Conclusions d’appel : 12 octobre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/03756

·

·

Conclusions d’appel : 12 octobre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/03756

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 12 OCTOBRE 2023

N° 2023/626

Rôle N° RG 23/03756 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BK6GV

[B] [H]

C/

[R] [Y] [F]

S.A.S. MORETTI BOISSONS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Matthieu MOLINES

Me Stéphanie DEIRMENDJIAN

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire d’AIX EN PROVENCE en date du 19 juillet 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/01492.

APPELANT

Monsieur [B] [H]

(intimé dans le dossier RG 22/11453)

né le 20 janvier 1971 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Matthieu MOLINES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

Madame [R] [Y] [F]

née le 11 mars 1948, venant aux droits de Madame [K] [P], décédée,

demeurant [Adresse 1]

représentée par son mandataire la SAS REGIE IMMOBILIERE ICIMA dont le siège social est situé [Adresse 4]

représentée par Me Stéphanie DEIRMENDJIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A.S. MORETTI BOISSONS

dont le siège social est situé [Adresse 2]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 05 septembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 16 mars 2004, Mme [K] [P] a donné à bail commercial à la SARL Marti Boissons un local situé [Adresse 2] (13 170).

Mme [R] [Y] [F] vient aux droits de Mme [K] [P].

La SARL Marti Boissons a vendu son fonds de commerce, par acte du 30 avril 2010, à M. [B] [H], lequel le revendait, le 22 novembre 2019, à la SAS Moretti Boissons.

Le 1er octobre 2020, Mme [Y] [F] a délivré à la SAS Moretti Boissons un commandement de payer la somme principale de 14 110,03 euros visant la clause résolutoire insérée au bail.

Le commandement de payer étant demeuré infructueux, Mme [Y] [F] a fait assigner la SAS Moretti Boissons et M. [B] [H] devant le juge des référés du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, d’ordonner l’expulsion du locataire et de condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 29 644,62 euros à titre provisionnel au titre de l’arriéré locatif.

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 19 juillet 2022, ce magistrat a :

– constaté à effet au 1er novembre 2020 la résiliation du bail commercial ;

– dit que, faute pour la SAS Moretti Boissons de libérer les locaux dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, il serait procédé, avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier, à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, avec séquestration des meubles sur place ou dans un garde-meuble à ses frais et risques ;

– condamné solidairement la SAS Moretti Boissons et M. [B] [H] à payer à Mme [R] [Y] [F] la somme provisionnelle de 29 644,82 euros au titre des loyers et accessoires dus au 21 juin 2021, incluant le loyer du mois de juin 2021 ;

– condamné solidairement la SAS Moretti Boissons et M. [B] [H] à payer à Mme [R] [Y] [F], à titre provisionnel, une indemnité mensuelle d’occupation de 1 397 euros à compter du 1er juillet 2021 et jusqu’à libération effective et totale des lieux ;

– condamné solidairement la SAS Moretti Boissons et M. [B] [H] à payer à Mme [R] [Y] [F] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné solidairement la SAS Moretti Boissons et M. [B] [H] aux dépens de la procédure, incluant le coût du commandement de payer du 1er octobre 2020 et de l’assignation du 7 octobre 2021.

Suivant deux déclarations au greffe transmises les 29 juillet et 8 août 2022, M. [B] [H] et la SAS Moretti Boissons ont interjeté appel de l’ordonnance susvisée en toutes ses dispositions.

Ces affaires ont été jointes par ordonnance en date du 5 octobre 2022 pour se poursuivre sous le numéro de RG 22/11067.

Par ordonnance d’incident en date du 2 mars 2023, le président de la chambre 1-2 a notamment prononcé la radiation de l’affaire en disant qu’elle ne sera réinscrite au répertoire général que sur justification par M. [H] de l’exécution partielle de la décision entreprise par le paiement de la somme de 1 000 euros à Mme [Y] [F] correspondant à ses frais irrépétibles et/ou de par la SAS Moretti Boissons de l’exécution intégrale de la décision déférée.

