Concurrence et démarchage fautif par un ancien salarié

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Concurrence et démarchage fautif par un ancien salarié
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Le démarchage illicite de clientèle par un ancien salarié peut être prohibé ou à tout le moins encadré par la Convention collective applicable.

L’interdiction du démarchage n’est pas ipso facto assimilée à une clause de non concurrence mais peut relever de la simple obligation de loyauté du salarié.

Selon l’article 6.3 de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes applicable en l’espèce, les signataires entendent rappeler leur souci de promouvoir la stabilité de l’emploi et de l’activité au sein du cabinet en cas de départ du salarié. En cas de rupture des relations contractuelles, l’employeur et le salarié doivent examiner les conséquences de cette rupture sur le suivi de la clientèle. Les syndicats signataires rappellent à cet effet l’obligation réciproque de loyauté et de respect de la clientèle du cabinet pendant l’exécution du contrat de travail mais aussi après sa rupture.

Par ailleurs, il résulte du contrat de travail du salarié qu’il avait été prévu que, conformément à l’article 6.3 de la convention collective, le cabinet était en droit d’attendre qu’il ne détourne aucun client du cabinet à son profit, au profit d’un tiers ni pendant l’exécution du contrat, ni au-delà de la rupture, étant précisé que les clients pour lesquels le collaborateur était appelé à travailler, même à titre occasionnel, étaient des clients du cabinet.

Il était encore indiqué qu’en conséquence, il s’interdisait, en cas de départ du cabinet, de conserver toutes pièces, tous documents, toutes correspondances ou tous programmes informatiques, leurs supports et toutes données enregistrées appartenant soit au cabinet, soit à des clients ou anciens clients, de même qu’il s’interdisait d’user à des fins personnelles et sans l’autorisation du cabinet de sa qualité de collaborateur ou d’ancien collaborateur de celui-ci.

Il ne peut être considéré que cette clause s’apparenterait à une clause de non-concurrence dès lors que le salarié pouvait reprendre une activité d’expertise-comptable, et ce, sans aucun délai, ni aucune contrainte géographique, sa seule interdiction étant de détourner les clients du Cabinet dans lequel il travaillait, ce qui relève d’une simple obligation de loyauté.

En la cause, M. [H] a été engagé par la société Soficom en tant qu’expert-comptable en août 2009, avec une ancienneté reconnue depuis janvier 2007. Il a été licencié pour faute grave le 23 novembre 2017, en raison de plusieurs manquements, notamment l’utilisation du matériel informatique à des fins personnelles, l’usage de la dénomination sociale de l’entreprise sans autorisation, la diffusion de critiques publiques sur la direction, l’engagement de dépenses sans validation, et des tentatives de remboursement de frais injustifiés. D’autres accusations incluent l’utilisation de sa qualité d’expert-comptable pour des affaires personnelles, la demande d’attestation de complaisance à un subordonné, et la non-facturation de prestations réalisées pour des sociétés dont il était associé. M. [H] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a d’abord ordonné un sursis à statuer, puis a débouté M. [H] de ses demandes en mars 2023. Ce dernier a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et le paiement de diverses indemnités. La société Soficom a également demandé la confirmation du jugement et des dommages et intérêts à son encontre. La procédure est en cours, avec une ordonnance de clôture rendue en juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel de Rouen
RG n°
23/01566
N° RG 23/01566 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JLMV

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 31 Mars 2023

APPELANT :

Monsieur [V] [H]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté par Me Olivier JOUGLA de la SELARL EKIS, avocat au barreau du HAVRE

INTIMÉE :

S.A. SOCIÉTÉ FIDUCIAIRE COMPTABLE (SOFICOM)

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Samuel CHEVRET de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 26 Juin 2024 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 26 juin 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 05 septembre 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 05 Septembre 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

A l’occasion du rachat de la clientèle d’expertise-comptable de la société Fidaec par la société Soficom, il a été conclu un contrat à durée indéterminée avec M. [H] le 3 août 2009 en qualité de cadre principal avec reprise d’ancienneté au 2 janvier 2007 et il est devenu expert-comptable. Il a obtenu son diplôme d’expert-comptable en juin 2013.

Il a été licencié pour faute grave le 23 novembre 2017 dans les termes suivants :

‘(…) Les faits qui justifient ce licenciement sont les suivants :

1. Utilisation du matériel informatique et logiciel de l’entreprise à des fins personnelles

Votre contrat de travail prévoit que l’utilisation du matériel informatique mis à disposition doit être ‘exclusivement professionnelle’ (article 11.2) ce qui exclut toute utilisation à titre personnel.

Or, nous avons récemment découvert que vous aviez utilisé les trames des logiciels comptables de la société Soficom pour deux sociétés civiles immobilières dont vous êtes soit personnellement associé, soit gérant (les SCI Entramis et SCI LHMG).

Ces faits émanant d’un cadre responsable d’agence dans lequel nous sommes censés avoir une confiance totale au regard des responsabilités qui lui sont confiées et de l’autonomie dont il dispose, sont inadmissibles.

2. Utilisation de la dénomination sociale de l’entreprise sans autorisation et en l’absence de lettre de mission

Votre contrat de travail rappelle en son article 2§6 que vous avez l’obligation de respecter les règles fixées par le code et les devoirs professionnels, ce qui au-delà même de votre contrat de travail découle de vos fonctions d’expert-comptable.

Or, notre code de déontologie prévoit expressément que toute convention avec un client doit faire l’objet de la conclusion d’un contrat écrit (article 11 Code des devoirs professionnels).

Or, concernant les deux SCI susvisées, si vous avez a priori mentionné Soficom comme comptable desdites SCI, et nos logos et chartes graphiques apparaissent sur les documents en notre possession.

Or, nous n’avons trouvé dans aucun des dossiers de la société ni la moindre lettre de mission co-signée par les SCI à notre attention, ni la moindre facturation de Soficom.

Non seulement cette carence est susceptible de faire encourir à notre société de graves difficultés en cas de contrôle, mais au surplus elle laisse à penser que vous avez fait supporter par votre employeur sans aucune contrepartie, la réalisation des bilans et de la comptabilité de deux SCI dans lesquelles vous étiez personnellement intéressé.

Outre la qualification pénale que de tels agissements seraient le cas échéant susceptibles de recouvrir, ceux-ci sont totalement inadmissibles tant en ce qu’ils constituent une violation de nos règles déontologiques essentielles, qu’en ce qu’ils caractérisent un manque de loyauté évident vis-à-vis de votre employeur…à supposer même que vous n’ayez pas effectué les diligences de tenue et d’élaboration de cette comptabilité personnelle sur votre temps de travail, ce qui serait une circonstance aggravante.

3. Remise en cause publique de votre hiérarchie : diffusion de données confidentielles à des salariés de l’entreprise, non-respect de la charte sur le droit à la déconnexion.

Très récemment et confirmant que vous n’entendiez faire aucun cas des orientations générales de l’entreprise, vous avez cru pouvoir publiquement critiquer le refus de notre société de vous payer une formation organisée par le Centre des jeunes dirigeants ‘Estuaire [Localité 6]’ dont vous êtes le Président.

Nous vous avons indiqué le 2 octobre 2017 que cette demande d’inscription à la formation ‘assertivité’ ne pouvait être validée car elle n’entrait pas dans le plan de formation élaborée en réunion des délégués du personnel.

Or, de manière stupéfiante, le samedi 21 octobre, soit près de trois semaines plus tard et alors qu’aucune urgence n’existait, vous avez adressé un mail à votre direction avec en copie des délégués du personnel mais également des salariés de l’agence [Localité 6], mail dans lequel, sans aucune retenue, vous critiquiez ce refus de prise en charge.

Dans ce mail, vous souteniez ne pas savoir quelle formation rentrait dans le plan arrêté en réunion des délégués du personnel …alors que ces informations et les orientations générales ont bien évidemment été diffusées.

Vous laissez également entendre que ce refus de financement de formation prouve une distorsion entre les besoins de votre agence et les décisions prises au sein de l’entreprise pour l’ensemble des salariés.

Vous affirmez encore ne pouvoir bénéficier ‘d’aucune formation qui vous permettrait de résoudre vos problématiques managériales ou d’améliorer vos compétences en la matière’.

Vous concluez en disant ‘soumettre à ce refus dont vous ne comprenez pas les raisons’.

Cette correspondance fut adressée aux délégués du personnel mais également aux salariés de votre agence.

En premier lieu, nous vous précisons que vos assertions selon lesquelles il n’existe aucune formation managériale de proposée à nos équipes sont totalement erronées.

Au surplus, le plan de formation est discuté de manière paritaire au sein des instances du personnel, et nous ne comprenons en aucun cas le reproche que vous semblez faire de ce chef et sur lequel nous n’avions eu aucune remontée jusqu’à présent.

En second lieu, et de manière totalement anormale, vous avez pris à témoin les salariés de votre agence dans une volonté non-dissimulée de mettre notre direction en porte-à-faux vis-à-vis de ceux-ci, laissant ainsi entendre qu’aucune attention réelle n’était portée à leurs besoins par votre employeur.

Bien conscient de la gravité de vos allégations, vous avez adressé, le dimanche 22 octobre 2017 à 14h30 un mail aux délégués du personnel leur demandant de ne pas diffuser le contenu de votre mail précédent à quiconque.

Pour autant, bien d’autres personnes que les délégués du personnel étaient, dès l’origine, en copie de vos critiques à l’égard de la direction.

Une telle attitude de la part d’un cadre chargé de l’encadrement de plusieurs salariés est totalement inadmissible, et ce d’autant moins que les reproches figurant dans votre mail étaient totalement infondés.

Il semble en réalité que vous confondiez les intérêts liés aux ressources financières obtenues par le Centre des jeunes dirigeants que vous présidez du chef des formations dispensées, avec l’intérêt réel des salariés de votre agence, qui peuvent bénéficier de formations que nous leur proposons.

Il est d’ailleurs sur ce point regrettable qu’il ait fallu attendre notre mail insistant pour que vos salariés participent aux formations organisées par l’entreprise pour que vous confirmiez leur présence à plusieurs formations que nous leur proposions.

Enfin, le fait que vous ayez pu adresser plusieurs mails en plein week-end à vos salariés ou aux délégués du personnel, démontre sans contestation possible que vous ne tenez aucun cas de la charte sur le droit à la déconnexion qui a pourtant, il y a peu, été arrêtée au sein de l’entreprise.

En effet, celle-ci précise que : ‘les périodes de repos, congés, suspension du contrat de travail doivent être respectées par l’ensemble des acteurs du Cabinet.

Les responsables de service ou d’agence s’abstiennent dans la mesure du possible et sauf urgence de contacter leurs subordonnés en dehors de leurs horaires de travail tel que défini au contrat de travail ou par leur collectif applicable au sein du Cabinet.

Dans tous les cas l’usage de la messagerie électronique ou du téléphone professionnel en dehors des horaires de travail doit être justifié par la gravité de l’urgence ou de l’importance du sujet en cause’.

En l’espèce, notre refus datant de plus de trois semaines, il n’existait aucune urgence à contacter vos interlocuteurs en plein week-end.

Là encore vous refusiez sciemment d’accepter les décisions prises au niveau de l’entreprise, et adoptez une attitude contraire à l’exemplarité qui doit être celle d’un cadre.

4. Engagement de dépenses sans validation préalable.

Cette incapacité à respecter les process d’autorisation internes, avait malheureusement déjà pu être constatée par le passé puisque, pour mémoire, nous avons été contraints d’annuler et de rembourser plusieurs dépenses opérées par votre intermédiaire pour le compte de l’agence [Localité 6], et qui faisaient doublon avec celles que Soficom réalisait de manière centralisée (en ce sens adhésion au club fiscal OEC, à l’association [Adresse 5], à la CGPME, etc…).

Au-delà de la surcharge administrative que ces erreurs représentent, alors qu’elles auraient pu être évitées par une demande préalable effectuées à nos services administratifs, cela confirme que vous ne faites aucun cas des process existants au sein de l’entreprise.

5. Tentative de remboursement de frais injustifiés

Enfin, nous avons récemment pu constater que vous tentiez à plusieurs reprises de vous faire rembourser abusivement des frais de repas en facturant en plus d’une note de restaurant, le forfait journalier prévu en cas de déplacement, ce qui a contraint notre service administratif à reprendre vos notes de frais.

Par ailleurs dans le cadre de votre mise à pied conservatoire nous avons été contraints de nous rendre au siège de l’agence [Localité 6] pour reprendre le suivi des dossiers de l’agence, et assurer temporairement le contact avec les clients dans l’attente de l’issue de la procédure.

Or, à cette occasion nous avons découvert de nouveaux faits extrêmement graves.

6. Utilisation de votre qualité d’expert-comptable pour bénéficier de remises notamment de la part d’établissements de crédit dans le cadre de litiges personnels

Nous avons découvert que vous aviez fait état de votre qualité d’expert-comptable auprès de divers établissements bancaires avec qui vous étiez en contentieux à titre personnel dans le cadre des SCI au sein desquelles vous étiez associé, et ce pour obtenir des remises ou annulations de pénalités.

Il est totalement inadmissible que vous laissiez entendre que vous pourriez cesser de travailler avec des banques dans le cadre de l’activité d’expert-comptable que vous exercez pour le compte des clients de Soficom, si ces banques ne vous consentaient pas dans vos affaires personnelles les remises exigées.

Il y a là un mélange des genres inadmissibles et une faute déontologique.

7. Demande à l’un des salariés de l’agence d’établir une attestation de complaisance en vue d’éviter la poursuite d’une procédure judiciaire en vue de la vente forcée d’un des immeubles de votre SCI

Nous avons également découvert que, pour retarder la vente forcée d’un des immeubles de l’une de vos SCI personnelles, vous aviez fait établir à votre profit une offre d’achat par M. [Z] [K] salarié de Soficom dont vous étiez le supérieur hiérarchique aux fins de faire croire à vos créancier qu’il existait un acheteur potentiel pour cet immeuble.

Or, jamais cette vente n’a été conclue à ce prix fictif et M. [Z] nous a confirmé que vous lui aviez préparé ce compromis de complaisance qu’il n’avait eu qu’à signer.

Il y a là un abus de pouvoir de votre part revenant à pousser l’un de vos subordonnés à établir un faux document.

8. Remise sur facturation et non facturation d’un client Soficom en contrepartie d’une prestation réalisée par votre compte à titre personnel.

Nous avons découvert au sein du dossier de Me. Sangy, avocat, que vous vous étiez permis de diviser par deux, sans aucune justification, une facture d’honoraires qui aurait dû être facturée en fonction du temps passé.

Cela cause un préjudice à la société Soficom.

Pire encore, nous avons constaté qu’une facturation qui avait été initialement prévue pour 1 500 € HT dans le cadre de l’établissement de bilans prévisionnels, avait fait l’objet d’une annulation manuscrite de votre part au motif que ce travail finalement effectué sans facturation ‘paierait’ l’intervention de cette avocate dans le cadre de vos litiges personnels pour lesquels vous l’auriez a priori mandaté.

A nouveau, vous causez un préjudice financier à l’entreprise en n’effectuant pas une facturation qui aurait pourtant due être émise au regard du travail accompli, dans l’espoir de bénéficier, à titre personnel, de remises ou avantages de la part d’un client Soficom.

Vous mélangez également vos problèmes personnels avec votre activité d’expert-comptable en demandant à une cliente de l’entreprise de vous défendre gratuitement en contrepartie d’une non facturation de vos prestations en qualité d’expert-comptable.

9. Travaux comptables pour le compte d’une association dont vous êtes le Président, sans facturation ni lettre de mission, et mise à disposition sans convention ni accord de notre part de la salle de réunion de la société au profit de cette association dans laquelle vous êtes directement intéressé.

A l’instar de ce que nous avions pu découvrir concernant les SCI dans lesquelles vous étiez associé, nous avons pu constater en effectuant un relevé des divers dossiers en cours, qu’était ouvert en comptabilité un dossier pour le compte du Centre des jeunes dirigeants dont vous êtes le Président, là encore sans aucune facturation ni lettre de mission alors que les documents comptables ont visiblement été édités par Soficom.

Nous avons également eu la stupéfaction de constater que la salle de réunion de notre cabinet comptable était occupée par des prospectus et documents divers de cette association, laquelle est totalement extérieure à notre entreprise, sans qu’aucune convention ni demande d’autorisation d’occupation de cette salle de réunion commune, n’ait été prévue.

L’ensemble de ces faits justifient un licenciement pour faute grave. (…)’.

Par requête reçue le 30 avril 2018, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre en contestation de la rupture, ainsi qu’en paiement d’indemnités et rappel de salaires.

Par jugement du 4 avril 2019, le conseil de prud’hommes a ordonné un sursis à statuer dans l’attente d’une décision pénale définitive sur la licéité du constat de Me [N] du 10 novembre 2017.

