8 février 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/07044
Pôle 5 – Chambre 6
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 08 FEVRIER 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07044 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPLL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2019034825
APPELANTES
S.A.S. AU SACRE COEUR
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le N° 837 489 855, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
S.A.S.U. GROUPE ORION
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le N° 814 010 492, représentée par son Président, Monsieur [P] [I], domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Sophie GRÈS, avocat au barreau de PARIS, toque : D2162, avocat postulant
Ayant pour Avocat plaidant Maître Grégory KERKERIAN, avocat associé de la SELARL Grégory KERKERIAN & Associés, Société d’avocats au Barreau de DRAGUIGNAN,
INTIMEE
Société CAIXA GERAL DE DEPOSITOS
immatriculée au RCS de PARIS sous le N° 306 927 393, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 5] / FRANCE
Représentée par Me Sébastien MENDES GIL de la SELARL CLOIX & MENDES-GIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0173
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Vincent BRAUD, Président, et MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M.Marc BAILLY, Président de chambre
M. Vincent BRAUD, Président,chargé du rapport
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Vincent BRAUD, Président et par Anaïs DECEBAL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
La société Au Sacré-C’ur a pris en avril 2018 à bail un local commercial situé [Adresse 4], pour créer un restaurant de luxe.
Suivant attestation du 29 novembre 2018, la Caixa geral de depositos a donné son accord pour mettre en place un prêt de 1 500 000 euros et un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 411 000 euros, en vue de la rénovation et de l’aménagement du local sous réserve de l’obtention de la contre-garantie de BPI qui, le 14 janvier 2019, a accepté de garantir le financement à hauteur de 70 %.
Un contrat de prêt a été signé le 8 février 2019 par la Caixa geral de depositos et le 12 février 2019 par Au Sacré-C’ur pour un montant de 1 500 000 euros, destiné à financer des travaux d’aménagement, d’agencement et d’équipement pour la création d’un fonds de commerce (restaurant) sis au [Adresse 4]. Ce prêt prévoyait la signature par-devant notaire désigné par la Caixa geral de depositos d’un acte authentique recueillant le cautionnement de la société Groupe Orion, présidente d’Au Sacré-C’ur, pour 1 500 000 euros et celui de [M] [I], président du Groupe Orion, pour 750 000 euros, ainsi que la signature sous seing privé du nantissement du fonds de commerce et l’engagement du compte courant d’associé.
Le 8 février 2019, la Caixa geral de depositos a également signé une ouverture de crédit en compte courant au bénéfice de la société Au Sacré-C’ur, pour un montant de 411 000 euros, consistant en un crédit non réutilisable, consenti sous forme de découvert autorisé destiné à financer la taxe sur la valeur ajoutée liée aux travaux d’aménagement, d’agencement et d’équipement pour la création d’un fonds de commerce (restaurant) sis au [Adresse 4].
La Caixa geral de depositos, malgré les demandes d’Au Sacré-C’ur, n’a pas fourni les coordonnées de son notaire. Par courriel du 21 mars 2019, la Caixa geral de depositos a rappelé à la société Au Sacré-C’ur que son accord de financement était subordonné à l’obtention d’une licence IV. Au Sacré-C’ur a, le 4 avril 2019, sommé la Caixa geral de depositos de procéder au déblocage des fonds, en vain.
Le 16 avril 2019, Au Sacré-C’ur a assigné la Caixa geral de depositos en référé d’heure à heure.
Par ordonnance en date du 10 mai 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes d’Au Sacré-C’ur, considérant que celles-ci étaient sérieusement contestables. Par arrêt en date du 4 juin 2020, la cour d’appel a confirmé l’ordonnance.
Par exploit en date du 14 juin 2019, Au Sacré-C’ur et Groupe Orion ont assigné la Caixa geral de depositos devant le tribunal de commerce de Paris afin de constater les inexécutions contractuelles de la Caixa geral de depositos et de la condamner au payement de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis dès lors que l’exploitation du restaurant était définitivement compromise.
Par jugement contradictoire en date du 11 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
-Débouté la société Caixa geral de depositos de sa demande de fin de non-recevoir ;
-Débouté Au Sacré-C’ur et Groupe Orion de l’ensemble de leur demande ;
-Débouté Au Sacré-C’ur et Groupe Orion de leur demande d’indemnisation d’un préjudice moral ;
-Condamné Au Sacré-C’ur et Groupe Orion à payer chacun à la société Caixa geral de depositos la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Condamné Au Sacré-C’ur et Groupe Orion in solidum aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62 euros dont 15,72 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;
-Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
***
Par déclaration du 12 avril 2021, les sociétés Au Sacré-C’ur et Groupe Orion ont interjeté appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 7 janvier 2022, la société par actions simplifiée Au Sacré-C’ur et la société par actions simplifiée unipersonnelle Groupe Orion demandent à la cour de :
Déclarer recevable l’appel interjeté le 12 avril 2021 par la société AU SACRE C’UR et la société GROUPE ORION à l’encontre du jugement rendu le 11 mars 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS.
Infirmer le jugement rendu le 11 mars 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS en ce qu’il a :
‘ Débouté AU SACRE C’UR et GROUPE ORION de l’ensemble de leur demande.
‘ Débouté AU SACRE C’UR et GROUPE ORION de leur demande d’indemnisation d’un préjudice moral ;
‘ Condamné AU SACRE C’UR et GROUPE ORION à payer chacun à la SOCIETE CAIXA GERAL DE DEPOSITOS la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.
‘ Condamné AU SACRE C’UR et GROUPE ORION in solidum aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62€ dont 15,75€ de TVA.
‘ Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
En tout état de cause,
Débouter la société CAIXA de son appel incident tendant à voir infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 11 mars 2021 en ce qu’il a débouté la société CAIXA GERAL DE DEPOSITOS de sa fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de l’estoppel par les sociétés demanderesses
Statuant de nouveau
RECEVOIR la société AU SACRE C’UR et la société GROUPE ORION en leurs demandes et les déclarer bien fondées,
CONSTATER que la société CAIXA a manqué à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de prêt et contrat de crédit accordés à la société AU SACRE C’UR,
PRONONCER la résolution des contrats aux torts exclusifs de la société CAIXA,
En conséquence,
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société SACRE C’UR :
‘ Au titre des investissements réalisés :
la somme de 1.792.822,50 €,
‘ au titre de l’impossibilité d’exploiter le fonds de commerce et des gains manqués :
la somme de 7.391.757,38 €,
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société GROUPE ORION au titre des investissements réalisés :
la somme de 600.000€,
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société SACRE C’UR la somme de 5.000€ au titre du préjudice moral subi,
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société GROUPE ORION la somme de 100.000 € au titre du préjudice moral subi,
En toute hypothèse,
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société SACRE C’UR la somme de 6.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la société CAIXA à payer à la société GROUPE ORION la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la banque CAIXA aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 octobre 2021, la société de droit portugais Caix geral de depositos demande à la cour de :
– la recevoir en ses demandes,
– la déclarer bien fondée,
En conséquence :
Vu les articles 1103, 1104, 1193 et 1231-1 du Code civil,
Vu l’article L. 3331-1 du Code de la santé publique,
Vu le contrat de prêt du 12 février 2019,
‘ INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 11 mars 2021 en ce qu’il a débouté la société CAIXA GERAL DE DEPOSITOS de sa fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de l’estoppel par les sociétés demanderesses ;
‘ CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 11 mars 2021 en toutes ses autres dispositions ;
En conséquence,
‘ DEBOUTER la société AU SACRE C’UR et la société GROUPE ORION de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
Y ajoutant,
‘ CONDAMNER in solidum la société AU SACRE C’UR et la société GROUPE ORION à payer à la société CAIXA GERAL DE DEPOSITOS la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile ;
‘ CONDAMNER in solidum la société AU SACRE C’UR et la société GROUPE ORION au paiement des entiers frais et dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 septembre 2022 et l’audience fixée au 12 décembre 2022.
CELA EXPOSÉ,
Sur la fin de non-recevoir :
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Il est de principe que nul ne peut se contredire au détriment d’autrui. La Caixa geral de depositos reproche à la société Au Sacré-C’ur d’avoir sollicité en référé l’exécution forcée du contrat de prêt et, inversement, de solliciter dans la présente procédure le prononcé de la résolution des contrats dont ledit contrat de prêt.
La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
Par des motifs exacts que la cour fait siens, le tribunal a constaté que l’instance en référé et l’instance au fond sont distinctes si bien que la contradiction dénoncée ne saurait constituer un estoppel, d’autant que les demandes tendent en tout état de cause à sanctionner l’inexécution contractuelle imputée à la Caixa geral de depositos. Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.
Sur le fond :
Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l’article 1104 du même code, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion reprochent à la Caixa geral de depositos de n’avoir pas libéré les fonds en exécution du contrat de prêt et du contrat d’ouverture de crédit en compte courant, et d’avoir gardé le silence sur les raisons de son refus.
La Caixa geral de depositos réplique que :
‘ l’offre de prêt était subordonnée à des conditions suspensives qui n’ont pas été réalisées, à savoir un nantissement de fonds de commerce, les cautionnements solidaires du Groupe Orion et de [M] [I], et l’obtention de la licence IV de débit de boissons ;
‘ l’ouverture de crédit en compte courant n’est pas signée par Au Sacré-C’ur.
a) Sur le contrat de prêt :
L’article 3.13 Garanties et obligations du contrat de prêt stipule notamment :
« À la garantie dudit concours, il est recueilli les garanties suivantes :
« 3.13.1 Nantissement du fonds de commerce à créer à hauteur de 1 500 000 €
« La formalisation de ces garanties fera l’objet d’un acte séparé. […]
« 3.13.3 Garantie(s) recueillie par-devant notaire :
« ‘ Caution personnelle, solidaire et indivisible à hauteur de 1 500 000,00 € […] de : SASU Groupe Orion […]
« ‘ Caution personnelle, solidaire et indivisible à hauteur de 750 000,00 € […] de : monsieur [I] [M] […]
« 3.13.7 Conditions suspensives de signature :
« ‘ Production d’un état de toutes les inscriptions pouvant grever le fonds de commerce daté de moins de 15 jours, délivré par le greffe du tribunal de commerce compétent.
Exposé du litige
« ‘ Production de l’attestation du comptable, de moins de huit jours, certifiant la position du compte courant d’associé au nom de la SASU Groupe Orion dans les livres de la SAS Au Sacré-C’ur.
« ‘ Production de trois exemplaires originaux de la délégation assurance MMA, dûment acceptés et signés par toutes les parties (adhérent, assuré, assureur)
« ‘ Production de 2 exemplaires de la lettre d’engagement de blocage de compte courant d’associé dûment signée par la SASU Groupe Orion
« ‘ Production de la licence de débit de boisson de 4e catégorie délivrée au nom de la SAS Au Sacré-C’ur […]
« 3.13.8 Conditions suspensives de déblocage de fonds pour les travaux :
« ‘ Production des attestations ou conventions, définitives d’assurances professionnelles délivrées par une compagnie d’assurance de premier ordre, notoirement connue et solvable : responsabilité civile et garantie décennale de toutes les entreprises intervenant sur le chantier et dommages-ouvrages (DO).
« ‘ Convention définitive de maîtrise d »uvre et/ou d’architecte (avec mission complète) en charge du programme dûment accepté par l’emprunteur + attestation d’assurance responsabilité civile décennale du MOE/architecte.
« ‘ Production du/des devis descriptif(s) et estimatif(s) détaillé(s) des travaux, dûment accepté(s) et signé(s) par les parties et validé(s) par le MOE/architecte. »
L’article 3.14 Déblocage des fonds stipule :
« Il est subordonné à l’acceptation du présent contrat par l’emprunteur, à la signature de l’acte de prêt notarié constatant la prise effective des garanties attachées audit crédit et à la réalisation des conditions suspensives. […]
« Les fonds seront mis à la disposition de l’emprunteur après signature chez le notaire chargé de l’acte de prêt contenant affectation de nantissement de fonds de commerce au bénéfice du prêteur, par crédit du compte pour des montants minimum de 4 000,00 € (par facture ou regroupement de factures) ci-dessus rappelé, par déblocages progressifs. […]
« L’acte de prêt sera régularisé par maître Stéphanie Braud-Piel, avocat à la cour sis [Adresse 1], avec le concours du notaire désigné par la banque. »
Il ressort de cet acte, dûment signé par les parties et qui leur tient lieu de loi, que la signature de l’acte de prêt notarié, constatant la prise effective des garanties attachées audit crédit et à la réalisation des conditions suspensives, est soumise aux conditions suspensives de l’article 3.13.7 précité, et notamment à la production de la licence de débit de boissons de 4e catégorie délivrée au nom de la société Au Sacré-C’ur.
Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion ne sont pas fondés à prétendre que la condition relative à la licence de débit de boissons était une condition de signature du contrat de prêt, et que la banque a accepté de lever cette condition dès lors qu’elle a accepté de procéder à la signature du contrat de prêt avec sa cliente le 8 février 2019, alors que cette condition est stipulée dans ledit contrat de prêt en préalable à la signature de l’acte notarié. Au surplus, la société Au Sacré-C’ur précise qu’elle n’a fait tenir sa licence restaurant à la banque que le 15 février 2019 (ses pièces nos 7 et 45 : courriel du 15 février 2019, licence et permis d’exploitation). La signature de l’acte du 8 février 2019 n’était donc pas subordonnée par la Caixa geral de depositos à la production de la licence en cause.
Moyens
La société Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion soutiennent qu’il s’agit de la « licence restaurant », prévue par l’article L. 3331-2, secundo, du code de la santé publique, qui permet de vendre pour consommer sur place toutes les boissons dont la consommation est autorisée, mais seulement à l’occasion des principaux repas et comme accessoires de la nourriture. Elles font valoir en ce sens que :
‘ Au Sacré-C’ur n’avait pas vocation à être débit de boissons dans la mesure où elle proposait uniquement un service de restauration pour lequel la licence restaurant est suffisante pour servir toutes les boissons qui sont catégorisées dans les groupes 4 et 5 qui correspondent à la licence IV, étant précisé que si le service de l’alcool se fait à table lors du repas, le titulaire d’une licence restaurant peut néanmoins servir l’apéritif à ses clients avant le repas ou un digestif juste après, hors de la table, au bar ou en terrasse ;
‘ dès l’origine de la demande de financement, Au Sacré-C’ur a fourni à la Caixa geral de depositos les documents montrant qu’elle avait procédé aux démarches nécessaires afin d’obtenir la licence restaurant ;
‘ malgré l’obligation de négocier de bonne foi, la banque n’a ensuite plus donné de nouvelles à sa contractante jusqu’au 21 mars 2019 ;
‘ il était impossible d’obtenir la licence de type 4 en raison l’arrêté préfectoral du 27 décembre 1961 modifié le 5 mars 1962 portant interdiction d’établissement de débit de boissons autour de certains édifices et bâtiments, du fait de la proximité du Sacré-C’ur, ce dont avait connaissance la Caixa geral de depositos.
La Caixa geral de depositos soutient pour sa part que la licence exigée par l’article 3.13.7 précité doit s’entendre de la licence de 4e catégorie dite « grande licence » ou « licence de plein exercice », prévue par l’article L. 3331-1, quarto, du code de la santé publique, qui comporte l’autorisation de vendre pour consommer sur place toutes les boissons dont la consommation à l’intérieur demeure autorisée, y compris celles du quatrième et du cinquième groupe.
La cour constate en effet que le contrat de prêt exige la production d’une « licence de débit de boisson de 4e catégorie », et non d’une « licence restaurant ».
Le bail passé par Au Sacré-C’ur stipule en son article 4 Destination des lieux ‘ Enseigne ‘ Autorisations administratives ‘ Utilisation des lieux :
« 4.1. Le preneur devra utiliser les locaux loués à usage exclusif de restauration, bar mais à l’exclusion de toute enseigne de fast food ou d’enseigne dont l’image serait susceptible de nuire à l’environnement et/ou aux autres commerces de l’immeuble.
« 4.2. Étant précisé que le preneur fera son affaire personnelle de l’obtention de la licence IV et de son maintien pendant tout le cours du bail et de ses renouvellements sans recours contre le bailleur.
« La destination ci-dessus visée s’interprète strictement.
« Le preneur devra exercer dans les lieux loués de manière permanente. »
L’article 3.2 Le concept de la présentation du projet indique (pièce no 14 des appelantes) :
« Notre établissement sera ouvert […] de 8 h à 2 h du matin, sans interruption. […]
« Du petit déjeuner au dîner, un apéro ou une bouteille de champagne à partager, dégustation d’huîtres’ »
L’article 3.4 Dossier financier prévoit que l’activité de restauration midi et soir représentera 62 % des clients annuels, celle de boissons et divers le matin 15 %, et celle de boissons et divers l’après-midi 23 %, pour des recettes escomptées respectivement de 10 752 000 euros, de 470 400 euros et de 705 600 euros sur un total de 11 928 000 euros.
Il ressort de l’ensemble de ces pièces que la valorisation du fonds de commerce a été réalisée sur la base d’un projet de bar-restaurant, nécessitant une licence de débit de boissons de 4e catégorie. Aussi bien la société Au Sacré-C’ur reconnaît-elle qu’un restaurant qui veut vendre des boissons en dehors des repas doit obtenir une licence de débit de boissons à consommer sur place, c’est-à-dire une licence III ou une licence IV.
La volonté du prêteur d’obtenir la production d’une licence de débit de boissons de 4e catégorie, exprimée dans le contrat de prêt du 8 février 2019, est expressément confirmée par ses messages électroniques des 25 janvier et 21 mars 2019 (pièces nos 5 et 6 de la banque). À cet égard, il ne peut ainsi lui être reproché d’avoir gardé un silence fautif jusqu’à cette dernière date.
Par ailleurs, Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion ne prouvent pas que le restaurant, situé près de la basilique du Sacré-C’ur de Montmartre, se trouve en zone protégée, ce qui rendrait légalement impossible l’attribution d’une licence autre qu’une licence restaurant afin d’exploiter le fonds de commerce. En effet, aux termes de l’article premier, primo, de l’arrêté préfectoral no 61-11077 modifié du 27 décembre 1961 portant interdiction d’établissement de débits de boissons autour de certains édifices et bâtiments, dans la ville de [Localité 7], aucun débit de boissons à consommer sur place des 2e, 3e et 4e catégories ne pourra être établi à moins de 75 mètres des édifices consacrés à un culte quelconque. Aux termes de l’article 2 dudit arrêté, ces distances sont calculées en suivant l’axe des voies ouvertes à la circulation publique entre et à l’aplomb des portes d’accès et de sorties les plus rapprochées de l’établissement protégé, d’une part, et du débit de boissons, d’autre part. Alors que la Caixa geral de depositos présente un calcul selon lequel l’établissement en cause ne se trouve pas dans la zone de protection de la basilique du Sacré-C’ur, les appelantes se contentent d’observer que leur restaurant est le seul établissement situé juste en face des marches principales de la basilique et qu’il n’existe à cet emplacement aussi proche aucun autre débit de boissons.
Ainsi c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la production d’une licence de débit de boissons de 4e catégorie avait été érigée en condition suspensive aux termes du contrat de prêt.
Il est constant que le 15 février 2019, Au Sacré-C’ur n’a transmis à la Caixa geral de depositos que la licence restaurant (pièces nos 7 et 45 des appelantes), et non la grande licence.
Cette condition suspensive de signature n’étant pas réalisée, il ne peut être imputé à faute à la Caixa geral de depositos de n’avoir pas donné suite à la signature des garanties par acte authentique, signature à laquelle était lui-même subordonné le déblocage des fonds en vertu de l’article 3.14 précité. L’inexécution reprochée au prêteur n’est ainsi pas établie. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres conditions suspensives dont le défaut de réalisation est opposé par l’intimée, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il déboute Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion de leurs demandes de résolution du contrat de prêt et d’indemnisation.
b) Sur le contrat d’ouverture de crédit en compte courant :
La cour constate que les copies de cet acte produites en pièces no 6 par les appelantes et no 12 par l’intimée ne sont signées que de la Caixa geral de depositos. Celle-ci en déduit qu’Au Sacré-C’ur n’a pas accepté le contrat. Les appelantes répliquent que l’acceptation du contrat d’ouverture de crédit par la société Au Sacré-C’ur ne fait pas de doute puisque celle-ci s’en prévaut dans la présente procédure. Aussi bien en versent-elles aux débats l’exemplaire signé (leur pièce no 44).
Cependant, le défaut de mise à disposition des fonds par la Caixa geral de depositos au titre de ce contrat n’est pas à l’origine de l’impossibilité dont se plaint Au Sacré-C’ur de financer son projet. En effet, l’ouverture de crédit était destinée à financer la taxe sur la valeur ajoutée liée aux travaux d’aménagement du restaurant. Dès lors que le prêt concomitamment affecté auxdits travaux n’est pas débloqué, cette ouverture de crédit n’a plus d’objet. Dans ces circonstances, l’inexécution dont se plaignent les appelantes n’est pas fautive et ne justifie ni la résolution du contrat en application des articles 1224 et suivants du code civil, ni l’octroi de dommages et intérêts en application des articles 1231 et suivants du même code.
Le jugement attaqué sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Les appelantes en supporteront donc la charge.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.
Sur ce fondement, Au Sacré-C’ur et le Groupe Orion seront condamnés in solidum à payer à la Caixa geral de depositos la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles.
LA COUR,
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement en ce qu’il :
-Déboute la société Caixa geral de depositos de sa demande de fin de non-recevoir ;
-Déboute Au Sacré-C’ur et Groupe Orion de l’ensemble de leur demande ;
-Déboute Au Sacré-C’ur et Groupe Orion de leur demande d’indemnisation d’un préjudice moral ;
-Condamne Au Sacré-C’ur et Groupe Orion à payer chacun à la société Caixa geral de depositos la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne Au Sacré-C’ur et Groupe Orion in solidum aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62 euros dont 15,72 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;
-Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum la société Au Sacré-C’ur et la société Groupe Orion à payer à la société Caixa geral de depositos la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Au Sacré-C’ur et la société Groupe Orion au paiement des entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT