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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 5 JUILLET 2023
N° RG 21/03064 –
N° Portalis: DBV3-V-B7F-UZJV
AFFAIRE :
[M] [E]
Madame [Z] [E]
C/
Société SOCIETE INDUSTRIELLE DE PRODUCTION VYGON – SIPV
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 août 2021 par le Conseil de Prud’hommes de MONTMORENCY
Section : I
N° RG : F 19/00292
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Martine DUPUIS
Me Pierre BREGOU
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [M] [E]
né le 23 Juillet 1940 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Madame [Z] [E]
née le 21 Mai 1960 à [Localité 4] (93)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentés par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – Représentant : Me Alann GAUCHOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0084
APPELANTS
****************
Société SOCIETE INDUSTRIELLE DE PRODUCTION VYGON – SIPV
N° SIRET : 487 729 923
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Pierre BREGOU de la SELASU CARAVAGE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0093
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 avril 2023, Monsieur Laurent BABY, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [E], a été engagée en qualité d’opératrice, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 21 octobre 1980, par la Société industrielle de production Vygon (ci-après la SIPV).
Cette société est spécialisée dans la fabrication du matériel chirurgical stérile à usage unique pour l’univers hospitalier. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale de la métallurgie.
Le 5 mai 2015, la salariée a été victime d’un accident du travail.
Elle a par la suite fait l’objet d’arrêts de travail continus.
La salariée a passé une visite de pré-reprise le 27 mars 2018 pour une étude du poste.
Consécutivement à une visite médicale de reprise du 3 avril 2018, le médecin du travail a conclu à l’inaptitude de la salariée au poste d’opératrice.
Par lettre du 27 avril 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 14 mai 2018.
Elle a été licenciée par lettre du 17 mai 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
« Objet : Notification de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement
Madame,
Nous faisons suite à notre entretien du lundi 14 mai 2018 pour lequel vous étiez assistée de votre père. Par avis du médecin du travail du 03 avril 2018, reçu le 06 avril 2018, vous avez été déclarée inapte à votre poste de travail, à la suite d’une visite de reprise.
Le médecin du travail a conclu à votre inaptitude au poste d’Opératrice que vous occupiez, dans les termes suivants « 03/04/2018 – Dr [W] : la salariée est inapte à son poste de travail d’opératrice selon l’article du code du travail Art 4624-42. Étude de poste a été réalisée le jour de la visite de pré-reprise du 27/03/2018. L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
Cette mention expresse inscrite par le médecin du travail exclut toute possibilité de reclassement, conformément à l’article L. 1226-2-1 du code du travail.
Dans ces conditions nous nous voyons contraints de vous notifier votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Votre contrat de travail sera donc rompu à la date d’envoi de ce courrier, sans indemnités de préavis. Au retour de l’accusé postal de celui-ci, nous vous adresserons votre solde de tout compte, votre attestation Pôle Emploi et votre certificat de travail.
Nous attirons enfin votre attention sur le fait que l’article L. 911-8 du code de la Sécurité Sociale a mis en place un mécanisme de maintien des garanties couvertures complémentaires de santé et de prévoyance d’entreprise.
Ce dispositif s’adresse aux salariés dont la rupture du contrat de travail ouvre droit à une allocation assurance-chômage et permet un maintien à titre gratuit des garanties frais de santé et de prévoyance sans pouvoir excéder 12 mois.
Ce dispositif ayant été organisé pour sa mise en ‘uvre avec l’organisme GEREP, nous vous adresserons, par courrier séparé, toutes les informations et documents utiles afin que vous puissiez en bénéficier si vous le souhaitez. »
Par requête du 27 mai 2019, le conseil de M. [E] a, « agissant pour le compte et au soutien des intérêts de Monsieur [E] en sa qualité de curateur de Mme [Z] [E] suivant décision du juge des tutelles du tribunal d’instance de Salon de Provence du 11 juillet 2017, née le 21 mai 1960 à [Localité 4] (93), de nationalité française, célibataire, demandeur d’emploi demeurant [Adresse 5] », saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency aux fins d’annulation du licenciement de Mme [E] et d’obtenir la condamnation de la Société industrielle de production Vygon au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 10 août 2021, le conseil de prud’hommes de Montmorency (section industrie) a :
– dit que M. [E], ès qualités de curateur de Mme [E], a qualité pour agir,
– dit que la prescription sur le délai de contestation de la rupture et de l’avis d’inaptitude médicale est acquise,
– déclaré irrecevable l’intégralité des demandes de Mme [E] et de son curateur, M. [E].
Par déclaration adressée au greffe le 18 septembre 2021, Mme [E] assisté de son curateur a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [E] et M. [E], en sa qualité de curateur de cette dernière, demandent à la cour de :
– déclarer recevable et fondé l’appel qu’ils ont interjeté par Mme [E] et M. [E] son curateur légal,
y faisant droit,
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Montmorency du 10 août 2021 en ce qu’il a dit que M. [E], ès qualités de curateur de Mme [E] a qualité à agir ;
– infirmer le jugement entrepris du conseil de prud’hommes de Montmorency du 10 août 2021 des chefs de l’appel interjeté par Mme [E] et M. [E], ès qualités de curateur légal de cette dernière en ce qu’il a :
. dit que la prescription sur le délai de contestation de la rupture et de l’avis d’inaptitude médicale est acquise,
. déclaré irrecevable l’intégralité des demandes de Mme [E] et de son curateur, M. [E],
et, statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,
in limine litis
– déclarer à titre principal qu’aucune prescription tirée des dispositions des articles L.1471, alinéa 2 et R.4624-45 du code du travail ne peut être valablement opposée à Mme [E] et à M. [E], ès qualités de curateur de cette dernière, en raison de la nullité de la notification du licenciement du 17 mai 2018, en application des dispositions des articles 467, alinéa 3 et 468 du code civil,
– déclarer à titre principal qu’aucune prescription tirée des dispositions des articles L. 1471, alinéa 2 et R. 4624-45 du code du travail ne peut non plus être valablement opposée à Mme [E] et à M. [E] du fait de l’état de santé et du handicap présentés par cette dernière, tels que constitutifs d’un cas de force majeure au sens des dispositions de l’article 2234 du code civil,
– déclarer à titre subsidiaire qu’aucune prescription tirée des dispositions des articles L.1471, alinéa 2 et R. 4624-45 du code du travail ne peut non plus être valablement opposée à Mme [E] et à M. [E] au regard des dispositions de l’article 1134-5 du code du travail,
en conséquence,
– déclarer que l’action et les demandes de Mme [E] et M. [E] ès qualités de curateur légal de cette dernière ne sont pas atteintes par la prescription,
– déclarer Mme [E] et M. [E] recevables en leurs actions tant sur le fondement des dispositions de l’article L.1132-1 du code du travail et en violation de celles de l’article L.1133-3 du même code en ce qu’elle repose sur une discrimination liée à l’état de santé et au handicap de Mme [E] que sur celui à titre subsidiaire des dispositions des articles L.1226-10 et suivants du code du travail,
– déclarer Mme [E] et M. [E] recevables et bien fondés dans l’intégralité de leurs demandes,
à titre principal, sur le fond du litige,
– déclarer que le comportement adopté par la société SIPV à l’égard de Mme [E] est constitutif d’une discrimination liée à l’état de santé et au handicap de cette dernière, compte tenu de l’abstention volontaire dont ladite société a fait preuve à l’occasion de la déclaration d’inaptitude vis-à-vis du médecin du travail, au mépris des droits de l’intéressée,
– déclarer qu’en l’espèce, les agissements de la société SIPV caractérisent une discrimination en lien avec l’état de santé au sens de l’article L.1132-1 du code du travail,
– déclarer qu’en l’espèce, la société SIPV n’a pas respecté les dispositions des articles L.1226-10 et suivants du code du travail,
– déclarer qu’en l’espèce, la société SIPV a manqué à son obligation de reclassement à l’égard de Mme [E] pour avoir manqué au respect des dispositions de l’article L.5213-6 du code du travail,
– déclarer qu’en raison de cette discrimination et de cette violation de l’obligation de reclassement, les conditions d’application des dispositions de l’article L.1133-3 du code du travail ne sont pas remplies en l’espèce,
– déclarer nul le licenciement pour inaptitude de Mme [E] en application des dispositions de l’article L. 1132-4 du code du travail,
– déclarer Mme [E] bien fondée à poursuivre la réparation de l’ensemble des préjudices que lui a causé la discrimination dont elle a été victime de la part de la société SIPV,
en conséquence,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] à titre de dommages et intérêts la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par la discrimination,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 40 119,84 euros ‘ correspondant à deux ans de salaires ‘ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul en application des dispositions des articles L.1235-3-1 et L.1134-5, alinéa 3 du code du travail,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] les sommes suivantes de :
. 3 343,32 euros à titre de l’indemnité compensatrice prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail,
. 334,33 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 18 308,54 euros solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] à titre de rappel de salaire la somme de 1 455,96 euros,
– ordonner que l’ensemble des sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par la société SIPV de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Montmorency,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du code civil,
à titre subsidiaire,
– dans l’hypothèse où par extraordinaire, la cour de céans ne retiendrait pas l’existence d’une discrimination à l’égard de Mme [E] de la part de la société SIPV, déclarer qu’en l’espèce, la société SIPV n’a pas respecté les dispositions des articles L. 1226-10 et suivants du code du travail,
– déclarer le licenciement de Madame [Z] [E] sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
– condamner en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 40 119,84 euros ‘ correspondant à deux ans de salaires ‘ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] les sommes suivantes de :
. 3 343,32 euros à titre de l’indemnité compensatrice prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail,
. 334,33 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 18 308,54 euros solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] à titre de rappel de salaire la somme de 1 455,96 euros,
– ordonner que l’ensemble des sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par la société SIPV de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Montmorency,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du code civil,
à titre infiniment subsidiaire,
– déclarer que Mme [E] et M. [E] ès qualités de curateur légal de cette dernière sont bien fondés à contester le solde de tout compte établi le 31 mai 2018 par la société SIPV en ce que les sommes qui y figurent ne remplissent pas l’intéressée de l’intégralité de ses droits en conséquence notamment de l’accident de travail dont elle a victime le 5 mai 2015,
en conséquence,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E], les sommes suivantes de :
. 18 308,54 euros au titre du solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
. 3 343,32 euros à titre de l’indemnité compensatrice,
. 334,33 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
. 1 455,96 euros à titre de rappel de salaire en application de l’article L. 1226-4 du code du travail,
– ordonner que l’ensemble des sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par la société SIPV de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Montmorency,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du code civil,
en tout état de cause,
– débouter la société SIPV de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société SIPV aux dépens d’appel et de première instance, y compris les frais qui pourraient être exposées en cas de nécessité d’une exécution forcée de la décision à intervenir.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la Société industrielle de production Vygon demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Montmorency le 10 août 2021 en ce qu’il a déclaré, Mme [E] irrecevable,
subsidiairement,
– juger que le licenciement de Mme [E] n’est pas discriminatoire,
– juger infondée la demande d’indemnité de préavis et de congé payé sur préavis,
– juger infondée la demande d’indemnité de licenciement,
– juger infondée la demande de reprise du paiement de la rémunération après l’avis d’inaptitude
– débouter les appelants de leurs demandes,
– condamner les appelants aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la requête introductive d’instance
L’employeur, dans le dispositif de ses conclusions sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions. Mais dans ses motifs, il se fonde sur les articles 117, 119 et 469 du code de procédure civile et expose que l’action prud’homale a été intentée non pas par la salariée elle-même mais par son seul curateur de sorte que, selon lui, la saisine du conseil de prud’hommes doit être jugée irrecevable.
En réplique, la salariée et son curateur soutiennent en premier lieu que l’employeur n’a soulevé l’irrecevabilité du droit d’agir que par conclusions n°3 devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes alors qu’il avait déjà conclu à deux reprises sans soulever cette fin de non-recevoir. Ils font valoir en second lieu que la requête, rédigée comme elle l’a été, ne prête à aucune confusion sur le fait que c’est bien Mme [E] qui intente une action contre son employeur, assistée en cela par son père et curateur, M. [E],.
***
L’article 117 du code de procédure civile prévoit que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :
Le défaut de capacité d’ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice.
L’article 119 prescrit que les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que la nullité ne résulterait d’aucune disposition expresse.
Ces articles ‘ inclus dans la section que le code de procédure civile consacre aux exceptions de nullité et plus précisément dans la sous-section intéressant les nullités de fond ‘ sanctionnent par la nullité les irrégularités susvisées.
L’article 954 énonce que les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.
En l’espèce et en premier lieu, la sanction d’une irrégularité de fond ne consiste pas en l’irrecevabilité de la saisine prud’homale mais dans sa nullité.
En deuxième lieu, l’employeur ne demande pas la nullité de la requête introductive d’instance dans le dispositif de ses conclusions qui, seul, saisit la cour en application de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, mais sollicite au contraire la confirmation du jugement en toutes ses dispositions. Or, le jugement a « dit que M. [M] [E] es qualité de curateur de Mme [Z] [E] a qualité pour agir ».
La cour n’étant en définitive saisie d’aucune demande affectant la saisine du conseil de prud’hommes, il conviendra de confirmer de ce chef le jugement.
Sur la prescription
La salariée conclut à l’infirmation du jugement qui a déclaré prescrites ses demandes. Elle se fonde d’abord sur les dispositions transitoires applicables à l’article L. 1471-1 et ensuite sur celles des articles L. 1134-5 et R. 4624-45 du code du travail ainsi que de l’article 467 du code de procédure civile qui, selon elle, concerne les notifications et pas seulement les significations. Elle soutient qu’au cas d’espèce, le licenciement n’a été notifié qu’à elle et que la notification n’a pas été faite à son curateur, de sorte que, la notification étant nulle le délai de prescription n’a pas commencé à courir.
L’employeur conclut à la confirmation du jugement qui, au visa de l’article L. 1471-1 du code du travail a déclaré prescrites les demandes de la salariée. Il expose qu’en vertu de ce texte, la salariée disposait d’un délai de 12 mois à compter de la notification de la rupture pour la contester ; que la rupture a été notifiée le 17 mai 2018 et que la saisine du 29 mai 2018 est tardive. Il ajoute que la salariée est aussi prescrite à contester son avis d’inaptitude en vertu de l’article R. 4624-45 du code du travail. L’employeur conteste par ailleurs la prétendue inopposabilité de la notification de son licenciement, exposant, au visa des articles 465 et 467 du code civil, que ces textes n’intéressent que les actes accomplis par le majeur protégé et non ceux accomplis par l’employeur. En outre, l’employeur soutient que la sanction de nullité ne s’applique qu’à une signification faite au seul majeur protégé et ne s’étend pas à la notification d’un licenciement.
***
L’article 467 du code civil dispose que la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.
Lors de la conclusion d’un acte écrit, l’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée.
A peine de nullité, toute signification faite à cette dernière l’est également au curateur.
Les parties sont en discussion sur la portée du troisième alinéa de l’article 467 du code civil, la salariée exposant qu’elle s’étend à la notification de son licenciement et l’employeur exposant que ce texte doit être interprété strictement et n’intéresse donc que les significations, c’est-à-dire uniquement les notifications réglementées faites par voie d’huissier.
Le terme « signification » ressortant de l’article 467 alinéa 3 du code civil ne s’entend pas seulement de la signification au sens strict du terme c’est-à-dire du seul acte dressé par l’huissier ‘ ou le commissaire de justice ‘ pour notifier une décision de justice, mais implique que le curateur doit recevoir, en même temps que le majeur protégé, les informations susceptibles d’avoir des conséquences telles que son assistance serait à envisager.
L’article L. 1471-1 du code du travail dispose que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.
Selon l’article L. 1134-5 l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n’est pas susceptible d’aménagement conventionnel. Les dommages-intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.
Il ressort de l’article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail que la notification du licenciement fait courir un délai de prescription pour toute action portant sur la rupture du contrat de travail. La sauvegarde des droits du salarié bénéficiant d’une mesure de curatelle implique qu’il soit en mesure d’agir dans les délais qui lui sont impartis par la loi. De ce seul fait, le licenciement doit être, en application de l’article 467 alinéa 3 du code civil, notifié à la fois au majeur protégé et à son curateur.
Il n’est pas discuté que la lettre de licenciement n’a été notifiée qu’à la salariée, alors que celle-ci bénéficie d’une mesure de protection selon une mesure de curatelle renforcée effective depuis le 15 mai 2008 et renouvelée à deux reprises, la dernière décision en date ‘ jugement du 11 juillet 2017 du juge des tutelles de Salon de Provence ‘ ayant renouvelé la mesure pour 120 mois.
En cela, la notification du licenciement est nulle en application de l’article 467 alinéa 3 du code civil. Il s’ensuit que le délai de prescription de l’article L. 1471-1 du code civil n’a pas commencé à courir de telle sorte que l’action de la salariée n’est pas de ce chef prescrite.
Au surplus, la salariée se prévaut d’une discrimination qui est régie par l’article L. 1134-5 du code du travail.
Selon cet article, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n’est pas susceptible d’aménagement conventionnel.
Or la salariée invoque le fait que l’employeur a, à l’époque du licenciement, méconnu ses obligations résultant de l’origine professionnelle de la maladie et notamment son obligation de reclassement renforcée et a sciemment omis d’aviser le médecin du travail qui l’a examinée lors de la visite de reprise de l’origine professionnelle de sa maladie et de l’accident du travail dont elle avait été victime le 5 mai 2015. Il en résulte que la salariée invoque une révélation de la discrimination à une époque contemporaine du licenciement du 17 mai 2018.
La salariée, assistée de son curateur, ayant saisi le conseil de prud’hommes le 27 mai 2019, soit dans les cinq années suivant la révélation de la mesure dont le caractère discriminatoire est allégué, et qui est constituée par la notification du licenciement le 17 mai 2018, son action n’est pas prescrite.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a dit prescrites les demandes.
Sur la discrimination
L’article L. 1132-1 du code du travail dispose qu'(‘) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (‘) son état de santé ou de son handicap.
Il n’appartient pas au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’en prouver l’existence. Suivant l’article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
L’article L. 5213-6 du code du travail dispose qu’afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L. 5212-13 d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
L’employeur s’assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s’assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail.
Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur.
Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3.
L’article L. 5212-13 prévoit que bénéficient de l’obligation d’emploi instituée par l’article L. 5212-2 :
1° Les travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées mentionnée à l’article L. 146-9 du code de l’action sociale et des familles ;
2° Les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 % et titulaires d’une rente attribuée au titre du régime général de sécurité sociale ou de tout autre régime de protection sociale obligatoire ;
3° Les titulaires d’une pension d’invalidité attribuée au titre du régime général de sécurité sociale, de tout autre régime de protection sociale obligatoire ou au titre des dispositions régissant les agents publics à condition que l’invalidité des intéressés réduise au moins des deux tiers leur capacité de travail ou de gain ;
4° Les bénéficiaires mentionnés à l’article L. 241-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ;
(‘)
9° Les titulaires d’une allocation ou d’une rente d’invalidité attribuée dans les conditions définies par la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d’accident survenu ou de maladie contractée en service ;
10° Les titulaires de la carte ‘ mobilité inclusion ‘ portant la mention ‘ invalidité ‘ définie à l’article L. 241-3 du code de l’action sociale et des familles ;
11° Les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés.
La salariée soumet à la cour les faits suivants :
. la volonté de l’employeur de dissimuler au médecin du travail son accident du travail pour se dispenser de son obligation de reclassement renforcée,
. la méconnaissance par l’employeur de son obligation de reclassement renforcée eu égard à son handicap.
Il ressort d’un échange de courriels entre l’employeur et la médecine du travail les 30 mars 2018 et 3 avril 2018, que le premier a clairement avisé la seconde que la salariée avait été en arrêt de travail pour accident du travail. L’employeur a en effet écrit à la médecine du travail le 30 mars 2018 :
« Pourriez-vous svp organiser une visite médicale de reprise pour Mme [E] [Z] ‘
‘ arrêt AT du 05/05/2015 au 30/09/2017 + arrêt maladie du 01/10/2017 au 31/03/2018.
Pour rappel, Mme [E] a passé une visite médicale de pré-reprise lors de la vacation du 27 mars 2018. (‘) »
Il ressort de la même pièce 2 que la salariée a été examinée par le médecin du travail dans le cadre d’une visite de pré-reprise le 27 mars 2018 à 16h30 et qu’à son rendez-vous est associée la mention suivante : « suite arrêt de travail AT + Maladie depuis le 05/05/2018 ».
La volonté de l’employeur de dissimuler au médecin du travail son accident du travail pour se dispenser de son obligation de reclassement renforcée n’est dès lors pas établie.
En ce qui concerne la méconnaissance par l’employeur de son obligation de reclassement renforcée eu égard à son handicap, force est de constater qu’effectivement, l’employeur n’a pas procédé au reclassement de la salariée.
Il justifie néanmoins sa décision de procéder au licenciement de la salariée par une décision objective, conforme à l’article L. 1226-12 alinéa 2 du code du travail, dès lors que le médecin du travail a rendu, après étude de poste, un avis d’inaptitude mentionnant expressément que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi (« La salariée est inapte à son poste de travail d’opératrice selon l’article du code du travail Art 4624-42. Étude de poste a été réalisée le jour de la visite de pré-reprise du 27 mars 2018. L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » – certificat du Médecin du travail, Dr [W]).
La discrimination n’est donc pas établie de telle sorte qu’il conviendra de débouter la salariée de ses demandes principales, c’est-à-dire des demandes suivantes :
« – déclarer que le comportement adopté par la société SIPV à l’égard de Mme [E] est constitutif d’une discrimination liée à l’état de santé et au handicap de cette dernière, compte tenu de l’abstention volontaire dont ladite société a fait preuve à l’occasion de la déclaration d’inaptitude vis-à-vis du médecin du travail, au mépris des droits de l’intéressée,
– déclarer qu’en l’espèce, les agissements de la société SIPV caractérisent une discrimination en lien avec l’état de santé au sens de l’article L.1132-1 du code du travail,
– déclarer qu’en l’espèce, la société SIPV n’a pas respecté les dispositions des articles L.1226-10 et suivants du code du travail,
– déclarer qu’en l’espèce, la société SIPV a manqué à son obligation de reclassement à l’égard de Mme [E] pour avoir manqué au respect des dispositions de l’article L.5213-6 du code du travail,
– déclarer qu’en raison de cette discrimination et de cette violation de l’obligation de reclassement, les conditions d’application des dispositions de l’article L.1133-3 du code du travail ne sont pas remplies en l’espèce,
– déclarer nul le licenciement pour inaptitude de Mme [E] en application des dispositions de l’article L. 1132-4 du code du travail,
– déclarer Mme [E] bien fondée à poursuivre la réparation de l’ensemble des préjudices que lui a causé la discrimination dont elle a été victime de la part de la société SIPV,
en conséquence,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] à titre de dommages et intérêts la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par la discrimination,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 40 119,84 euros ‘ correspondant à deux ans de salaires ‘ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul en application des dispositions des articles L.1235-3-1 et L.1134-5, alinéa 3 du code du travail,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] les sommes suivantes de :
. 3 343,32 euros à titre de l’indemnité compensatrice prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail,
. 334,33 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] la somme de 18 308,54 euros solde de l’indemnité spéciale de licenciement,
– condamner la société SIPV à payer à Mme [E] à titre de rappel de salaire la somme de 1 455,96 euros,
– ordonner que l’ensemble des sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par la société SIPV de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Montmorency,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du code civil ».
Sur la rupture et l’origine de l’inaptitude
La salariée expose à titre subsidiaire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que son inaptitude a au moins partiellement pour origine son accident du travail et que l’employeur ne l’ignorait pas. L’employeur conteste pour sa part le lien entre l’accident du travail et l’inaptitude et expose que s’il existe, il l’ignorait lors du licenciement.
***
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Le juge ne peut se fonder sur la seule appréciation du médecin-conseil de la CPAM pour exclure l’origine partiellement professionnelle de l’inaptitude et doit effectuer la recherche lui-même.
Il importe peu que le salarié, pendant son arrêt de travail, ait été pris en charge au titre de la maladie par la CPAM.
L’indication, par le médecin du travail, de l’origine professionnelle de la maladie a quant à elle une portée probante mais, en sens contraire, l’absence d’une telle indication ne dispense pas le juge de vérifier l’origine alléguée par le salarié sur la base d’une décision de reconnaissance par la CPAM.
La charge de la preuve de l’origine professionnelle de l’inaptitude incombe au salarié et il revient au juge du fond d’apprécier souverainement si cette preuve est rapportée, le juge ayant l’obligation de caractériser le lien de causalité si l’employeur en conteste l’existence.
L’application volontaire par l’employeur des règles de procédure prévues en faveur des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle est sans portée au fond.
En l’espèce, il n’est pas discuté que la salariée a été victime d’un accident du travail le 5 mai 2015. Elle a, en conséquence de cet accident du travail, fait l’objet d’un arrêt de travail du 5 mai 2015 au 30 septembre 2017. Il ressort des explications de la salariée qu’elle « a bénéficié à partir [du 30 septembre 2017] et jusqu’au 28 mars 2018 (‘) sans discontinuité d’avis d’arrêt de travail en maladie ».
Indépendamment du fait que la cour observe que les indications communiquées par l’employeur à la médecine du travail en vue de ses visites de pré-reprise et de reprise sont exactes, l’employeur ne pouvait pas savoir qu’à compter du 30 septembre 2017, l’arrêt de travail de la salariée avait un lien avec son accident du travail de telle sorte qu’il n’est pas établi que l’employeur ait eu connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude de la salariée au moment où il a procédé à son licenciement. D’autant qu’il ressort de la pièce 52 de la salariée (notification de la décision de la CPAM relativement à la consolidation de l’accident du travail) que les conséquences de l’accident du travail de la salariée ont été consolidées le 27 juin 2016, soit près de deux ans avant le licenciement.
Certes, la salariée fait observer qu’elle s’est vue attribuer une indemnité temporaire d’inaptitude et que le Dr [W], médecin du travail, a renseigné le formulaire de demande le 3 avril 2018 en certifiant avoir établi le même jour « un avis d’inaptitude pour Mme [E] qui est susceptible d’être en lien avec l’accident du travail (‘) du 5 mai 2015 ». Mais cette indication ne permet pas de déduire que l’inaptitude de la salariée a, même partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie.
En effet, le Dr [W] n’est nullement affirmatif (« est susceptible de »). En outre, il ressort des explications de la salariée que l’indemnité temporaire d’inaptitude ne lui a été versée qu’au mois de janvier 2019 et que ce n’est que le 20 décembre 2018 que son curateur a porté à la connaissance de l’employeur l’existence d’une demande d’indemnité temporaire d’inaptitude, c’est-à-dire sept mois après le licenciement.
Les deux conditions cumulatives (inaptitude du salarié ayant au moins partiellement pour origine un accident du travail ou un maladie professionnelle et connaissance par l’employeur de cette origine professionnelle au moment du licenciement) pour que la salariée puisse bénéficier des règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne sont donc pas réunies.
La salariée, qui expose que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de ce que l’employeur n’a pas appliqué les règles édictées par les articles L. 1226-10 et suivants du code du travail, c’est-à-dire les règles applicables en cas d’inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, doit donc être déboutée de ses demandes subsidiaires, tendant à déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de l’employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité compensatrice prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail et les congés payés afférents, l’indemnité spéciale de licenciement.
La salariée demande en outre un rappel de salaire de 1 455,96 euros exposant que dans le mois qui a suivi son inaptitude prononcée le 3 avril 2018, l’employeur ne l’a ni reclassée ni licenciée et donc qu’elle peut prétendre au paiement de son salaire à compter du 4 mai 2018 jusqu’au 31 mai 2018, compte tenu de l’absence de précision quant à la date de rupture du contrat.
L’employeur estime pour sa part que la demande de la salariée est « créative » et objecte qu’il a payé à la salariée son salaire entre le 4 mai et le 17 mai 2018, date de la notification du licenciement.
L’article L. 1226-4 du code du travail dispose que lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Ces dispositions s’appliquent également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constatée par le médecin du travail.
En cas de licenciement, le préavis n’est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement. Le préavis est néanmoins pris en compte pour le calcul de l’indemnité mentionnée à l’article L. 1234-9. Par dérogation à l’article L. 1234-5, l’inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice.
En l’espèce, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail à l’occasion de sa visite de reprise du 3 avril 2018. La salariée a été licenciée pour inaptitude par lettre datée du 17 mai 2018.
C’est au jour de l’envoi de la lettre de licenciement que se situe la décision de l’employeur de rompre le contrat de travail. C’est donc à cette date qui doit être arrêtée la date du licenciement. Si la lettre de licenciement porte bien mention de la date du 17 mai 2018 et s’il n’est pas discuté qu’elle a été envoyée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ainsi qu’il ressort des mentions portées sur la lettre, il demeure que l’employeur, sur qui pèse la charge de la preuve de l’envoi, ne produit aucun élément propre à montrer qu’il a envoyé la lettre le jour même.
En revanche, il ressort des écritures de la salariée que la lettre lui a été présentée le 19 mai 2018. C’est donc à cette date que sera située la date du licenciement.
Il en résulte que la salariée aurait dû être payée du 4 mai au 19 mai 2018 c’est-à-dire durant 16 jours sur un mois qui en compte 31.
Le bulletin de salaire du mois de mai 2018 auquel se réfère l’employeur ne permet pas de déterminer si la salariée a bien été payée au titre du mois de mai dès lors qu’est effectivement pris en compte son salaire de base et sa prime d’ancienneté pour le mois de mai 2018 (1505,16 euros outre 133,53 euros), mais qu’apparaît une déduction de 1643,12 euros au titre d’une « autor. Non payée ».
A raison, la salariée expose que sa référence salariale doit être basée sur les salaires qu’elle percevait avant son arrêt de travail du 5 mai 2015. La moyenne des salaires qu’elle a perçus entre le 1er mai 2014 et le 30 avril 2015 s’élève à 1 671,66 euros mensuels.
Sur ces bases, il convient de faire droit à la demande de la salariée et de condamner l’employeur à lui payer la somme de 862,79 euros (soit (1 671,66 / 31)x16) avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes.
Sur les demandes infiniment subsidiaires de la salariée
La cour relève qu’au soutien de ses demandes infiniment subsidiaires, la salariée ne présente pas de moyens de faits ou de droit distincts de ceux pour lesquels elle a déjà été déboutée au titre de ses demandes principale et subsidiaire.
Sur la demande tendant à la capitalisation des intérêts
L’article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par la salariée et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.
Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, la Société industrielle de production Vygon sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il conviendra de condamner l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il dit que M. [E], ès qualités de curateur de Mme [E], a qualité pour agir,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la Société industrielle de production Vygon à payer à Mme [E] la somme de 862,79 euros au titre de l’article L. 1226-4 du code du travail, avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la Société industrielle de production Vygon à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Société industrielle de production Vygon aux dépens de la procédure d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente