8 décembre 2022
Cour d’appel de Pau
RG n°
21/00287
2ème CH – Section 1
MM/ND
Numéro 22/4298
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRÊT DU 08/12/2022
Dossier : N° RG 21/00287 – N° Portalis DBVV-V-B7F-HYFD
Nature affaire :
Appel sur une décision du juge commissaire relative à l’admission des créances
Affaire :
S.A.S. HESLYOM
C/
S.A.S. TENERGIE GESTION, S.E.L.A.R.L. EKIP’
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 08 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 06 Octobre 2022, devant :
Monsieur Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l’appel des causes,
Marc MAGNON, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. HESLYOM
immatriculée au RCS de Tarbes sous le n° 793 282 591, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège, agissant dans les droits propres du débiteur
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean Philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Stéphane DAYAN (membre de l’AARPI ARKARA AVOCATS ASSOCIES), avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
S.A.S. TENERGIE GESTION
(anciennement dénommée SOLARGEST)
immatriculée au RCS d’Aix-en-Provence sous le n° 522 076 983, prise en la personne de son Président, représentant légal domicilié au siège ès-qualité
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me François PIAULT, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Laurence D’ORSO (AARPI D’ORSO ABRASSART & Associés), avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.R.L. EKIP’
immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n° 453 211 393, dont le siège social est situé [Adresse 2], prise en la personne de Maître [R] [I], prise en son établissement secondaire de Tarbes situé [Adresse 3],
agissant en qualité de liquidateur de la SAS HESLYOM désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de Tarbes du 18 septembre 2018
Représentée par Me Camille ESTRADE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 20 JANVIER 2021
rendue par le JUGE COMMISSAIRE DE TARBES / FRANCE
Exposé du litige
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SA CAPG Energies Nouvelles (CAPGEN), anciennement dénommée CAM Énergie, est une filiale du Crédit Agricole Pyrénées Gascogne dédiée à l’investissement et au développement de projets dans les énergies renouvelables.
La SAS Heslyom, anciennement dénommée SAS [F] Énergie Service, puis SAS CAM Énergie Service a pour activité la construction, la maintenance, le nettoyage de centrales de production d’énergie renouvelable, l’exploitation de centrales de production d’énergie renouvelable, la structuration juridique et financière de projets de construction d’énergies renouvelables, l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la construction de centrales de production d’énergie renouvelable et en gestion de centrales de production d’énergie renouvelable en exploitation.
La société CAM Énergie devenue CAPGEN était l’actionnaire majoritaire de la SAS [F] Énergie Service devenue CAM Énergie Service puis Heslyom et lui a consenti trois avances en compte courant d’associé en 2012, 2015 et 2017.
Un autre actionnaire était la société SAS ENERCAM détenue à l’époque par Monsieur [B] [F].
CAM Energie était par ailleurs cliente de la société CAM Energie Service.
Courant 2016, la société CAM Energie a refusé de régler à la société CAM Energie Service diverses factures représentant environ 860 000,00 euros au 16 novembre 2016.
A la suite de ce différend, un protocole d’accord a été signé le 13 décembre 2016, entre la société CAM Energie et le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne, d’une part, et la société CAM Energie Service (devenue Heslyom), messieurs [D] [V] et [S] [G], salariés qui devenus associés en reprenaient la direction, la société ENERCAM, la SAS [F] Energie Service et la SAS Isaby, toutes trois représentées par M [B] [F], ce dernier intervenant également à titre personnel et comme porte-fort de son épouse, d’autre part, impliquant divers engagements croisés, notamment l’engagement de la société CAM Energie Service (devenue Heslyom) de rembourser un compte courant d’associé détenu dans des sociétés tierces par la société Chili Invest.
A la fin de l’année 2017, la société CAM Energie devenue CAPGEN aurait créé un nouveau partenariat avec la société Tenergie, société concurrente de la société Heslyom, ce qui a conduit cette dernière à une perte importante de son chiffre d’affaires.
Par jugement en date du 18 septembre 2018, le tribunal de commerce de Tarbes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité à l’égard de la société Heslyom, anciennement CAM Energie Service et désigné la SELARL FHB, prise en la personne de Me [T] [U], en qualité d’administrateur judiciaire, et la SELARL [R] [I], devenue la SELARL Ekip’, en qualité de liquidateur.
Par jugement du 15 octobre 2018, le tribunal a mis fin à la poursuite d’activité.
La société Tenergie Gestion, anciennement Solargest, exerce des prestations de conseil et d’assistance au profit de sociétés de développement et d’exploitation d’installations de production solaire.
La société Tenergie Gestion a été substituée suivant différents avenants contractuels aux droits et obligations de sociétés propriétaires de centrales photovoltaïques au titre de divers contrats d’exploitation et de maintenance d’installations photovoltaïques, passés entre lesdites sociétés et la société SAS CAM Energie Service devenue Heslyom.
Il s’agit des sociétés Centrale Photovoltaïque de Mirande, Solefi, Castelsol, Voltafrance 3, Salattexploit, Saint Clar et EPV 6.
La société Solargest devenue Tenergie Gestion a reproché à la SAS Heslyom différents manquements à ses obligations contractuelles de maintenance préventive et corrective, à l’origine de périodes d’indisponibilité des centrales photovoltaïques et de pertes d’exploitation par arrêt de la production.
Les pertes d’exploitation correspondantes ont été évaluées et notifiées à la SAS Heslyom qui n’aurait jamais contesté ces données.
La société Tenergie Gestion a ensuite notifié à la société Heslyom les factures correspondantes réclamant à la société prestataire les sommes suivantes :
‘ 152 362,00 euros au titre des pertes d’exploitation sur la centrale de Mirande, sur la période de mai à août 2017 ;
‘ 11729,74 euros selon factures 2018-02002 et 2018-032002, des 27 février et 22 mars 2018, au titre de pertes d’exploitation sur les centrales Solefi, Castelsol, Voltafrance 3, Salattexploit, Saint Clar et EPV 6. au titre d’incidents survenus début 2018 ;
‘ 453951,00 euros au titre de pertes d’exploitation sur la centrale de Saint Clar de mai à août 2018 ;
‘ outre une créance provisionnelle de 139 728,32 euros, pour le cas ou la garantie d’assurance ne jouerait pas, au titre de sinistres sur certaines centrales qui ont justifié des déclarations auprès de l’assureur de dommages aux biens.
La société Solargest a déclaré sa créance à hauteur de la somme globale de 757 771,00 euros, par courrier recommandé du 19 novembre 2018.
Par courrier recommandé du 17 juin 2019, la Selarl Ekip’, ès qualités, a fait savoir à la SAS Solargest que sa créance était contestée aux motifs que la SAS Heslyom ne doit aucune somme à la SAS Solargest qui au contraire reste devoir la somme de 260546,00 euros à la SAS Heslyom.
Les parties ont été convoquées devant le juge-commissaire à l’audience du 2 novembre 2020.
Par ordonnance du 20 janvier 2021, le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la SAS Heslyom a admis la créance de la SAS Tenergie Gestion anciennement Solargest pour la somme de 570,247,74 euros et débouté le demandeur du surplus de ses demandes.
Par déclaration en date du 28 janvier 2021, la SAS Heslyom a relevé appel de cette décision.
La clôture est intervenue le 9 mars 2022 pour une fixation au 11 avril 2022, l’affaire étant ensuite renvoyée au 6 octobre 2022.
Moyens
MOYENS ET PRETENTIONS :
Vu les conclusions en date du 28 avril 2021 de la SAS Heslyom, par lesquelles elle demande de :
Réformer en intégralité l’ordonnance rendue par le Juge-Commissaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Heslyom ayant admis la créance de la société Tenergie Gestion à hauteur de 570.247,74 euros à titre chirographaire.
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
Rejeter en intégralité la créance déclarée par la société Tenergie Gestion au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Heslyom
A titre subsidiaire :
Constater l’existence d’une contestation sérieuse à l’encontre de la créance déclarée par la société Tenergie Gestion au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Heslyom
En conséquence,
Inviter la société Tenergie Gestion à saisir le Tribunal compétent et Surseoir à
statuer dans l’attente que le juge du fond statue sur le bien fondé de sa créance
En tout état de cause :
Condamner la société Tenergie Gestion d’avoir à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Débouter la société Tenergie Gestion de l’ensemble de ses demandes.
*
Vu les conclusions en date du 22 juillet 2021 de la SELARL Ekip’, agissant ès qualités, qui demande de :
Vu l’article L. 624-2 et L. 622-7 du code de commerce,
Vu l’article 1315 du Code civil,
Vu l’article 9 du code de procédure civile
Vu la jurisprudence précitée
A titre principal, sur les fins de non-recevoir
Faire droit à la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire pour statuer comme juge de la vérification des créances au regard des contestations sérieuses invoquées.
Renvoyer les parties à mieux se pourvoir au fond,
A titre subsidiaire,
Réformer l’ordonnance du Juge-commissaire entreprise en date du 20 janvier 2021 en ce qu’elle a admis la créance déclarée par la société Solargest devenue Tenergie Gestion à hauteur de 570 247,74€ à titre chirographaire au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Heslyom.
Confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la créance déclarée pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Rejeter en totalité la créance déclarée par la société Solargest devenue Tenergie Gestion le 19 novembre 2018.
Condamner la société Tenergie Gestion à payer à la SELARL Ekip’ ès qualités, la somme de 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en règlement des frais irrépétibles d’appel.
Condamner la société Tenergie Gestion aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Camille Estrade en application de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Débouter la société Tenergie Gestion de ses demandes, fins et conclusions contraires.
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Vu les conclusions en date du 21 octobre 2021 de la SAS Tenergie Gestion, anciennement Solargest, qui demande de :
Vu les articles L. 624-2, L. 622-24, L. 622-25 et L. 641-3 du Code de Commerce
A titre principal :
Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge Commissaire du Tribunal de Commerce de Tarbes en date du 20 janvier 2021 enrôlée sous la référence RG n° 2019 004662 en ce qu’elle a dit que la créance de la société Tenergie Gestion est admise au passif de la société Heslyom, pour la somme de 570.247,74 € à titre chirographaire
Subsidiairement :
Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge Commissaire du Tribunal de Commerce de Tarbes en date du 20 janvier 2021 enrôlée sous la référence RG n° 2019 004662 mais seulement en ce qu’elle a reconnu la qualité de créancier chirographaire de la société Tenergie Gestion,
Et, infirmant partiellement pour le surplus et statuant de nouveau sur son quantum par l’effet dévolutif de l’appel
Juger y avoir lieu d’admettre la société Tenergie Gestion au passif de la société Heslyom, en qualité de créancière chirographaire tenant compte d’une pondération du montant de la créance déclarée aboutissant à une créance qui ne pourra être inférieure à la somme de 285.123,87 €.
En tout état de cause :
Condamner la société Heslyom au paiement de la somme de 4.000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouter la société Heslyom de toutes demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Tenergie Gestion.
Débouter la SELARL Ekip’ ès qualités de toutes demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société Tenergie Gestion.
Dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation.
Motivation
MOTIVATION :
Au soutien de son appel, la société Heslyom fait valoir :
‘ l’absence de créance de la société Tenergie Gestion sur Heslyom au titre de la centrale photovoltaïque de Mirande, aux motifs notamment qu’elle ne rapporte pas la preuve de la réalité des préjudices qu’elle aurait subis en raison de problèmes techniques, aucun élément de preuve ne permettant d’établir les désordres que cette centrale aurait rencontrés, imputables à la société concluante ; rien ne permettant de rattacher la somme de 152 362 euros réclamée à la perte de chance subie ;
‘ l’absence de créance détenue par la société Tenergie au titre des contrats de maintenance et d’exploitation conclus avec les sociétés Solefi, Castelsol, Voltafrance 3, solattexploit, Saint Clar et EPV 6, pour les mêmes motifs et aussi parce que la maintenance réalisée par la société Heslyom n’a nullement été défaillante mais au contraire a donné lieu au versement par la société CAPGEN de bonus de surperformances, en 2017, pour les centrales concernées ;
‘ l’absence de créance de la société Tenergie Gestion au titre de la centrale photovoltaïque de la société Saint Clar, l’existence de désordres imputables au défaut de maintenance de la société Heslyom n’étant nullement démontrée. Elle ajoute que son contrat ayant été résilié le 19 juillet 2018, il est normal que la société Tenergie Gestion se soit adressée à la société Schneider Electric, en septembre 2018, pour obtenir un devis de travaux, et relève que le devis proposé par cette dernière est sans commune mesure avec la somme de 406 156,00 euros réclamée qui ne correspond pas à une perte de chance de réaliser l’objectif de chiffre d’affaires.
A défaut de rejeter les créances déclarées, la société Heslyom demande à la cour de constater qu’il existe une contestation sérieuse de ces créances et d’inviter la société Tenergie Gestion à saisir la juridiction compétente pour trancher cette contestation.
La SELARL Ekip’ , ès qualités, rappelle que dès lors qu’une contestation sérieuse est constatée, le juge de la vérification des créances doit surseoir à statuer et inviter la partie qu’il désigne à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, dans le délai d’un mois de la notification de sa décision, à peine de forclusion.
Elle considère également qu’il existe des contestations sérieuses, car la société Tenergie Gestion anciennement Solargest ne rapporte pas la preuve des désordres ayant affecté les centrales objets des contrats de maintenance passés avec la société CAM Energie Service devenue Heslyom, ni des manquements de cette dernière à l’origine des désordres allégués, ni non plus du préjudice subi.
A cet égard, elle fait observer que le tableau des pertes d’exploitation est un document informatique établi par Solargest dépourvu de toute valeur probante.
Elle ajoute que Solargest n’a déclaré sa créance le 19 novembre 2018 qu’après avoir reçu la lettre de mise en demeure du liquidateur, du 12 novembre 2018, réclamant le paiement de différentes factures dues à la société Heslyom.
A titre subsidiaire, la SELARL Ekip’ conclut au rejet intégral de la créance déclarée, non établie.
La société Tenergie Gestion conclut au contraire, à titre principal, à la confirmation de l’ordonnance ayant admis partiellement sa créance .
Elle rappelle tout d’abord les obligations qui pesaient sur la société CAM Energie Service devenue Heslyom en vertu des contrats d’exploitation-maintenance passés entre elle et les sociétés de projet propriétaires des différentes centrales photovoltaïques visées par ces contrats.
Elle évoque notamment la réalisation de toutes les opérations de maintenance préventive HTA prévue au contrat , affirmant que la société Heslyom n’aurait tout simplement pas effectué les prestations de maintenance préventive HTA et l’aurait expressément reconnu, ce que conteste la société Heslyom.
Elle ajoute qu’ Heslyom n’a jamais contesté les données figurant sur le tableau des pertes d’exploitation de la centrale de Mirande.
Elle indique qu’en vertu de l’article 7-4 du contrat passé entre la SAS Mirande et CAM Energie Service, les désaccords entre parties sur les incidents à l’origine de pertes d’exploitation devaient faire l’objet d’une mention particulière sur le registre des incidents et qu’ Heslyom est bien en peine de justifier d’un désaccord sur ce point, en produisant le relevé des incidents avec la mention correspondante .
S’agissant des centrales Solefi, Castelsol, Voltafrance 3, Solattexploit, Saint Clar et EPV 6, elle considère là aussi que les mesures correctives destinées à résoudre les incidents ayant affecté ces centrales et leur production n’ont pas été prises par CAM Energie Service, dans le respect des stipulations contractuelles.
Elle ajoute que les délais contractuels d’intervention que devait respecter Heslyom ne l’ont pas été de sorte que, dès lors qu’il s’agit d’une situation factuelle tout à fait objective, ces délais n’étant pas sujet à interprétation contractuelle, les manquements sont caractérisés.
Elle considère que le préjudice chiffré n’est pas une perte de chance, car il correspond à une perte d’exploitation effective.
Sur la créance au titre des désordres ayant affecté la centrale de Saint Clar, elle explique qu’un incident survenu sur la centrale a conduit à rendre hors d’usage des fusibles DC et a généré un problème sur une cellule HTA ; qu’en dépit de nombreuses interventions, la société Heslyom n’a jamais été en mesure de résoudre ces incidents de sorte que ces désordres ont perduré de nombreux mois, de mai à août 2018. Elle considère qu’il s’agit d’une situation factuelle incontestable qui scelle la responsabilité de la société Heslyom pour les incidents survenus avant la résiliation de son contrat.
Enfin, elle rappelle que par mail du 31 août 2018, la société Heslyom l’a informée qu’elle n’était plus en mesure d’effectuer ses opérations de maintenance , ni même une quelconque prestation d’intervention corrective et ce pour une durée indéterminée.
En droit, l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2014, applicable en la cause, dispose : ‘Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l’a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission.’
L’article R. 624-5 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014, dispose : ‘Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l’existence d’une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d’ appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.’
Il résulte de ces textes que le juge-commissaire dispose du pouvoir juridictionnel de statuer sur toutes les contestations qui ne sont pas de la compétence exclusive d’une autre juridiction (par exemple la juridiction administrative pour la contestation d’une créance fiscale), sauf si la contestation est sérieuse et que, dans ce dernier cas, il doit inviter une des parties à saisir la juridiction du fond compétente.
Et il ressort d’une jurisprudence constante que lorsque le juge-commissaire doit connaître du fond de la créance, il lui appartient de statuer, comme le fait le juge des référés, en juge de l’évidence. Il incombe dès lors à la cour d’appel qui retient l’existence d’une contestation sérieuse de préciser en quoi le juge-commissaire, puis elle-même, statuant avec les pouvoirs de ce dernier, dépassent leur office juridictionnel, pour permettre à la cour de cassation d’exercer son contrôle sur le caractère sérieux de la contestation.
Il a été jugé que le juge-commissaire, et à sa suite la cour d’appel, sont dépourvus de pouvoir juridictionnel pour statuer, lorsqu’ils sont saisis d’une demande d’admission de la créance, sur la rupture d’un contrat ayant donné naissance à la créance (Cassation Com. 18 février 2003, n° 0012666, B. No 23), ou sur sa validité (Cassation Com. 5 novembre 2003, n° 0017773 ; Com. 19 mai 2004, n° 0115741), ou sur l’exécution défectueuse d’un contrat (Cassation Com. 21 juin 2005, n° 0410868 ; Com. 5 juillet 2005, n° 0413129 ; …).
Si le juge-commissaire n’est saisi d’aucune contestation sérieuse, il relèvera donc de son pouvoir juridictionnel de trancher la contestation
En l’espèce, il ressort des contrats d’exploitation-maintenance conclus entre la SAS CAM Energie Service devenue Heslyom, d’une part, et les sociétés propriétaires de centrales photovoltaïques aux droits desquelles vient la société Tenergie Gestion que l’ exploitant-mainteneur devait respecter un certain nombre d’obligations précisément définies dans la conduite du système électrique de production d’énergie photovoltaïque de chaque centrale, assurer la supervision de chaque parc photovoltaïque , et fournir des prestations de maintenance préventive
et corrective, afin d’assurer la mise en place et le maintien d’une politique de sécurité électrique en accord avec les normes en vigueur, et optimiser la disponibilité des équipements de production d’énergie.
Les incidents de fonctionnement sont définis contractuellement comme tout événement affectant la livraison normale d’électricité par la centrale photovoltaïque.
Des règles d’alarme sont définies et paramétrées par le mainteneur sur l’interface de supervision qui permet de surveiller à distance le fonctionnement de chaque centrale. Les incidents sont classés en fonction de leur gravité : critique, majeur, mineur, selon qu’ils interrompent, diminuent, ou non, la production d’électricité. Selon ce classement, les interventions correctives du mainteneur doivent intervenir dans des délais variables, plus ou moins brefs, selon la gravité de l’incident, avec en premier échelon une tentative de résolution à distance (correctif de niveau 1) et en cas d’échec une intervention sur site, là encore dans des délais pré déterminés (correctifs de niveau 2).
Selon les contrats produits, en cas de différend de nature technique au titre du contrat, notamment sur les incidents, les parties conviennent de requérir avant tout procès, l’avis d’un tiers expert.
L’examen des manquements allégués par la société Tenergie Gestion implique par conséquent une analyse approfondie des pièces contractuelles et des faits allégués, qui échappe au pouvoir juridictionnel du juge de la vérification des créances, juge de l’évidence qui n’est pas compétent pour statuer sur l’exécution prétendument défectueuse d’un contrat.
Rechercher la responsabilité de la société Heslyom nécessite en effet d’analyser, au cas par cas, les incidents ayant conduit à une diminution ou à une interruption de la production d’électricité, sur les périodes ciblées par la société intimée, afin de déterminer si les procédures correctives contractuelles ont été ou non respectées par la société Heslyom.
L’ordonnance déférée est en conséquence infirmée, la cour décidant de surseoir à statuer sur l’admission ou le rejet de la créance déclarée par la société Tenergie Gestion, en renvoyant cette dernière à saisir la juridiction compétente pour statuer sur l’existence et le montant de sa créance, dans le délai d’un mois de la notification de la présente décision par le greffe de la cour, à peine de forclusion.
Le sursis à statuer est prononcé jusqu’à la décision définitive qui sera rendue par la juridiction saisie au fond.
Il y a lieu également de réserver la décision sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance du juge-commissaire,
Statuant à nouveau,
Constate l’existence d’une contestation sérieuse, concernant la créance déclarée par la société Tenergie Gestion anciennement Solargest, qui excède les pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire,
Invite la société Tenergie Gestion à saisir la juridiction compétente pour trancher cette contestation, dans le délai d’un mois de la notification du présent arrêt, à peine de forclusion,
Sursoit à statuer sur l’admission ou le rejet de la créance contestée, dans l’attente de la décision définitive qui sera rendue par la juridiction saisie au fond,
Réserve l’examen des demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens jusqu’en fin d’instance,
Ordonne la radiation de l’affaire du rôle et dit qu’elle sera réinscrite à l’initiative de la partie la plus diligente après la décision du juge du fond,
Dit que la présente décision sera portée sur l’état des créances, en application de l’article R. 624-9 du code de commerce.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente