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En cas d’identité de parties, d’objet et de cause le recours à l’article 145 du CPC sera banni, au contraire de la situation où l’objet et la cause sont différents et dans ce cas l’identité de parties importe peu.
L’absence de procès au fond est une condition de recevabilité de la demande fondée l’article 145 du Code de procédure civile. Elle doit s’apprécier à la date de saisine du juge des requêtes. La finalité de ce texte est de conforter la situation probatoire du requérant dans un litige futur et éventuel. La mesure doit être ordonnée en vue d’éclairer un litige distinct de celui qui constitue la matière de l’instance au fond.’Il s’agit en effet de permettre à une partie de réunir des preuves au soutien d’un litige à venir et éventuel. L’existence d’une instance pendante au fond ne constitue un obstacle au recours à l’article 145 du code de procédure civile qu’en cas d’identité de litige. Ce qui n’interdit donc pas le demandeur à l’action au fond de solliciter une mesure d’instruction destinée à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige distinct. Ainsi, le juge des requêtes ne peut ordonner de mesure d’instruction probatoire lorsque le juge du fond est saisi du procès en vue duquel la mesure est sollicitée et que cette instance est pendante. Aux termes des articles 493, 494 et 495 du code de procédure civile, les mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne le soient pas contradictoirement. Si la condition tenant à la légitimité de déroger au principe de la contradiction n’est pas remplie, la requête doit être déclarée irrecevable. La dérogation au principe du contradictoire est admise chaque fois que l’information de la partie adverse risquerait de rendre vaine la mesure sollicitée. Le souci d’efficacité constitue incontestablement une justification à l’absence de contradiction, la mesure sollicitée ne présentant d’intérêt que si un effet de surprise est ménagé. Les circonstances justifiant une telle dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou dans l’ordonnance qui y fait droit, laquelle peut se contenter de s’y référer’; elles doivent être précises et circonstanciées. Il ne suffit pas d’affirmer la nécessité d’un effet de surprise’; et il n’appartient pas au juge de vérifier la nécessité d’une telle dérogation au travers de déductions ou au vu de faits ou d’explications postérieures. Aucun fait postérieur au dépôt de la requête ou au prononcé de l’ordonnance ne peut être pris en considération par le juge de la rétractation pour justifier une dérogation au principe de la contradiction. Pour apprécier les circonstances de la cause susceptibles de justifier une dérogation au principe du contradictoire, le juge doit se placer au jour de la requête ou au jour de l’ordonnance à la lumière des éléments de preuve à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui hormis ceux révélés par l’exécution de la mesure contestée. Par ailleurs, le juge doit se référer à l’objet de la mesure et au contexte factuel qui pourraient laisser craindre la dissimulation ou la destruction de preuves. Le référé aux fins de rétractation n’est pas une voie de recours mais une demande en justice permettant la mise en oeuvre d’une procédure contentieuse afin de créer un débat contradictoire. En conséquence de cette situation procédurale, il appartient à celui qui a déposé la requête, et non à l’auteur du référé-rétractation, de démontrer que celle-ci est recevable et fondée. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne une action en parasitisme et concurrence déloyale entre la SAS Maisons du Monde et les sociétés du Groupe Cargo, notamment la SAS Cargo et la SAS Yliades. La SAS Maisons du Monde a saisi le tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir une mesure d’instruction afin de prouver des actes de copie de son concept de magasin et de communication par les sociétés du Groupe Cargo. L’ordonnance du tribunal a autorisé une saisie non contradictoire au siège de la SAS Cargo, mais cette mesure n’a pas été exécutée en raison du refus de coopération de la directrice juridique de la société. En réponse, les sociétés du Groupe Cargo ont demandé la rétractation de l’ordonnance, mais leur demande a été rejetée. Elles ont interjeté appel de cette décision. Par la suite, la SAS Maisons du Monde a assigné la SAS Cargo et la SAS Yliades en responsabilité pour actes de concurrence déloyale. Les parties ont formulé des demandes contradictoires concernant la légitimité de la mesure d’instruction et la responsabilité des sociétés du Groupe Cargo.
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→ Les points essentielsSur l’intérêt à agirLa SAS MDM soutient que FDS et ses sociétés franchisées qui se sont jointes à l’action ne sont pas concernées par les mesures ordonnées au sein de Cargo à [Localité 6] ‘: seule Cargo est partie à l’instance et justifie d’un intérêt à agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile’; la filiale et ses franchisées sont autonomes par rapport au groupe Cargo. Et la mesure d’instruction vise non pas des actes d’exploitation mais des actes commis en amont par Cargo et Yliades. Les appelantes répliquent que comme la SAS Cargo à [Localité 6], les sociétés Yliades à [Localité 11], FDS à [Localité 11], FDS Océane à [Localité 18], Aevum à [Localité 20], FDS [Localité 10] à [Localité 10], FDS [Localité 9] à [Localité 21] et Abrive à [Localité 17] justifient de leur intérêt à agir dans la présente instance dès lors que l’objet de l’action est d’obtenir la cessation des mêmes agissements parasitaires et la réparation de leur préjudice et que les documents susceptibles d’être saisis peuvent être utilisés dans le procès au fond initié à [Localité 16], la distinction entre «’élaboration du concept’» et «’exploitation de ce dernier’» étant parfaitement artificielle. Il est à noter que la SAS MDM ne conteste pas la qualité à agir d’Yliades sise à [Localité 11], mais seulement celle de FDS et ses franchisées. Sur la recevabilité de la requêteLa procédure de l’ordonnance sur requête répond aux conditions de mise en oeuvre prévues par les textes qui lui sont propres, soit l’article 493 du code de procédure civile qui dispose que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse et, les articles 494, 496 et 497 qui prévoient les conditions de présentation de la requête et de sa rétractation. En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction peut être ordonnée, à la demande de tout intéressé, s’il existe un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Sur l’existence d’un procès antérieurLes SAS Cargo et autres soutiennent que’: – en vertu de l’article 145 du code de procédure civile, les mesures d’instruction ne peuvent être ordonnées qu’avant tout procès au fond, – la SAS MDM a inventé un stratagème destiné à contourner le débat contradictoire et l’interdiction de recourir à l’article 145 dès lors qu’un procès au fond est engagé, en opérant de façon purement intellectuelle une distinction entre l’exploitation d’un kit d’aménagement et des codes de communication imitant ceux de MDM qu’elle reproche à la filiale et ses franchisés, de l’élaboration du dit concept imitant celui de MDM qu’elle reproche à Cargo et Yliades en collaboration avec Zagass, – il ne peut être appliqué les critères de l’autorité de chose jugée pour vérifier l’absence de procès antérieur (identité de parties de cause et d’objet), – selon la Cour de cassation s’agissant de l’application de l’article 145′: *l’existence d’une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d’instruction in futurum que si l’instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête, soit un litige dont la solution peut dépendre de la mesure sollicitée’; l’identité de litiges est caractérisée si la mesure probatoire sollicitée vise à démontrer la même infraction que celle déjà poursuivie, en vue de la même finalité, à savoir la cessation de cette infraction et la réparation du préjudice en résultant, indépendamment de l’identité des défendeurs dont la responsabilité est engagée pour leur participation respective à cette infraction’; *les faits reprochés à Cargo et Yliades sont les mêmes que ceux reprochés à FDS et ses franchisés devant le tribunal de commerce de Paris,’c’est-à-dire la copie du concept soit un acte de concurrence déloyale par parasitisme, peu importe qu’il s’agisse de l’exécution ou de la conception de ces actes ; le litige doit être analysé dans sa globalité’et l’ensemble des protagonistes recherchés constitue une même communauté d’intérêt économique’; et la SAS MDM est demanderesse dans les deux procès’; *les actions ont la même cause et le même objet’; les éléments qui seraient saisis à l’occasion de la présente mesure, seraient forcément utilisés dans l’instance au fond devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés exploitantes étant les véritables cibles et non les sociétés non exploitantes’; dès lors, la solution du litige au fond ouvert à la date de la requête, pourrait alors dépendre de la mesure in futurum sollicitée par MDM à l’encontre du groupe Cargo qu’elle désigne comme l’instigateur et donc le vrai responsable des actes de concurrence déloyale par parasitisme’; les pièces qu’elle produit à l’appui de sa requête sont exactement celles produites devant le juge du fond’; les factures destinées à Cargo Groupe que la SAS MDM a pu saisir lors de l’exécution de la mesure d’instruction chez Zagass étaient déjà produites devant le tribunal de commerce de Paris depuis le 22 janvier 2021, et ne peuvent être l’élément nouveau justifiant la présente procédure, initiée suivant requête du 19 juillet 2022 soit 18 mois après, *l’identité de cause et d’objet étant démontrée, l’absence d’identité de défenderesses dans les deux instances comme l’a relevé le président du tribunal de commerce, n’est donc pas suffisante pour considérer l’existence de litiges distincts. La SAS MDM réplique sur l’absence de procès antérieur’: – il y a un même litige lorsqu’il y a une triple identité de parties, d’objet et de cause’; un simple lien entre deux litiges est jugé insuffisant’; il faut une identité et non une simple similitude, la Cour de Cassation a rejeté le critère de la connexité dans son arrêt du 30 septembre 2021 confirmant ainsi la doctrine dominante’; et il est faux d’affirmer qu’elle permet au juge d’apprécier au cas par cas la notion de « même litige » laquelle correspond à celle de l’autorité de chose jugée, – en l’espèce, la mesure d’instruction est étrangère à la procédure au fond déjà engagée en ce que, ni les demandes ni les faits visés ni les parties ne sont les mêmes et MDM n’entend pas agir contre Cargo et Yliades dans la même procédure déjà ouverte mais dans une instance distincte puisque l’affaire au fond devant le tribunal de commerce de Paris doit être plaidée en février 2023′: * les parties ne sont pas les mêmes et cela vaut pour le demandeur comme pour le défendeur’; or Cargo n’est pas partie devant le tribunal au fond ; et l’identité des parties est un des éléments essentiels d’un litige, * la cause des litiges n’est pas la même’: un litige n’est pas le même qu’un autre lorsqu’il repose sur des faits matériellement différents s’agissant au fond, de l’exploitation des magasins par FDS et ici de rechercher le processus d’élaboration d’un kit de copie d’un concept de magasin et du concept de communication Maisons du Monde soit tout acte en amont des actes d’exploitation’; ces actes matériels ont été commis par des personnes morales différentes’; la responsabilité de Cargo/Yliades n’est pas conditionnée à la condamnation de Fabriques de Styles’; le fait d’élaborer un kit de copie d’un concept de magasin concurrent et/ou un kit de copie de la communication d’un concurrent constitue un acte de parasitisme en tant que tel, indépendamment du fait de leur exploitation par la suite par des sociétés distinctes, *l’objet du litige c’est-à-dire la chose demandée, n’est pas le même’: au fond il est demandé de mettre un terme aux actes d’exploitation alors qu’ici le but est de rechercher le processus d’élaboration des actes de parasitisme générant un préjudice distinct’; la solution du litige au fond à [Localité 16] ne dépend pas de la mesure sollicitée’; elle ne vise pas à alimenter la procédure parisienne’; donc les demandes ne sont pas les mêmes, les faits litigieux ne sont pas les mêmes’; au demeurant, l’existence d’un même litige n’implique pas de démontrer uniquement que l’issue du litige en cours peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Sur la dérogation au principe du contradictoireLa SAS Cargo et autres soutiennent qu’il n’est pas justifié du recours à une mesure dérogeant au principe du contradictoire en ce que’: – la SAS MDM n’est pas fondée à soutenir l’effet de surprise dès lors que le litige est ouvert depuis le 5 octobre 2020, que la requérante soutient dans ses conclusions au fond l’implication de la SA Cargo dans l’élaboration des actes de parasitisme reprochés, de sorte qu’elle est parfaitement informée des griefs invoqués à son encontre avant même l’assignation au fond et à compter de la mise en demeure du 31 janvier 2020, voire la tentative de médiation en juin 2020, – Cargo savait donc depuis deux ans que sa responsabilité pouvait être engagée’; – elle a spontanément remis les pièces qui lui était demandées le 18 octobre 2021 (dépôt des comptes annuels des années 2015 à 2017 et 2020), factures Zagass établies au nom de Cargo, – et il n’est justifié d’aucun élément nouveau depuis cette date expliquant la nécessité d’agir à l’insu de la société concernée. La SAS MDM réplique que’: – la requête et l’ordonnance sont parfaitement motivées et visent des circonstances propres à l’espèce justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire, au regard de la nature et de l’ampleur des actes de parasitisme, des condamnations antérieures de certaines filiales du groupe Cargo pour contrefaçon et concurrence déloyale et de la chronologie des faits démontrant un faisceau d’indices attestant une volonté délibérée de copier MDM’; – les éléments recherchés sont des éléments qui peuvent être modifiés ou supprimés pour masquer l’intention parasitaire, en particulier s’agissant des instructions et éléments informatiques’; – peu importe l’information antérieure voire l’absence d’effet de surprise dès lors que le risque de déperdition des preuves est patent’; – au demeurant, MDM n’a jamais informé Cargo notamment par une mise en demeure de ses suspicions quant à des actes de parasitisme concernant la conception des kits, de sorte que l’effet de surprise recherché est établi’; et les informations contenues dans la médiation sont totalement confidentielles’; – elle n’avait aucun autre moyen de se procurer ces éléments de preuve complémentaire’; – et il était indispensable de procéder à ces mesures concomitamment à celles ordonnées contre Yliades à [Localité 12] et contre le designer à [Localité 16] pour éviter toute concertation entre elles et la disparition de preuve. ConclusionAinsi, les parties s’opposent sur la condition de l’article 145 du code de procédure civile relative au critère de l’absence de procès au fond, l’une considérant que des liens étroits entre les deux instances suffisent tandis que l’autre sollicite la réunion des trois critères de l’autorité de chose jugée, identité de parties en la même qualité, d’objet et de cause. L’absence de procès au fond est une condition de recevabilité de la demande fondée l’article 145 du Code de procédure civile. Elle doit s’apprécier à la date de saisine du juge des requêtes. La finalité de ce texte est de conforter la situation probatoire du requérant dans un litige futur et éventuel. La mesure doit être ordonnée en vue d’éclairer un litige distinct de celui qui constitue la matière de l’instance au fond. L’existence d’une instance pendante au fond ne constitue un obstacle au recours à l’article 145 du code de procédure civile qu’en cas d’identité de litige. Ce qui n’interdit donc pas le demandeur à l’action au fond de solliciter une mesure d’instruction destinée à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige distinct. Ainsi, le juge des requêtes ne peut ordonner de mesure d’instruction probatoire lorsque le juge du fond est saisi du procès en vue duquel la mesure est sollicitée et que cette instance est pendante. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Article 31 du code de procédure civile: “L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.”