Par jugement du 31 mars 2023, le conseil de prud’hommes a débouté M. [H] de l’intégralité de ses demandes, a donné acte aux parties de la régularisation des cotisations de retraite complémentaires CAVEC de M. [H], condamné M. [H] à verser à la société fiduciaire comptable la somme de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, dit que la somme serait assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement et condamné M. [H] aux éventuels dépens et frais d’exécution du jugement.

M. [H] a interjeté appel de cette décision le 4 mai 2023.

Par conclusions remises le 20 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [H] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– écarter des débats le procès-verbal du constat d’huissier du 10 novembre 2017 et ses annexes en leur entier,

– dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement et condamner la société Soficom à lui payer les sommes suivantes :

– rappel de salaire du 7 au 23 novembre 2017 sur mise à pied conservatoire : 4 194,65 euros

– congés payés afférents : 419,46 euros

– indemnité compensatrice de préavis : 21 231,69 euros

– congés payés afférents : 2 123,16 euros

– indemnité conventionnelle de licenciement : 14 154,46 euros

– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 70 772,30 euros

– dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 15 000 euros

– donner acte aux parties de la régularisation de la situation de ses cotisations des retraites complémentaires auprès de la CAVEC,

– condamner la société Soficom au paiement de la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 15 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Soficom demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et condamner en conséquence M. [H] à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de relever que si M. [H] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a donné acte aux parties de la régularisation de la situation de ses cotisations des retraites complémentaires auprès de la CAVEC, il demande pourtant à la cour de prononcer ce même ‘donné acte’. Aussi, outre qu’il s’agit d’un ‘donné acte’ qui n’est pas une prétention, en tout état de cause, il apparaît qu’en réalité, aucune des parties ne demande l’infirmation de cette mention sur laquelle il ne sera donc pas statué.

Sur la demande tendant à voir écarter le constat d’huissier du 10 novembre 2017 et de ses annexes.

Rappelant que le juge doit apprécier si une preuve est licite et a été obtenue de manière loyale et, le cas échéant, l’écarter si sa production n’est pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, M. [H] estime qu’en l’espèce le constat d’huissier du 10 novembre 2017, illicite et dressé de manière déloyale et non contradictoire puisqu’il n’a pas été invité à y participer, doit être écarté dès lors qu’il n’avait pas pour finalité d’établir ou de corroborer la réalité des griefs invoqués à l’appui du licenciement et qu’il n’était en outre pas proportionné aux objectifs poursuivis en ce qu’il a eu pour finalité de fouiller ses affaires personnelles et de s’en emparer pour lui reprocher des faits relevant de sa vie privée.

S’agissant plus particulièrement de l’illicéité de ce constat, il relève qu’en contravention de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme qui consacre le droit à un procès équitable, il y est simplement indiqué qu’il a été établi à la requête de la société Soficom sans qu’il ne soit précisé l’organe la représentant, et bien plus, il n’y est pas mentionné l’identité des deux personnes de la société ayant accompagné l’huissier pour mener ses opérations, ce qui lui fait particulièrement grief, d’autant que les photos jointes en annexe montrent l’organisation d’une véritable mise en scène pour déballer ses affaires personnelles et qu’ainsi l’attitude de ces personnes qui se sont emparées de toutes les pièces sans discernement a été particulièrement déloyale et malhonnête.

Il soutient également que ce constat est illicite en ce que l’huissier de justice a commis un excès de pouvoir en outrepassant ceux qu’il tient de l’article 1er alinéa 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, celui-ci n’ayant pas hésité à exprimer des avis, voire à interpréter et relayer l’appréciation des représentants de la société Soficom alors qu’il aurait dû se limiter à des constatations matérielles.

Enfin, il relève que ce constat, obtenu sans autorisation judiciaire préalable, intègre des papiers et documents strictement privés, et même couverts par le secret professionnel, ainsi notamment les correspondances avec son avocat, ce qui doit conduire à prononcer sa nullité dès lors qu’il n’est pas divisible.

En réponse, tout en rappelant qu’aucune disposition légale n’oblige l’huissier de justice à nommer les représentants légaux d’une société, la société Soficom relève que celui-ci n’a commis aucun excès de pouvoir, se contentant de faire des constats en précisant le contenu des documents découverts dans le bureau de M. [H], lesquels ne comportaient aucune mention relative à leur caractère personnel, étant rappelé qu’ils se trouvaient dans une armoire professionnelle ouverte au milieu de dossiers clients du cabinet, avec signature de M. [H] en qualité de salarié de Soficom et documents internes comptables sous en-tête de Soficom.

Par ailleurs, elle relève que les documents évoqués dans ce constat n’ont pas trait à la seule vie privée de M. [H] dès lors qu’ils ont été adressés à partir du mail de l’entreprise et signés par M. [H] en sa qualité d’expert-comptable de la société, qu’il y fait référence à ses fonctions au sein de la société à dessein auprès de ses interlocuteurs, que le faux retrouvé dans ses documents émane d’un des salariés de la société placé sous la subordination de M. [H] et que l’avocate avec laquelle il échange était également cliente de la société et que si elle intervenait pour les SCI LHMG et Entramis dont M. [H] était le gérant, il doit être relevé que, tout en s’opposant à la production des documents concernant ces SCI en invoquant leur caractère privé, ce dernier affirme dans le même temps qu’elles étaient clientes de la société Soficom.

Aussi, au vu de ces éléments, et alors que la plainte pour violation de la vie privée déposée par M. [H] a été classée sans suite par le procureur de la République et que la Commission régionale de l’ordre des experts comptables a pris en compte ce constat d’huissier pour prononcer une sanction disciplinaire, elle estime qu’il ne saurait être retenu que les éléments ressortant du constat d’huissier auraient été obtenus illégalement et, à supposer que la cour en juge autrement, elle soutient que la production de ce constat était indispensable à l’exercice du droit à la preuve.

En vertu de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée et il en résulte que le salarié a droit même au temps et au lieu du travail au respect de l’intimité de sa vie privée, laquelle implique le secret des correspondances même reçues sur un outil informatique mis à sa disposition pour son travail.

Il est néanmoins constant que les courriels adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel sauf si le salarié les identifie comme étant personnels.

En l’espèce, il ressort du procès-verbal dressé le 10 novembre 2017 que Me [N], huissier de justice près le tribunal de grande instance du Havre, s’est déplacé à la requête de la société Soficom à son agence [Localité 6], située [Adresse 1], laquelle était dirigée par M. [H], expert-comptable salarié.

S’il n’est pas mentionné quel représentant de la société l’a requis, ni quels représentants de la société étaient présents à ses côtés pour réaliser les opérations menées dans le cadre de cette mission, pour autant, il ne s’agit pas d’éléments de nature à rendre illicite ce procès-verbal dès lors qu’aucun texte n’oblige à mentionner le représentant de la société requérant l’huissier de justice et que la force probante attachée à un tel constat ressort de la seule qualité de commissaire de justice, officier public ayant qualité pour instrumenter, peu important les personnes l’ayant accompagné.

En outre, aucun motif d’illégalité ne ressort du fait que M. [H] n’ait pas été invité à ces opérations et qu’elles aient en conséquence été menées de manière non contradictoire dès lors que dans le cadre de la présente procédure, celui-ci est en mesure d’en débattre contradictoirement et d’apporter tout élément qu’il jugerait utile pour remettre en cause les constats ainsi dressés, étant par ailleurs relevé, qu’ayant eu lieu dans les propres locaux de la société Soficom, ayant tous un caractère professionnel, il n’était aucunement nécessaire qu’elle sollicite une autorisation judiciaire préalable, le bureau de M. [H] n’ayant aucunement le caractère d’un lieu privé, pas plus que les armoires s’y trouvant.

Aussi, et alors que l’ensemble des documents joints au procès-verbal de l’huissier diligenté se trouvaient sur le lieu de travail de M. [H], sans comporter de mentions relatives à leur caractère personnel, et que bien au contraire, les photos transmises, qui ne sont pas de nature à corroborer l’existence d’une mise en scène orchestrée par la société, permettent de relever que les classeurs dans lesquels ces documents ont été trouvés avaient un aspect purement professionnel et se trouvaient situés à côté d’autres classeurs de même aspect, il ne saurait être fait grief à l’huissier de justice d’en avoir pris connaissance et d’en avoir fait état dans son procès-verbal.

A cet égard, il doit encore être relevé que, tout en invoquant le caractère privé des correspondances relatives à ses SCI Entramis et LHMG, M. [H] soutient qu’elles étaient clientes de la société Soficom depuis 2010, ce qui est d’ailleurs corroboré par le listing informatique, et exclut en conséquence leur caractère privé, et ce, d’autant que la plupart des correspondances ont été envoyées par M. [H] de son adresse mail professionnelle et au surplus, ont, pour nombre d’entre elles, été signées par lui en sa qualité d’expert-comptable de la société Soficom en utilisant son logo.

S’agissant plus particulièrement des correspondances avec le cabinet Sangy, s’il ressort des débats qu’il était l’avocat de M. [H] en sa qualité de gérant de la SCI LHMG et d’associé de la SCI Entramis, outre que ce cabinet était également client de la société Soficom et que certaines des pièces sont en lien avec cette qualité, là encore, non seulement, cette correspondance se trouvait dans les bureaux de la société Soficom, dans un dossier classé comme client de la société Soficom, et d’ailleurs répertorié comme tel depuis 2010 au regard des listings informatiques, mais en outre les correspondances du cabinet Sangy sont toutes adressées à

M. [H], non pas en visant son adresse personnelle mais avec la seule précision, en en-tête, de sa seule adresse mail professionnelle, aussi l’huissier de justice ne pouvait-il écarter ces pièces alors qu’elles étaient, a priori, destinées à M. [H], non pas en sa qualité de gérant des SCI mais en sa qualité d’expert-comptable de la société Soficom.

Enfin, contrairement à ce que soutient M. [H], l’huissier de justice ainsi mandaté s’est contenté d’effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant en résulter et ce, en conformité avec l’article 1er alinéa 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Ainsi, lorsqu’il écrit ‘M. [H] tente d’obtenir des accords bancaires et faveurs près de ces organismes (BNP) en faisant usage, état de sa qualité d’expert-comptable. Il utilise les clients de la partie requérante comme faire-valoir auprès de ces organismes à cette fin.’, il n’apporte pas son avis mais condense simplement, de manière factuelle, ce qu’il a pu relever dans des correspondances émanant de M. [H].

En effet, dans un mail du 17 octobre 2016 envoyé à l’huissier de la société BNP Paribas, depuis son adresse professionnelle et signé en sa qualité d’expert-comptable de la société Soficom et sous son logo, M. [H] explique être gérant de la SCI LHMG, détenue par la SCI Entramis à 100%, dont il détient 50% des parts avec son épouse, et conclut, après avoir sollicité un délai de deux mois, ‘Je vous remercie pour l’attention que vous porterez à notre dossier. Je travaille avec la BNP dans le cadre des créations et cessions d’entreprise que je peux rencontrer dans mon activité, je suis persuadé que ces délais réclamés ne sont pas inenvisageables.’, cette manière de procéder étant réitérée par un mail envoyé dans les mêmes conditions à un salarié de la société BNP Paribas le 30 mai 2017, aux termes duquel, après avoir expliqué qu’il souhaite que lui soit adressé au plus vite le décompte de la SCI LHMG, et ce, en gagnant du temps, sans passer par l’huissier qui suit le dossier, il écrit expressément ‘Je vous rappelle que je suis expert-comptable et que certains clients de mon cabinet sont dans votre banque, nous avons bien évidemment un intérêt commun à solder ce dossier dès que possible et dans les meilleures conditions afin de ne pas détériorer un partenariat déjà existant, vous ayant adressé certains d’entre eux malgré la situation actuelle (assureurs, créateurs d’entreprises, professions libérales…)’.

Il n’est pas non plus fait état de constats contraires à la réalité lors qu’il écrit ‘Je constate qu’une facture est annulée et porte la mention ‘Paie la représentation Entramis’ dès lors qu’il est produit ladite facture où est mentionnée une annotation ‘Cabinet Sangy’ et qu’il apparaît effectivement qu’elle est barrée avec la mention ‘Annulé. Paie la représentation Entramis [S] à CIC’, étant au surplus relevé que cette facture suit des échanges de mails qui permettent de s’assurer qu’il est bien question de la facturation du cabinet d’avocat Sangy.

Ainsi, outre que l’huissier de justice n’a pas méconnu son office, il est en outre attaché à ce procès-verbal l’ensemble des pièces qui l’ont conduit à dresser ces constats, permettant ainsi à la cour d’apprécier par elle-même la force probante à attacher à ces pièces.

Il résulte de ces précédents développements que le procès-verbal de constat du 10 novembre 2017 est licite et a été obtenu loyalement et qu’il n’a donc pas à être écarté des débats.

Sur la question du bien-fondé du licenciement.

Tout en relevant que la société Soficom a abandonné le grief relatif à l’utilisation abusive des locaux au profit du Centre des jeunes dirigeants dès lors qu’elle avait parfaitement connaissance de ce qu’il y adhérait et qu’il n’avait pas mis à disposition les locaux de l’agence de manière permanente, M. [H] relève qu’elle ne pouvait davantage ignorer que les SCI Entramis et LHMG faisaient partie de ses clients dès lors qu’elles ont été intégrées dans le logiciel sous la dénomination ‘nouveaux clients 2010″, ce qui l’a effectivement conduit à utiliser les trames de la société Soficom pour établir les bilans, et ce, sans facturation, comme le savaient parfaitement les dirigeants de la société dès lors qu’il était transmis chaque année la liste de tous les dossiers facturés ou non facturés, ce qu’a d’ailleurs retenu la chambre régionale de discipline du conseil régional de l’ordre des experts-comptable.

Il conteste également avoir remis en cause sa hiérarchie, et au surplus publiquement, alors qu’il a simplement interrogé, sans aucune critique excessive, les personnes directement intéressées à l’élaboration du programme de formation, de même qu’il conteste avoir engagé des dépenses sans validation préalable alors qu’il n’existait aucun process et qu’il ne lui a jamais été fait la moindre remarque sur sa manière de procéder.

Il réfute encore avoir volontairement tenté de se faire rembourser des frais injustifiés alors qu’il démontre au contraire avoir régulièrement reçu des remarques pour des notes de frais qui étaient en sa défaveur, étant au surplus relevé qu’il n’y a même pas d’erreur sur la note de frais litigieuse, le remboursement forfaitaire sollicité l’étant pour le repas du midi alors que le remboursement de la facture de restaurant l’était pour la soirée passée avec des commerçants et élus de la Chambre de commerce et d’industrie du Havre.

En ce qui concerne l’utilisation de sa qualité d’expert-comptable pour bénéficier de remises de la part d’établissements de crédit, il soutient qu’il s’agit d’une accusation parfaitement calomnieuse, dès lors qu’il n’a jamais sollicité de remises ou de concours au bénéfice privé de ses SCI, les écrits évoqués, outre qu’ils doivent être écartés pour résulter d’un constat d’huissier illicite et pour être strictement confidentiels et personnels, ne pouvant être interprétés de la sorte.

Reprenant les mêmes arguments pour la facturation au Cabinet Sangy, il conteste en outre avoir divisé par deux une facturation à son égard, ayant au contraire appliqué le maximum du forfait conventionnel prévu en cas de dépassement du temps initialement prévu, de même qu’il conteste avoir annulé une facture d’un montant de 1 500 euros, aucun travail n’étant produit correspondant à une telle facturation, et étant au surplus constaté que l’auteur des mentions manuscrites n’est pas identifié.

Enfin, s’agissant de la fausse attestation qu’il aurait fait établir par M. [Z], il relève qu’il s’agit d’accusations gravement diffamatoires en relation avec des faits strictement personnels qui touchent à la vie privée, sans aucun rapport avec son activité professionnelle, M. [Z] étant un ami, étant au surplus relevé que la preuve de ce grief résulte d’un courrier d’avocat par nature couvert par le secret, comme a pu le retenir la chambre régionale de discipline.

En réponse, la société Soficom maintient l’ensemble des griefs repris dans la lettre de licenciement, ainsi, notamment, ceux relatifs aux notes de frais, au non-respect des process, à l’utilisation de l’agence au profit du Centre des jeunes dirigeants et précise, s’agissant du reproche lié à la remise en cause publique de sa hiérarchie, que M. [H] n’a pas simplement émis une critique modérée de son employeur face au refus opposé à ce qu’il suive une formation mais a, au contraire, voulu lui donner la diffusion la plus large possible.

Elle conteste par ailleurs avoir été informée de ce que M. [H] établissait les bilans de ses SCI sous sa qualité d’expert-comptable de la société et relève que les pièces qu’il produit ne permettent aucunement de le démontrer et qu’au contraire, il ne justifie pas de la liste envoyée par mail au service de Caen pour les facturations ou non facturations, étant rappelé qu’elle gère 4 000 dossiers clients environ et qu’elle n’avait pas connaissance des intérêts de M. [H] dans ces deux SCI.

