Conclusions d’appel : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02630

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Conclusions d’appel : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02630

N° RG 21/02630 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2BE

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 25 Mai 2021

APPELANTS :

Me [U] [O] mandataire liquidateur de la S.A.S. SOCIETE NORMANDE D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION

[Adresse 1]

[Localité 8]

représenté par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE

Me [C] [Y] mandataire liquidateur de la S.A.S. SOCIETE NORMANDE D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION

[Adresse 6]

[Localité 8]

représenté par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE

Me [J] [Z] administrateur judiciaire de la S.A.S. SOCIETE NORMANDE D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE

Me [F] [B] (SELARL [M]) administrateur judiciaire de la S.A.S. SOCIETE NORMANDE D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEES :

Madame [N] [T]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Frédérique PERRAY JOSSE de la SCP CABINET D’AVOCATS AIGNEL & PERRAY-JOSSE ET ASSOCIES, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Kevin HAMELET, avocat au barreau de l’EURE

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 8]

représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L’AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 11 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 11 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [N] [T] a été engagée par la société normande de Presse Républicaine en qualité de responsable de la comptabilité client des sociétés du Pôle Normand, statut cadre, par contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2003.

Le 1er janvier 2005, son contrat a été transféré à la Société Normande de Presse, d’édition et d’impression.

En dernier lieu et par avenant du 31 décembre 2012, à effet au 1er janvier 2013, la salariée a été nommée responsable administrative et comptable des quotidiens Normands au sein de la SAS Société Normande d’Information et de Communication (SNIC).

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective de l’encadrement de Presse quotidienne et régionale.

Le licenciement pour faute grave a été notifié à la salariée le 26 août 2019.

Par requête du 15 avril 2020, Mme [N] [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Après avoir été placé en redressement judiciaire par jugement du 1er avril 2016 du tribunal de commerce de Rouen, le 12 mai 2020, a été prononcée la liquidation judiciaire de la société SNIC avec adoption d’un plan de cession au profit d’un nouvel actionnaire le 19 juin 2020.

Mme [U] [O] et M. [C] [Y] ont été désignés en qualité de liquidateur judiciaire, M. [J] [Z] et Mme [F] [B] en qualité d’administrateur judiciaire.

Par jugement du 25 mai 2021, le conseil de prud’hommes a requalifié le licenciement pour faute grave de Mme [N] [T] en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné l’employeur à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 58’392,48 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 14’598,12 euros,

déclaré sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile non opposable au CGEA, condamné la société aux entiers dépens, ordonné l’inscription des condamnations au passif de la société, débouté Mme [N] [T] de ses autres demandes, déclaré la décision opposable au CGEA-AGS, en tout état de cause, dit que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

Mme [U] [O], ès qualités, M. [C] [Y], ès qualités, M. [J] [Z], ès qualités, et Mme [F] [B], ès qualités, ont interjeté un appel limité le 25 juin 2021.

Par conclusions remises le 20 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens, les parties appelantes demandent à la cour de :

– réformer le jugement entrepris dans les limites des chefs de jugement énumérés dans la déclaration d’appel,

– juger que le licenciement de Mme [N] [T] repose sur une ou plusieurs fautes graves,

– débouter Mme [N] [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner Mme [N] [T] à leur verser à chacun la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 14 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [N] [T] demande à la cour de :

– statuant sur l’appel principal, juger que les appelants ne demandant dans le dispositif de leurs conclusions ni l’infirmation ni l’annulation des chefs du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement entrepris,

– la déclarer recevable en son appel incident,

à titre principal,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 58’392,48 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 14’598,12 euros,

– déclaré sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile non opposable au CGEA, l’a déboutée de ses autres demandes,

statuant à nouveau,

– requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 58 392,48 euros nets,

indemnité compensatrice de préavis : 14 598,12 euros bruts,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 63 258,52 euros nets,

rappels de salaire au titre des heures supplémentaires non rémunérées : 32 380,53 euros bruts,

congés payés y afférent : 3 238,05 euros bruts,

complément de 13ème mois : 2 698,38 euros bruts,

dommages et intérêts au titre du dépassement des durées maximales hebdomadaires : 10 000 euros nets,

dommages et intérêts au titre de l’atteinte à la vie privée et familiale : 10 000 euros nets,

dommages et intérêts au titre du manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat : 15 000 euros nets,

– ordonner l’inscription au passif de la société des sommes ainsi allouées,

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 58’392,48 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 14’598,12 euros,

en tout état de cause,

– ordonner l’inscription des condamnations au passif,

– déclarer la décision opposable au CGEA-AGS,

– débouter les appelants ainsi que le CGEA-AGS de l’ensemble de leurs demandes tant principales que subsidiaires, fins et conclusions,

– condamner la société aux entiers dépens,

– condamner chacun des organes de la procédure collective à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 29 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, le CGEA de [Localité 8] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement de Mme [N] [T] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné la société SNIC à verser à Mme [N] [T] la somme de 58 392,48 euros à titre d’indemnité de licenciement et celle de 14598,12 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, ordonné l’inscription des condamnations au passif de la société SNIC,

– débouter Mme [N] [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

– le mettre hors de cause pour toutes sommes allouées au-delà de la somme de 81 048 euros bruts, montant du plafond applicable à Mme [N] [T],

– le mettre hors de cause pour toute demande concernant l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la recevabilité des conclusions signifiées le 3 avril 2023

Mme [N] [T] a signifié de nouvelles conclusions le 3 avril 2023 et a communiqué deux nouvelles pièces sous les numéros 42 et 43 dont les parties appelantes et l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] sollicitent, par conclusions de procédure respectivement signifiées les 6 et 7 avril 2023, qu’elles soient écartées des débats, comme s’opposant à la révocation de l’ordonnance de clôture, la pièce 42 étant l’ordonnance de clôture dont il est sollicité la révocation et la pièce 43 étant un avis du CCRMP de Bretagne lequel ne se rattache pas au présent litige.

L’article 803 du code de procédure civile dispose que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

En l’espèce, le litige porte pour l’essentiel sur la contestation du licenciement pour faute grave de Mme [N] [T] et sur des demandes au titre des heures supplémentaires et manquement à l’obligation de sécurité.

L’avis du CRMPP de Bretagne, rendu dans le cadre d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de la salariée, a été reçue le 27 mars 2023, soit postérieurement à la clôture de la procédure.

Néanmoins, dans la mesure où statuant dans le cadre d’un contentieux prud’homal, la cour dispose d’un pouvoir d’appréciation propre quant à l’éventuel caractère professionnel d’une maladie, lequel peut se déterminer à partir d’éléments dont la salariée disposait en amont pour saisir le CRRMP, cet élément n’est pas déterminant, de sorte qu’il ne peut constituer une cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture.

Aussi, il convient de rejeter les conclusions signifiées le 3 avril 2023 et les nouvelles pièces communiquées.

II – Sur l’objet du litige

Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction de premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.

L’article 908 du même code dispose qu’à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevé d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe.

Enfin, selon l’article 954 du même code, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.

L’objet du litige devant la cour d’appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l’obligation faite à l’appelant de conclure conformément à l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l’article 954. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel.

À défaut, en application de l’article 908, la déclaration d’appel est caduque ou, conformément à l’article 954, alinéa 3, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

Ainsi, l’appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement.

Cette obligation de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle n’est donc applicable qu’aux instances introduites postérieurement à cette décision.

En l’espèce, à la suite d’un appel interjeté le 25 juin 2021, les parties appelantes ont déposé, dans le délai de l’article 908 sus-visé, des conclusions aux termes desquelles le dispositif, qui seul saisit la cour, est rédigé comme suit :

‘ Réformant le jugement entrepris dans les limites des chefs de jugement énumérés dans la déclaration d’appel des liquidateurs et administrateurs judiciaires de la SNIC,

Juger que le licenciement de Madame [T] repose sur une ou plusieurs fautes graves.

Débouter Madame [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner Madame [T] à payer à chacun des organes de la procédure collective, ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner Madame [T] aux entiers dépens.’