– Article 496 du code de procédure civile: “Admet tout intéressé à contester l’autorisation donnée par le juge qui a fait droit à la requête.” – Article 145 du code de procédure civile: “Une mesure d’instruction peut être ordonnée, à la demande de tout intéressé, s’il existe un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.” – Article 493 du code de procédure civile: “Les mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne le soient pas contradictoirement.” – Article 494 du code de procédure civile: “Les conditions de présentation de la requête et de sa rétractation.” – Article 495 du code de procédure civile: “Les mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne le soient pas contradictoirement.” |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK
– Me Emmanuel LARERE de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI – Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI – Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LEXAVOUE – Me Pierre MASSOT de la SELARL ARENAIRE |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N° 106/2023
N° RG 22/03526 – N° Portalis DBVI-V-B7G-PAZW
CBB/MB
Décision déférée du 05 Octobre 2022 – Président du TC de TOULOUSE ( 2022R00368)
Laurent GRANEL
S.A.S. CARGO
S.A.S. YLIADES
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES OCEANE
S.A.S. AEVUM
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES [Localité 10]
S.A.R.L. FDS [Localité 9]
S.A.S. ABRIVE
C/
S.A.S. MAISONS DU MONDE FRANCE
CONFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
S.A.S. CARGO
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. YLIADES
[Adresse 19]
[Localité 11]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES
[Adresse 19]
[Localité 11]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES OCEANE
[Adresse 1]
[Localité 18]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. AEVUM
[Adresse 3]
[Localité 20]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. FABRIQUE DE STYLES [Localité 10]
[Adresse 14]
[Adresse 14]
[Localité 10]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.R.L. FDS [Localité 9]
[Adresse 13]
[Localité 5]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
S.A.S. ABRIVE
[Adresse 2]
[Localité 17]
Représentée par Me Dominique ALMUZARA de la SELARL ALMUZARA-MUNCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Emmanuel LARERE et Me Jean-Hyacinthe DE MITRY de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats plaidants au barreau de PARIS
INTIMÉE
S.A.S. MAISONS DU MONDE FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 15]
[Localité 7]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Pierre MASSOT de la SELARL ARENAIRE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BENEIX-BACHER, Président chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BENEIX-BACHER, président
E.VET, conseiller
A. MAFFRE, conseiller
Greffier, lors des débats : M. BUTEL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par M. BUTEL, greffier de chambre
La SAS MDM est une société côtée en bourse spécialisée dans l’aménagement de la maison, décoration et ameublement.
Le groupe Cargo comprend la société Fabrique De Style (FDS) elle-même filiale de la société Yliades également filiale de Cargo. FDS est spécialisée dans la décoration et l’ameublement’; elle a franchisé plusieurs magasins (FDS Oceane, FDS [Localité 10], FDS [Localité 9], Abrive et un magasin à [Localité 20] (Aevum).
La SAS Maisons du Monde qui soupçonne les sociétés du Groupe Cargo sise à [Localité 6] et Yliades sise à Bordeaux, d’actes de parasitisme par la copie de son concept de magasin et son concept de commercialisation a suivant requête en date du 19 juillet 2022, saisi le président du tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir, sur le fondement des articles 145, 249, 493, 874, 875 du code de procédure civile et R153-1 du code de commerce, la désignation d’un huissier de justice aux fins d’investiguer au siège de la SAS Cargo à [Localité 6] en même temps qu’elle effectuait la même démarche auprès du président du tribunal de commerce de Bordeaux pour investiguer dans les locaux de la filiale Ylliades sise à [Localité 11]. La même mesure a été obtenue du président du tribunal de commerce de Paris pour investiguer au sein de la société Zagass Design à l’origine du concept architectural des magasins de la société Fabrique de Style (FDS) filiale de Cargo.
Par ordonnance en date du 21 juillet 2022, le président du tribunal de commerce de Toulouse a’:
– constaté qu’au regard du faisceau d’indices de parasitisme qu’elle invoque, la SAS Maisons du Monde France justifie d’un motif légitime à demander une mesure d’instruction en vue d’un futur procès pour parasitisme à l’encontre de la SAS Cargo, [Adresse 8], RCS Toulouse 483 108 551,
– constaté au vu des justifications produites par la SAS Maisons du Monde France, en particulier au regard du contexte, de la nature et de l’ampleur des actes litigieux exposés dans la requête, que la requérante est fondée à ne pas appeler la partie visée par la mesure. Si la communication des documents était demandée de manière contradictoire, la SAS Cargo serait susceptible de les faire disparaître, notamment s’agissant des éléments informatiques. La SAS Cargo pourrait également se concerter avec les sociétés Yliades et Zagass Design, qui ont collaboré avec elle, pour organiser la disparition des documents recherchés afin de priver la SAS Maisons Du Monde France de ses moyens d’action,
– désigné la SCP Vincent Tremoulet, [I] [O], huissiers de justice associés, prise en la personne de Me [I] [O], demeurant en cette qualité [Adresse 4], avec faculté de délégation et de substitution,
Avec mission de :
1. se rendre, accompagné de tout(s) expert(s) ou technicien(s) informatique(s) de son choix qu’il estimera nécessaire de s’adjoindre au siège social de la SAS Cargo, situé [Adresse 8], ainsi que dans tous autres lieux (tels que notamment : atelier, bureau), sis dans le ressort de ce Tribunal où les opérations révéleraient que des actes litigieux sont susceptibles d’avoir été commis et/ou d’être constatés ou encore en tout autre lieu où serait assurée la gestion administrative ou financière de la société dans le ressort de ce Tribunal ;
2. se faire communiquer, ou à défaut rechercher, à l’effet d’en prendre copie, tous éléments relatifs à l’élaboration de l’aménagement type de magasin (y compris le mobilier) mis au point par la société Zagass Design pour les sociétés Yliades et Cargo et correspondant au « concept de magasin de décoration et mobilier » visé dans les factures YL101 1811 422, YL101 1901 431, YL101 1905 440 et YL101 1911 456 de Zagass Design (pièce 19.4b), et notamment tous croquis, visuels, photos, vidéos de magasins (y compris de magasins Maisons Du Monde), maquettes, plans, instructions, devis, bons de commandes, cahiers des charges, courriers et courriels avec leurs éventuelles pièces jointes, notes d’agenda relatives aux rendez-vous ou visioconférences faisant apparaître les participants, fichiers (quels qu’en soient les formats ou supports, papier, vidéo, informatique ou autre), factures détaillées des agences, entrepreneurs et fournisseurs concernés par l’aménagement litigieux ainsi que tous autres documents relatifs à l’élaboration de l’aménagement litigieux, y compris les documents préparatoires, émanant en particulier des sociétés Cargo, Yliades et Zagass Design,
– dire que les recherches s’effectueront sur une période allant du 1″ septembre 2017 au 22 novembre 2019.
Pour ce faire, l’huissier pourra notamment procéder à une recherche par mots clés en utilisant, si besoin est, les mots-clés suivants (en, majuscules comme en minuscules, au singulier ou au pluriel, éventuellement en abrégé; par ex. « MDM » pour « Maisons Du Monde »)
– « Maisons Du Monde » ou « MDM » et « concept » ou « magasin » ou « boutique » ou «aménagement » ou «Guide d’Application.»
– « Zagass » et «concept » ou « magasin » ou « boutique » ou « aménagement» ou « Guide d’Application »
– « Cargo » et « concept» ou « magasin » ou « boutique » ou« aménagement » ou «Guide d’Application »
– « Yliades » et « concept » ou « magasin » ou « boutique » ou «aménagement» ou «Guide d’Application »
– « Zagass » et «Maisons Du Monde» ou « MDM »
– « Zagass » et « Yliades » ou «’Cargo »
– « mobilier » et «Maisons Du Monde» ou «MDM » ou « Zagass »
– «’ parcours client » et «Maisons Du Monde» ou « MDM » ou « Zagass »
– «’merchandising’» ou «’merch » et « Maisons Du Monde » ou « MDM » ou « Zagass»
– «Maisons Du Monde » ou « MDM » et « copie » ou « visite » ou «repérage» ou «vidéo» ou «photo».
3. se faire remettre, et/ou rechercher, à l’effet d’en prendre copie, tous éléments relatifs à l’élaboration des codes couleurs de l’enseigne et des codes visuels liés à l’aménagement type de magasin litigieux visé au point 2, y compris les éléments relatifs à la signalétique, l’identité visuelle, la typographie, toute charte graphique ou de communication utilisées en relation avec ledit aménagement litigieux, et notamment les instructions, visuels, photos, vidéos de magasins (y compris de magasins Maisons du Monde), devis, correspondances (comprenant leurs éventuelles pièces jointes), ou fichiers (quels qu’en soient les formats ou supports, papier, informatique ou autre) ainsi que tous autres documents relatifs à l’élaboration desdits codes couleurs d’enseigne et desdits codes visuels, y compris les documents préparatoires, émanant en particulier des sociétés Cargo, Yliades et Zagass Design,
– dire que les recherches s’effectueront sur une période allant du 1er septembre 2017 au 22 novembre 2019.
Pour ce faire, l’huissier pourra notamment procéder à une recherche par mots clés en utilisant, si besoin est, les mots-clés suivants (en majuscules comme en minuscules, au singulier ou au pluriel, éventuellement en abrégé) :
– «Maisons Du Monde » ou « MDM» et «charte» ou «identité visuelle » ou «typographie» ou «graphique » ou « codes »
– « Zagass » et « charte » ou « identité visuelle » ou « typographie » ou «’graphique» ou « codes »
– « Maisons Du Monde » ou «MDM » et « signalétique » ou « enseigne »
– « Zagass » et « signalétique » ou « enseigne »
– « Maisons Du Monde » ou «’MDM » et « copie » ou « visite » ou « repérage » ou « vidéo » ou «photo »
4. se faire remettre les appareils et terminaux téléphoniques utilisés à titre professionnel par MM.[T] [B], [H] [N], [V] [Y], leur assistant(e) de direction ainsi que par les salariés du service marketing de la société Cargo et tous autres salariés de Cargo dont les opérations révéleraient qu’ils ont participé aux faits litigieux, et ce afin de rechercher, sur les données des terminaux, les SMS et logiciels de messageries instantanées WhatsApp et/ou Telegram ou autre, les messages échangés au sein de toute discussion ou tout autre groupe de discussion ainsi que tous éléments et/ou documents et/ou fichiers relatifs à l’élaboration de l’aménagement-type litigieux par la société Zagass Design pour les sociétés Yliades et Cargo ainsi que ceux relatifs à l’élaboration des codes, couleurs de l’enseigne et des codes visuels liés à l’aménagement-type litigieux, et en prendre copie ;
– dire que les recherches s’effectueront sur une période allant du ler septembre 2017 au 22 novembre 2019 ;
Pour ce faire, l’huissier pourra notamment procéder à une recherche par mots clés en utilisant, si besoin est, les mots-clés visés aux points 2 et 3 (en majuscules comme en minuscules, au singulier ou au pluriel, éventuellement en abrégé) ;
– rejeté le surplus de la demande.
La mesure a été exécutée au sein de la SA Cargo le 31 août 2022 en vain, Mme [L] directrice juridique s’étant refusée à toute coopération et à l’accès aux locaux et matériels. L’huissier a arrêté ses investigations et MDM a saisi le juge des référés du tribunal de commerce aux fins d’exécution sous astreinte, ordonnance rendue le 22 novembre 2020 et dont il a été parallèlement relevé appel,
Par acte en date du 13 septembre 2022, la SAS Cargo, la SASU Yliades, la SASU Fabrique de Styles, la SASU Fabrique de Styles Océane, la SASU Aevum, SASU Fabrique de Styles [Localité 10], SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive («’la SAS Cargo et autres) ont fait assigner la SAS Maison du Monde France (SAS MDM) devant le juge des référés du tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir sur le fondement des articles 16, 114, 145, 149, 493, 853, 874 et 875 du code de procédure civile, la rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 21 juillet 2022.
Par ordonnance en date du 5 octobre 2022, le juge a’:
– dit les sociétés demanderesses recevables en leur action en rétractation ;
– jugé leur demande de rétractation infondée, les a déboutées de l’ensemble de leurs demandes ;
– les a condamnées au paiement de la somme globale de 5 000 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par déclaration en date du 5 octobre 2022, la SAS Cargo et autres ont interjeté appel de la décision. L’ordonnance est critiquée en ce qu’elle a jugé infondée leur demande de rétractation, les a déboutées de l’ensemble de leurs demandes et les a condamnées au paiement de la somme globale de 5 000 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par ordonnance en date du 17 octobre 2022, le Président de la chambre saisie a autorisé la SAS Cargo et autres à assigner la SAS Maison du Monde France à jour fixe pour l’audience du 5 décembre 2022.
L’assignation a été délivrée le 28 octobre 2022.
Par acte du 1er décembre 2022, la SAS MDM a assigné la SAS Cargo et la SAS Yliades devant le tribunal de commerce de Toulouse en responsabilité pour actes de concurrence déloyale au titre de l’élaboration d’un kit de copie du concept de magasin et d’éléments de communication type copiant ceux de MDM en amont d’actes d’exploitation commis par les franchisés.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SAS Cargo et autres, dans leurs dernières écritures en date du 2 décembre 2022 demandent à la cour au visa des articles 16, 114, 145, 149, 493, 495, 497, 853, 874 et 875 du code de procédure civile, de’:
– infirmer l’ordonnance du Président du tribunal de commerce de Toulouse en ce qu’elle a :
* jugé infondée la demande de rétractation de la SAS Cargo, la SAS Yliades, Fabrique de Styles, la SAS Fabrique de Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 10], la SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive ;
* débouté les sociétés SAS Cargo, la SAS Yliades, la SAS Fabrique de Styles, la SAS Fabrique De Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 10], la SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive de l’ensemble de leurs demandes ;
* condamné la SAS Cargo, la SAS Yliades, la SAS Fabrique de Styles, la SAS Fabrique de Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 10], la SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive à payer la somme globale de 5 000 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
et, statuant à nouveau, de :
– rétracter l’ordonnance sur requête rendue par le Président du tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022 et enregistrée sous le numéro 2022OP02038 ;
en conséquence :
– déclarer nulles les constatations exécutées en application de cette ordonnance ;
– faire interdiction à la SAS Maisons du Monde France d’utiliser le procès-verbal dressé à l’occasion des opérations de constatations dans toute procédure judiciaire, en France comme à l’étranger, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et ce sous astreinte de cinq cent mille (500.000) euros par infraction constatée ;
en tout état de cause :
– condamner la SAS Maisons du Monde France à payer aux sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de Styles, Fabrique de Styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], FDS [Localité 9] et Abrive SAS la somme de trente mille (30.000) euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la SAS Maisons du Monde France aux entiers dépens de la présente instance en application de l’article 699 du Code de procédure civile.
Elles exposent que’:
– MDM soutient que ses concurrents se livrent à des actes de concurrence déloyale par acte de parasitisme et copie de son concept de magasin’et de communication; c’est ainsi qu’elle a mis en demeure FDS les 31 janvier et 20 mai 2020 de cesser tout acte de concurrence déloyale’;
– puis elle l’a assignée devant le tribunal de commerce de Paris le 5 octobre 2020 pour parasitisme suivi d’une assignation complémentaire en avril 2022 contre ses quatre franchisés'(Aevum, Ajaccio, Abrive etFDS Ares); l’affaire doit être plaidée début 2023,
– suivant requête en date du 19 juillet MDM a été autorisée le 21 juillet 2022 par le Président du tribunal de commerce de Toulouse notamment à faire réaliser au sein de Cargo des opérations de saisie non contradictoires, (les mêmes demandes d’autorisation ont été présentées devant le tribunal de Bordeaux pour Yliades et Paris pour Zargass)’; à noter que le président du tribunal de commerce de Bordeaux a rétracté l’ordonnance d’autorisation,
Elles soutiennent que’:
– elles justifient toutes d’un intérêt à agir en rétractation dès lors qu’elles sont citées dans l’action au fond en parasitisme,
– qu’ au jour de la requête, un même procès était déjà en cours devant le tribunal de commerce de Paris, portant sur le même objet, la même cause et le même demandeur (la SAS MDM )’; ainsi en raison du lien très étroit entre les deux instances, la requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile est irrecevable’pour ne pas avoir été présentée avant tout procès;
– que rien ne justifiait de déroger au principe du contradictoire, dès lors que la SA Cargo était informée depuis l’assignation du 5 octobre 2020 du procès au fond initié contre sa filiale FDS et ses franchisées et de l’intention de la SAS MDM d’engager une action en responsabilité contre elle ainsi qu’il ressort de ses conclusions où elle soutient déjà que la SA Cargo était l’instigatrice des actes de parasitisme,
– que les mesures vont bien au-delà de ce qui est légalement admissible en ce que’:
*la recherche n’est pas suffisamment circonscrite dans son objet au regard des mots-clés particulièrement larges qui laissent une trop grande liberté d’appréciation à l’huissier et qui permettent de recueillir des données étrangères au litige, attentatoires à la vie privée et au secret des affaires,
*la période de recherche entre le 1er septembre 2017 et le 22 novembre 2019 n’est pas suffisamment circonscrite.
La Sas Maison du Monde, dans ses dernières écritures en date du 4 décembre 2022, demande à la cour au visa des articles 145, 493 et 497 du code de procédure civile, de’:
– infirmer l’ordonnance du 5 octobre 2022 en ce qu’elle a déclaré recevables les demandes formées par les sociétés Fabriques De Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive ;
– déclarer irrecevables les demandes formées par les sociétés Fabriques de Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive pour défaut d’intérêt personnel et légitime à agir ;
– confirmer l’ordonnance du 5 octobre 2022 pour le surplus ;
– juger que la demande de rétractation formée par les sociétés Cargo, Yliades, Fabriques de Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive est mal fondée ;
– débouter les sociétés Cargo, Yliades, Fabriques de Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive de leur demande de rétractation de l’ordonnance du 21 juillet 2022 ainsi que de toutes leurs autres demandes ;
à titre subsidiaire,
– modifier l’ordonnance du 21 juillet 2022 et rectifier l’erreur de plume portant sur la mention du terme « personnels » dans le paragraphe 6 de la page 4 de ladite ordonnance qui est rédigé comme suit :
« autorisons l’huissier instrumentaire et/ou le(s) expert(s) et technicien(s) informatique(s) les assistant à procéder à toute recherche relative aux faits litigieux sur tous supports utiles (externes et internes, clé USB, disque externe et/ou périphériques de stockage, aux téléphones portables professionnels et personnels, messageries instantanées, WhatsApp, Slack, etc.), ainsi qu’aux bases de données distantes et/ou plateformes de travail, et/ou espaces virtuels de type Office 365, Cloud ou Dropbox, sans que cette liste soit limitative et l’autorisons à faire activer la fonction eDiscovery, si elle existe »
en tout état de cause,
– dire et juger irrecevables et mal fondées l’ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Cargo, Yliades, Fabriques de Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive et les en débouter.
– condamner les sociétés Cargo, Yliades, Fabriques de Styles, Fabrique de Styles Oceane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], Fds [Localité 9] et Abrive à verser à la SAS Maisons du Monde France la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient que’:
– la demande de FDS et ses franchisées en rétractation est irrecevable en application de l’article 31 du code de procédure civile, pour défaut d’intérêt à agir dès lors que l’ordonnance ne concerne que la SAS Cargo,
– la mesure d’instruction ordonnée constitue l’exercice légitime de son droit à la preuve en vue du procès distinct envisagé contre Cargo et Yliades’; la demande est donc formulée avant tout procès en ce que’:
*il n’y a pas identité de litige en l’absence d’identité de parties, d’objet et de cause soit les mêmes critères que l’autorité de chose jugée ainsi qu’il a été jugé par la Cour de Cassation le 30 septembre 2021′; une simple connexité entre deux litiges est insuffisante’; ici, elle recherche la responsabilité de la SA Cargo dans l’élaboration du concept copié alors que dans le procès au fond devant le tribunal de commerce de Paris, auquel Cargo n’est pas partie, elle recherche la responsabilité de la FDS et ses franchisées dans l’exécution ou l’exploitation du concept copié,
*si elle a engagé cette requête près de deux ans après l’assignation au fond c’est parce qu’elle a découvert dans les pièces produites à cette occasion les factures du designer adressées à Cargo, ce qui démontre que Cargo est à l’origine du kit de copie du concept de magasin et du concept de communication en amont de l’exploitation par FDS et ses franchisées,
– elle justifie du motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile au vu d’un faisceau d’indices d’un litige plausible relatif à une action en parasitisme contre Cargo, une telle action n’étant pas manifestement vouée à l’échec et, la mesure demandée étant utile dès lors qu’elle vise à améliorer sa situation probatoire,
– elle justifie dans la requête par des circonstances propres à l’affaire, de la nécessité de déroger au principe du contradictoire en raison de la nature et l’ampleur des actes de parasitisme, du contexte factuel et de sa chronologie, de la nécessaire concomitance des mesures à exécuter au sein de Cargo à [Localité 6], d’Yliades à [Localité 11] et de la société Zagass à [Localité 16] pour éviter toute concertation, du risque de disparition des preuves détenues sur des supports volatiles’; la connaissance des faits par Cargo qui ôterait ainsi tout effet de surprise n’est pas suffisant au regard de la jurisprudence de la Cour de Cassation du 25 mars 2021,
– les mesures sollicitées sont légalement admissibles en ce qu’elles sont circonscrites quant à l’objet du litige grâce à l’emploi de mots-clés et sont circonscrites dans le temps’; la mission de l’huissier instrumentaire est strictement limitée à la recherche des éléments relatifs aux faits litigieux’; les recherches sur les supports personnels ont été rejetées par le juge de la rétractation ; les recherches sont limitées à une période de deux ans qui n’apparaît pas disproportionnée, la recherche par mots-clés est suffisamment discriminante et la mise sous séquestre permet d’éviter toute violation du secret des affaires’; le point de départ du 1er septembre 2017correspond au moment où Cargo et Yliades sont susceptibles d’avoir commencé leur politique parasitaire à l’encontre de MDM et la date du 22 novembre 2019 correspond à la date de la facture de l’agence Zagass Design à l’attention de Cargo pour la création « d’un guide d’application » relatif à l’aménagement-type litigieux.
Sur l’intérêt à agir
La SAS MDM soutient que FDS et ses sociétés franchisées qui se sont jointes à l’action ne sont pas concernées par les mesures ordonnées au sein de Cargo à [Localité 6] ‘: seule Cargo est partie à l’instance et justifie d’un intérêt à agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile’; la filiale et ses franchisées sont autonomes par rapport au groupe Cargo. Et la mesure d’instruction vise non pas des actes d’exploitation mais des actes commis en amont par Cargo et Yliades.
Les appelantes répliquent que comme la SAS Cargo à [Localité 6], les sociétés Yliades à [Localité 11], FDS à [Localité 11], FDS Océane à [Localité 18], Aevum à [Localité 20], FDS [Localité 10] à [Localité 10], FDS [Localité 9] à [Localité 21] et Abrive à [Localité 17] justifient de leur intérêt à agir dans la présente instance dès lors que l’objet de l’action est d’obtenir la cessation des mêmes agissements parasitaires et la réparation de leur préjudice et que les documents susceptibles d’être saisis peuvent être utilisés dans le procès au fond initié à [Localité 16], la distinction entre «’élaboration du concept’» et «’exploitation de ce dernier’» étant parfaitement artificielle.
Il est à noter que la SAS MDM ne conteste pas la qualité à agir d’Yliades sise à [Localité 11], mais seulement celle de FDS et ses franchisées.
L’article 496 du code de procédure civile admet tout intéressé à contester l’autorisation donnée par le juge qui a fait droit à la requête.
L’article 31 du code de procédure civile dispose que «’L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé’».
Nul n’est admis, en principe, à défendre les intérêts d’autrui, et notamment l’intérêt collectif. L’intérêt doit donc être personnel, né, actuel et légitime.
Une partie invoque un intérêt personnel lorsque, à tort ou à raison, elle se prétend titulaire d’un droit subjectif, soit pour voir reconnaître l’existence de ce droit à son profit, soit pour que les conséquences soient tirées d’une atteinte prétendue à ce droit qui lui aurait été portée.
L’action initiée sur requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, qui vise à faire saisir des documents en vue de justifier d’une action future en concurrence déloyale en raison d’actes de parasitisme concernant l’élaboration d’un kit d’aménagement type de magasin et des codes de communication associés ou copiés sur les concepts de la SAS MDM que la filiale de la SAS Cargo et l’ensemble de ses franchisées utilisent dans chacune de leur unité, est forcément de nature à emporter des conséquences sur les modalités d’exercice de leur commerce respectif. Et ce alors même qu’elles ont toutes été assignées pour l’exécution des mêmes actes de concurrence déloyale devant le tribunal judiciaire de Paris.
Dès lors que la filiale et ses sociétés franchisées peuvent être inquiétées pour utiliser un concept copié, alors, elles justifient d’un intérêt à défendre à l’action en référé rétractation de la mesure ordonnée contre la société mère et celle de leur franchiseur, destinées à rechercher l’existence d’actes de parasitisme, les mêmes qui leur sont reprochés.
Dans ces conditions, la SASU Fabrique de Styles en sa qualité de filiale de la société Yliades elle-même filiale de Cargo et ses franchisées les SASU Fabrique de Styles Océane, SASU Aevum, SASU Fabrique de Styles [Localité 10], SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive FDS justifient de leur intérêt au sens de l’article 31 du code de procédure civile, à solliciter la rétractation de l’ordonnance sur requête ayant autorisé les investigations par huissier au sein de la maison mère Cargo à [Localité 6].
Sur la recevabilité de la requête
La procédure de l’ordonnance sur requête répond aux conditions de mise en oeuvre prévues par les textes qui lui sont propres, soit l’article 493 du code de procédure civile qui dispose que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse et, les articles 494, 496 et 497 qui prévoient les conditions de présentation de la requête et de sa rétractation.
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction peut être ordonnée, à la demande de tout intéressé, s’il existe un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Le juge saisi d’une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de ce texte, doit apprécier les conditions d’application au jour du dépôt de la requête à la lumière des éléments de preuve à l’appui et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’article 561 du même code donne au juge d’appel le pouvoir de connaître de l’entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit.
1. Sur l’existence d’un procès antérieur
Les SAS Cargo et autres soutiennent que’:
– en vertu de l’article 145 du code de procédure civile, les mesures d’instruction ne peuvent être ordonnées qu’avant tout procès au fond,
– la SAS MDM a inventé un stratagème destiné à contourner le débat contradictoire et l’interdiction de recourir à l’article 145 dès lors qu’un procès au fond est engagé, en opérant de façon purement intellectuelle une distinction entre l’exploitation d’un kit d’aménagement et des codes de communication imitant ceux de MDM qu’elle reproche à la filiale et ses franchisés, de l’élaboration du dit concept imitant celui de MDM qu’elle reproche à Cargo et Yliades en collaboration avec Zagass,
– il ne peut être appliqué les critères de l’autorité de chose jugée pour vérifier l’absence de procès antérieur (identité de parties de cause et d’objet),
– selon la Cour de cassation s’agissant de l’application de l’article 145′:
*l’existence d’une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d’instruction in futurum que si l’instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête, soit un litige dont la solution peut dépendre de la mesure sollicitée’; l’identité de litiges est caractérisée si la mesure probatoire sollicitée vise à démontrer la même infraction que celle déjà poursuivie, en vue de la même finalité, à savoir la cessation de cette infraction et la réparation du préjudice en résultant, indépendamment de l’identité des défendeurs dont la responsabilité est engagée pour leur participation respective à cette infraction’;
*les faits reprochés à Cargo et Yliades sont les mêmes que ceux reprochés à FDS et ses franchisés devant le tribunal de commerce de Paris,’c’est-à-dire la copie du concept soit un acte de concurrence déloyale par parasitisme, peu importe qu’il s’agisse de l’exécution ou de la conception de ces actes ; le litige doit être analysé dans sa globalité’et l’ensemble des protagonistes recherchés constitue une même communauté d’intérêt économique’; et la SAS MDM est demanderesse dans les deux procès’;
*les actions ont la même cause et le même objet’; les éléments qui seraient saisis à l’occasion de la présente mesure, seraient forcément utilisés dans l’instance au fond devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés exploitantes étant les véritables cibles et non les sociétés non exploitantes’; dès lors, la solution du litige au fond ouvert à la date de la requête, pourrait alors dépendre de la mesure in futurum sollicitée par MDM à l’encontre du groupe Cargo qu’elle désigne comme l’instigateur et donc le vrai responsable des actes de concurrence déloyale par parasitisme’; les pièces qu’elle produit à l’appui de sa requête sont exactement celles produites devant le juge du fond’; les factures destinées à Cargo Groupe que la SAS MDM a pu saisir lors de l’exécution de la mesure d’instruction chez Zagass étaient déjà produites devant le tribunal de commerce de Paris depuis le 22 janvier 2021, et ne peuvent être l’élément nouveau justifiant la présente procédure, initiée suivant requête du 19 juillet 2022 soit 18 mois après,
*l’identité de cause et d’objet étant démontrée, l’absence d’identité de défenderesses dans les deux instances comme l’a relevé le président du tribunal de commerce, n’est donc pas suffisante pour considérer l’existence de litiges distincts.
La SAS MDM réplique sur l’absence de procès antérieur’:
– il y a un même litige lorsqu’il y a une triple identité de parties, d’objet et de cause’; un simple lien entre deux litiges est jugé insuffisant’; il faut une identité et non une simple similitude, la Cour de Cassation a rejeté le critère de la connexité dans son arrêt du 30 septembre 2021 confirmant ainsi la doctrine dominante’; et il est faux d’affirmer qu’elle permet au juge d’apprécier au cas par cas la notion de « même litige » laquelle correspond à celle de l’autorité de chose jugée,
– en l’espèce, la mesure d’instruction est étrangère à la procédure au fond déjà engagée en ce que, ni les demandes ni les faits visés ni les parties ne sont les mêmes et MDM n’entend pas agir contre Cargo et Yliades dans la même procédure déjà ouverte mais dans une instance distincte puisque l’affaire au fond devant le tribunal de commerce de Paris doit être plaidée en février 2023′:
* les parties ne sont pas les mêmes et cela vaut pour le demandeur comme pour le défendeur’; or Cargo n’est pas partie devant le tribunal au fond ; et l’identité des parties est un des éléments essentiels d’un litige,
* la cause des litiges n’est pas la même’: un litige n’est pas le même qu’un autre lorsqu’il repose sur des faits matériellement différents s’agissant au fond, de l’exploitation des magasins par FDS et ici de rechercher le processus d’élaboration d’un kit de copie d’un concept de magasin et du concept de communication Maisons du Monde soit tout acte en amont des actes d’exploitation’; ces actes matériels ont été commis par des personnes morales différentes’; la responsabilité de Cargo/Yliades n’est pas conditionnée à la condamnation de Fabriques de Styles’; le fait d’élaborer un kit de copie d’un concept de magasin concurrent et/ou un kit de copie de la communication d’un concurrent constitue un acte de parasitisme en tant que tel, indépendamment du fait de leur exploitation par la suite par des sociétés distinctes,
*l’objet du litige c’est-à-dire la chose demandée, n’est pas le même’: au fond il est demandé de mettre un terme aux actes d’exploitation alors qu’ici le but est de rechercher le processus d’élaboration des actes de parasitisme générant un préjudice distinct’; la solution du litige au fond à [Localité 16] ne dépend pas de la mesure sollicitée’; elle ne vise pas à alimenter la procédure parisienne’; donc les demandes ne sont pas les mêmes, les faits litigieux ne sont pas les mêmes’; au demeurant, l’existence d’un même litige n’implique pas de démontrer uniquement que l’issue du litige en cours peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée,
– ces mesures n’ont d’autre but que de conforter sa situation probatoire qu’elle ne pouvait pas solliciter au fond devant le tribunal à Paris puisque Cargo n’était pas dans la cause et que le litige est distinct de sorte qu’elle n’avait pas à faire délivrer des assignations en intervention forcée’;
****
Ainsi, les parties s’opposent sur la condition de l’article 145 du code de procédure civile relative au critère de l’absence de procès au fond, l’une considérant que des liens étroits entre les deux instances suffisent tandis que l’autre sollicite la réunion des trois critères de l’autorité de chose jugée, identité de parties en la même qualité, d’objet et de cause.
L’absence de procès au fond est une condition de recevabilité de la demande fondée l’article 145 du Code de procédure civile. Elle doit s’apprécier à la date de saisine du juge des requêtes.
La finalité de ce texte est de conforter la situation probatoire du requérant dans un litige futur et éventuel. La mesure doit être ordonnée en vue d’éclairer un litige distinct de celui qui constitue la matière de l’instance au fond.’Il s’agit en effet de permettre à une partie de réunir des preuves au soutien d’un litige à venir et éventuel.
L’existence d’une instance pendante au fond ne constitue un obstacle au recours à l’article 145 du code de procédure civile qu’en cas d’identité de litige. Ce qui n’interdit donc pas le demandeur à l’action au fond de solliciter une mesure d’instruction destinée à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige distinct.
Ainsi, le juge des requêtes ne peut ordonner de mesure d’instruction probatoire lorsque le juge du fond est saisi du procès en vue duquel la mesure est sollicitée et que cette instance est pendante.
Il est donc évident qu’en cas d’identité de parties, d’objet et de cause le recours à l’article 145 sera banni, au contraire de la situation où l’objet et la cause sont différents et dans ce cas l’identité de parties importe peu.
*****
En l’espèce, suivant acte du 5 octobre 2020 la SAS MDM a engagée une action au fond pour concurrence déloyale par parasitisme contre la SAS FDS et la SAS FDS Océane’devant le tribunal de commerce de Paris puis le 21 avril 2022 à l’encontre de ses quatre franchisés Aevum, Ajaccio, Abrive et FDS [Localité 10]. Elle fait valoir qu’en mettant en avant et en reprenant les combinaisons d’éléments caractérisant l’aménagement de ses magasins et l’identité visuelle de MDM France en magasin et sur internet, les dites sociétés ont créé un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle et bénéficié ainsi sans bourse déliée de ses investissements, de son succès et de son attractivité. Elle sollicite en conséquence la cessation de ces actes de concurrence déloyale.
Aux termes de sa requête, la SAS MDM souhaite vérifier grâce à la mesure d’instruction sollicitée le rôle de la SA Cargo dans la commission des actes de concurrence déloyale par parasitisme reprochés aux défenderesses dans l’instance au fond.
Le procès ouvert et le procès en devenir portent certes sur des faits de concurrence déloyale par parasitisme mais l’objet de l’un est de faire cesser de tels actes, tandis que l’objet de l’autre est de rechercher dans la chaîne de responsabilités les auteurs ou facilitateurs de la commission de ces faits et les moyens employés pour y parvenir, ce qui explique que les parties défenderesses soient distinctes, puisqu’en effet la SAS Cargo n’est pas partie dans le litige au fond. De sorte qu’un procès n’était donc pas en cours à son encontre au jour du dépôt de la requête le 19 juillet 2022.
La possibilité que les pièces recherchées à l’occasion de l’exécution de la mesure sollicitée au sein de la SAS Cargo soient produites dans le procès contre la filiale FDS et ses franchisés ne signe pas la similitude de litiges et ne peut donc constituer un obstacle caractérisant l’existence d’un procès préalable au fond.
Il en résulte que les actions étant distinctes dans leur objet et les parties en cause, il ne peut être considéré que la demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile est irrecevable pour ne pas avoir été engagée avant tout procès au fond.
2. Sur la dérogation au principe du contradictoire
La SAS Cargo et autres soutiennent qu’il n’est pas justifié du recours à une mesure dérogeant au principe du contradictoire en ce que’:
– la SAS MDM n’est pas fondée à soutenir l’effet de surprise dès lors que le litige est ouvert depuis le 5 octobre 2020, que la requérante soutient dans ses conclusions au fond l’implication de la SA Cargo dans l’élaboration des actes de parasitisme reprochés, de sorte qu’elle est parfaitement informée des griefs invoqués à son encontre avant même l’assignation au fond et à compter de la mise en demeure du 31 janvier 2020, voire la tentative de médiation en juin 2020,
– Cargo savait donc depuis deux ans que sa responsabilité pouvait être engagée’;
– elle a spontanément remis les pièces qui lui était demandées le 18 octobre 2021 (dépôt des comptes annuels des années 2015 à 2017 et 2020), factures Zagass établies au nom de Cargo,
– et il n’est justifié d’aucun élément nouveau depuis cette date expliquant la nécessité d’agir à l’insu de la société concernée.
La SAS MDM réplique que’:
– la requête et l’ordonnance sont parfaitement motivées et visent des circonstances propres à l’espèce justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire, au regard de la nature et de l’ampleur des actes de parasitisme, des condamnations antérieures de certaines filiales du groupe Cargo pour contrefaçon et concurrence déloyale et de la chronologie des faits démontrant un faisceau d’indices attestant une volonté délibérée de copier MDM’;
– les éléments recherchés sont des éléments qui peuvent être modifiés ou supprimés pour masquer l’intention parasitaire, en particulier s’agissant des instructions et éléments informatiques’;
– peu importe l’information antérieure voire l’absence d’effet de surprise dès lors que le risque de déperdition des preuves est patent’;
– au demeurant, MDM n’a jamais informé Cargo notamment par une mise en demeure de ses suspicions quant à des actes de parasitisme concernant la conception des kits, de sorte que l’effet de surprise recherché est établi’; et les informations contenues dans la médiation sont totalement confidentielles’;
– elle n’avait aucun autre moyen de se procurer ces éléments de preuve complémentaire’;
– et il était indispensable de procéder à ces mesures concomitamment à celles ordonnées contre Yliades à [Localité 12] et contre le designer à [Localité 16] pour éviter toute concertation entre elles et la disparition de preuve.
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Aux termes des articles 493, 494 et 495 du code de procédure civile, les mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne le soient pas contradictoirement.
Si la condition tenant à la légitimité de déroger au principe de la contradiction n’est pas remplie, la requête doit être déclarée irrecevable.
La dérogation au principe du contradictoire est admise chaque fois que l’information de la partie adverse risquerait de rendre vaine la mesure sollicitée. Le souci d’efficacité constitue incontestablement une justification à l’absence de contradiction, la mesure sollicitée ne présentant d’intérêt que si un effet de surprise est ménagé.
Les circonstances justifiant une telle dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou dans l’ordonnance qui y fait droit, laquelle peut se contenter de s’y référer’; elles doivent être précises et circonstanciées. Il ne suffit pas d’affirmer la nécessité d’un effet de surprise’; et il n’appartient pas au juge de vérifier la nécessité d’une telle dérogation au travers de déductions ou au vu de faits ou d’explications postérieures. Aucun fait postérieur au dépôt de la requête ou au prononcé de l’ordonnance ne peut être pris en considération par le juge de la rétractation pour justifier une dérogation au principe de la contradiction.
Pour apprécier les circonstances de la cause susceptibles de justifier une dérogation au principe du contradictoire, le juge doit se placer au jour de la requête ou au jour de l’ordonnance à la lumière des éléments de preuve à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui hormis ceux révélés par l’exécution de la mesure contestée. Par ailleurs, le juge doit se référer à l’objet de la mesure et au contexte factuel qui pourraient laisser craindre la dissimulation ou la destruction de preuves.
Le référé aux fins de rétractation n’est pas une voie de recours mais une demande en justice permettant la mise en oeuvre d’une procédure contentieuse afin de créer un débat contradictoire. En conséquence de cette situation procédurale, il appartient à celui qui a déposé la requête, et non à l’auteur du référé-rétractation, de démontrer que celle-ci est recevable et fondée.
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En l’espèce, au terme de sa requête, la SAS MDM motive la dérogation au principe du contradictoire par l’existence d’un faisceau d’indices de parasitisme et le risque de voir disparaître des éléments de preuve en cas de concertation, les 6 condamnations des filiales du Groupe Cargo entre 2010 et 2017 pour contrefaçon de produits vendus par Maisons du Monde, les comparatifs des codes de communication (enseigne, code couleur) des magasins MDM et FDS signant la copie, non plus de produits mais, du concept de magasin et ses codes de communication.
Il lui appartient donc de rapporter la preuve que l’information de la partie adverse risquait de rendre vaine la mesure sollicitée et qu’il existait un risque de dissimulation ou de destruction de preuves.
Contrairement à ce qui est indiqué par la SA Cargo, la mise en demeure du 31 janvier 2020 ne la concerne pas mais seulement sa filiale FDS, la SAS Cargo n’étant jamais citée.
Ce n’est qu’aux termes de l’assignation du 5 octobre 2020, que la SAS MDM après avoir mis en cause les agissements concurrentiels de la société Centrakor et la société Yliades en leur qualité de filiales de la SA Cargo, qu’elle l’a mise en cause directement en ces termes’:
«’Après plusieurs condamnations de sa filiale Centrakor pour copie des produits maisons du Monde, le groupe Cargo a ainsi désormais décidé de copier le concept même de magasin Maisons du Monde, tout en multipliant les éléments de ressemblance avec les codes de la communication Maisons du Monde et ce, via une entité qui n’est que l’instrument du groupe Cargo, limitant ainsi les risques judiciaires pour celui-ci et maximisant les chances de gains pour les autres entités du groupe qui vendent leurs produits via les magasins Fabrique de Style’».
Elle reconnaît en page 16 de la requête que FDS a produit devant le tribunal de commerce de Paris des factures de l’agence Zagass Design destinées toutes au directeur marketing du Groupe Cargo, relatives à l’élaboration d’un aménagement type de magasins exploités par la suite’:
– facture du 26 novembre 2018 pour la «’création d’un concept de magasin de décoration et de mobilier pour Yliades’»,
– facture du 31 janvier 2019,
– facture du 15 mai 2019 pour la mise au point du concept de magasin pour Yliades grâce à un chantier pilote,
– facture du 22 novembre 2019 pour le suivi d’un chantier et la réalisation d’un guide d’application sous la direction de Cargo.
Elle en conclut que «’Cargo a ainsi missionné en collaboration avec sa filiale Yliades, l’agence Zagass Design pour réaliser l’aménagement type de magasins en amont des actes d’exploitation déloyaux réalisés par la suite par leur filiale Fabrique de Styles’».
Elle poursuit ainsi «’ la nature et l’ampleur des faits litigieux tendent à démontrer qu’ils sont le résultat d’une stratégie parasitaire définie au plus haut niveau du Groupe Cargo … il s’agit d’une stratégie qui a nécessairement été prise après des études de marché approfondies au regard des coûts impliqués par le déploiement d’un réseau’; Yliades qui enregistrait des pertes depuis plusieurs années n’avait visiblement pas les moyens financiers pour réaliser un tel changement. C’est donc nécessairement Cargo qui l’a financé…’ Cargo est le cerveau des actes litigieux …»
Ainsi, dès le 22 janvier 2021 date de remise des factures Zagass, la SAS MDM avait une connaissance formelle à défaut d’être exhaustive, de l’implication de la SA Cargo dans les actes de parasitisme qu’elle suspecte à son égard et Cargo avait connaissance d’un risque de procès contre elle en raison de la divulgation des factures Zagass qui lui étaient destinées dans le procès de sa filiale FDS avec laquelle elle était en lien étroit démontré dès lors que l’agencement du magasin de FDS avait été établi selon le projet Zagass que Cargo avait commandé.
Par ailleurs, la SAS MDM ne justifie pas, si ce n’est par des motifs généraux tenant à la nature des supports numériques en cause jugés volatiles, de faits circonstanciés de l’espèce laissant craindre un risque de déperdition des preuves voire aucun fait précis permettant d’accréditer une telle suspicion en cas d’information de la partie concernée à l’occasion d’une procédure contradictoire telle que notamment devant le juge de la mise en état sans l’instance au fond,une injonction à un tiers de l’article 138 du code de procédure civile ou encore une mesure d’expertise après mise en cause de Cargo. Et l’obstruction de la directrice juridique de Cargo lors de l’exécution de la mesure le 31 août 2022 ne peut être opposée pour justifier un tel risque, s’agissant d’un fait postérieur à la requête.
De sorte que la SAS MDM ne peut valablement soutenir que l’information préalable de la partie adverse risquait de rendre vaine la mesure sollicitée et qu’il existait un risque de concertation avec Yliades et Zagass dans le but précis de dissimuler ou détruire des preuves, notamment la disparition d’instructions par courriels pour copier le concept de magasin.
Dans ces conditions, en l’absence de preuve de circonstances permettant de déroger au principe du contradictoire, la demande en rétractation doit être accueillie et la décision sera infirmée de ce chef.
En conséquence, le procès-verbal d’exécution de l’ordonnance sera déclaré nul et il sera fait interdiction à la SAS MDM de l’utiliser dans toute procédure à venir. Et compte tenu de l’ancienneté et de l’étendue du litige entre les protagonistes, il convient d’assortir cette interdiction d’une astreinte pour assurer la bonne exécution de la présente décision.
La cour
– Confirme l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Toulouse en date du 5 octobre 2022 en ce qu’il a déclaré recevable l’action de la SASU Fabrique de Styles et ses franchisées les SASU Fabrique de Styles Océane, SASU Aevum, SASU Fabrique de Styles [Localité 10], SARL FDS [Localité 9] et la SAS Abrive FDS.
– Infirme l’ordonnance pour le surplus.
Statuant à nouveau
– Rétracte l’ordonnance sur requête rendue par le Président du tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022.
– Prononce la nullité des constatations exécutées en application de cette ordonnance.
– Interdit pour l’avenir à la SAS Maisons du Monde France d’utiliser le procès-verbal dressé à l’occasion des opérations de constatations dans toute procédure judiciaire, en France comme à l’étranger, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et ce sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée ;
– Condamne la SAS Maisons du Monde France à payer aux sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de Styles, Fabrique de Styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 10], FDS [Localité 9] et Abrive SAS ensemble la somme de dix mille (10.000) euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne la SAS Maisons du Monde France aux dépens de première instance et d’appel.
– Autorise, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. BUTEL C. BENEIX-BACHER