société [G] [H] Architecte a assigné notamment en paiement du solde du marché de travaux la SCI de l’[7] devant le tribunal judiciaire de Lille.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 mars 2024, elle demande au tribunal, au visa des articles 1171, 1217 et suivants et 1231-1 et suivants du code civil, de :
-dire que le tribunal judiciaire, statuant au fond, est incompétent pour juger de la fin de non-recevoir soulevée par la SCI de l’[7] ;
Subsidiairement et en tout état de cause :
-dire que l’article 19.3 du cahier des clauses particulières du marché doit être réputée non-écrit ;
-plus subsidiairement écarter cette clause en ce que le délai prévu n’est pas raisonnable, au sens de la jurisprudence judiciaire ;
-condamner la SCI de l’[7] à lui verser la somme de 2.238 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure au titre du solde de la facture du 22 octobre 2020 ;
-condamner la SCI de l’[7] à lui transmettre un décompte général et définitif conforme aux dispositions du cahier des clauses particulières du marché de maîtrise d’œuvre avec le cas échéant la rémunération complémentaire prévue au titre des travaux imprévisibles et des travaux supplémentaires ;
-assortir cette dernière condamnation d’une astreinte de 100 euros par jour de retard, pendant un délai de trois mois, à compter de la signification de la décision à intervenir ;
-condamner la SCI de l’[7] à lui verser une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner la SCI de l’[7] aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 mars 2024, la SCI de l’[7] demande au tribunal, de :
-débouter la société [G] [H] Architecte de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
-condamner la société [G] [H] Architecte aux entiers dépens de l’instance sur le fondement des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile ;
-condamner la société [G] [H] Architecte, la somme de 2.500 euros HT sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs dernières écritures, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Par courrier du 9 août 2024, le président a adressé aux parties le message suivant : « L’article 789 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est exclusivement compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir. Or en l’espèce, la SCI de l’[7] soulève dans ses dernières écritures une fin de non-recevoir tirée de la forclusion devant le tribunal. Les parties sont invitées à présenter leurs observations sur ce point par le biais d’une note en délibéré avant le 3 septembre 2024, délai de rigueur ».
Par note en délibéré du 29 août 2024, la SARL [G] [H] Architecte a rappelé que le tribunal statuant au fond doit déclarer irrecevable, ou à tout le moins rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion alléguée de sa demande, en ce qu’une telle fin de non-recevoir ne ressort pas de la compétence du juge du fond. Elle a également indiqué qu’elle s’opposait à une réouverture des débats. Par message électronique du 2 septembre 2024, le conseil de la société fait valoir que la fin de non-recevoir a été soulevée dans ses écritures et non uniquement à l’oral lors des plaidoiries.
Par note en délibéré du 30 août 2024, la SCI de l’[7] soutient que la forclusion soulevée concerne le délai à respecter par le maître d’œuvre pour présenter à l’acheteur public une réclamation financière.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le maitre de l’ouvrage

La SCI de l’[7] soulève l’irrecevabilité des demandes faites par la société [G] [H] Architecte aux motifs que celles-ci sont forcloses en application de l’article 19.3 du cahier des clauses particulières du marché qui stipule que tout différend entre le maître d’œuvre et le maître de l’ouvrage doit faire l’objet de la part du maître d’œuvre d’une lettre de réclamation exposant les motifs de son désaccord et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées, et ce, dans un délai de forclusion égal à un mois à compter du jour où le différend est apparu.

L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, telle la forclusion.

L’alinéa 1 de l’article 789 de ce même code précise quant à lui que lorsque l’instance a été introduite postérieurement au 1er janvier 2020, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur […] les fins de non-recevoir.

En application de ces articles, le juge de la mise en état est exclusivement compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement à son dessaisissement.

Par ailleurs, le tribunal n’est compétant pour statuer sur une fin de non-recevoir que dans l’hypothèse où, dans le cadre de la mise en état, il est nécessaire de statuer au préalable sur une question de fond et qu’une partie s’est opposée à ce que juge de la mise en état statue sur celle-ci.

En dehors de ces hypothèses, les parties ne sont pas recevables à soulever une fin de non-recevoir devant le tribunal.

En l’espèce, la société [G] [H] Architecte a assigné la SCI de l’[7] le 6 janvier 2022, si bien que les dispositions de l’article 789 du code de procédure civile sont applicables au présent litige.

Or, force est de constater que la forclusion soulevée par le maître de l’ouvrage, constitutive d’une fin de non-recevoir, n’est pas apparue postérieurement à la clôture de l’instruction.

Par conséquent la fin de non-recevoir soulevée par la SCI de l’[7] est déclarée irrecevable.

Sur les demandes formees par le maitre d’œuvre

I. Sur la demande en paiement 

La société [G] [H] Architecte sollicite en premier lieu la condamnation de la SCI de l’[7] au paiement de la somme de 2.238 euros TTC correspondant au solde de sa facture éditée le 22 octobre 2020.

Elle soutient que les différences relevées entre le plan et le relevé de géomètre, « minimes », n’ont pas d’incidence fonctionnelle comme le prétend le maître de l’ouvrage pour ne pas procéder au paiement de la totalité du solde d’honoraires. De plus, l’architecte affirme que « certaines différences entre le relevé et les plans ne sont pas concernées par les travaux réalisés », notamment parce que « les écarts s’expliquent par changement de mode de relevé ».
Enfin, la demanderesse conteste le prix de la facture de la société Geolys dans le cadre de la mise aux normes, égal à 4.476 euros TTC en 2020 alors qu’il était de 300 euros TTC en 2019. Elle souligne également qu’une partie de cette facture comprend le relevé de 1.400 m2 pour lesquels l’architecte n’est pas intervenu.

La SCI de l’[7], pour justifier le non-paiement de l’intégralité du solde du marché de travaux, soutient qu’elle a fait intervenir un géomètre afin de démontrer l’existence d’un écart significatif entre les plans établis lors de la phase 1 et le relevé effectué à la phase 2, qui justifie qu’elle déduise la somme de 2.238 euros de ses honoraires.

L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l’article 1353 de ce même code, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

En l’espèce, la SCI de l’[7] a confié la phase II des travaux d’aménagement du rez-de-jardin de la faculté à la société [G] [H] Architecte en qualité de co-traitants maîtres d’œuvre moyennant la somme finale de 12.250 euros HT, soit 14.700 euros TTC, suivant acte d’engagement du 18 décembre 2019 et avenant n°1 du 15 janvier 2020.

Son intervention, qui n’est pas contestée par le maître de l’ouvrage, a donné lieu à une facture du 22 octobre 2020 pour ce montant de 14.700 euros TTC.

La SCI de l’[7] ne s’est toutefois acquittée que de la somme de 12.462 euros TTC le 22 janvier 2021 aux motifs que l’architecte aurait commis des erreurs dans le cadre de l’exécution de sa mission prévue en phase I.

Or, le tribunal constate que la défenderesse, sur qui pèse la charge de la preuve de la mauvaise exécution alléguée, ne produit aux débats aucune pièce de nature à établir ses affirmations. La seule production de la facture de la société Geolys, peu exploitable sans analyse complémentaire, ne permet pas de caractériser un manquement contractuel suffisamment grave de l’architecte qui justifierait, en droit ou en fait, la retenue opérée.

Surtout, force est de relever que le manquement allégué concerne un autre marché de travaux de la phase I en date du 14 mars 2018.

Aussi, c’est à tort que la SCI de l’[7] a refusé d’exécuter son propre engagement contractuel de payer le prix si bien qu’elle sera condamnée à payer à la société [G] [H] Architecte la somme de 2.238 euros, avec intérêts au taux légal à compter non pas du 22 octobre 2020, date d’édition de la facture, mais à compter du 20 avril 2021, date de la première mise en demeure de payer le prix, jusqu’à parfait paiement.

II. Sur la demande de production du décompte général et définitif 

La société [G] [H] Architecte sollicite dans un second temps la production sous astreinte du décompte général et définitif conformément aux dispositions du cahier des clauses particulières du marché de maîtrise d’œuvre afin de déclarer le montant effectif des travaux auprès de son assureur. Elle affirme que la SCI de l’[7], en sa qualité de maître de l’ouvrage, a l’obligation de lui transmettre ce document.
Elle lui reproche également de ne pas lui avoir notifié le décompte final et le décompte général avec intégration, le cas échéant, des travaux imprévisibles et des travaux supplémentaires pouvant générer une rémunération supplémentaire.

Le maître de l’ouvrage s’oppose à une telle demande dans la mesure où la rémunération forfaitaire ferme et non révisable du maître d’œuvre est établie exclusivement sur la base du montant prévisionnel des travaux résultant de l’avant-projet définitif, et non pas du montant des travaux résultant des marchés attribués ou tel qu’il ressort du décompte général définitif.

L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l’espèce, force est de constater qu’à la lecture combinée de l’ensemble des pièces versées aux débats par la société [G] [H] Architecte, et de ses dernières écritures, la prétention qu’il forme tendant à la production sous astreinte d’un autre décompte général définitif que celui transmis par le maître de l’ouvrage n’est justifiée ni en droit ni en fait.

Dès lors, il y a lieu de la débouter de cette demande.

Sur les frais accessoires

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Par conséquent, il convient de condamner la SCI de l’[7], qui succombe, au paiement des dépens de la présente instance.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En équité, il convient de condamner la SCI de l’[7] à payer à la société [G] [H] Architecte la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter celle formée par cette dernière.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe de la juridiction, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DÉCLARE IRRECEVABLE la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par la SCI de l’[7] ;

CONDAMNE la SCI de l’[7] à payer à la société [G] [H] Architecte la somme de 2.238 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021 jusqu’à parfait paiement ;

DÉBOUTE la société [G] [H] Architecte de sa demande de production sous astreinte du décompte général définitif formée à l’encontre de la SCI de l’[7] ;

CONDAMNE la SCI de l’[7] aux dépens ;

CONDAMNE la SCI de l’[7] à payer à la société [G] [H] Architecte la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SCI de l’[7] de sa demande de condamnation formée à l’encontre de la société [G] [H] Architecte au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Dominique BALAVOINE Claire MARCHALOT


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