En ce qui concerne les facturations au Cabinet Sangy, qui démontrent encore une confusion d’intérêts, elle estime que face à la preuve de l’annulation de la facture apparaissant au constat, il appartient à M. [H] de démontrer que la prestation aurait finalement été réclamée.

Elle soutient également qu’il ressort des correspondances qu’il a pu envoyer à la société BNP Paribas qu’il a tenté d’obtenir des avantages en faisant valoir les relations clients développées dans le cadre de son activité au sein de la société, en utilisant sa qualité d’expert-comptable et son mail professionnel, alors qu’il s’agissait d’un litige personnel, sans qu’il puisse sérieusement soutenir qu’il ne s’agissait que de rappeler les relations constructives entre partenaires alors qu’il s’agissait bien de les évoquer pour obtenir des délais, en sous-entendant très clairement qu’à défaut, le partenariat pourrait être détérioré.

Enfin, tout en relevant que la preuve de la fausse attestation de complaisance mise à la signature de M. [Z] est apportée non seulement par la production du constat du 10 novembre 2017, mais aussi par l’attestation de M. [Z] lui-même, elle conteste que ce fait fautif puisse ressortir de la seule vie privée de M. [H] alors même que M. [Z] était salarié de la société, sous le lien de subordination de M. [H].

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et l’employeur qui l’invoque doit en rapporter la preuve.

En l’espèce, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’ensemble des griefs reprochés à M. [H], comme développé précédemment, il résulte très clairement des mails des 17 octobre 2016 et 30 mai 2017 qu’il a mis en avant sa qualité d’expert-comptable de la société Soficom en signant ses mails avec cette qualité et le logo attaché, pour obtenir des délais de paiement ou un envoi plus rapide d’un décompte, alors que cela concernait un litige personnel et ce, en rappelant très clairement, à dessein, pour obtenir une décision favorable, qu’il avait pu orienter des clients vers la BNP Paribas en sa qualité d’expert-comptable de la société Soficom, sous-entendant que ce partenariat pourrait se dégrader s’il n’obtenait pas les délais souhaités.

Aussi, et si un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, cela n’est pas le cas lorsqu’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, ce qui en l’occurrence est parfaitement établi dès lors qu’il a utilisé sa qualité de salarié pour obtenir un avantage à titre personnel.

Il s’agit là d’une faute d’une particulière gravité qui, à elle seule, au regard de la qualité d’expert-comptable de M. [H], est constitutive d’une faute grave qui empêchait toute poursuite du contrat de travail.

Surabondamment, puisque ce seul fait précité est suffisant à caractériser une faute grave, il convient également de retenir que le fait d’avoir sollicité M. [Z] pour signer un faux compromis de vente, ce qui, au-delà du constat d’huissier, est attesté par ce dernier, est, certes, un motif tiré de la vie personnelle de M. [H] pour être en lien avec ses SCI, mais il en découle un manquement majeur à ses obligations professionnelles dès lors que, peu important les photos montrant que M. [Z] participait à des événements festifs avec M. [H], celui-ci était son subordonné dans le cadre de la relation de travail les unissant tous deux à la société Soficom, le mettant ainsi nécessairement dans une situation délicate et mettant aussi la société Soficom dans une situation fautive, ce qui, là encore, en soi, est constitutif d’une faute grave.

Au vu de ces éléments, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’ensemble des griefs reprochés à M. [H], il convient de confirmer le jugement en ce qu’il dit que le licenciement de M. [H] reposait sur une faute grave et l’a en conséquence débouté de ses demandes de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, congés payés afférents, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement et dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, il résulte suffisamment des débats que la procédure de licenciement n’a pas été vexatoire et qu’il a été au contraire nécessaire pour la société Soficom de prononcer une mesure de mise à pied, de même que c’est de manière légitime qu’elle a interdit à un tiers à la société, M. [I], co-associé de M. [H] dans les SCI en cause, de venir récupérer ses affaires personnelles dans son bureau professionnel.

Il convient en conséquence de confirmer également le jugement en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.

Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la société Soficom.

La société Soficom fait valoir qu’il avait été contractuellement prévu que M. [H] ne devait détourner aucun client du cabinet, ni conserver aucune pièce ou documents appartenant au cabinet ou à des clients, de même qu’il s’interdisait d’user à des fins personnelles de sa qualité de collaborateur ou d’ancien collaborateur de la société.

Or, elle estime que M. [H] a, au contraire, démarché de manière systématique ses anciens clients et qu’il a ainsi pu être mis à jour le détournement de quinze clients, étant au surplus relevé qu’il ressort des agendas de M. [H] que des rendez-vous étaient fixés avec des prospects Soficom qui seront ceux qui hébergeront quelques semaines plus tard, à proximité de leurs adresses, la société d’expertise comptable de M. [H], EC Concept.

Elle conteste exiger de lui une clause de non-concurrence inexistante, mais simplement une obligation de loyauté, étant noté qu’il ressort des pièces qu’il produit qu’il a conservé le listing de l’ensemble de ses clients et a même transféré le siège de sa société à quelques dizaines de mètres de la société Fidaec, qui avait été rachetée par la société Soficom et pour laquelle M. [H] avait travaillé.

En réponse, M. [H] rappelle que la Cour de cassation juge qu’une clause dite de ‘respect de clientèle’ s’analyse en une clause de non-concurrence, illicite car dépourvue de contrepartie financière, aussi, et alors qu’au surplus, il n’est aucunement démontré l’existence d’un démarchage systématique et déloyal d’anciens clients, il conclut au débouté de la société Soficom.

Selon l’article 6.3 de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes, les signataires entendent rappeler leur souci de promouvoir la stabilité de l’emploi et de l’activité au sein du cabinet en cas de départ du salarié. En cas de rupture des relations contractuelles, l’employeur et le salarié doivent examiner les conséquences de cette rupture sur le suivi de la clientèle. Les syndicats signataires rappellent à cet effet l’obligation réciproque de loyauté et de respect de la clientèle du cabinet pendant l’exécution du contrat de travail mais aussi après sa rupture.

Par ailleurs, il résulte du contrat de travail de M. [H] qu’il avait été prévu que, conformément à l’article 6.3 de la convention collective, le cabinet était en droit d’attendre qu’il ne détourne aucun client du cabinet à son profit, au profit d’un tiers ni pendant l’exécution du contrat, ni au-delà de la rupture, étant précisé que les clients pour lesquels le collaborateur était appelé à travailler, même à titre occasionnel, étaient des clients du cabinet.

Il était encore indiqué qu’en conséquence, il s’interdisait, en cas de départ du cabinet, de conserver toutes pièces, tous documents, toutes correspondances ou tous programmes informatiques, leurs supports et toutes données enregistrées appartenant soit au cabinet, soit à des clients ou anciens clients, de même qu’il s’interdisait d’user à des fins personnelles et sans l’autorisation du cabinet de sa qualité de collaborateur ou d’ancien collaborateur de celui-ci.

En l’espèce, il ne peut être considéré que cette clause s’apparenterait à une clause de non-concurrence dès lors que M. [H] pouvait reprendre une activité d’expertise-comptable, et ce, sans aucun délai, ni aucune contrainte géographique, sa seule interdiction étant de détourner les clients du Cabinet dans lequel il travaillait, ce qui relève d’une simple obligation de loyauté.

Dès lors, et parce qu’il ne s’agit pas d’une clause de non-concurrence, il doit être apprécié strictement si M. [H] a détourné les clients de la société Soficom, ce qui implique une démarche active de sa part, sans pouvoir être constitué par le seul départ d’un client au profit de sa nouvelle société.

En l’espèce, s’il est avéré que M. [H], alors qu’il était encore salarié de la société Soficom, avait pris des rendez-vous devant se tenir sur six journées en janvier et février 2018 avec les sociétés La pie et Métal concept, toutes deux situées [Adresse 9], à [Localité 8], et que cette adresse correspond à celle à laquelle il a installé le siège social de l’entreprise EC Concept qu’il a créée lors de son départ de la société Soficom, pour autant, à défaut d’autres éléments quant aux raisons de ces déplacements, a priori motivés par l’examen des comptes de ces sociétés, il ne peut en être tiré aucune conséquence quant à une déloyauté dans l’exécution du contrat de travail.

Il ne peut davantage être retenu comme un indice de ce détournement le fait que M. [H] ait transféré en décembre 2018 son siège social à proximité immédiate de la société Fidaec dans laquelle il travaillait en 2009 au moment où la société Soficom a racheté la clientèle d’expertise-comptable dès lors que le rachat a eu lieu près de dix ans auparavant, sans que la société Soficom n’en conserve les locaux.

Au-delà de la question du lieu d’exercice de l’activité, il est justifié par la société Soficom que dix-sept de ses clients ont fait le choix de quitter son cabinet d’expertise-comptable pour rejoindre celui de M. [H] entre avril et décembre 2018, ce dernier ayant avisé par courrier la société Soficom de ce qu’il avait été sollicité par eux pour assurer la mission de présentation des comptes annuels et que, cette démarche devant être menée conformément à l’article 163 du décret du 30 mars 2012 du code de déontologie, il lui demandait de bien vouloir transmettre à chacun de ces clients tous les éléments qu’ils pourraient réclamer nécessaires à la pérennité de cette mission.

Au regard du nombre de clients ayant ainsi quitté la société Soficom en neuf mois, et ce, alors que l’un d’entre eux lui a transmis un mail pour lui faire part de son départ tout en souhaitant pourtant souligner son entière satisfaction du travail accompli par M. [Z] et qu’un autre a expliqué avoir trouvé un expert-comptable sur [Localité 7] pour justifier son départ alors même qu’il rejoignait le cabinet de M. [H] situé à [Localité 8], il ne peut qu’être retenu que leur départ est en lien avec une action positive de M. [H] pour gagner cette clientèle.

Cette analyse est corroborée par un mail de M. [Z] aux termes duquel il informe

M. [P] qu’à l’occasion de deux rendez-vous du 22 décembre 2017 en matinée, l’un avec le gérant de l’EURL Méniel et l’autre avec le président de la société ACTP, ces deux personnes l’ont informé avoir reçu la visite de M. [H] au sein de leurs locaux respectifs et avoir été démarchées par lui.

Si la commission de discipline n’a pas accordé force probante à ce mail, la cour lui accorde au contraire toute force probante, s’agissant d’un message échangé dans un cadre professionnel avant même que la société Soficom ait eu connaissance du départ de plusieurs clients et surtout avant toute saisine d’une juridiction, ce qui explique qu’il ne réponde pas aux exigences prévues par l’article 202 du code de procédure civile.

Bien plus, il émane d’un proche de M. [H] et le fait que ces deux clients ne fassent pas partie de ceux ayant rejoint M. [H] ne permet aucunement d’en limiter la force probante puisque, s’ils avaient fait ce choix, ils ne s’en seraient pas ouverts à un salarié de la société Soficom.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement et de condamner M. [H] à payer à la société Soficom la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté.

Sur les dépens et frais irrépétibles.

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [H] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Soficom la somme de 800 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Dans les limites de la saisine, confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Soficom de sa demande de dommages et intérêts ;

L’infirme de ce chef et statuant à nouveau,

Condamne M. [V] [H] à payer à la société Soficom la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté ;

Y ajoutant,

Condamne M. [V] [H] aux entiers dépens ;

Condamne M. [V] [H] à payer à la société Soficom la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [V] [H] de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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