Conclusions d’appel : 8 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/05342

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Conclusions d’appel : 8 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/05342

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 08 JUIN 2023

N° 2023/ 407

Rôle N° RG 22/05342 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJGUP

S.C.I. EL DAR

C/

[B] [N]

[V] [P]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Thierry BAUDIN

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 28 mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/01900.

APPELANTE

S.C.I. EL DAR

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 3]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Jean-Charles MSELLATI, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Monsieur [B] [N]

né le 20 avril 1964 à [Localité 4] (ITALIE), demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Thierry BAUDIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Marie-Monique CASTELNAU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Madame [V] [P]

née le 30 mai 1984 à [Localité 5] (ALBANIE), demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Thierry BAUDIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Marie-Monique CASTELNAU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 02 Mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Mme Catherine OUVREL, Présidente

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023,

Signé par Mme Catherine OUVREL, Présidente et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société civile immobilière (SCI) El Dar est propriétaire d’un immeuble cadastré section KH n° [Cadastre 2], [Adresse 3], à [Localité 6] tandis que M. [B] [N] et Mme [V] [P] occupent, en tant que locataires en vertu d’un bail d’habitation consenti le 1er juillet 2019, la propriété voisine cadastrée section KH n° [Cadastre 1] située à la même adresse.

Soutenant que leur voisin a bloqué, en avril 2021, l’accès à la voie desservant leur villa, M. [B] [N] et Mme [V] [P] ont fait assigner la société El Dar, par acte d’huissier en date du 2 novembre 2021, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice aux fins de l’enjoindre à déposer l’installation irrégulière et de leur laisser un accès libre, suffisant et nécessaire à leur habitation.

Par ordonnance en date du 28 mars 2022, ce magistrat, estimant que le fait pour la société El Dar d’avoir posé une chaîne munie d’un écriteau mentionnant ‘accès interdit propriété privée’ sur le chemin par lequel M.[N] et Mme [P] passent pour se rendre à la villa qu’ils occupent en tant que locataires constitue un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser, a :

– ordonné à la SCI El Dar de déposer le dispositif avec chaîne munie d’un écriteau ‘accès interdit propriété privée’ afin de laisser à M. [B] [N] et Mme [V] [P] un accès libre suffisant et nécessaire à leur habitation, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé le délai de huit jours à compter de la décision, cette astreinte ne courant que sur une durée maximale de trois mois ;

– condamné la SCI El Dar à payer à M. [B] [N] et Mme [V] [P], pris ensemble, la somme de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner aux entiers dépens, en ce compris le coût du procès-verbal de constat d’huissier en date des 12, 13 avril et 7 mai 2021.

Suivant déclaration transmise au greffe le 11 avril 2022, la société El Dar a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 19 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu’elle :

– prononce l’annulation et la réformation de l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

– condamne les intimés in solidum à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamne aux dépens avec distraction au profit de la SCP Cohen Guedj – Montero – Daval Guedj sur son offre de droit.

Elle soulève l’irrecevabilité de la demande des intimés pour défaut du droit d’agir en ce qu’ils se prévalent d’une servitude de passage résultant du titre de propriété de Mme [U] [J], en date du 11 avril 1999, alors même qu’ils n’occupent les lieux qu’en tant que locataires en vertu d’un bail d’habitation en date du 1er juillet 2019, lequel ne fait état d’aucun accès à la maison par sa propriété. Elle estime que seul le bailleur, propriétaire du fonds servant, a qualité pour agir contre le propriétaire du fonds dominant.

Sur le fond, elle affirme que le premier juge a excédé ses pouvoirs en se prononçant sur l’existence d’un droit de passage et, dès lors, sur la nature juridique du chemin litigeux. En outre, elle indique que l’application des dispositions relatives à l’accès au domaine public maritime relève de la compétence exclusive du juge administratif. Par ailleurs, elle expose avoir installé, au niveau de la voie, une chaîne avec un écriteau ‘accès interdit-propriété privée’, fermée à l’aide d’un simple mousqueton, dans l’unique but de dissuader les usagers du sentier littoral de circuler sur sa propriété. Elle insiste sur le fait d’avoir retiré la chaîne entre les constats d’huissier des 12, 13 avril et 7 mai 2021 et l’assignation du 2 novembre 2021, ce que démontrent la photographie prise le 12 novembre 2021 et le constat d’huissier du 11 avril 2022, de sorte que le trouble allégué avait cessé au jour où le premier juge a statué. En tout état de cause, elle insiste sur le fait que la chaîne amovible ne visait qu’à protéger sa propriété de la circulation et du stationnement intempestifs des usagers du sentier du littoral. Elle relève que l’existence d’une servitude de passage sur son terrain ne fait pas disparaître son droit, au visa de l’article 647 du code civil, de se clore à la condition de ne pas porter atteinte au droit de passage et de ne pas en rendre l’exercice plus incommode. Elle soutient que, dès lors que la chaîne amovible était visible et pouvait s’ouvrir facilement à l’aide de deux mousquetons à vis accrochés à deux anneaux installés sur les côtés de la voie, elle ne constituait pas une entrave ni une aggravation de l’exercice du droit de passage allégué.

Enfin, elle indique que la demande de la voir condamner à ne pas réinstaller de chaîne sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée est une demande nouvelle irrecevable en application de l’article 564 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 10 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, M. [B] [N] et Mme [V] [P] demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance entreprise ;

– y ajoutant ;

– assortir les condamnations d’une astreinte de 1 000 euros, plus les frais d’huissier, par infraction constatée ;

– condamner la société El Dar, représentée par M. [Z] [F], à payer à Mme et M. [N] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner aux dépens, en ce compris le coût du procès-verbal de constat d’huissier en date des 12 et 13 avril 2021 et 7 mai 2021 avec distraction au profit de Me Thierry Baudin, avocat, sous sa due affirmation de droit.

S’agissant de leur qualité à agir, ils exposent être occupants de la villa en vertu d’un bail d’habitation dont l’accès est entravé par les obstacles installés par l’appelante. Ils indiquent fonder leurs demandes sur l’existence d’un trouble manifestement illicite consistant en une entrave à l’accès à leur habitation, peu important qu’ils ne soient pas propriétaires mais locataires de la villa qu’ils occupent, et, que l’accès en question puisse être qualifié de libre, suffisant et nécessaire. Ils relèvent qu’il entre dans les pouvoirs du juge des référés de constater l’existence de leur droit d’occuper la villa en tant que locataires ainsi que l’entrave que représente la chaîne positionnée dans la voie pour accéder à leur habitation.

Afin d’établir le trouble manifestement illicite, ils se prévalent de trois constats d’huissier dressés les 12, 13 avril et 7 mai 2021 faisant ressortir la présence d’une chaîne munie d’un écriteau ‘accès interdit propriété privée’ fermant l’impasse menant à leur résidence, ce qui constitue un obstacle à leur droit de passage résultant du bail d’habitation qui leur a été consenti dès lors qu’il s’agit de la voie d’accès à la résidence qu’ils louent. Ils indiquent que, par courrier en date du 30 juin 2021, M. [F], gérant de la société El Dar, leur a répondu qu’ils ne pouvaient se prévaloir d’une servitude de passage, que la voie d’accès était privée, qu’ils pouvaient toujours passer par le chemin muni d’escaliers pour se rendre chez eux et qu’il n’envisageait pas de lever le dispositif qu’il a installé. Ils exposent avoir communiqué à la société El Dar le titre de propriété de leur bailleresse, Mme [J], mentionnant l’existence de plusieurs servitudes, avant de les mettre en demeure, une fois de plus, par courrier recommandé du 18 août 2021, de retirer les obstacles mis sur la voie d’accès litigieuse. Ils exposent n’avoir pas eu d’autres choix que d’assigner la société El Dar devant le juge des référés afin de faire cesser le trouble manifestement illicite causé. Ils relèvent que la photographie versée aux débats par l’appelante pour établir l’enlèvement des obstacles date du 12 novembre 2021, soit postérieurement à son assignation. Dans tous les cas, ils en contestent la valeur probante étant donné qu’il est facile d’enlever la chaîne et de faire un cliché pour ensuite prétendre n’y avoir lieu à référé. Ils relèvent que le constat d’huissier établissant l’enlèvement de la chaîne a été dressé le 11 avril 2022, soit postérieurement à l’ordonnance entreprise. Ils soulignent que le panneau ‘accès interdit-propriété privée’ constitue en soi un obstacle, peu important que la chaîne soit fermée par un cadenas ou un mousqueton. Ils se prévalent par ailleurs de l’article 701 du code civil pour soutenir que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode. Ils estiment donc qu’un propriétaire n’a pas le droit de se clore dans le but de nuire à son voisin, qu’il s’agisse d’une propriétaire ou d’un locataire. Enfin, ils indiquent que l’accès au sentier du littoral est également une servitude encadrée par les lois sur le littoral et que le sentier du littoral doit être libre d’accès.

Ils exposent que leur demande de voir assortir les condamnations d’une astreinte de 1 000 euros par infraction constatée est recevable comme tendant aux mêmes fins en application de l’article 566 du code de procédure civile. Ils expliquent que cette demande, complémentaire à l’astreinte ordonnée par le premier juge, est la seule permettant de leur garantir un libre passage jusqu’à leur habitation, en particulier au cours de la période estivale.

L’instruction de l’affaire a été clôturée par ordonnance en date du 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d’annulation de l’ordonnance entreprise

En vertu de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

En l’espèce, si la société El Dar sollicite de la cour de prononcer l’annulation de l’ordonnance entreprise, il convient de relever qu’elle ne développe, dans la discussion, aucun moyen d’annulation.

Dans ces conditions, elle sera déboutée de cette demande.

Sur les fins de non-recevoir

Sur la qualité à agir des intimés

L’article 31 du code de procédure civile énonce que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il résulte de l’article 32 du même code qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

L’article 122 du même code prévoit que, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité.

En l’espèce, il n’est pas contesté que les époux [N] occupent le bien, objet du litige, en qualité de locataires suivant contrat de bail consenti par Mme [J] à effet au 1er août 2019.

Il est également acquis qu’une servitude conventionnelle de passage grevant le fonds de la société El Dar, fonds servant, a été consentie au profit du fonds de Mme [J], fonds dominant, qui correspond au logement occupé par les époux [N], suivant un acte notarié de vente dressé le 11 avril 1999.

Se prévalant d’une atteinte causée à leur droit d’accéder au logement qu’ils occupent en passant par le chemin carrossable grevant le fonds de la société El Dar, du fait de son obstruction par cette société, les époux [N] sollicitent des mesures afin qu’il soit mis fin au trouble manifestement illicite qu’ils subissent.

Ce faisant, les époux [N] n’entendent pas agir aux fins de fixation et rétablissement de l’assiette de la servitude conventionnelle de passage qui a été consentie à leur bailleresse.

Dès lors que le litige ne concerne pas l’existence et l’assiette d’un droit de passage consenti à une personne non partie à la procédure mais l’existence alléguée d’un trouble manifestement illicite dont les époux [N] seraient directement et personnellement victimes du fait de l’obstruction de ce passage, ces derniers justifient de leur droit d’agir dans le cadre de la présente procédure de référé.

C’est donc à juste titre que le premier juge a procédé à un examen du trouble manifestement illicite allégué après avoir rejeté, dans les motifs de sa décision, la fin de non-recevoir soulevée par la société El Dar tirée du défaut de qualité à agir des époux [N].

Sur la demande nouvelle des intimés

L’article 564 du code de procédure civile énonce, qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, lesparties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions.

L’article 565 du même code stipule que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

Il érsulte de l’article 566 du même code que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, si la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté de la demande des intimés, qui n’est développée que dans le corps des conclusions de la société El Dar, n’a pas été reprise dans le dispositif de ses conclusions, il s’agit d’une irrecevabilité pouvant être soulevée par la cour, sachant que les intimés y ont répondu dans le corps de leurs écritures.

Alors même que les époux [N] ont, devant le premier juge, sollicité uniquement la condamnation de la société El Dar à enlever les éléments obtruant le passage en assortissant cette obligation de faire d’une obligation de payer une certaine somme pour chaque jour retard, ils demandent à la cour, en plus, de confirmer l’ordonnance entreprise sur ce point, d’assortir les condamnations d’une astreinte de 1 000 euros, outre les frais d’huissier, par infraction constatée.

S’agissant d’une modalité d’exécution afin de contraindre la société El Dar à respecter une mesure de nature à mettre fin au même trouble manifestement illicite allégué devant le premier juge, à savoir l’obstruction à un passage carrossable leur permettant d’accéder au logement qu’ils occupent, l’astreinte sollicitée en cause d’appel doit s’analyser comme une demande tendant aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, voire comme un complément de la demande originaire.

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société El Dar tirée de la nouveauté de la demande formée en appel par les intimés.

Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite

Aux termes de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Il doit être constaté lorsque, même en l’absence de servitude établie, il est fait obstacle à l’utilisation paisible et prolongée d’un passage.

Il peut également résulter d’une voie de fait, entendue comme un comportement s’écartant si ouvertement des règles légales et usages communs, qu’il justifie de la part de celui qui en est victime le recours immédiat à une procédure d’urgence afin de le faire cesser.

L’existence de contestations, fussent-elles sérieuses, n’empêche pas le juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Enfin, la cour doit apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué.

En l’espèce, si le bail consenti aux époux [N] n’apporte aucune précision sur le chemin qu’ils ont le droit d’emprunter pour accéder à la maison qu’ils occupent, il n’est pas contesté que la parcelle sur laquelle se situe la maison dispose, en tant que fonds dominant, d’un droit de passage conventionnel grevant le fonds servant appartenant à la société El Dar. Cela résulte du titre de propriété de Mme [J] en date du 1er avril 1999 qui stipule (en page 9) que l’accès à son fonds se fera par un chemin de quatre mètres de largeur, chemin sur lequel elle aura les droits les plus étendus de passage, tant à pied qu’à cheval et en voiture avec toutes facultés pour y faire passer toutes canalisations (…).

Or, alors même que les époux [N] empruntaient ce chemin, sans aucune opposition de la part de la société El Dar, le constat d’huissier dressé à la demande des intimés fait ressortir la présence, le 12 avril 2021, d’une chaîne au sol avec un panneau ‘propriété privée défense d’entrer’ tandis qu’il est constaté, le 13 avril 2021, que la voie d’accès est fermée par une chaîne munie d’un écriteau ‘accès interdit propriété privée’, de même que le 7 mai 2021, à cette exception près que l’écriteau est retourné.

Se prévalant de l’absence de trouble manifestement illicite, la société El Dar soutient avoir le droit de son clore en application des dispositions des articles 647 et 701 du code civil.

Il est toutefois admis que le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude a le droit de se clore à la condition de ne pas porter atteinte au droit de passage et de ne pas en rendre l’exercice plus incommode.

En l’occurrence, si les photographies jointes au constat d’huissier susvisé révèlent que la chaîne en question n’est fermée que par des mousquetons, lesquels peuvent s’ouvrir facilement sans qu’il ne soit besoin de clefs, il n’en demeure pas moins que les époux [N] démontrent que le gérant de la société El Dar leur a expressément signifié que l’interdiction d’emprunter la voie d’accès, au-delà de la chaîne, conformément à l’écriteau, s’appliquait à eux également .

C’est ainsi qu’en réponse à leur mise en demeure, en date du 3 juin 2021, du conseil des époux [N] faite à la société El Dar d’avoir à déposer les obstacles installés sur le chemin d’accès, son gérant, M. [F], indique, par courrier en date du 30 juin 2021, que l’accès à la villa se fait par un escalier, soit directement depuis le chemin qui traverse le [Adresse 3], soit depuis le sentier littoral. Il déclare qu’ils ne peuvent se prévaloir, en leur qualité de locataires, d’aucune servitude conventionnelle de passage en l’absence de titre, pas plus que d’une servitude légale de passage pour cause d’enclave en application des articles 682 et suivants du code de procédure civile. Il leur fait savoir qu’il n’entend donc pas lever le dispositif mis en place.

Or, il résulte de ce qui précède que les époux [N] tirent, à l’évidence, leur droit de passage de la servitude conventionnelle consentie à leur bailleresse, propriétaire du fonds sur lequel est édifiée la maison qu’ils occupent.

De plus, la société El Dar ne discute pas le caractère piétonnier des deux chemins d’accès auxquels elle se réfère, à l’inverse du chemin litigieux qui est, en ce qu’il est le seul carrossable, manifestement conforme, compte tenu des conditions actuelles de la vie, à l’utilisation normale du fonds destiné à l’habitation d’une maison exigeant le passage d’une automobile.

Ainsi, le fait même pour la société El Dar d’interdire aux époux [N] d’accéder à leur villa par le chemin litigieux est constitutif d’un trouble manifestement illicite.

En effet, en contestant tout droit de passage des époux [N], la société El Dar ne peut sérieusement soutenir que les obstacles mis en place sur le chemin, et en particulier le caractère dissuasif de l’écriteau faisant défense, s’agissant d’une propriété privée, d’y pénétrer, ne leur étaient pas destinés. Dans ces conditions, le caractère facilement amovible de la chaîne, qui peut être ouverte par quiconque, importe peu dans le cas présent.

Par ailleurs, la société El Dar affirme que ce trouble avait cessé au moment où le premier juge a statué.

S’il ressort du constat d’huissier en date du 11 avril 2022 que la chaîne a été enlevée et que le chemin permettant d’accéder au bien occupé par les intimés est totalement libre, seuls les mousquetons ayant été laissés à leur place, il convient de relever que ces constatations n’ont été faites que postérieurement à l’ordonnance entreprise qui a été rendue le 28 mars 2022.

La société El Dar ne démontre donc pas que le trouble manifestement illicite causé aux époux [N] avait cessé au jour où le premier juge a statué.

C’est donc à juste titre que le premier juge a, afin de mettre fin à ce trouble, ordonné à la société société El Dar de déposer le dispositif avec chaîne munie d’un écriteau ‘accès interdit propriété privée’ afin de laisser à M. [B] [N] et Mme [V] [P] un accès libre, suffisant et nécessaire à leur habitation, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé le délai de huit jours à compter de la décision, cette astreinte ne courant que sur une durée maximale de trois mois.

Si les époux [N] sollicitent, dans le corps de leurs écritures, une autre astreinte afin de dissuader, pour l’avenir, la société El Dar de réitérer les faits, il convient de relever qu’ils se contentent de demander, dans le dispositif de leurs conclusions, d’assortir les condamnations d’une astreinte de 1 000 euros, plus les frais d’huissier, par infraction constatée, et ce, sans préciser l’obligation de faire ou de ne pas faire dont serait débitrice la société El Dar.

Or, aucune astreinte ne peut être prononcée sans qu’elle ne soit assortie d’une obligation de faire ou de ne pas faire. Il ne peut s’agir de la même obligation de faire que celle qui a été ordonnée par le premier juge, à savoir l’enlèvement des obstacles, avec une obligation de payer une certaine somme pour chaque jour retard, étant donné que l’obligation de payer une certaine somme en cas d’infraction constatée suppose d’ordonner une obligation de ne pas faire, et en l’occurrence une interdiction de réitérer les faits, ce qui n’est pas expressément demandé par les intimés dans le dispositif de leurs conclusions.

Les intimés seront donc déboutés de leur demande d’astreinte complémentaire sollicitée en appel.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société El Dar, succombant en appel, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a condamnée aux dépens et à verser à M. [B] [N] et Mme [V] [P], pris ensemble, la somme de 1 200 euros du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, sauf en ce qu’elle y a intégré le coût du constat d’huissier en date des 12, 13 avril et 7 mai 2021. En effet, il s’agit de frais qui ne font pas partie des dépens limitativement énumérés par l’article 695 du code de procédure civile mais qui s’intègrent dans les frais irrépétibles.

La société El Dar sera tenue aux entiers dépens de la procédure d’appel, avec distraction au profit de Me Thierry Baudin, avocat aux offres de droit, sur son affirmation de droit.

En outre, l’équité commande de la condamner à verser à M. [B] [N] et Mme [V] [P] épouse [N] la somme globale de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens.

En tant que partie perdante, la société El Dar sera déboutée de sa demande formulée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déboute la SCI El Dar de sa demande tendant à l’annulation de l’ordonnance entreprise ;

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SCI El Dar tirée de la nouveauté de la demande formée en appel par M. [B] [N] et Mme [V] [P] épouse [N] ;

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a intégré dans les dépens de première instance le coût du constat d’huissier en date des 12, 13 avril et 7 mai 2021 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SCI El Dar tirée du défaut de qualité à agir de M. [B] [N] et Mme [V] [P] épouse [N] ;

Déboute M. [B] [N] et Mme [V] [P] épouse [N] de leur demande formée en appel tendant à assortir les condamnations d’une astreinte de 1 000 euros, plus les frais d’huissier, par infraction constatée ;

Condamne la SCI El Dar à verser à M. [B] [N] et Mme [V] [P] épouse [N] la somme globale de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens ;

Déboute la SCI El Dar de sa demande formulée sur le même fondement ;

Condamne la SCI El Dar aux dépens d’appel avec distraction au profit de Me Thierry Baudin, avocat aux offres de droit, sur son affirmation de droit ;

Dit que ces dépens ne comprendront pas le coût du constat d’huissier en date des 12, 13 avril et 7 mai 2021.

La greffière La présidente

 


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