Conditions d’arrêt de l’exécution provisoire : Évaluation des conséquences excessives et des moyens de réformation

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Conditions d’arrêt de l’exécution provisoire : Évaluation des conséquences excessives et des moyens de réformation

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné à la sci Anatole France 37 de réaliser plusieurs travaux dans un délai de trois mois, incluant la reprise de la toiture, le remplacement de boulons, et la vérification de la dalle par un bureau d’études. En cas de non-respect de ce délai, une astreinte de 500 euros par jour serait appliquée. La sci a également été condamnée à réduire de 50% les loyers facturés à la société Alliance 93 jusqu’à la réalisation des travaux, à verser 300.000 euros de dommages-intérêts pour pertes d’exploitation, et à payer 3.000 euros pour les frais de justice. La sci Anatole France 37 a interjeté appel et demandé la suspension de l’exécution provisoire, arguant de l’impossibilité de respecter le délai et de la vétusté des locaux. La société Alliance 93 a contesté ces demandes, affirmant que l’injonction était fondée et que les travaux n’avaient pas commencé, mettant en péril son exploitation. Le tribunal a finalement débouté la sci Anatole France 37 de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
24/09045
Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 5

ORDONNANCE DU 10 OCTOBRE 2024

(n° /2024)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/09045 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CJOBJ

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Avril 2024 du TJ de BOBIGNY – RG n° 23/01432

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Michèle CHOPIN, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.

Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :

DEMANDEUR

S.C.I. ANATOLE FRANCE 37

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandra TCHAKERIAN substituant Me Milijana JOKIC de la SELARL MJ AVOCAT, avocat au barreau de MEAUX, toque : 97

à

DEFENDEUR

S.A.S. ALLIANCE 93

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Aurélie GHAZAL de la SELEURL AURELIE GHAZAL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0243

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 05 Septembre 2024 :

EXPOSE DU LITIGE

Par ordonnance du 19 avril 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :

– Condamné la sci Anatole France 37 à faire réaliser dans les trois mois du prononcé de l’ordonnance les mesures suivantes dans les lieux situés à [Adresse 2] :

– la reprise des portiques fermés treillis sous dimensionnés de la toiture,

– le remplacement de tous les boulons par des boulons Q8.8,

– le rajout d’une ossature  » Poteaux, traverses  » pour reprendre l’édicule,

– le rajout d’ossatures de renfort pour reprendre les ponts,

– la vérification de la dalle par un BET Béton et les préconisations qui en résulteraient,

La conformité desdites mesures devant être vérifiées postérieurement à leur réalisation par un BET Béton spécialisé en structures métalliques et bois,

– Dit que passé ce délai de trois mois, la sci Anatole France 37 sera condamnée à une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois,

– Enjoint à la sci Anatole France 37 de justifier à la société Alliance 93 au plus tard à l’expiration du délai d’un mois à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, du planning des interventions des entreprises mandatées et de la délivrance effective aux entreprises de son choix des ordres de services d’exécuter les mesures,

– Condamné la sci Anatole France 37 à réduire de 50% le montant des loyers facturés à la société Alliance 93 jusqu’à réalisation effective des mesures (et leur vérification par un BET Béton) par la sci Anatole France 37 en réduction de l’assiette du bail,

– Condamné la sci Anatole France 37 à verser à la société Alliance 93 à titre de provision la somme totale de 300.000 euros de dommages intérêts, à valoir sur les frais engagés et les pertes d’exploitation subies pour la période courue du 23 décembre 2022 au 29 février 2024,

– Rejeté la demande de provision à titre de dommages et intérêts pour compenser les préjudices d’image, de réputation et de perte de chance,

– Rejeté la demande de versement provisionnel de la somme de 38.785 euros par mois au titre des pertes d’exploitation subies du prononcé de l’ordonnance jusqu’à réalisation effective par la sci Anatole France 37 des mesures,

– Ordonné que l’exécution de cette ordonnance aura lieu au vu de la minute,

– Condamné la sci Anatole France 37 à payer à la société Alliance 93 la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La sci Anatole France 37 a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 avril 2024.

Par acte du 29 mai 2024, la sci Anatole France 37 a fait assigner la société Alliance 93 devant le premier président de la cour d’appel de Paris aux fins d’obtenir au visa de l’article 514-3 du code de procédure civile la suspension de l’exécution provisoire attachée à l’ordonnance rendue  » en raison des conséquences manifestement excessives qu’une telle exécution pourrait avoir « .

Se référant à ses écritures, développées à l’audience, elle reprend ses demandes et expose notamment que :

– Le délai de trois mois qui lui est imparti ne peut être tenu,

– Il existe des moyens sérieux de réformation de l’ordonnance entreprise, alors que le délai imparti dépend des entreprises choisies par la société Alliance 93, qu’elle n’a jamais opposé une quelconque réticence à prendre les travaux en charge, qu’il ne peut lui être reproché aucun manquement dans la réalisation des démarches obligatoires préalables aux travaux, que le juge des référés n’a pas tenu compte du fait qu’au 16novembre 2023, la société Créamétal n’était pas en mesure d’intervenir à défaut de disposer des calculs de la société Arcad de nature à permettre la détermination des principes de renforts nécessaires à la charpente du plancher et de rappeler les renforts concernant la toiture,

– S’agissant de la condamnation provisionnelle, les désordres affectant le local résultent de sa vétusté, alors que le preneur s’est engagé contractuellement à ne solliciter aucune indemnisation d’un préjudice subi du fait de la nécessité de faire réaliser des travaux par le bailleur, l’interprétation du contrat échappant aux pouvoirs du juge des référés,

– La condamnation à une réduction de loyer est surprenante puisque le loyer a d’ores et déjà été réduit,

– L’exécution provisoire de l’ordonnance rendue aurait des conséquences manifestement excessives, l’injonction de faire étant irréalisable, de sorte que l’astreinte est susceptible de courir de façon excessive, la condamnation aux dommages intérêts étant excessive puisqu’elle ne dispose pas de la trésorerie nécessaire et l’empêcherait de financer le solde des travaux.

Se référant à ses écritures déposées et développées à l’audience, la société Alliance 93 demande au premier président de :

– Débouter la sci Anatole France 37 de ses demandes,

– Rejeter la demande d’arrêt de l’exécution provisoire,

– Condamner la sci Anatole France 37 à payer à la société Alliance 93 la somme de 5.000 euros et les dépens.

Elle expose notamment que :

– Il n’existe aucun moyen sérieux de réformation de la décision intervenue dans la mesure où l’injonction de réaliser des mesures sous astreinte est fondée, et l’urgence justifiée, étant relevé que les moyens soulevés par le bailleur sont inopérants, et qu’il a fait preuve de carence dans les démarches de remise en état des lieux,

– Les travaux n’ont pas commencé,

– L’ampleur des préjudices subis mettent en péril la continuité de son exploitation, ce que le bailleur ne conteste pas, alors qu’il va jusqu’à évoquer les modalités d’un accord dont il a été discuté sous couvert de la confidentialité entre avocats,

– Le bailleur peut renoncer à tout moment à la réduction de loyer consentie de sorte que l’injonction qui lui est faite est fondée,

– Les conséquences manifestement excessives attachées à l’exécution provisoire ne sont pas démontrées, l’importance de la condamnation étant insuffisante à les établir, alors que les éléments produits par le bailleur pour financer les mesures sont insuffisants et que le bailleur est une société civile dont les associés sont indéfiniment responsables.

SUR CE,

– Sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire

Il résulte de l’article 514-3 du code de procédure civile qu’en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

Lorsque la demande d’arrêt de l’exécution provisoire est présentée par une partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observation sur l’exécution provisoire, les conséquences manifestement excessives invoquées doivent avoir été révélées postérieurement à la décision de première instance en application des dispositions de l’article 514-3 alinéa 2.

Les conséquences manifestement excessives s’apprécient en ce qui concerne les condamnations pécuniaires par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d’infirmation de la décision assortie de l’exécution provisoire.

Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d’infirmation.

Le moyen sérieux de réformation est celui qui présente des chances raisonnables de succès, sans qu’il appartienne au premier président de se livrer à un examen approfondi de l’ensemble des moyens et arguments avancés par les parties et soumis à l’examen, au fond, de la cour d’appel.

Ces deux conditions sont cumulatives.

En l’espèce, il apparait que :

– S’agissant de l’injonction de faire, force est de constater que la sci Anatole France 37 se contente d’affirmer qu’elle ne pouvait satisfaire à cette injonction dans le délai imparti, sans en justifier,

– Ensuite, s’agissant des condamnations pécuniaires, la sci Anatole France 37 produit des relevés bancaires du 1er décembre 2023 au 30 mai 2024, ouverts auprès de la Société Générale et du CIC puis des relevés bancaires pour la période courue depuis le 1er janvier 2023, outre ses comptes au 31 décembre 2023,

– Il en résulte que la trésorerie de la sci Anatole France 37 lui permet de financer les travaux de remise en état à hauteur de 140.000 euros, ce qui n’est pas discuté mais n’est pas suffisante pour permettre le règlement des condamnations mises à sa charge,

– Toutefois, il appartient à ses associés, s’agissant d’une société civile dont ils sont, à l’égard des tiers, indéfiniment responsables à concurrence de leurs parts sociales d’effectuer les apports nécessaires,

– Or, la requérante ne soutient ni ne démontre que ces derniers sont dans l’impossibilité d’y pourvoir, leur situation financière et patrimoniale étant totalement inconnue,

En l’état de ces éléments, il n’est justifié d’aucune conséquence manifestement excessive de sorte que la demande doit être rejetée sans même qu’il soit nécessaire d’examiner si les moyens de réformation soutenus sont sérieux.

La sci Anatole France 37 sera déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens de la présente instance.

L’équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déboutons la sci Anatole France 37 de ses demandes,

La condamnons aux dépens de la présente instance,

Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

ORDONNANCE rendue par Mme Michèle CHOPIN, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Conseillère


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