8 novembre 2022
Cour d’appel de Reims
RG n°
21/01126
1ere Chambre sect.Civile
ARRET N°
du 08 novembre 2022
N° RG 21/01126 – N° Portalis DBVQ-V-B7F-FANB
[M]
c/
[K]
Formule exécutoire le :
à :
Me Diégo DIALLO
Me Sandy HARANT
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2022
APPELANT :
d’un jugement rendu le 18 mai 2021 par le Tribunal de Commerce de REIMS
Monsieur [U] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Diégo DIALLO, avocat au barreau de REIMS
INTIME :
Maître [Y] [K] agissant en sa qualité de Mandataire Judiciaire à la Liquidation Judiciaire de la SARL AU CHANTILLY, fonctions auxquelles elle a été nommée selon ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de REIMS le 3/01/2019
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Sandy HARANT, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées, elles ont rendu compte à la cour dans son délibéré
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère
Madame Florence MATHIEU, conseillère
GREFFIER :
Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier lors du prononcé
DEBATS :
A l’audience publique du 26 septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 novembre 2022,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 08 novembre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par jugement du 13 décembre 2016, le tribunal de commerce de Reims a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL Au Chantilly dont M. [U] [M] était le gérant puis le liquidateur amiable et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 2 octobre 2016.
Maître [K] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal de commerce a ordonné le report de la date de cessation des paiements au 13 juin 2015.
Parallèlement à cette procédure, le liquidateur a adressé au procureur de la République un rapport aux fins de sanction (faillite personnelle).
Par jugement du 26 décembre 2018, le tribunal de commerce de Reims a condamné M. [M] à une mesure de faillite personnelle d’une durée de cinq ans pour avoir procédé à deux virements à son profit pour un montant total de 48 470,51 euros et ne pas avoir tenu de comptabilité depuis l’exercice clos au 28 février 2015.
M. [M] a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 28 janvier 2020, la cour a jugé que le virement effectué le 10 mars 2015 de la somme de 34 075, 21 euros constituait un détournement d’actif mais que les griefs tenant à l’absence de comptabilité et au détournement d’actif de la somme de 14 395,30 euros au profit de Mme [M] ne pouvaient être retenus à l’encontre de M. [M].
La sanction personnelle a été réduite à 18 mois.
Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi.
Se prévalant du fait que la cour d’appel avait considéré que le virement correspondant au remboursement partiel du compte courant de M. [M] était constitutif d’un détournement d’actif, Maître [K] ès-qualités a assigné le 2 mars 2020 M. [M] devant le tribunal de commerce de Reims sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour le voir condamner au paiement de la somme de 34 075,21 euros.
La demande a été contestée.
Par jugement du 18 mai 2021, le tribunal a fait droit à la demande et a condamné M. [M] à payer à Maître [K] ès-qualités la somme de 34 075,21 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2015, outre la capitalisation des intérêts et sa condamnation au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue le 10 juin 2021, M. [M] a formé appel de ce jugement.
Par ordonnance d’incident du 22 février 2022, le conseiller de la mise en état a débouté Maître [K] ès-qualités de son incident de radiation.
Moyens
Par conclusions notifiées le 5 août 2022, M. [M] demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
A titre liminaire,
– annuler le jugement,
dire et juger que le tribunal de commerce de Reims est incompétent au profit du tribunal judiciaire de Reims,
– constater la prescription de l’action de Maître [K] ès-qualités et déclarer en conséquence irrecevable sa demande,
En tout état de cause,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2021,
– débouter Maître [K] ès-qualités de toutes ses demandes,
– la condamner à lui payer la somme de 5000 euros pour procédure abusive et injustifiée,
– la condamner à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux dépens de l’instance.
Par conclusions notifiées le 28 février 2022, Maître [K] ès-qualités demande à la cour de:
– déclarer l’appel recevable mais mal fondé,
En conséquence,
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 18/05/2021,
Vu les articles 450, 455 et 458 du code de procédure civile,
Vu les articles 562 à 567 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
– débouter Monsieur [M] de sa demande de nullité du jugement dans la mesure où ce jugement comporte une motivation, dans la mesure où les formalités liées à un prorogé de délibéré ne sauraient entraîner la nullité du jugement, et surtout dans la mesure où la cour se doit de statuer sur le fond du dossier et de rendre un arrêt qui comportera une motivation, compte tenu de l’effet dévolutif de l’appel.
Vu l’article L 721-3 du code de commerce,
Vu l’article 90 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
– confirmer le jugement en ce qu’il s’est reconnu compétent,
– débouter Monsieur [M] de sa demande d’incompétence, laquelle est sans portée dans la mesure où la cour d’appel de Reims étant juridiction d’appel du tribunal judiciaire de Reims et du tribunal de commerce de Reims elle se doit de statuer sur le fond du litige,
Vu les articles L 622-20 et L 641-4 du code de commerce,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l’article 2224 du code civil,
– rejeter la fin de non recevoir soutenue par l’appelant, dans la mesure où la concluante n’a jamais entendu mettre à sa charge totalement ou partiellement l’insuffisance d’actif et n’a donc jamais agi sur le terrain de l’action en comblement de passif,
– déclarer l’action visant à voir reconnaître la responsabilité délictuelle de Monsieur [M] en raison des détournements opérés le 10/03/2015 recevable car engagée dans le délai de 5 ans de la commission des faits, et en tout état de cause dans le délai de 3 ans de l’article L 223-23 du code de commerce, lequel ne peut courir qu’à compter de la révélation des faits, laquelle n’est intervenue que le 15/09/2015,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces produites aux débats,
– condamner Monsieur [U] [M] à régler à Maître [Y] [K], mandataire liquidateur de la SARL Au Chantilly, une somme de 34 075,21 € augmentée des intérêts au taux légal à dater du 10/03/2015 dans la mesure où Monsieur [U] [M] a prélevé sans explication et sans aucune cause des fonds devant servir au remboursement des créanciers de la société Au Chantilly à son profit, en prélevant sur le compte bancaire de la société une somme de 34 075,21 € le 10/03/2015, à une période où la société rencontrait d’importantes difficultés et n’était pas en capacité de rembourser ses créanciers en totalité,
Vu l’article 1343-2 du code civil,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
En tout état de cause,
Vu l’article 1993 et l’article 1996 du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces produites aux débats,
– condamner Monsieur [U] [M] à régler à Maître [Y] [K], mandataire liquidateur de la SARL Au Chantilly, une somme de 34 075,21 € augmentée des intérêts au taux légal à dater du 10/03/2015, dans la mesure où il n’a jamais rendu compte de l’utilisation des fonds perçus par la société Au Chantilly à la suite de la cession de son droit au bail et de sa licence IV,
Vu l’article 1343-2 du code civil,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
Vu les articles 2241 et 2242 du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
– rejeter l’exception de prescription de Monsieur [M] dans la mesure où l’action a été engagée le 2/03/2020, soit dans le délai de 5 ans du paiement litigieux, qui date du 10/03/2015, étant précisé qu’il ne semble pas même l’avoir reprise dans ses écritures,
Vu l’article 30 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces produites,
– débouter Monsieur [M] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive compte tenu du sérieux des moyens développés et compte tenu de l’absence de preuve d’une quelconque faute commise par la demanderesse,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [U] [M] à régler à Maître [Y] [K], mandataire liquidateur de la SARL Au Chantilly, une somme de 2000 €,
– débouter Monsieur [U] [M] de sa demande de frais irrépétibles,
Vu l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner enfin Monsieur [U] [M] au paiement des entiers dépens tant de première instance que d’appel, lesquels seront recouvrés directement par Maître Sandy Harant, avocat aux offres de droit.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
1° La nullité du jugement
A. Pour défaut d’indication aux parties de la date de prorogation du délibéré
L’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que s’il décide de renvoyer le prononcé du jugement à une date ultérieure, le président en avise les parties par tout moyen. Cet avis comporte les motifs de la prorogation ainsi que la nouvelle date à laquelle la décision sera rendue.
L’appelant soutient que le jugement est nul , le tribunal n’ayant pas averti les parties de la date de prorogation du délibéré.
La disposition telle qu’elle est ci-dessus décrite n’est pas prescrite à peine de nullité.
Il n’existe pas de nullité sans texte.
Ce moyen sera rejeté.
B. Pour défaut de motivation
Aux termes de l’article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.
Cette obligation est prescrite à peine de nullité.
L’appelant soutient que le jugement du tribunal de commerce est dépourvu de motivation, notamment en ce qu’il s’est abstenu de motiver sa décision sur la compétence d’attribution qui était contestée.
Il ressort de la lecture de la décision attaquée que cette disposition a fait l’objet d’une motivation, même si elle est succincte et inappropriée.
Le jugement n’est donc pas dépourvu de motivation.
Ce moyen sera également rejeté.
2° L’incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire de Reims au regard de l’action fondée sur les dispositions de l’article 1240 du code civil
L’article L 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales.
Le tribunal de commerce est compétent si les faits se rattachent par un lien direct à la gestion d’une société commerciale.
M. [M] soutient que seule une action en comblement de passif relèverait de la compétence du tribunal de la procédure collective et que l’action engagée sur le fondement de la faute délictuelle de l’article 1240 du code civil ressort nécessairement de la compétence du tribunal judiciaire et non de celle du tribunal de commerce qui est une juridiction d’exception.
Maître [K] ès-qualités lui oppose les dispositions de l’article L 721-3 du code de commerce qui donnent compétence au tribunal de commerce pour connaître des contestations relatives aux sociétés commerciales, le litige s’inscrivant dans ce cadre puisque la responsabilité de M. [M] est engagée en raison des actes commis par ses soins en sa qualité de gérant puis de liquidateur amiable de la SARL Au Chantilly.
Il est de principe constant que toute action sur laquelle la procédure collective exerce une influence ou qui n’existerait pas si la procédure collective n’était pas ouverte relève de la compétence du tribunal de commerce.
En revanche, toute action qui serait engagée dans les mêmes conditions si la procédure collective n’était pas ouverte n’est pas de la compétence du tribunal de commerce mais de celle de la juridiction de droit commun qu’est le tribunal judiciaire.
L’action engagée par Maître [K] ès-qualités à l’encontre de M. [M] est une action en responsabilité pour faute délictuelle fondée sur des faits antérieurs à l’ouverture de la procédure collective (il s’agit d’un virement du 10 mars 2015 sur le compte courant d’associé de M. [M]).
Si elle n’est pas née de la procédure collective, elle est en revanche soumise à son influence directe dans la mesure où c’est le mandataire liquidateur de la société, organe issu de la procédure collective, qui engage l’action qui est justifiée pour son auteur par un manquement commis par M. [M], gérant puis liquidateur amiable de la société commerciale Au Chantilly, action qui se rattache par un lien direct à la gestion de cette société.
Il en ressort qu’en application du texte susvisé, le tribunal de commerce est compétent pour connaître du litige.
3° La demande formée à titre principal par Maître [K] ès-qualités sur le fondement de l’article 1240 du code civil
* Sur la prescription
Le délai pour agir est de cinq ans à compter de la survenance du dommage ou du jour où la victime en a eu connaissance.
Le virement litigieux a été opéré le 10 mars 2015.
L’assignation a été délivrée le 2 mars 2020, soit dans le délai précité.
L’action n’est pas prescrite.
* Sur l’irrecevabilité de l’action pour non-cumul des actions
L’appelant soutient que l’action est irrecevable dans la mesure où la seule action que pouvait engager le mandataire liquidateur était une action en responsabilité pour insuffisance d’actif sur le fondement de l’article L 651-2 du code de commerce, l’action sur le fondement de l’article 1240 du code civil lui étant fermée.
Il considère en tout état de cause que cette action est mal fondée et qu’elle ressort de contre vérités, l’arrêt de la cour d’appel du 28 janvier 2020 ayant été cassé, de sorte qu’aucun détournement d’actif ne peut plus lui être reproché (la Cour de cassation a jugé au contraire de la cour d’appel que le remboursement du compte courant d’associé ne pouvait constituer un détournement d’actif),
Il en déduit en d’autres termes qu’il n’est ni en faillite personnelle ni davantage jugé coupable de détournement de fonds par l’effet immédiat de l’arrêt de la Cour de cassation, de sorte qu’il n’existe aucun fondement légal à l’action du mandataire liquidateur.
L’intimée lui répond que le mandataire liquidateur peut agir sur un autre terrain que la responsabilité pour insuffisance d’actif lorsqu’il n’allègue pas cette question de l’insuffisance d’actif et que tel est le cas en l’espèce puisque Maître [K] ès-qualités ne sollicite pas la condamnation de M. [M] à supporter partiellement ou totalement l’insuffisance d’actif mais qu’elle vient solliciter sa condamnation à régler des sommes reçues indûment.
Il existe un principe jurisprudentiel de non-cumul d’actions en responsabilité entre l’action délictuelle engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil et celle de l’article
L 651-2 du code de commerce relatif à la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif.
Néanmoins, ce principe est écarté lorsqu’aucune insuffisance d’actif n’est alléguée ou lorsque le redressement ou la liquidation de la société ne fait pas apparaître d’insuffisance d’actif.
Dans le cas d’espèce, Maître [K] ès-qualités n’agit pas sur le fondement de l’insuffisance d’actif de la société liquidée mais sur celui d’un virement opéré au profit de M. [M] qu’elle considère comme étant un détournement d’actif, terme utilisé autant dans son assignation du 2 mars 2020 que dans ses conclusions ultérieures, et ce, en se fondant sur un arrêt de cette cour rendu le 28 février 2020 qui a prononcé la faillite personnelle de M. [M] pour une durée de 18 mois en retenant pour unique grief ce détournement d’actif (la cour a écarté les autres griefs tenant à l’absence de comptabilité et au détournement d’actif de la somme de
14 395, 30 euros au profit de Mme [M]).
Il en ressort que l’action étant fondée non sur l’insuffisance d’actif qui n’est pas alléguée mais sur le détournement d’actif imputé à M. [M] pour avoir indûment prélevé sur le compte bancaire de la société qu’il dirigeait la somme de 34 075, 21 euros, constituant pour Maître [K] ès-qualités une faute de nature délictuelle, la règle du non-cumul des actions en responsabilité ne peut être opposée au mandataire liquidateur.
L’action est par conséquent recevable.
* Sur le bien fondé de la demande :
Le litige se présente à la cour dans une configuration différente de celle ayant prévalu devant les juges consulaires puisque l’arrêt du 28 février 2020 rendu par cette cour et précédemment évoqué, a été cassé.
Par un arrêt rendu le 20 octobre 2021, la Cour de cassation, statuant au fond, a cassé et annulé sans renvoi cet arrêt et infirmé le jugement sauf en ce qu’il a dit que les griefs tenant à l’absence de comptabilité et au détournement d’actif de la somme de 14 395, 30 euros au profit de Mme [M] ne pouvaient être retenus.
La Cour a écarté le grief tenant au détournement d’actif de la somme de 14 395,30 euros en considérant que le remboursement du compte courant de M. [M] ne pouvait constituer un détournement d’actif et qu’intervenu avant le 10 mars 2015 quand la date de la cessation des paiements avait été reportée au 13 juin 2015, il ne pouvait davantage être qualifié de paiement préférentiel permettant de prononcer une faillite personnelle.
La Cour a par conséquent rejeté les demandes tendant au prononcé d’une mesure de faillite personnelle contre M. [M].
Même si le mandataire liquidateur reprend ce grief à l’encontre de M. [M] en étant particulièrement taisant sur les conséquences qu’il convient de tirer de cette décision qui a été versée aux débats, force est de constater que cet arrêt efface tout caractère fautif au virement litigieux, le remboursement du compte courant de M. [M] constituant le paiement d’une dette de la société Au Chantilly à son créancier et comme tel, ne pouvant être qualifié de détournement d’actif.
Maître [K] ès-qualités sera déboutée de sa demande indemnitaire sur ce fondement.
4° La demande formée à titre subsidiaire par Maître [K] ès-qualités sur le fondement de l’article 1993 du code civil
L’article 1984 du code civil dispose que le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire.
Aux termes de l’article 1993 du même code, tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
Enfin, l’article 1996 dispose que le mandataire doit l’intérêt des sommes qu’il a employées à son usage, à dater de cet emploi ; et de celles dont il est reliquataire, à compter du jour qu’il est mis en demeure.
A titre subsidiaire, Maître [K] ès-qualités agit sur le fondement de l’article 1993 susvisé, considérant que M. [M], en sa qualité de mandataire de la société Au Chantilly, a reçu des fonds revenant à la société à la suite de la cession du bail (acte qui ne lui a été au demeurant pas remis) mais qu’il n’a pas justifié de l’utilisation des fonds prélevés et qu’il n’a jamais fourni d’explication probante pour expliquer les prélèvements opérés par ses soins sur les fonds dont il avait la responsabilité.
M. [M] soutient que cette demande est prescrite pour avoir été présentée pour la première fois par conclusions du 10 novembre 2020, soit plus de cinq ans après le virement du 10 mars 2015 et qu’elle est également irrecevable au regard de l’article 70 du code de procédure civile dans la mesure où cette demande additionnelle ne se rattache pas à la prétention originaire par un lien suffisant.
Il expose qu’en tout état de cause, la demande est irrecevable dans la mesure où les règles du mandat ne sont pas applicables dans les relations dirigeant-société.
Le mandataire liquidateur lui objecte que l’assignation en justice qui a été délivrée à M. [M] le 2 mars 2020 a interrompu le délai de prescription et que la demande en reddition de comptes a le même objet que celle visant à engager sa responsabilité délictuelle.
Enfin, il soutient que l’action en reddition de compte menée par un liquidateur judiciaire contre un dirigeant de société est recevable sur le fondement de l’article 1993 du code civil.
Pour déterminer si la demande est prescrite, il faut d’abord établir l’existence d’un lien suffisant entre cette demande additionnelle et la prétention originaire de Maître [K] ès-qualités.
Si tel est le cas, celle-ci pourra bénéficier de l’effet interruptif de l’assignation qu’elle a délivrée à M. [M] le 2 mars 2020.
En effet, l’effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice par l’article 2241 du code civil ne s’étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet.
Contrairement à ce que soutient M. [M], la nouvelle demande de Maître [K] ès-qualités ne modifie pas substantiellement la demande initiale car si les deux demandes ne sont pas assises sur les mêmes éléments constitutifs, elles ont le même objet et tendent toutes les deux aux mêmes fins, la condamnation de M. [M] à restituer au mandataire liquidateur de la société Au Chantilly la somme de 34 075,21 euros, ce dernier étant en droit d’agir en invoquant deux fondements juridiques différents pour parvenir aux mêmes fins, soit la condamnation de M. [M].
Dès lors, l’assignation du 2 mars 2020 a interrompu la prescription quinquennale et la demande additionnelle est recevable de ce chef.
En revanche, c’est à juste titre que M. [M] fait valoir que les règles du mandat ne peuvent recevoir application dans le présent litige.
Le dirigeant social d’une société détient un pouvoir de représentation de la société d’origine légale, de sorte que les dispositions spécifiques du code civil régissant le mandat n’ont pas vocation à s’appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant (cass com
18 septembre 2019 n° 16-26.962 publié au bulletin).
En effet, si les relations entre une société et son gérant sont de nature contractuelle, elles ne résultent pas de l’existence entre eux d’un contrat de mandat ; pour tout ce que ne prévoient pas les statuts de la société, les relations entre cet organe social et la société sont régies par les dispositions du code de commerce et par le droit commun des contrats mais en aucun cas par les règles du mandat type du code civil.
Maître [K] ès-qualités est dépourvue de tout droit à agir sur ce fondement juridique.
La demande subsidiaire est par conséquent irrecevable de ce chef.
5° La demande de dommages et intérêts formée par M. [M] pour procédure abusive et injustifiée :
L’article 30 du code de procédure civile dispose que l’action est le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée.
Il n’est pas permis de considérer au terme de cette procédure que Maître [K] ès-qualités, qui agit dans l’intérêt des créanciers de la société liquidée, a mené une action manifestement vouée à l’échec comme le soutient M. [M] et ce d’autant que le tribunal de commerce de Reims avait fait droit à la demande en paiement formée par le mandataire liquidateur.
Il n’existe donc aucun abus dans l’exercice du droit d’agir et la demande sera rejetée.
6° L’article 700 du code de procédure civile
La décision sera infirmée.
Maître [K] ès-qualités, qui ne peut prétendre à une indemnité à ce titre, sera condamnée à payer à M. [M] la somme de 2000 euros.
7° Les dépens
La décision sera infirmée.
Maître [K] ès-qualités sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Dit n’y avoir lieu à annulation du jugement ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims le 18 mai 2021;
Statuant à nouveau ;
Déclare recevable Maître [K] ès-qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL Au Chantilly en sa demande principale sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;
Déboute Maître [K] ès-qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL Au Chantilly de sa demande principale sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;
La déclare irrecevable en sa demande subsidiaire sur le fondement de l’article 1993 du code civil ;
Déboute M. [U] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
Condamne Maître [K] ès-qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL Au Chantilly à payer à M. [U] [M] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Maître [K] ès-qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL Au Chantilly de sa demande à ce titre ;
Condamne Maître [K] ès-qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL Au Chantilly aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE