La société Loomis France et la société Brink’s Evolution, toutes deux spécialisées dans le transport de fonds, sont en litige suite à l’embauche de M. [P] par Brink’s Evolution après son départ de Loomis France. Loomis France accuse Brink’s Evolution de concurrence déloyale, notamment en raison du départ de trois clients historiques vers cette dernière. En mai 2021, Loomis France demande au tribunal de commerce de Paris la nomination d’un commissaire de justice pour rechercher des fichiers numériques potentiellement extraits par M. [P]. Le tribunal accorde cette demande en juin 2021.
Brink’s Evolution conteste cette ordonnance et demande sa rétractation, mais le tribunal la déboute en septembre 2022. L’affaire est portée en appel, et la cour d’appel confirme la décision en juin 2023. En mars 2023, le juge des référés ordonne la communication de certaines pièces à Loomis France, tout en rejetant la communication d’autres pièces (numérotées de 16 à 28) qui seront détruites. Loomis France interjette appel de cette décision en décembre 2023, demandant la communication des pièces 16 à 28, qu’elle considère utiles à la résolution du litige. M. [P] et Brink’s Evolution contestent les demandes de Loomis France, arguant que celles-ci sont irrecevables et que les pièces en question ne sont pas pertinentes pour le litige. Ils demandent également la confirmation de l’ordonnance de mars 2023 et la condamnation de Loomis France aux dépens. Les parties continuent de débattre sur la pertinence et la communication des pièces, ainsi que sur les frais de justice. L’ordonnance de clôture a été rendue en mai 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2024
(n° 286 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/00073 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CIVKL
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Mars 2023 – Président du TC de Paris – RG n° 2021033872
APPELANTE
S.A.S.U. LOOMIS FRANCE, RCS de Bobigny sous le n°479 048 597, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : L0064
INTIMÉS
M. [U] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Ayant pour avocat plaidant Me Mathieu EYCHENE, avocat au barreau de PARIS, toque : D19
S.A.S.U. BRINK’S EVOLUTION, RCS de Paris sous le n°324 613 678, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant Me Myriam OUABDESSELAM, substituant Me Antoine DEROT, avocat au barreau de PARIS, toque : K30
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 Juin 2024 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Laurent NAJEM, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Jeanne PAMBO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
La société Loomis France et la société Brink’s Evolution ont pour activité le transport de fonds, le traitement de valeurs et la maintenance des automates permettant la distribution d’espèces.
M. [P], ancien salarié de la société Loomis France, a été embauché par la société Brink’s Evolution le 31 août 2020 en tant que responsable grands comptes.
La société Loomis France suspecte la société Brink’s Evolution d’actes de concurrence déloyale à son préjudice, notamment en ce que trois clients historiques n’ont pas renouvelé leur contrat et ont rejoint la société Brink’s Evolution.
Par requête en date du 27 mai 2021, la société Loomis France a sollicité du président du tribunal de commerce de Paris qu’il nomme un commissaire de justice avec pour mission de se rendre dans les locaux parisiens, lyonnais et marseillais de la société Brink’s Evolution pour rechercher des fichiers numériques lui appartenant et qui auraient été extraits par M. [P].
Par ordonnance du 3 juin 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette requête.
La mesure d’instruction a été diligentée le 18 juin 2021.
Par acte signifié le 15 juillet 2021, la société Brink’s Evolution a assigné la société Loomis France devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir la rétractation de l’ordonnance rendue le 3 juin 2021.
Par ordonnance du 29 septembre 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Brink’s Evolution et M. [P] de leurs demandes de rétractation et a confirmé l’ordonnance du 3 juin 2021. Il a enjoint à la société Brink’s Evolution de communiquer un mémoire dans lequel elle désigne les pièces à la communication desquelles elle s’oppose en indiquant le motif du refus en les classant par catégories A, B ou C selon leur nature (pièces pouvant être communiquées en l’état, pièces relevant du secret des affaires dont l’exclusion est sollicitée et pièces dont l’exclusion est également sollicitée bien qu’elles ne relèvent pas du secret des affaires).
La société Brink’s Evolution et M. [P] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Par arrêt du 15 juin 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance entreprise.
Par ordonnance contradictoire du 16 mars 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
ordonné la communication, par le séquestre, à la société Loomis des pièces suivantes :
*pièce A, le fichier Word intitulé » copie-ecrans.docx » ;
*pièces B numérotées de 1 à 10 et 12 à 15 mais dans leur version expurgée des données confidentielles (sur la base de la version des pièces prenant en compte les zones masquées, » caviardées » par la société Brink’s Evolution) et pour la pièce 11, le courriel sans aucune pièce jointe ;
dit que les pièces C numérotées de 16 à 28 ne seront pas communiquées à la société Loomis et seront détruites par le séquestre ;
dit que le séquestre ne pourra se libérer des pièces dont la communication est ordonnée ou procéder à la destruction de celles visées que sur production de la signification de l’arrêt de la cour d’appel confirmant le rejet de la rétractation, sauf appel de la société Loomis de la présente ordonnance impliquant dès lors la production d’une décision définitive ;
condamné la société Brink’s Evolution à payer à la société Loomis la somme de 3 000 euros et M. [P] à payer à la société Loomis la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté pour le surplus ;
rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;
condamné en outre la société Loomis France aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 75,91 euros TTC dont 12,44 euros de TVA.
Par déclaration du 11 décembre 2023, la société Loomis France a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 avril 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 145 du code de procédure civile et R. 153-3 du code de commerce, de :
juger que le procès-verbal de l’huissier instrumentaire du 18 juin 2021 atteste de ce que l’ensemble des éléments appréhendés le 18 juin 2021 au sein des locaux de la société Brink’s Evolution, en ce compris les pièces numérotées de 16 à 28, répondent strictement aux critères de saisie par l’ordonnance sur requête du 3 juin 2021 ;
juger que les pièces numérotées de 16 à 28 et classées par la société Brink’s Evolution dans la catégorie C ne peuvent, par postulat, contenir le moindre secret des affaires de la société Brink’s Evolution ;
juger que la prétendue inutilité de ces pièces à la solution du litige ne saurait dès lors permettre de s’opposer à leur communication à la société Loomis France ;
juger, à toutes fins utiles, que les pièces numérotées de 16 à 28 sont utiles à la solution du litige en germe l’opposant à la société Brink’s Evolution ;
En conséquence,
déclarer ses demandes recevables ;
infirmer l’ordonnance rendue en ce qu’elle a dit que :
* les pièces C numérotées de 16 à 28 ne seront pas communiquées à la société Loomis et seront détruites par le séquestre ;
* condamné en outre la société Loomis France aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 75,91 euros TTC dont 12,44 euros de TVA ;
lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour concernant les demandes formées par la société Brink’s Evolution visant à voir la cour :
o ordonner la communication de la pièce numérotée 11 dans sa version expurgée des
données confidentielles et sans pièce jointe ;
o juger que le commissaire de justice devra communiquer à la société Loomis France les
versions caviardées des pièces numérotées 1 à 15 établies par la société Brink’s Evolution ;
o juger que le commissaire de justice ne pourra pas communiquer à la société Loomis les versions originales des pièces numérotées de 1 à 15 et devra procéder à leur destruction ;
confirmer l’ordonnance rendue le 16 mars 2023 pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
ordonner la communication des pièces numérotées de 16 à 28 par la société Loomis France ;
condamner la société Brink’s Evolution et M. [P] aux entiers dépens de première instance;
En tout état de cause :
débouter M. [P] et la société Brink’s Evolution de toutes leurs demandes, moyens, fins et conclusions ;
condamner M. [P] et la société Brink’s Evolution à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
condamner M. [P] et la société Brink’s Evolution aux entiers dépens de l’instance d’appel.
La société Loomis France soutient que :
elle ne critique l’ordonnance qu’en ce qu’elle a dit que les pièces numérotées 16 à 28 ne seront pas communiquées à la société Loomis et seront détruites par le séquestre et en ce qu’elle a condamné la société Loomis aux dépens de l’instance ;
il résulte du procès-verbal de constat du commissaire de justice instrumentaire, Me [E], en date du 18 juin 2021, qui fait foi jusqu’à inscription de faux en vertu des dispositions de l’article 1371 du code civil, que les pièces litigieuses n°16 à 28 ont bien été obtenues conformément aux critères définis par l’ordonnance sur requête, aucun élément ne venant établir, comme l’a relevé le premier juge, que Me [E] aurait affirmé que ces pièces ne répondent pas aux critères de recherche définis par l’ordonnance, les parties n’ayant reçu aucune communication en ce sens de Me [E] ; la cour pourra effectuer cette vérification à l’examen des pièces litigieuses et pourra également interroger Me [E] en application de l’article 181 du code de procédure civile ;
dès lors que les pièces n°16 à 28 ont été classées par le requis lui-même en catégorie C, elles ne sont pas concernées par la protection du secret des affaires et ne pouvaient dès lors être écartées par le premier juge au motif de leur inutilité à la solution du litige ;
en tout état de cause, ces pièces sont a priori utiles à la démonstration recherchée, non pas de la date d’embauche de M. [P] comme retenu à tort par le premier juge, mais des actes illicites reprochés à M. [P], s’agissant de mails échangés entre ce dernier et le service des ressources humaines de la société Brink’s Evolution entre le 16 juillet 2019 et le 7 janvier 2020, soit avant la date d’embauche de M. [P] au sein de la société Brink’s ; et cette dernière échoue à démontrer que les pièces en cause seraient inutiles à la solution du litige ;
les demandes que la société Loomis forme dans le cadre de la présente instance sont évidemment recevables, ses prétentions ne venant nullement contredire celles qu’elle a formées dans le cadre de l’instance en rétractation ; et il ne saurait lui être fait grief de faire état d’informations relatives au séquestre qui ont été portées à sa connaissance par le premier juge sous le contrôle duquel la procédure de levée du séquestre a été diligentée ; en tout état de cause elle n’a pas eu connaissance ni ne s’est fait remettre les pièces classées par la société Brink’s en catégorie C.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 11 mars 2024, M. [P] demande à la cour, au visa des articles 3, 122, 145, 148, 155 du code de procédure civile, R. 153-3 à R.153-8 du code de commerce, de :
A titre liminaire :
déclarer irrecevables les demandes de la société Loomis France ;
A titre principal :
débouter la société Loomis France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause :
confirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 16 mars 2023 dans toutes ses dispositions ;
condamner la société Loomis France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Loomis France aux entiers dépens dont le recoupement sera poursuivi par la Selarl 2H Avocats en la personne de Me Schwab en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
M. [P] soutient que :
les prétentions de la société Loomis France sont irrecevables du fait de leur contradiction avec celles formulées devant la cour dans l’instance en rétractation, alors que nul ne peut se contredire au détriment d’autrui : la société Loomis a d’ores et déjà conclu devant la cour à la confirmation de la procédure de tri, acquiesçant notamment à l’ordonnance du 29 septembre 2022 en ce qu’elle prévoyait la possibilité d’exclure la remise de pièces non couvertes par le secret des affaires mais pour d’autres motifs ; elle soutient pourtant aujourd’hui que l’ordonnance du 29 septembre 2022 lui cause grief en remettant en cause le principe même que certaines pièces puissent avoir été exclues du séquestre pour un motif autre que celui tiré du secret des affaires ;
le juge du séquestre pouvait exclure la communication de pièces inutiles à la solution du litige tant sur le fondement de l’article R.153-1 du code de commerce, dont la formulation est générale et ne limite pas l’appréciation du juge au seul secret des affaires, que du pouvoir qui lui est conféré par les articles 3, 148 et 155 du code de procédure civile de contrôler les mesures d’instruction et de prendre toutes les mesures complémentaires qu’il estime nécessaires, étant souverain en la matière ; il a ainsi le pouvoir d’effectuer un contrôle a posteriori de la bonne exécution de la mesure afin de s’assurer, d’une part d’une absence de d’atteinte au secret des affaires et plus généralement aux autres droits fondamentaux tels que le secret professionnel de l’avocat ou le droit au respect de la vie privée, d’autre part que seules les pièces dont l’appréhension a été autorisée seront effectivement remises au requérant, et aussi que les pièces saisies sont utiles à la solution du litige alors même qu’elles ne relèvent pas de la protection du secret des affaires ;
l’affirmation de la société Loomis selon laquelle les pièces 16 à 28 sont inutiles à la solution du litige implique qu’elle a eu accès à ces pièces, ce que la procédure de levée du séquestre ne permet pas, violant ainsi les modalités du séquestre ordonné et a minima le principe de loyauté des débats.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 mai 2024, la société Brink’s Evolution demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 145 du code de procédure civile, L. 153-1, R.153-8 du code de commerce et 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, de :
écarter des débats et s’abstenir de tenir compte des moyens et développements de la société Loomis France relatifs au contenu des pièces saisies et placées sous séquestre ;
confirmer l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 16 mars 2023 en ce qu’elle a :
*ordonné la communication des pièces numérotées 1 à 10 et 12 à 15 dans leur version expurgée des données confidentielles ;
*rejeté la demande de communication des pièces numérotées 16 à 28 et ordonné leur destruction par le séquestre ;
*condamné la société Loomis France aux dépens de l’instance ;
ordonner la communication de la pièce numérotée 11 dans sa version expurgée des données confidentielles et sans pièce jointe ;
juger que le commissaire de justice devra communiquer à la société Loomis France les versions caviardées des pièces numérotées 1 à 15 qu’elle aura établie ;
juger que le commissaire de justice ne pourra pas communiquer à la société Loomis France les versions originales des pièces numérotées 1 à 15 et devra procéder à leur destruction ;
infirmer l’ordonnance de référé du 16 mars 2023 en ce qu’elle l’a condamné à payer à la société Loomis France la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau sur ce chef :
condamner la société Loomis France à lui payer la somme de 10 0000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Loomis France aux entiers dépens.
La société Brink’s Evolution soutient que :
le président du tribunal de commerce n’a pas respecté les règles applicables au séquestre en donnant au conseil de la société Loomis des indications sur les pièces séquestrées ; en violation de ces règles et avec une déloyauté manifeste la société Loomis a fait état des informations ainsi obtenues, portant atteinte aux droits de la société Brink’s notamment son droit à un procès équitable prévu par l’article 6 de la CEDH ;
les précisions qu’il est demandé à la cour d’apporter pour clarifier le dispositif de la décision de première instance ont seulement pour objet d’éviter toute difficulté d’exécution ;
les pièces n° 16 à 28 n’entrent pas dans le périmètre de l’autorisation accordée en ce qu’elles ne contiennent aucun des mots-clés ou intitulés de fichiers visés par l’ordonnance sur requête, ce que le commissaire de justice a confirmé comme cela ressort de l’ordonnance entreprise, laquelle fait foi jusqu’à inscription de faux, cette vérification devant en tout état de cause être faite par la juridiction, ce pouvoir appartenant au juge du séquestre selon une jurisprudence constante avant même l’entrée en vigueur des textes relatifs à la protection du secret des affaires ;
cela suffit à confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a rejeté la demande de communication des pièces 16 à 28, peu important leur éventuelle utilité pour la solution du litige ;
en tout état de cause, selon la jurisprudence les pièces qui ne sont pas utiles à la solution du litige ne peuvent être communiquées au requérant qu’elles soient ou non couvertes par le secret des affaires ; et le juge des référés a exactement jugé que ces pièces sont effectivement inutiles à la société Loomis dans la perspective d’une action en concurrence déloyale, celle-ci y voyant sans doute un grand intérêt pour nourrir son contentieux prud’homal avec M. [P], ce qui constitue un détournement de la procédure prévue à l’article 145 du code de procédure civile ;
le président du tribunal de commerce a statué ultra petita en condamnant la société Brink’s au paiement d’une indemnité en application de l’article700 du code de procédure civile, alors que la société Loomis n’avait formé aucune demande à ce titre.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024.
Sur la fin de non-recevoir
L’appelante critique la décision entreprise en ce qu’elle a refusé la communication au saisissant des pièces numérotées 16 à 28 aux motifs qu’elles ont été appréhendées hors des prescriptions de l’ordonnance rendue sur requête et qu’elles sont en outre inutiles à la solution du litige.
Cette contestation porte sur l’exécution de la procédure de tri, précisément celle relative aux pièces de la catégorie C ; elle ne remet pas en cause la mise en ‘uvre de cette procédure en ce qu’elle a prévu une catégorie C ainsi définie par le premier juge : » les autres pièces dont l’exclusion est également sollicitée bien qu’elles ne relèvent pas des dispositions relatives à la protection du secret des affaires, et les pièces qui seraient partiellement libérables (en mentionnant les explications nécessaires et en identifiant les paragraphes devant éventuellement être supprimés ) « .
Les motifs d’exclusion des pièces de cette catégorie C ne sont pas prédéterminés par le juge, ils peuvent porter sur la protection d’autres droits fondamentaux que celui de la protection du secret des affaires, tels que la protection des correspondances entre l’avocat et son client ou le respect de la vie privée de la partie saisie ; le juge ne les a pas limités aux motifs qu’il a retenus tirés du respect du périmètre de la mesure de saisie et de l’utilité des pièces à la solution du litige.
Il ne peut dès lors être valablement soutenu qu’en acquiesçant dans le cadre de l’instance en rétractation à la procédure de tri telle que mise en place par le premier juge, la sociét Loomis France a accepté que les pièces de la catégorie C soient écartées au motif de leur non-conformité au périmètre de la mesure ordonnée et de leur inutilité.
Il ne peut donc lui être fait grief de s’être contredite. La fin de non-recevoir sera rejetée.
Sur la demande tendant à ce que soient écartés des débats les moyens et développements de la société Loomis France relatifs au contenu des pièces saisies et placées sous séquestre
La procédure de levée de séquestre présente un caractère contradictoire, afin de permettre au requérant de s’assurer qu’elle est bien effectuée sous le contrôle du juge. Toutefois, elle ne saurait avoir pour objet ou pour effet d’autoriser le requérant ou son représentant à se faire remettre ou même à prendre connaissance de documents excédant le cadre de l’ordonnance sur requête et susceptibles d’affecter les droits légitimes du requis.
En l’espèce, il ne peut être fait grief au requis de faire état d’informations qui ont été portées à sa connaissance par le premier juge dans le cadre de la procédure contradictoire de levée du séquestre. Ces informations, portant seulement sur la nature des pièces et leur date, n’ont pas été irrégulièrement livrées au requis, celui-ci devant pouvoir être mis en mesure, pour la défense de ses intérêts, d’apporter un minimum de contradiction à la demande du requérant tendant à faire écarter de la communication toutes les pièces qu’il a unilatéralement rangées dans la catégorie concernée, sans toutefois pouvoir avoir connaissance de ces pièces, limite qui a bien été respectée par le premier juge puisque nul ne conteste le fait que la société Loomis France n’a pas eu connaissance du contenu des pièces litigieuses.
La société Brink’s Evolution est en conséquence mal fondée à se plaindre d’une atteinte à ses droits. Sa demande sera rejetée.
Sur la demande de la société Loomis France tendant à la communication des pièces n° 16 à 28
A la demande de la société Brink’s Evolution, partie saisie, la procédure de levée du séquestre objet du litige a été menée par le premier juge sur le fondement des articles R 153-1 à R 153-8 du code de commerce, inséré dans un chapitre intitulé » Des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales « .
Aux termes de l’article R 153-1, « Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.
Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.
Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 ».
Aux termes de l’article R 153-5, « Le juge refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige’.
Selon l’article R 153-6, « Le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans sa version intégrale lorsque celle-ci est nécessaire à la solution du litige, alors même qu’elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires.
Dans ce dernier cas, le juge désigne la ou les personnes pouvant avoir accès à la pièce dans sa version intégrale. Lorsqu’une des parties est une personne morale, il désigne, après avoir recueilli son avis, la ou les personnes physiques pouvant, outre les personnes habilitées à assister ou représenter les parties, avoir accès à la pièce. »
Selon l’article R 153-7, « Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d’un résumé, selon les modalités qu’il fixe. »
Enfin, en application de l’article R 153-8, « Lorsqu’elle intervient avant tout procès au fond, la décision statuant sur la demande de communication ou de production de la pièce est susceptible de recours dans les conditions prévues par l’article 490 ou l’article 496 du code de procédure civile.
Le délai d’appel et l’appel exercé dans ce délai sont suspensifs lorsque la décision fait droit à la demande de communication ou de production. L’exécution provisoire ne peut être ordonnée. »
Il résulte de ces dispositions que l’utilité de la pièce litigieuse n’est appréciée qu’au regard de la protection du secret des affaires, l’article R 153-5 n’ayant pas une portée générale contrairement à ce que soutient M. [P], se rattachant directement à l’article R 153-1 dans le cadre du même chapitre relatif aux mesures générales de protection du secret des affaires.
Aussi, alors qu’il est constant que la catégorie C auxquelles appartiennent les pièces litigieuses ne concerne pas le secret des affaires, comme le soutient à raison la société Loomis France le premier juge n’avait pas le pouvoir de refuser la communication desdites pièces au motif de leur inutilité pour la solution du litige.
Par ailleurs, il résulte des textes précités que la procédure prévue à l’article R.153-1 du code de commerce a pour seul objet d’éviter, par une mesure de séquestre provisoire, que la communication ou la production d’une pièce, à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ne porte atteinte à un secret des affaires.
Elle n’a ni pour objet ni pour effet d’attribuer au juge qui, saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de sa mesure, statue sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre, le contentieux de son exécution. (Com., 20 mars 2024, pourvoi n° 22-22.398)
Il s’ensuit, en l’espèce, que l’appréciation opposant les parties de la conformité des pièces litigieuses aux critères définis par l’ordonnance sur requête, qui a trait à l’exécution de la mesure d’instruction, échappe au pouvoir du juge chargé de statuer sur la mainlevée du séquestre.
Il y a donc lieu pour la cour, dans les limites de sa saisine, d’infirmer l’ordonnance entreprise et d’ordonner la communication des pièces n°16 à 28 à la société Loomis France.
Sur la demande de la société Brink’s Evolution tendant à voir préciser le dispositif de l’ordonnance entreprise
S’agissant des pièces de la catégorie B, il résulte clairement des motifs de l’ordonnance entreprise que le premier juge a entendu ne communiquer les pièces numérotées de 1 à 15 que dans une version « caviardée », y compris la pièce n° 11 (soit un courriel), celle-ci devant en outre être communiquée sans aucune pièce jointe.
Or le dispositif est formulé de manière ambigüe concernant cette pièce n° 11, la mention du » caviardage » étant manquante.
Il y a donc lieu, conformément à la demande de la société Brink’s Evolution, de préciser que la pièce n°11 sera communiquée expurgée de ses données confidentielles suivant sa version « caviardée » présentée par la société Brink’s Evolution (comme toutes les pièces n° 1 à 15), et sans aucune pièce jointe.
Par ailleurs, il résulte clairement de la décision entreprise que le premier juge a retenu pour être communiquées les pièces n° 1 à 15 de la catégorie B dans leur version telles qu’expurgée par la société Brink’s Evolution, précisant cependant dans les motifs de sa décision que » le commissaire de justice procédera lui-même aux masquages des zones » caviardées » par Brink’s pour ceux des éléments dont la version confidentielle révélerait des mentions tronquées par rapport aux éléments d’origine, actuellement sous séquestre’.
Cette précision apparaît désormais inutile puisqu’il est établi par la société Brink’s Evolution que celle-ci a adressé au président du tribunal de commerce et au commissaire de justice lesdites pièces dans un format non tronqué, respectant les caviardages initiaux.
Il y donc lieu de préciser au dispositif, comme il est requis par la société Brink’s Evolution, que le commissaire de justice devra simplement communiquer à la société Loomis France les versions « caviardées » des pièces n° 1 à 15 telles qu’établies par la société Brink’s Evolution dans ses versions non tronquées.
Enfin, il n’apparaît pas inutile de préciser expressément, comme demandé par la société Brink’s Evolution, que le commissaire de justice ne devra pas communiquer à la société Loomis France les versions originales de ces pièces n° 1 à 15, et qu’il devra les détruire.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel, qui comprendront les frais du commissaire de justice désigné et, en tant que de besoin, des commissaires de justice et des informaticiens l’ayant assisté dans ses opérations, seront supportés par la société Loomis France, partie saisissante. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite en vue d’un éventuel procès au fond et sont donc à la charge de ce dernier.
Aucune considération d’équité ne commande de faire application au bénéfice de l’une ou l’autre des parties des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en appel. L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a condamné la société Loomis France aux dépens de la première instance. Elle sera infirmée en ce qu’elle a condamné la société Brink’s Evolution et M. [P] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
Dit que les pièces C numérotées de 16 à 28 ne seront pas communiquées à la société Loomis France et seront détruites par le séquestre,
Condamne la société Brink’s Evolution et M. [P] à payer à la société Loomis France une indemnité au titre de l’article 700 du code de procedure civile,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que les pièces C numérotées de 16 à 28 seront communiquées à la société Loomis France,
Dit n’y avoir lieu à condamnation de la société Brink’s Evolution et de M. [P] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procedure civile,
Y ajoutant,
Précise que la pièce n°11 doit être communiquée expurgée de ses données confidentielles suivant sa version » caviardée » présentée par la société Brink’s Evolution (comme toutes les pièces n° 1 à 15), et sans aucune pièce jointe.
Précise, s’agissant des pièces B numérotées de 1 à 15, qu’il n’y a pas lieu pour le commissaire de justice de procéder lui-même aux masquages des zones « caviardées » par Brink’s Evolution pour ceux des éléments dont la version confidentielle révélerait des mentions tronquées par rapport aux éléments d’origine, le commissaire de justice devant communiquer à la société Loomis France les versions » caviardées » des pièces n° 1 à 15 telles qu’établies par la société Brink’s Evolution dans ses versions non tronquées,
Précise que le commissaire de justice ne devra pas communiquer à la société Loomis France les versions originales de ces pièces n° 1 à 15 et qu’il devra les détruire,
Condamne la société Loomis France aux dépens de l’instance d’appel, qui comprendront les frais du commissaire de justice désigné et, en tant que de besoin, des commissaires de justice et des informaticiens l’ayant assisté dans ses opérations,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en appel,
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIÈRE POUR LA PRÉSIDENTE
EMPÊCHÉE