Comptes courants d’associés : 9 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06057

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Comptes courants d’associés : 9 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/06057

9 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG
21/06057

Pôle 5 – Chambre 8

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 9 MAI 2023

(n° / 2023, 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06057 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDMZF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de MEAUX – RG n° 2020007837

APPELANT

Monsieur [K] [I] [U]

Né le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 6] (GUADELOUPE)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050,

INTIMÉS

S.C.P. [V] HAZANE, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL TRANSPORTS MARIGNY, dont le siège social est situé [Adresse 4], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 509 337 176, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de MEAUX du 8 avril 2019,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 500 966 999,

Dont le siège social est situé [Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée et assistée de Me Jean-Charles NEGREVERGNE de la SELAS NEGREVERGNE-FONTAINE-DESENLIS, avocat au barreau de MEAUX, toque 10,

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 3 août 2021, et ses observations orales lors de l’audience.

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

Exposé du litige

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

La SARL Transports Marigny exploitait une activité de transport routier de marchandises. Elle a été créée en 2008 en Guadeloupe, puis son siège social a été transféré à [Localité 7] en novembre 2017. Mme [U] en a été la gérante jusqu’en 2014, date à laquelle son conjoint, M.[K] [U], lui a succédé à cette fonction.

Sur requête du ministère public et par jugement du 11 mars 2019, le tribunal de commerce de Melun, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Transports Marigny, fixé la date de cessation des paiements au 12 septembre 2017 et désigné la SCP [V]-Hazane comme mandataire judiciaire. Le redressement a été converti en liquidation judiciaire le 9 avril 2019, la SCP [V]-Hazane étant désignée liquidateur judiciaire.

Le16 juillet 2020, le liquidateur judiciaire a fait assigner M.[K] [U], gérant de la Sarl Transports Marigny, devant le tribunal de commerce de Meaux pour voir prononcer à son encontre une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique, lui reprochant d’avoir tenu une comptabilité incomplète, compte tenu de l’absence d’établissement des bilans 2017 et 2018, et d’avoir sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société dans le délai légal.

Par jugement du 15 mars 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Meaux a dit les griefs caractérisés et a prononcé à l’encontre de M.[U] une interdiction de gérer pendant une durée de 5 ans.

M.[U] a relevé appel de ce jugement le 29 mars 2021.

Moyens

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 juin 2021, M.[U] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter la SCP Philippe [V]-Denis Hazane, ès qualités, de toutes ses demandes, de juger n’y avoir lieu de prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de gérer et statuer ce que de droit quant aux dépens.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 25 août 2021, la SCP Philippe [V]-Denis Hazane, en la personne de Maître [V], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Marigny Transports, demande à la cour de confirmer que M.[U] a bien commis les fautes prises de l’absence de comptabilité régulière, de la poursuite de l’activité déficitaire dans un intérêt personnel et de l’absence de déclaration de la cessation des paiements dans un délai de 45 jours, de nature à justifier une interdiction de gérer toute société, en conséquence de confirmer le jugement déféré et de condamner M [U] à lui payer une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans son avis notifié par RPVA le 3 août 2021, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement déféré sur le principe en ce qu’il a condamné

M. [U] à une mesure d’interdiction de gérer, les deux griefs visés dans l’assignation étant constitués, mais de ramener la durée de la sanction à 4 ans .

Motivation

SUR CE

Le grief relatif à la poursuite de l’activité déficitaire dans un intérêt personnel, prévu par l’article L653-4 4° du code de commerce, n’étant articulé que dans les conclusions d’intimé du liquidateur judiciaire et non dans l’assignation introductive d’instance qui a abouti au jugement déféré, ne sera pas examiné par la cour.

M.[U] conteste l’ensemble des griefs qui lui sont reprochés et fait valoir qu’il ne peut lui être imputé les dettes sociales nées antérieurement à sa nomination comme gérant en 2014.

– sur la tenue d’une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière

Aux termes de l’article L653-5, 6° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L653-1 contre laquelle a été relevé le fait d’avoir fait disparaître des documents comptables, de ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou d’avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

Il n’est pas contesté qu’à la date de l’ouverture de la procédure collective, les derniers comptes établis étaient ceux de l’exercice clos au 31 décembre 2016, et que les bilans 2017 et 2018 ont été communiqués au liquidateur judiciaire, comme l’atteste la transmission de l’expert comptable, quelques jours avant l’audience du 18 janvier 2021, au cours de laquelle il a été débattu des griefs sur lesquels le liquidateur judiciaire fondait sa demande d’interdiction de gérer.

Il résulte également des énonciations du jugement que l’avocat de M.[U] a déposé à l’audience les bilans 2017 et 2018.

Le liquidateur judiciaire déclare qu’en communiquant en 2021 les bilans 2017 et 2018 M. [U] démontre lui-même que les exigences prévues à

l’article L 123-12 du code de commerce n’ont pas été respectées et que cette faute est particulièrement grave car la comptabilité constitue l’outil de pilotage de l’entreprise. Il ajoute que M. [U] reconnaît lui-même que le précédent comptable n’a pas achevé sa mission faute d’avoir été réglé et que c’est délibérément que cette comptabilité n’a pas été tenue régulièrement dans l’intérêt personnel du gérant dont le compte courant d’associé était débiteur.

M.[U] explique que la comptabilité avait été tenue mais ne pouvait être remise du fait du comptable qui n’a pas reçu les éléments de la part du précédent comptable de la société, d’une part, et, d’autre part, du fait que, non payé de ses honoraires, l’expert-comptable a opposé un droit de rétention.

Il ressort tant des explications de M.[U] que de celle du comptable qu’il a mandaté lors de son installation en Ile de France, le 14 février 2017, que les écritures comptables n’ont pas été établies au fil du temps et clôturées à la fin de chaque exercice mais ont été effectuées rétroactivement en 2021 par le nouvel expert-comptable qui a pu, d’une part, obtenir de son prédécesseur les éléments nécessaires uniquement

le 14 mars 2019, et qui a interrompu sa mission en janvier 2019 du fait du non paiement de ses honoraires.

Aux termes de l’article L123-12 du code de commerce toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise et ce de façon chronologique au jour le jour et établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ainsi que le relève le liquidateur, la tenue régulière et en temps réel de la comptabilité constitue un élément indispensable de pilotage de l’entreprise.

Le non paiement des honoraires des deux experts comptables, imputable au dirigeant, ne saurait exonérer ce dernier de son obligation d’établissement des comptes. La remise des bilans 2017 et 2018 dans le cadre de la procédure aux fins de sanction ne saurait davantage exonérer M.[U] du manquement qui lui est reproché, dès lors que cette remise tardive est la conséquence d’un établissement des comptes a posteriori.

Ce grief est en conséquence caractérisé.

– sur l’omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal

Selon l’article L 653-8 du code de commerce, une interdiction de gérer peut être prononcée à l’égard de toute personne mentionnée à l’article L653-1 qui a sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.

La date de cessation des paiement a été fixée dans le jugement d’ouverture, sans avoir été remise en question ultérieurement, au 12 septembre 2017, de sorte que la cessation des paiements aurait dû être déclarée au plus tard le 26 octobre 2017. La date de cessation des paiements fixée par un jugement devenu irrévocable s’imposant au juge de la sanction en vertu de l’article R 653-1 alinéa 2 du code de commerce, il est constant que M.[U] n’a effectué aucune déclaration de cessation des paiements dans le délai légal.

M.[U] réfute toutefois le caractère délibéré de cette omission, faisant valoir qu’il était dans l’attente des documents comptables pour prendre position, car, novice dans les affaires, il n’avait pas tous les éléments comptables en sa possession pour apprécier la situation de sa société.

Le liquidateur objecte que c’est bien en toute connaissance de cause, compte tenu de l’ancienneté des dettes sociales et fiscales, que M.[U] n’a pas procédé à la déclaration de cessation des paiements, soulignant que cette situation lui permettait de conserver ses revenus ainsi que son compte courant d’associé débiteur.

Il résulte du rapport du liquidateur judiciaire en date du 14 avril 2020 que le passif déclaré s’élève à 619.760,36 euros dont 494.754,36 euros à titre échu, que l’actif recouvré se chiffre à 63.668,40 euros et que selon M.[U] les difficultés rencontrées par l’entreprise seraient liées au développement de l’activité en métropole, à son propre déménagement en région parisienne qui aurait désorganisé l’activité installée en Guadeloupe, à l’absence de mesures prises pour endiguer l’exploitation déficitaire du site de Guadeloupe, au départ du salarié détenteur de la capacité de transport qui aurait aggravé les difficultés.

Il résulte des pièces versées aux débats et notamment de celles recueillies lors de l’enquête préalable au jugement d’ouverture, que la créance fiscale née en Guadeloupe antérieurement au transfert du siège social, se chiffrait à 42.033,29 euros, que si la société Marigny Transports respectait bien ses obligations déclaratives en matière de TVA, il n’en était pas de même pour l’impôt sur les sociétés, que de nombreux impayés à hauteur de 20.378 euros ont été constatés d’avril à septembre 2018, que l’URSSAF, principal créancier, fait état de défaut de paiement des cotisations depuis le quatrième trimestre 2015 d’un montant de 48.361,09 euros jusqu’en mai 2018, qu’en outre les comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2016 faisaient ressortir une perte de l’ordre de 50.000 euros, que le cumul des pertes depuis 2015 se chiffre à 287.728 euros en 2018, que les bilans 2017 et 2018 font apparaître une chute de 30% du chiffre d’affaires et des capitaux propres négatifs en 2018.

Le tribunal a, à juste titre, relevé l’ancienneté des dettes sociales. Si une petite partie des dettes est née sous la gérance de son épouse avant 2014 et n’est pas imputable à la gestion de M.[U], cette circonstance n’a pas empêché ce dernier de connaître la réalité de la situation financière de la société et l’état de cessation des paiements au 12 septembre 2017, alors qu’il avait repris la direction de la société en 2014 et que l’administration fiscale et l’Urssaf ont tenté des recouvrements forcés de leurs créances.

Dès lors, M.[U] ne peut sérieusement soutenir qu’il ne savait pas que la société était structurellement en perte et que dès le transfert de son siège social en région parisienne, cette société, qu’il dirigeait, se trouvait dans l’incapacité de régler son passif exigible avec son actif disponible. Il sera surabondamment observé que le solde débiteur de son compte courant d’associé (-30.630 euros) n’était pas de nature à inciter M.[U] à se conformer à l’obligation de déclarer la cessation des paiements.

Il s’ensuit que ce grief est caractérisé.

– Sur la sanction

M.[U], âgé de 41 ans, n’a pas fait connaître sa situation actuelle.

La sanction prononcée et sa durée étant adaptées à la gravité des deux fautes retenues, lesquelles caractérisent la méconnaissance flagrante d’obligations qui s’imposent à tout chef d’entreprise et aux circonstances et conditions de leur commission, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M.[U] sera condamné aux dépens d’appel.

Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M.[U] aux dépens d’appel.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 

 


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