Ce dispositif contient ainsi expressément une prétention sollicitant la réformation de la décision frappée d’appel, de sorte que la cour en est saisie et il convient de rejeter le moyen tendant à retenir que la cour ne peut que confirmer le jugement déféré.

III – Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

A- Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, Mme [N] [T] explique avoir multiplié les heures supplémentaires et avoir régulièrement travaillé entre 45 et 50 heures par semaine pour pallier le manque de personnel et les carences de la direction.

A l’appui de ses allégations, elle produit au débat ses agendas des années 2016 à 2018 sur lesquels sont mentionnées des tâches en lien avec son activité professionnelle et un décompte du temps de travail par semaine à compter de la semaine 35 de 2016, soit à compter du 29 août, pour lequel chaque jour, elle mentionne l’heure de début et de fin de journée et la pause méridienne, lui permettant un décompte de son temps de travail par semaine civile.

Elle produit ainsi des éléments suffisamment précis mettant l’employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail de la salariée, en mesure d’y répondre.

Si l’employeur n’apporte aucun élément permettant de connaître la réalité du temps de travail de la salariée, néanmoins, il s’oppose à la demande présentée soutenant que la salariée n’effectuait pas les horaires auxquels elle prétend.

En effet, outre que ses agendas ne décrivent pas pour chaque jour travaillé l’ensemble des tâches accomplies et même n’en indiquent aucune un certain nombre de journées, il résulte des auditions réalisées dans le cadre de l’enquête interne que la salariée déléguait certaines tâches lui incombant à ses collaboratrices, telle Mme [K], ce qui est confirmé par son supérieur hiérarchique, M. [I], le 2 mars 2018, alors que la salariée mentionne dans son décompte avoir quitté à 20h00, Mme [K] explique dans quelles circonstances elles ont terminé leur journée de travail vers19h00, le mari de Mme [N] [T] l’attendant en bas pour partir, que la salariée ne justifie d’aucune plainte sur sa charge de travail avant le courriel adressé à M. [I] le 28 février 2018, que lors de sa conversation enregistrée à son insu avec M. [H] du 4 juillet 2018, telle que retranscrite par M. [L] [S], huissier de justice, la salariée mentionnait ne pas vouloir de personnel supplémentaire, mais vouloir du personnel pérenne et compétent, admettant ainsi disposer des moyens en nombre pour accomplir l’ensemble des tâches relevant de son service.

Aussi, même si la nature de ses fonctions en qualité de responsable administrative et comptable des quotidiens Normands au sein de la SAS Société Normande d’Information et de Communication impliquaient qu’elle travaille au-delà de 35 heures par semaine et qu’il ressort de l’enquête interne que la charge de travail du service était importante, néanmoins, au vu des éléments qui précèdent, la cour a la conviction que Mme [N] [T] a accompli des heures supplémentaires mais dans des proportions moindres que celle revendiquées, retenant une moyenne de 43 heures de travail par semaine lorsqu’elle travaillait 5 jours, fixant ainsi sa créance au titre du rappel d’heures supplémentaires à la somme de 18 190,12 euros et aux congés payés afférents, ainsi qu’à 1 515,85 euros au titre du complément du 13ème mois.

La cour infirme en ce sens le jugement entrepris.

B- Sur la violation des durées maximales hebdomadaires et manquement à l’obligation de sécurité

Il résulte des développements qui précèdent que la durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures n’a jamais été dépassée, de sorte qu’aucun manquement n’est établi à ce titre à l’encontre de l’employeur.

En revanche, alors que par courriel du 28 février 2018 adressé à M. [I], avec copie à Mme [R], responsable ressources humaines, Mme [N] [T] l’alertait de ses conditions de travail en raison de la charge du service, évoquant du retard dans l’accomplissement de certaines tâches, voire même l’impossibilité d’en accomplir d’autres, rappelant qu’elle avait demandé de l’aide en janvier et février, sans succès, l’employeur ne justifie pas de sa réponse, laissant ainsi la salariée affrontait seule la charge, en travaillant certes dans des limites légales, mais pour une durée de travail significative, ce qui l’a fragilisée comme en attestent ses arrêts de travail des 30 mars 2018 au 6 avril 2018, puis du 23 avril 2018 au 30 mai 2018, le second mentionnant anxiété réactionnelle limite ‘burn out’, puis enfin à compter du 3 janvier 2019 jusqu’au licenciement, ainsi que les constatations du médecin du travail lors de la visite du 25 avril 2018 qui observe les tremblements des mains d’allure anxieuse, que si elle s’exprime facilement, elle a eu plusieurs fois les larmes aux yeux, de sorte qu’il proposait de l’orienter vers le psychologue du travail, ce qu’elle avait accepté.

Il convient toutefois d’observer que ces arrêts sont intervenus aussi dans un contexte au cours duquel le management de la salariée était sérieusement mis en cause depuis une alerte de mars 2018 et l’examen du dossier de service de santé au travail permet de constater que si la salariée évoquait son fort investissement au travail depuis plusieurs années dans un contexte difficile de l’entreprise en lien avec la période de redressement judiciaire, puis plus récemment par des rapports difficiles avec des collègues, néanmoins, elle même disait se protéger d’un épuisement et faire des horaires raisonnables le 4 juin 2018, faire la part entre la vie professionnelle et personnelle lors de la visite du 2 juillet 2018, rester vigilante sur un juste investissement au travail et respecter sa vie personnelle lors de la visite du 20 septembre 2018.

Aussi, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est établi à la suite de son alerte du 28 février 2018 en lien avec une charge de travail excessive ayant eu des incidences sur son état de santé et justifie, par arrêt infirmatif, réparation à hauteur de 1 000 euros.

En revanche, si la salariée invoque également une atteinte à la vie privée et familiale, aucun préjudice distinct n’est établi à ce titre, de sorte que la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande de ce chef.

III – Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement du 26 août 2019 qui fixe les limites du litige, il est reproché à Mme [N] [T] des faits graves inhérents au management de son service en général et à son comportement à l’égard de Mmes [G], [P], [A], [W] et [K] en particulier, l’employeur faisant siennes les conclusions de la commission d’enquête dont il reprend les constatations.

Mme [N] [T] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors qu’elle ne peut être sanctionnée deux fois pour les mêmes faits, que les faits qui lui sont reprochés étaient prescrits au jour de l’engagement des poursuites disciplinaires et qu’en tout état de cause, il n’est pas démontré la réalité et la gravité des prétendus manquements invoqués.

L’employeur et l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] soutiennent que le licenciement pour faute grave est fondé aux motifs que Mme [N] [T] n’a pas été sanctionnée une première fois pour les faits visés par la lettre de licenciement, qu’aucune prescription des faits fautifs n’est acquise puisque le point de départ du délai de prescription se situe au jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits, soit après validation du rapport d’enquête interne.

A- Sur la double sanction

En l’espèce, si Mme [N] [T] invoque comme constitutif d’une première sanction, la convocation en entretien du 6 décembre 2018 qui, selon elle, s’analyse comme étant l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre pour les agissements portés à la connaissance de la société dans le cadre de la procédure d’enquête sans lui notifier une sanction disciplinaire dans le délai d’un mois, l’employeur renonçant ainsi à la sanctionner et purgeant ainsi son pouvoir disciplinaire pour les agissements antérieurs, et qu’effectivement, un même fait fautif ne peut être sanctionné deux fois, la lettre même de la convocation adressée à la salariée le 6 décembre 2018 pour un entretien fixé au 13 décembre, expliquant qu’un accompagnement a été mis en place sur l’amélioration des relations de travail au sein du service comptabilité par le psychologue du travail, M. [V], qui a signalé que les difficultés relationnelles nécessitaient prioritairement la mise en place de mesures de protection des personnes et qu’alors a été mise en oeuvre une procédure d’enquête interne concernant le harcèlement ou la violence interne au travail, pour être entendue par la responsable des ressources humaines, Mme [E] et Mme [X] chargée de la médiation sociale et secrétaire du CSE, sur le signalement dont elle a fait l’objet, s’inscrit sans ambiguïté dans le cadre de l’enquête interne dont le contexte est rappelé et ne peut être assimilée à un entretien préalable à sanction, dont il convient d’observer qu’elle ne comporte aucune des mentions obligatoires susceptibles de créer une éventuelle confusion.

Ainsi, il n’est pas établi que l’employeur a initié une première procédure disciplinaire avant la procédure de licenciement engagée le 9 août 2019 et le moyen est rejeté.

B- Sur la prescription des faits fautifs

Conformément aux dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de ce qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites .

Le point de départ du délai est donc le jour où l’employeur a connaissance du fait fautif, lequel doit s’entendre comme le jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

Mme [N] [T] soutient que l’employeur avait connaissance des faits qui lui sont reprochés depuis plusieurs mois, lesquels sont antérieurs au délai de deux mois de l’engagement de la procédure de licenciement, ajoutant que le rapport a été établi par la DRH au terme d’une procédure particulièrement partiale, ce qui permet de ne pas le prendre en compte pour fixer la date à laquelle l’employeur avait eu connaissance des faits et qu’il résulte des éléments que l’employeur avait connaissance de ce rapport au moins depuis le 16 mai 2019.

L’employeur a engagé la procédure de licenciement le 9 août 2019, après validation par tous les membres présents en séance du 28 juin 2019 lors de la réunion extraordinaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail, du rapport d’enquête menée contradictoirement, par du personnel dont il n’est pas établi une partialité en faveur de l’employeur, celle-ci étant menée certes par Mme [R] responsable des ressources humaines, mais aussi par Mme [X] chargée de la médiation sociale et secrétaire du CSE.

L’examen du rapport permet de constater qu’il a été procédé à diverses auditions entre les 3 et 18 décembre 2018 et y sont joints des éléments antérieurs à cette date hormis un écrit de la salariée du 18 décembre 2018.

Le rapport n’est pas daté mais mentionne qu”à ce jour, il n’a pas été mis en place de mesures conservatoires (pour éviter tous risques) pendant l’enquête car Madame [T] était en congés le lendemain de son entretien, du 19/12/2018 au 02/01/2019 puis en arrêt maladie à compter du 3/01/2019.’

Il résulte de l’enregistrement à leur insu de l’entretien informel qui s’est tenu le 16 mai 2019 entre la salariée, M. [H] et Mme [R], telle que restitué dans le procès-verbal de constat établi par M. [S], huissier de justice, et dont il n’est pas sollicité qu’il soit écarté des débats, qu’a été évoquée entre les personnes présentes la possibilité d’une rupture conventionnelle, la voix d’homme disant : ‘Moi j’ai lu attentivement votre rapport, toutes les enquêtes, etc, je ne vais pas refaire la procédure’, ‘ Après, c’est fixer la ligne, nous…moi j’ai deux façons de gérer le sujet, c’est ou on trouve un accord… Et si on ne trouve pas, moi j’irai au bout d’une procédure de licenciement ….’

A la demande : Quel en serait le motif dans ces conditions ‘, il est répondu : ‘Je n’ai pas regardé, mais à un moment donné il y a eu assez d’enquêtes, de machins, de trucs, le médecin du travail.’, ‘Donc à un moment donné je pense que…. on est au bout d’une procédure pour démêler le fin mot de l’histoire…’

La voix de femme 2 ajoute ‘… CHSCTon avait mis en standby suite au courrier de Mme [T] qui désirait partir sans polémique et donc j’ai dit on attend avant de relancer le CHSCT…..’

Après des échanges relatifs à la détermination de l’indemnité, la voix de femme 2 indique :

‘Nous on a des questions en attente, ils m’ont relancée, j’ai pas de …une procédure, j’ai pas expliqué…. que vous m’aviez demandé… donc ben j’ai dit faut patienter…. que j’attends la réponse de [N] en fonction de si elle accepte la convention ou pas, si elle n’accepte pas je déclenche de CHSCT’, ‘ Donc le rapport a été fait, tu peux en prendre connaissance aujourd’hui, je ne peux pas te donner l’écrit tout de suite parce qu’il n’a pas été présenté au CHS’

‘… Voilà un exemplaire si tu veux le lire tranquillement donc il est là et ….’.

Alors que la lettre de licenciement s’appuie sur ce seul rapport, que les diligences pour son établissement sont au moins antérieures au 16 mai 2019, qu’à cette date, l’employeur en avait une connaissance précise puisqu’il disposait d’un exemplaire lors de la rencontre avec la salariée du 16 mai 2019, qu’outre la validation par tous les membres présents en séance du 28 juin 2019 lors de la réunion extraordinaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail, aucune autre diligence n’a été accomplie de nature à permettre à l’employeur d’avoir une connaissance plus complète des manquements qu’il impute à la salariée, il y a lieu de retenir qu’il disposait de la connaissance des faits fautifs plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires le 9 août 2019, la procédure de rupture conventionnelle n’étant pas de nature à permettre la suspension du délai, ni même la validation du rapport par la commission santé, sécurité et conditions de travail.

Aussi, par arrêt infirmatif, il convient de dire prescrits les faits fautifs.

C-Sur les conséquences du licenciement

Les sommes allouées par les premiers juges au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis n’étant pas remises en cause dans leur montant, la cour confirme le jugement entrepris sur ces points.

Mme [N] [T] sollicite la somme de 63 258,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En considération de son ancienneté de 15 ans, elle peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 13 mois.

Sur la base d’un salaire moyen mensuel de 4 866,04 euros, de l’ouverture de ses droits à l’allocation de retour à l’emploi, en l’absence d’éléments plus précis relatifs à l’évolution de sa situation professionnelle à la suite de la rupture du contrat de travail, hormis un décompte de son préjudice, non corroboré par des éléments objectifs, la cour lui alloue la somme de 29 196,24 euros à titre de dommages et intérêts.

Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à la salariée licenciée dans la limite de 8 jours d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision, cette somme étant fixée au passif de la liquidation judiciaire.

IV – Sur la garantie de l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8]

Sur la garantie de l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 8]

Compte tenu de la nature des sommes allouées, l’AGS CGEA doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail dans la limite du plafond 6 à défaut de fonds disponibles, laquelle garantie ne s’applique pas à l’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

V – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de parties principalement succombantes, la société SNIC est condamnée aux entiers dépens et les organes de la procédure collective sont déboutés de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Pour le même motif, les organes de la procédure collective de la société SNIC, ès qualités sont condamnés à payer à Mme [N] [T] la somme globale de 3 000 euros en cause d’appel, pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Dit n’y avoir lieu à révocation de l’ordonnance de clôture ;

En conséquence, écarte des débats les conclusions signifiées par Mme [N] [T] le 3 avril 2023 et les pièces communiquées sous les numéros 42 et 43 ;

Rejette le moyen tendant à dire que la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur l’indemnité de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis, la garantie de l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8] et les dépens, a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour violation de la durée hebdomadaire et atteinte à la vie privée et familiale ;

L’infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [N] [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Fixe la créance de Mme [N] [T] au passif de la société SNIC aux sommes suivantes :

rappel de salaire au titre des heures

supplémentaires : 18 190,12 euros

congés payés afférents : 1 819,01 euros

complément du 13ème mois : 1 515,85 euros

dommages et intérêts pour manquement à

l’obligation de sécurité : 1 000,00 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse : 29 196,24 euros

Dit que l’AGS CGEA doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail dans la limite du plafond 6 à défaut de fonds disponibles, laquelle garantie ne s’applique pas à l’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société SNIC la créance de Pôle emploi au titre du remboursement aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à Mme [N] [T] dans la limite de huit jours d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;

Y ajoutant,

Condamne la société SNIC aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;

Condamne les organes de la procédure collective de la société SNIC ès qualités à payer à Mme [N] [T] la somme globale de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute les organes de la procédure collective de la société SNIC de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente

 


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