Justifiant avoir réglé la somme de 1 000 euros, M. [H] a sollicité, par courrier en date du 9 mars 2023, le réenrôlement de l’affaire, ce qui lui sera accordé, l’affaire étant réinscrite sous le numéro de RG 23/03756.

Aux termes de ses dernières écritures transmises le 10 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, M. [B] [H] demande à la cour de réformer l’ordonnance entreprise et statuant à nouveau de :

– renvoyer Mme [U] [F] à mieux se pourvoir en l’état de contestations sérieuses ;

– la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner aux dépens.

Pour s’opposer à sa condamnation solidaire avec la SAS Moretti Boissons à régler, à titre provisionnel, un arriéré locatif, il se prévaut de plusieurs contestations sérieuses, à savoir :

– que la clause de garantie solidaire insérée dans l’acte de cession du 20 mars 2019, et non du 24 juin 2019, est limitée dans le temps en application de l’article L 145-16-2 du code de commerce qui dispose que, si la cession d’un bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l’invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, de sorte qu’il ne peut être tenu des créances nées postérieurement au 20 mars 2022 ;

– que la clause de garantie solidaire insérée dans l’acte de cession doit faire l’objet d’une interprétation en ce qu’elle vise des obligations contradictoires dès lors qu’elle indique que le preneur cédant sera garant conjointement et solidairement avec son cessionnaire ;

– qu’il n’a été informé que le 7 octobre 2021 du défaut de paiement de la SAS Moretti Boissons et ce, alors même que l’article L 145-16-1 du code de commerce énonce que le cédant doit être informé de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci ;

– que la clause de garantie solidaire insérée dans l’acte de cession doit être limitée à la durée du bail d’origine, lequel s’est éteint le 16 mars 2013, soit à l’expiration du délai de 9 ans fixé initialement en application des articles 145-9 du code du commerce et 1738 du code civil.

Aux termes de ses dernières écritures transmises le 31 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la SAS Moretti Boissons demande à la cour de réformer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de :

– lui accorder les plus larges délais de paiement pour s’acquitter de sa dette ;

– suspendre les effets de la clause résolutoire ;

– débouter Mme [Y] [F] de ses demandes ;

– la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner aux dépens avec distraction au profit de Me Maud Daval-Guedj, sur son offre de droit.

Elle expose avoir rencontré des difficultés en raison des décisions qui ont été prises pour limiter la propagation de la Covid-19 en ce qu’elle a été contrainte de fermer son établissement au public à compter du 15 mars 2020. Elle indique qu’elle envisage de céder son fonds de commerce dans les prochains mois, ce qui lui permettra de procéder au règlement de sa dette.

Aux termes de ses dernières écritures transmises le 7 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, Mme [Y] [F] demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance entreprise ;

– condamner solidairement M. [H] et la SAS Moretti Boissons à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle s’oppose aux délais de paiement sollicités par la locataire faisant valoir que la dette continue à s’accroître dès lors qu’elle n’a toujours pas quitté les lieux et qu’elle ne verse aux débats aucun élément comptable justifiant qu’elle n’a perçue aucune aide de l’Etat dans le cadre de la crise sanitaire. Elle relève que l’échéancier qui avait été convenu après l’audience du 16 novembre 2021 n’a pas été respecté.

Elle affirme que l’obligation du cédant de régler l’arriéré locatif, solidairement avec la locataire, ne se heurte à aucune contestation sérieuse dès lors que l’acte de cession comporte dans un article 7 (en page 9) une clause de garantie solidaire. Elle expose :

– que l’acte de cession du fonds de commerce ne date pas du 20 mars 2019 mais bien du 24 juin 2019, le 20 mars 2019 correspondant à la date de la signature d’un avant-contrat puisque la réalisation de la cession était soumise à la condition suspensive d’obtention d’un prêt par le cessionnaire, de sorte que le délai de trois ans prévu à l’article 145-16-2 du code de commerce a expiré en juin 2022 ;

– qu’il est clairement stipulé en page 9 de la cession du fonds de commerce, dernier paragraphe, que le cédant demeurera garant solidaire de son cessionnaire vis-à-vis du bailleur pour le paiement du loyer et l’exécution de toutes les conditions de bail, de sorte que la clause litigieuse ne doit faire l’objet d’aucune interprétation ;

– que le défaut de respect par le bailleur de son obligation d’information n’est pas de nature à lui faire perdre le bénéfice de la garantie du cédant et que l’appréciation d’une éventuelle faute excède les pouvoirs du juge des référés, sachant que M. [H] ne démontre pas avoir perdu une chance de réduire la dette en intervenant auprès de son cessionnaire en temps utile, la dette n’ayant de cesse de s’accroître depuis son intervention auprès de la SAS Moretti Boissons ;

– que le bail signé le 14 mars 2004 ne s’est pas éteint le 16 mars 2013 mais a été tacitement reconduit d’année en année en application de l’article 145-9 du code de commerce.

La clôture de l’affaire a été prononcée par ordonnance en date du 27 juin 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’étendue de la saisine de la cour

En vertu de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication, pour chaque prétention, des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens demande la confirmation du jugement, est réputée s’en approprier les motifs.

Il résulte de ces dispositions que si l’appelant se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à l’infirmation d’une ordonnance, sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans cette décision, la cour n’est pas saisie de prétentions relatives à ces demandes.

En l’espèce, si M. [H] sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation de l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dûment reprises, il n’entend en réalité discuter que les chefs de l’ordonnance entreprise qui l’a condamné, solidairement avec la SAS Moretti Boissons, à verser à Mme [Y] [F] diverses sommes à titre provisionnel, outre les frais irrépétibles et les dépens.

De la même manière, si la SAS Moretti Boisons demande, par un appel incident, dans le dispositif de ses conclusions la réformation de l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, elle ne formule aucune prétention tendant à débouter Mme [Y] [F] de ses demandes formées à son encontre aux fins de constatation de la résiliation du bail et de paiement à diverses sommes à titre provisionnel. En effet, elle se contente de formuler une demande reconventionnelle tendant à obtenir des délais de paiement et, partant, la suspension des effets de la clause résolutoire et de la mesure d’expulsion.

En conséquence, la cour, qui n’est saisie d’aucune prétention relative à la constatation de la résiliation du bail et au montant des sommes provisionnelles allouées, ne peut statuer sur les dispositions de l’ordonnance entreprise qui ne lui ont pas été déférées.

Sur les délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire et de la mesure d’expulsion sollicités par la SAS Moretti Boissons

L’alinéa 2 de l’article L 145-41 du code de commerce dispose que les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l’autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, dans la limite deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

En l’espèce, à l’examen des décomptes, il apparaît que la société Moretti Boissons a cessé de régler régulièrement ses loyers avant les circonstances exceptionnelles résultant de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Son compte présentait un solde débiteur de 3 248,07 euros au 31 décembre 2019 et de 5 725,19 euros au 31 mars 2020.

De plus, la société Moretti Boissons, qui sollicite des délais de paiement, n’a jamais repris le paiement de ses loyers et charges courants, que ce soit avant ou après l’ordonnance entreprise, l’arriéré locatif continuant à s’accroître. Alors qu’il était de 29 644,82 euros à la date du 21 juin 2021, il était de 38 414,30 euros à la date du 10 mai 2022. Les décomptes font ressortir que la plupart des paiements effectués par le preneur par chèques en 2020 et 2021 sont revenus impayés, excepté les règlements effectués en espèces les 15 octobre (2 500 euros), 3 novembre (2 500 euros) et 15 novembre 2021 (3 000 euros). Les échéances trimestrelles couvrant les périodes des 1er janvier au 31 mars 2022 et 1er avril au 30 juin 2022 n’ont pas été réglées.

Enfin, la société Moretti Boissons, qui se contente de faire état d’impayés en raison des mesures prises lors de la crise sanitaire, ne justifie aucunement de ses capacités financières à apurer sa dette locative en 24 mois, outre le fait que la bailleresse n’a pas à pâtir indéfiniment des difficultés rencontrées par sa locataire pour régler ses loyers et charges aux termes convenus.

Il y a donc lieu de débouter la société Moretti Boissons de sa demande de délais de paiement et, partant, de ses demandes de voir suspendre les effets de la clause résolutoire et de la mesure d’expulsion.

Sur la condamnation solidaire, à titre provisionnel, de M. [H]

Par application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Ils ne peuvent donc accorder qu’une provision au créancier, à l’exclusion du prononcé de toute condamnation définitive.

Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Enfin, c’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ce moyen.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la cession du bail commercial au profit de la société Moretti Boissons, cessionnaire, s’est accompagnée d’une clause de garantie de M. [H], cédant, au bénéfice de Mme [Y] [F], bailleresse.

C’est ainsi que l’article 7 des conditions générales du bail commercial en date du 16 mars 2004 stipule (en pages 3 et 4) :

7/3 – En outre, le preneur cédant sera garant conjointement et solidairement avec son cessionnaire et tous cessionnaires successifs, du paiement des loyers et accessoires ainsi que de toutes indemnités d’occupation et, plus généralement, de l’exécution des clauses et conditions du présent bail.

7/4 – En conséquence, tous les locataires successifs, mêmes ceux qui, ayant cédé leur droit au bail, n’occuperaient plus les lieux, seront tenus solidairement entre eux, à l’égard du bailleur, du paiement des loyers et charges et de l’exécution de toutes les clauses et conditions du bail, sans qu’ils puissent opposer le bénéfice de discussion ou de division.

L’acte de cession notarié en date du 24 juin 2019 du fonds de commerce par M. [H] à la SAS Moretti Boissons rappelle (en page 7) les dispositions de l’article 7 susvisé, de même que le paragraphe intitulé ‘OBLIGATION DE SOLIDARITE’ (en page 9), ainsi que les dispositions de l’article L 145-16-2 du code de commerce avant de conclure de la façon suivante : En conséquence, et dans les limites indiquées, le CEDANT demeurera garant solidaire de son CESSIONNAIRE, vis-à-vis du BAILLEUR pour le paiement du loyer et l’exécution de toutes les conditions du bail, et cette obligation de garantie s’étendra à tous les cessionnaires éventuels.

Contestant son obligation de régler les provisions revendiquées par la bailleresse, solidairement avec la société Moretti Boissons, M. [H] élève quatre contestations.

S’agissant du moyen tiré de l’interprétation nécessaire des clauses du bail, même si l’expression ‘conjointement et solidairement’ est à proscrire, en ce que les débiteurs conjoints ne sont responsables que de leur part respective dans la dette tandis que les débiteurs solidaires sont chacun responsables de la totalité, les clauses insérées dans le bail commercial se réfèrent expressément à une obligation de solidarité du cessionnaire et cédant au paiement des loyers et accessoires ainsi que de toutes indemnités d’occupation. Il convient d’ailleurs de relever que seul le terme de ‘solidarité’ est mentionné au paragraphe 7/4 susvisé des conditions générales du contrat de bail, de même que dans l’acte de cession en date du 24 juin 2019.

Il en résulte qu’aucune interprétation des clauses susvisées n’est nécessaire pour considérer que la garantie du cédant s’applique solidairement, de sorte que ce moyen ne saurait constituer une contestation sérieuse permettant au cédant de se dédouaner de la clause de solidarité.

S’agissant du moyen tiré de la fin du bail d’origine le 16 mars 2013, et dès lors de la non application de la clause de garantie susvisée, l’article 145-9 du code de commerce énonce que, par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis aux dispositions du présent chapitre ne cessent que par l’effet d’un congé donné pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l’avance. A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se poursuit par tacite reconduction au-delà du terme fixé par le contrat, conformément à l’article 1738 du code civil et sous les réserves prévues à l’alinéa précédent. Le bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation ne cesse, au-delà de la durée de neuf ans, que par l’effet d’une notification faite six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil. Cette notification doit mentionner la réalisation de l’événement prévu au contrat. S’agissant d’un bail comportant plusieurs périodes, si le bailleur dénonce le bail à la fin des neuf premières années ou à l’expiration de l’une des périodes suivantes, le congé doit être donné dans les délais prévus à l’alinéa premier ci-dessus. Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Par ailleurs, l’article 1738 du code civil énonce que si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit.

Il résulte de ces dispositions que le bail commercial ne prend pas automatiquement fin au terme du contrat. A la fin du bail, le bailleur notifie un congé avec ou sans offre de renouvellement ou le locataire donne congé ou fait une demande de renouvellement du bail. Lorsque le locataire et le bailleur ne se manifestent pas, le bail se prolonge alors tacitement pour une durée indéterminée. On parle alors de tacite prolongation.

En l’absence de renouvellement du bail signé le 16 mars 2004, lequel s’est poursuivi tacitement à compter du 16 mars 2013, il n’y a pas eu, comme l’affirme M. [H], de formation de nouveau bail commercial, de sorte que les dispositions prévues au contrat du 16 mars 2004, en en particulier la clause de garantie solidaire du cédant au bénéfice du bailleur, continuent de s’appliquer.

Dans ces conditions, M. [H] ne peut sérieusement se prévaloir de l’existence d’un nouveau bail à compter du 16 mars 2013 pour contester son obligation de régler les provisions sollicitées au regard de la clause de garantie solidaire insérée dans le bail d’origine qui n’aurait pas été reprise dans le prétendu nouveau bail.

S’agissant du moyen tiré de l’application de l’article L 145-16-2 du code de commerce, qui énonce que, si la cession du bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l’invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, ce délai a commencé à courir, à l’évidence, à compter du 24 juin 2019, date de la réitération de l’acte de cession. En effet, le compromis signé le 20 mars 2019 sous plusieurs conditions suspensives, et en particulier de l’obtention d’un prêt par le cessionnaire, qui stipule de manière erronée (en page 4) que le bail ne comporte aucune clause de garantie solidaire, ne peut vraisemblablement correspondre à la date de cession effective du bail à laquelle se réfère l’article L 145-16-2 susvisé pour calculer le délai triennal.

Dans ces conditions, et dès lors qu’il n’est pas contesté que la clause de garantie solidaire s’étend expressément aux indemnités d’occupation qui seraient dues, l’obligation de M. [H] de régler les indemnités d’occupation postérieurement au 24 juin 2022 se heurte à une contestation sérieuse.

S’agissant enfin du moyen tiré du défaut d’information du cédant, il résulte de l’article L 145-16-1 du code de commerce que, si la cession du bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, ce dernier informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci.

En l’absence de sanction spécifique prévue par la loi, il appartient aux juges d’apprécier les diligences du bailleur dans le cadre de l’obligation d’information du cédant, le premier ne devant pas se montrer négligent dans le recouvrement de sa créance et devant agir dans les délais raisonnables. Il leur appartient d’apprécier les conséquences susceptibles d’être tirées du manquement allégué en appréciant, au cas par cas, le préjudice, les circonstances aggravantes ou les pertes de chance imputables au défaut d’information préalable. Il est donc admis que la garantie du cédant peut ne pas jouer pas en cas de négligence fautive du bailleur. En effet, le bailleur qui n’avertit pas le garant du non-paiement des loyers par le cessionnaire et qui laisse s’accumuler la dette sans agir est susceptible de perdre totalement ou partiellement son recours étant donné que le poids de sa faute n’a pas à peser sur le cédant alors même que le bailleur bénéficie dans le bail d’une clause résolutoire.

En l’occurrence, alors même que le compte de la société Moretti Boissons est débiteur depuis la cession du bail en juin 2019, tel que cela a été examiné ci-dessus, M. [H] n’a été informé de l’arriéré locatif que dans le cadre de son assignation devant le premier juge le 7 octobre 2021, soit à un moment où l’arriéré locatif était de 33 837,04 euros, échéance trimestrielle du 1er juillet au 30 septembre 2021 incluse. Il convient de relever que la bailleresse n’a jamais informé M. [H] du commandement de payer délivré à la société Moretto Boissons le 1er octobre 2020, alors même que l’arriéré locatif était déjà de 14 110,03 euros, échéance trimestrielle du 1er juillet au 30 septembre 2020 incluse, pas plus que durant toute l’année qui s’est écoulée du 1er octobre 2020 au 7 octobre 2021, date de l’acte introductif d’instance, tout en sachant que le preneur a attendu d’être assigné pour régler la somme de 8 000 euros en octobre et novembre 2021 et que la clause de garantie solidaire arrivait, à l’évidence, à expiration le 24 juin 2022, soit moins de 9 mois après, et au moment même où l’ordonnance entreprise a été rendue le 19 juillet 2022.

Si les parties s’opposent sur la portée de l’article L 145-16-1 du code de commerce quant à l’obligation de paiement en cas de défaut d’information du garant, il n’en demeure pas moins que, compte tenu de ce qui précède, un doute subsiste sur le sens de la décision que pourrait prendre le juge du fond s’il venait à être saisi.

Un telle discussion relevant du juge du fond et non du juge des référés, juge de l’évidence, la contestation élevée sur ce dernier point doit être qualifiée de sérieuse, ce qui s’oppose aux demandes de provisions formées par Mme [Y] [F] à l’encontre de M. [H].

Il y a donc lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné M. [H], solidairement avec la SAS Moretti Boissons, à payer à Mme [Y] [F] la somme provisionnelle de 29 644,82 euros au titre des loyers et accessoires dus au 21 juin 2021, incluant le loyer du mois de juin 2021, outre une indemnité mensuelle d’occupation, à titre provisionnel, de 1 397 euros à compter du 1er juillet 2021 et jusqu’à libération effective et totale des lieux.

Mme [Y] [F] sera déboutée de ses demandes de provisions formées à l’encontre de M. [H].

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Mme [Y] [F], succombant en appel à l’égard de M. [H] mais pas à l’égard de la SAS Moretti Boissons, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné M. [H], solidairement avec la SAS Moretti Boissons, aux dépens de première instance et à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, mais de la confirmer en ce qu’elle a condamné la SAS Moretti Boissons de ces chefs.

En tant que partie perdante à l’égard de M. [H], Mme [Y] [F] sera tenue aux entiers dépens de la procédure d’appel, avec distraction au profit de Me Maud Daval-Guedj, sur son offre de droit, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera donc déboutée de sa demande formulée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés non compris dans les dépens.

Enfin, l’équité commande de la condamner à verser à M. [H] la somme de 3 000 euros sur le même fondement.

En revanche, dès lors que la SAS Moretti Boissons succombe en son appel incident, l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur, de sorte qu’elle sera déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de l’appel ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné solidairement M. [B] [H] à payer à Mme [R] [Y] [F] :

– la somme provisionnelle de 29 644,82 euros au titre des loyers et accessoires dus au 21 juin 2021, incluant le loyer du mois de juin 2021 ;

– une indemnité mensuelle d’occupation, à titre provisionnel, de 1 397 euros à compter du 1er juillet 2021 et jusqu’à libération effective et totale des lieux ;

– la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– aux dépens de la procédure, incluant le coût du commandement de payer du 1er octobre 2020 et de l’assignation du 7 octobre 2021.

La confirme en toutes ses autres dispositions critiquées ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Déboute la SAS Moretti Boissons de sa demande de délais de paiement et, partant, de suspension des effets de la clause résolutoire et de la mesure d’expulsion ;

Déboute Mme [R] [Y] [F] de ses demandes formées à l’encontre de M. [B] [H] au titre des provisions, des frais irrépétibles et des dépens de première instance ;

Condamne Mme [R] [Y] [F] à verser à M. [B] [H] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés non compris dans les dépens ;

Déboute Mme [R] [Y] [F] de sa demande formulée sur le même fondement ;

Déboute la SAS Moretti Boissons de sa demande formulée sur le même fondement ;

Condamne Mme [R] [Y] [F] aux dépens de la procédure d’appel, avec distraction au profit de Me Maud Daval-Guedj, sur son offre de droit, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière Le président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x