6 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/07277
3ème Chambre Commerciale
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°.
N° RG 21/07277 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SHF5
M. [K] [P]
C/
Société CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN EDIT AGRICOLE MUTUEL
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Séverine FERRE-GUITTENY
Me Vanessa KERVIO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Lydie CHEVREL, lors des débats, et Madame Morgane LIZEE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Mars 2023
devant Madame Fabienne CLEMENT, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Juin 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéréinitialement prévu le 16 mai 2023
****
APPELANT :
Monsieur [K] [P]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Séverine FERRE-GUITTENY de la SELARL AXLO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN, immatriculée au RCS de VANNES sous le n°777 903 816, agissant poursuites et diligences de son Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Vanessa KERVIO de la SELARL SELARL GUENNO-LE PARC CHEVALIER KERVIO LE CADET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES
Exposé du litige
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 30 juin 2016, la société Wall2Time a souscrit auprès de la société Crédit Agricole du Morbihan – Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel (le Crédit Agricole) un prêt professionnel n° l0000l502l2, d’un montant de 11.965 euros, remboursable sur 60 mois au taux annuel fixe de 1,70 %.
Le même jour, M. [P], gérant, s’est porté caution au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 15.554,50 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 84 mois.
Le 27 septembre 2016, la société Wall2Time a souscrit auprès du Crédit Agricole un second prêt professionnel n° 10000161133, d’un montant de 9.345 euros, remboursable sur 60 mois au taux annuel fixe de 1,70 %.
Le même jour, M. [P], gérant, s’est porté caution au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 4.672 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 60 mois.
Le 13 septembre 2017, la société Wall2Time a été placée en liquidation judiciaire.
Le 8 novembre 2017, le Crédit Agricole a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire.
Le 17 août 2018, le mandataire judiciaire a établi un certificat d’irrécouvrabilité des créances du Crédit Agricole.
Le 9 juillet 2018, le Crédit Agricole a mis en demeure M. [P] de lui régler les sommes dues, puis a réitéré cette notification le 12 septembre 2018.
Le 10 avril 2019, le Crédit Agricole a assigné M. [P] en paiement.
Par jugement du 8 octobre 2021, le tribunal de commerce de Vannes a :
– Débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Condamné M. [P], en sa qualité de caution de la société Wall2Time, à payer au Crédit Agricole les sommes suivantes :
– au titre du prêt n° l0000l502l2 : la somme de 9.458,16 euros au titre du principal, 193,62 euros au titre des intérêts au taux de 1,70% l’an, 131,07 euros au titre des intérêts au taux de 1,70% plus 3% 1’an, outre les intérêts conventionnels, sur ces trois sommes, à compter du 8 février 2019 jusqu’au parfait paiement, 2.000 euros au titre de l’indemnité de recouvrement de 7%, outre les intérêts légaux à compter du 10 avril 2019, dans la limite de 15.554,60 euros,
– au titre du prêt professionnel n° 100001611332 : la somme de 4.672 euros, montant maximum de son engagement de caution,
– Condamné M. [P] à payer au Crédit Agricole la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,
– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation,
– Condamné M. [P] aux entiers dépens de la présente instance,
– Débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.
M. [P] a interjeté appel le 19 novembre 2021.
Le Crédit Agricole a déposé ses dernières conclusions le 13 février 2023. M. [P] a déposé ses dernières conclusions le 15 février 2023.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2023.
Le 9 mai 2023, il a été demandé au Crédit Agricole, pour le 23 mai 2023 au plus tard, de produire le tableau d’amortissement ainsi que l’historique des intérêts versés par la société Wall2Time, au titre du prêt n° l0000l502l2. M. [P] a été informé qu’il pourrait faire valoir ses éventuelles observations sur les pièces produites pour le 30 mai 2023 au plus tard.
Le 17 mai 2023, le Crédit Agricole a produit en conséquence quatre nouvelles pièces. Le 30 mai 2023, M. [P] a présenté de nouvelles observations dans une note en délibéré.
Moyens
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
M. [P] demande à la cour de :
– Réformer en toutes ses dispositions le jugement du 8 octobre 2021,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
– Dire et juger que les cautionnements en date des 30 juin et 27 septembre 2016 sont disproportionnés aux biens et revenus de M. [P],
– Débouter en conséquence le Crédit Agricole de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [P] puisqu’il ne peut se prévaloir desdits engagements disproportionnés,
A titre subsidiaire,
– Prononcer la déchéance des intérêts faute pour le Crédit Agricole d’établir qu’il a régulièrement, et chaque année depuis le 30 juin et le 27 septembre 2016, respecté l’obligation d’information annuelle,
– Enjoindre au Crédit Agricole de produire un nouveau décompte de ses créances tenant compte de l’imputation des règlements effectués par la société Wall2Time par priorité sur le principal de la dette, sous peine de se voir débouté de ses demandes, faute de justifier d’une créance certaine,
A titre très subsidiaire,
– Débouter le Crédit Agricole de sa demande de condamnation au titre de l’indemnité de recouvrement de 7 %,
A titre plus infiniment subsidiaire,
– Accorder à M. [P] un délai de deux ans pour régler sa dette à l’encontre du Crédit Agricole,
A titre reconventionnel,
– Condamner le Crédit Agricole à payer à M. [P] des dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, dont le montant ne saurait être inférieur au montant des sommes réclamées par la banque,
– Ordonner la compensation entre les créances réciproques,
En tout état de cause,
– Condamner le Crédit Agricole à verser à M. [P] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le Crédit Agricole demande à la cour de :
A titre principal,
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 8 octobre 2021,
– Débouter M. [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
– Réduire dans une très large mesure les dommages et intérêts sollicités par M. [P] au titre de défaut de mise en garde,
– Ordonner le cas échéant, la compensation des sommes dues entre les parties,
– Confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions,
– Débouter M. [P] du surplus de ses demandes,
En tout état de cause,
– Condamner M. [P] à payer au Crédit Agricole la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
Motivation
DISCUSSION :
Sur la disproportion manifeste :
L’article L 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016 et l’article L 332-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2022, tous deux applicables en l’espèce, prévoient que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses bien et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C’est sur la caution que pèse la charge d’établir cette éventuelle disproportion manifeste.
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu’elle y déclare, le créancier n’ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l’exactitude.
L’antériorité de la fiche de renseignements n’a pas pour conséquence de lui enlever toute force probante. En pareil cas, il y a seulement lieu d’en relativiser les mentions et de prendre en considération les éventuelles modifications de situation survenus entre la date de la fiche et la date de l’engagement de caution.
La disproportion manifeste de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis.
Les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d’associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l’appréciation de ses biens et revenus. (Com., 26 janvier 2016, n°13-28.378)
Par ailleurs, les juges doivent prendre en considération l’endettement global de la caution au moment de la conclusion du cautionnement, ce qui inclut les cautionnements qu’elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu’ils ne correspondent qu’à des dettes éventuelles (Com., 27 septembre 2017, n°15-24.726).
Ce n’est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu’il revient au créancier professionnel d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
En présence de deux cautionnements, ils seront analysés tour à tour, dans l’ordre chronologique.
Le cautionnement du 30 juin 2016 attaché au contrat de prêt n° l0000l502l2 :
M. [P] a rempli une fiche de renseignements le 3 juin 2015. Il est tenu par les termes de cette fiche, sauf anomalie apparente, tout en pouvant justifier de l’évolution de sa situation entre la date de la fiche et celle de son engagement de caution.
D’abord, il a indiqué dans cette fiche la mention ‘Marié CL’ semblant signifier qu’il était marié sous le régime de la communauté légale, puis a coché des cases correspondant au paragraphe ‘régime de séparation de biens’. Cette incohérence constituait une anomalie apparente qui aurait dû alerter le Crédit Agricole sur ce point. (notamment : Com., 20 septembre 2017, n°16-11.057) M. [P] produit son contrat de mariage, datant de 2005 et prévoyant un régime de séparation de biens entre les époux. Il affirme en outre que la banque avait connaissance de cette situation dès lors qu’il le lui avait précisé dans un mail du 25 novembre 2014. Il convient donc de retenir que M. [P] était marié sous le régime de la séparation de biens et que seuls ses biens et revenus personnels seront pris en compte.
Concernant son patrimoine immobilier, il a indiqué dans cette fiche détenir 50% du capital de la société civile immobilière (SCI) [P] Atelier, celui-ci ayant une valeur nette d’emprunt de 70.000 euros (160.000 euros – 90.000 euros d’encours). Il a également précisé détenir 51% du capital de la société Wall2Time, dont la valeur était estimée à 150.000 euros.
Il a précisé devoir rembourser un prêt automobile à hauteur de 15.318 euros, détenir 50% d’une créance commune avec son épouse de 50.000 euros sur la société Wall2Time, ainsi que 50% d’une épargne commune avec son épouse de 100.000 euros auprès de la société Crédit Agricole de Basse Goulaine, soit 75.000 euros au total. Enfin, il a indiqué percevoir 1250 euros de salaire mensuel et 790 euros de revenus mensuels liés à son mandat d’adjoint au maire.
S’agissant des éléments d’actif, M. [P] fait d’abord valoir devant la cour que le montant de ses parts sociales au sein de la société Wall2Time doit être réévalué. En effet, cinq prêts ou crédits-bails ont été souscrits par la société entre le 3 juin 2015, date de la fiche, et le 30 juin 2016, date de l’engagement de caution, ayant un impact sur la valorisation de ses parts. M. [P] produit l’ensemble des contrats visés, pour un montant total de 304.590 euros. A tout le moins, il produit une attestation de l’ancien expert-comptable de la société affirmant que son capital pouvait être évalué à 88.997 euros au 31 décembre 2015. Il convient donc de retenir cette évaluation pour estimer que la valorisation des parts de M. [P] dans le capital de la société Wall2Time s’élevait, à la signature du cautionnement, à 45.388 euros.
Ensuite, le Crédit Agricole fait valoir qu’entre la date de la fiche et l’engagement de caution, le compte courant d’associé de la société Wall2Time a été remboursé à M. et Mme [P] à hauteur de 164.655 euros.
M. [P] affirme d’une part que la créance de 50.000 euros figurant dans la fiche correspondait en réalité au compte-courant d’associé et que l’épargne de 100.000 euros a été investie en compte-courant entre juin et décembre 2015. Pour le justifier, il fait valoir la majoration du compte-courant, de 43.802 euros en décembre 2014 à 164.655 euros en décembre 2015.
Ce seul élément ne suffit pas à démontrer que la créance de 50.000 euros constituait bien le compte-courant d’associé et que l’épargne de 100.000 euros a totalement été investie dans la société Wall2Time. En l’absence d’autres éléments de preuve, il n’est pas possible de déduire que la créance, l’épargne et le compte-courant ne constituent qu’une seule et même créance.
D’autre part, M. [P] soutient que le compte-courant a été abandonné à hauteur de 90.000 euros en 2016 et qu’il n’a perçu, avec son épouse, que 73.627 euros qu’ils ont réinvesti dans les cellules commerciales et l’atelier de fabrication.
Toutefois, il n’est pas produit de convention d’abandon de compte courant, l’annexe aux comptes annuels précise que cet abandon a été consenti sous réserve d’un retour à meilleure fortune et la caution ne démontre pas qu’il a été effectué avant l’engagement de caution de juin 2016. Par ailleurs, M. [P] n’apporte pas d’éléments permettant de démontrer que la somme de 73.627 euros a bien été réinvestie dans les cellules commerciales et l’atelier de fabrication.
Il convient donc de retenir dans l’actif de M. [P] la moitié du compte courant d’associé, soit 82.327,5 euros.
S’agissant des éléments de passif, M. [P] invoque devant la cour dix contrats de prêt ou de cautionnement souscrits postérieurement au 3 juin 2015. Il convient de prendre en compte seulement ceux conclus antérieureurement au 30 juin 2016.
Ainsi, le contrat de prêt souscrit auprès de la société CIC Ouest ne peut pas être retenu, car il a été souscrit le 5 juillet 2016. Le crédit-bail souscrit auprès de la société Crédit Agricole Leasing et le prêt souscrit auprès de la société Michelin ne sauront non plus être pris en compte, dès lors qu’ils ont été conclus avec la société Wall2Time et non pas avec M. [P].
Concernant les prêts consentis à la SCI [P] Atelier (100.250 euros), à la SCI [P] Magasin (140.000 euros) et à la SCI [P] Magasin 2 (200.000 euros), M. [P] estime qu’ils doivent être pris en compte dans son passif, dès lors que les associés d’une SCI sont personnellement tenus des dettes sociales contractées par celle-ci à hauteur de leurs parts dans le capital.
Toutefois, la responsabilité indéfinie et non-solidaire de M. [P] en tant qu’associé des SCI n’entraine pas sa qualité de débiteur des trois contrats de prêts. Ces sociétés ont un patrimoine propre qui doit être distingué de celui de ses associés. Ainsi, les prêts qui leur sont consentis ne peuvent être pris en compte dans l’appréciation du patrimoine personnel de M. [P].
Il convient de retenir tous les autres engagements invoqués, soit le prêt à la consommation souscrit auprès de la société Crédit Agricole Atlantique Vendée et mentionné dans la fiche, dont l’encours était de 10.329,77 euros au 30 juin 2016, les deux prêts souscrits auprès de l’Initative Bretagne pour un montant total de 25.000 euros, les deux reconnaissances de dette à hauteur de 20.000 et 70.000 euros, le prêt d’honneur souscrit auprès de Réseau Bretagne Entreprendre pour un montant de 20.000 euros, ainsi que l’engagement de caution au titre du crédit-bail souscrit auprès de la société CM-CIC Bail le 6 février 2016, à hauteur de 66.096 euros.
Pour rappel, M. [P] s’est porté caution au titre du prêt n° l0000l502l2 dans la limite de la somme de 15.554,50 euros.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les biens (35.000 + 45.388 + 25.000 + 50.000 + 82.327,5 = 237.715,5 euros) et revenus (24.480 euros) de M. [P], au vu de son endettement global (10.329,77 + 25.000 + 90.000 + 20.000 + 66.096 = 211.425,77 euros), lui permettaient de faire face à un engagement de caution souscrit dans la limite de 15.554,50 euros.
Il n’est pas établi que l’engagement de caution de M. [P] était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où la caution a été appelée.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Le cautionnement du 27 septembre 2016 attaché au contrat de prêt n° 10000161133 :
Il n’y a pas eu d’autre fiche de renseignements remplie entre l’acte de cautionnement du 30 juin 2016 et celui du 27 septembre 2016. Il convient donc de se reporter à nouveau à la fiche de renseignements en date du 3 juin 2015, M. [P] pouvant justifier de l’évolution de sa situation entre la date de la fiche et celle de son engagement de caution.
S’agissant de l’actif de M. [P] au moment de son engagement de caution, les arguments avancés sont les mêmes que ceux invoqués concernant le premier cautionnement.
S’agissant de son passif toutefois, deux cautionnements supplémentaires sont invoqués en sus des engagements retenus ci-dessus. Il convient en effet de prendre en compte le cautionnement du 30 juin 2016 souscrit antérieurement à celui en cause, ainsi que le cautionnement au titre du contrat de prêt souscrit auprès de la société CIC Ouest le 5 juillet 2016, pour un montant de 13.920 euros.
Pour rappel, M. [P] s’est porté caution au titre du prêt n° 10000161133 dans la limite de la somme de 4.672 euros.
Il résulte de ces éléments que les biens (237.715,5 euros) et revenus (24.480 euros) de M. [P], au vu de son endettement global (211.425,77 + 15.554,50 + 13.920 = 240.900,27 euros), lui permettaient de faire face à un nouvel engagement de caution souscrit dans la limite de 4.672 euros.
Il n’est donc pas établi que l’engagement de caution de M. [P] était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où la caution a été appelée.
Le jugement sera également confirmé de ce chef.
Sur l’information annuelle de la caution :
L’établissement prêteur est tenu d’une obligation d’information annuelle de la caution.
L’article L 313-22 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2014 au 11 décembre 2016 et applicable en l’espèce, dispose que :
Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
L’établissement n’est pas tenu de prouver que les lettres d’information ont été reçues. Il doit établir qu’il a envoyé des lettres contenant les informations fixées par ce texte.
Le Crédit Agricole produit, au titre des deux prêts, des copies des lettres d’information destinées à M. [P] pour les années 2016 à 2021, ainsi que la copie des procès-verbaux de constat d’huissier auxquels sont annexés des extraits des listings cautions, pour les années 2016 à 2020.
Dans ces procès-verbaux, l’huissier de justice a constaté que le Crédit Agricole copiait le fichier des clients destinataires de l’information annuelle et le fichier des clients cautionnaires sur un CD-ROM, ou à partir de 2019, sur une clé USB, puis que des enveloppes contenant l’information annuelle relative aux crédits à la consommation étaient expédiées par voie postale aux cautions, après que l’huissier ait procédé à une vérification de ces courriers par sondage.
Le Crédit Agricole produit également devant la cour des extraits de listings de cautions, intitulés ‘état annuel des informations cautions’ pour les années 2017 à 2020 et comportant le nom de M. [P]. Il ne produit pas d’extrait des CD-ROM ou clés USB précités, démontrant que M. [P] était bien destinataire des envois.
Il produit en revanche une attestation de l’huissier intervenu à l’établissement des constats. Ce dernier affirme que le nom de M. [P] figurait bien sur les fichiers des listes de destinataires des lettres d’information envoyées, pour les années 2016 à 2022. Les extraits concernés sont copiés sur un fichier annexé à l’attestation. Ils mentionnent bien le nom de M. [P] pour les années 2016 à 2022, mais ils ne font apparaitre en 2021 et 2022 que les montants restants dûs au titre du prêt n° l0000l502l2 et non pas au titre du prêt n° 10000161133.
Dans ses dernières observations, M. [P] fait valoir que l’adresse figurant sur l’attestation de l’huissier est son ancienne adresse, à laquelle il n’habite plus depuis fin 2016. Il ajoute que le Crédit Agricole ne pouvait ignorer cette information, puisqu’il a adressé une lettre de mise en demeure à la nouvelle adresse de M. [P], le 9 juillet 2018, et que l’accusé de réception a été signé par ce dernier.
En effet, les pièces produites par le Crédit Agricole pour attester de l’envoi des lettres d’information annuelle à M. [P] mentionnent la même adresse de 2016 jusqu’à 2022, à savoir ‘[Adresse 3]’, alors que son adresse actuelle est ‘[Adresse 2]’.
M. [P] ne produit toutefois pas de pièce justifiant de la date exacte de ce changement d’adresse. Il ne justifie pas non plus en avoir informé le Crédit Agricole, alors même que les deux contrats de prêt en cause prévoient que ‘chaque caution s’engage […] à communiquer au prêteur ses éventuels changements d’adresse’. Le relevé de comptes bancaires de M. [P] pour le mois de septembre 2016 mentionne bien cette nouvelle adresse, mais il concerne un compte ouvert auprès d’une autre caisse, celle de la société Crédit Agricole Atlantique Vendée. Cette pièce ne suffit donc pas pour démontrer que le Crédit Agricole du Morbihan avait connaissance d’un changement de résidence.
Il convient ainsi de retenir qu’il est bien justifié de l’envoi à M. [P] des lettres d’information annuelle pour toutes les années pour le prêt n° l0000l502l2, et jusqu’à 2020 seulement pour le prêt n° 10000161133.
Le Crédit Agricole est donc déchu du droit aux intérêts au titre du prêt n° 10000161133 seulement, à compter du 16 février 2021, date de la dernière information connue.
Concernant ce prêt, la créance déclarée en dernier lieu s’élevait à 7.690,67 euros en capital.
Or, M. [P] s’est engagé en qualité de caution dans la limite de 4.672 euros. Même après imputation des intérêts dont la banque a été déchue, la société Wall2Time reste devoir, rien qu’en capital, une somme supérieure à ce plafond. Le manquement de la banque à son obligation d’information annuelle de la caution est donc sans incidence sur l’obligation à paiement qui incombe à la caution.
Ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [P] au paiement d’une somme de 4.672 euros (montant maximum de son engagement de caution) au titre du prêt n° 10000161133.
Concernant le prêt n° l0000l502l2 et au vu du dernier décompte des sommes dues, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [P] au paiement d’une somme de 9.458,16 euros au titre du principal, 193,62 euros au titre des intérêts contractuels et 131,07 euros au titre des intérêts de retard.
Il sera condamné à payer ces sommes avec intérêts au taux contractuel à compter du 9 juillet 2018, date de la mise en demeure, dans la limite de la somme de 15.554,50 euros, montant maximum de son engagement de caution.
Sur l’obligation de mise en garde :
Si la caution est profane, l’établissement bancaire doit la mettre en garde lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La caution avertie n’est pas créancière de ce devoir de mise en garde, sauf si elle démontre que la banque disposait d’informations qu’elle-même ignorait, notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement du débiteur principal.
C’est sur le créancier professionnel que pèse la charge d’établir que la caution est avertie. En revanche, c’est à la caution qu’il revient de rapporter la preuve du manquement de l’établissement bancaire à son obligation de mise en garde.
Pour apprécier la qualité de la caution, il y a lieu de tenir compte de la formation, des compétences et des expériences concrètes de celle-ci ainsi que de son implication dans le projet de financement. Il doit être démontré qu’elle avait une connaissance étendue du domaine de la finance et de la direction d’entreprise. Le fait que la caution ait été, lors de la conclusion du cautionnement, dirigeant de la société cautionnée ne représente qu’un seul des indices permettant d’apprécier sa qualité de caution profane ou avertie.
En l’espèce, lors de la conclusion des deux actes de cautionnements en 2016, M. [P] était gérant de la société Wall2Time depuis 2008. Dès 2015, il affirmait qu’il détenait des compétences notamment en matière de gestion d’entreprise et de finance et qu’il s’occupait au sein de la société de la finance, du marketing et du commercial. En outre, M. [P] avait créé en janvier 2013 la SCI [P] Atelier, en juin 2014 la SCI [P] Magasin et en octobre 2014 la SCI [P] Magasin 2. Enfin, il s’était porté caution au titre de deux contrats de prêts souscrits par la société Wall2Time en février et juillet 2016.
Ainsi, M. [P] avait pu acquérir des connaissances et une expérience en matière de gestion d’entreprise. Il était parfaitement à même de comprendre la nature, l’étendue et les conséquences de ses engagements de caution. Il était donc une caution avertie.
M. [P] ne justifie pas que le Crédit Agricole ait disposé d’informations sur la situation financière ou les capacités de remboursement de la société Wall2Time que lui-même ignorait. Le Crédit Agricole n’était donc pas tenu envers lui d’une obligation de mise en garde.
Il y a lieu de rejeter la demande indemnitaire de M. [P] à ce titre. Le jugement sera confirmé.
Sur l’indemnité forfaitaire de recouvrement :
Les conditions générales des contrats de prêt n° l0000l502l2 et n° 10000161133 prévoient les dispositions suivantes:
‘Indemnité de recouvrement due si le prêt n’est pas soumis au code de la consommation : si pour parvenir au recouvrement de sa créance, le prêteur a recours à un mandataire de justice ou exerce des poursuites ou produit à un ordre, l’emprunteur s’oblige à lui payer, outre les dépens mis à sa charge, une indemnité forfaitaire de 7% calculée sur le montant des sommes exigibles avec un montant minimum de 2000 euros.’
En conséquence, le Crédit Agricole demande la condamnation de M. [P] au paiement de cette indemnité de 7% au titre des deux prêts.
M. [P] soutient qu’en sa qualité de caution, il est seulement tenu au paiement du principal, des intérêts et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et que cette indemnité ne saurait être considérée comme une pénalité opposable à la caution.
En tout état de cause, la demande de versement de l’indemnité de 7% ne figure pas dans la déclaration de créance du Crédit Agricole, en date du 13 septembre 2017.
Or, la banque ne peut demander le versement de sommes dont elle n’a pas fait état dans sa déclaration de créances. Les créances qui n’ont pas été déclarées sont exclues.
Dès lors, il y a lieu de déclarer irrecevable la demande formée à ce titre par le Crédit Agricole. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [P], partie succombante, aux dépens d’appel et de rejeter les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La cour :
– Infirme le jugement en ce qu’il a :
– Condamné M. [P], en sa qualité de caution de la société Wall2Time, à payer au Crédit Agricole les sommes suivantes :
– au titre du prêt n° l0000l502l2 : la somme de 9.458,16 euros au titre du principal, 193,62 euros au titre des intérêts au taux de 1,70% l’an, 131,07 euros au titre des intérêts au taux de 1,70% plus 3% 1’an, outre les intérêts conventionnels, sur ces trois sommes, à compter du 8 février 2019 jusqu’au parfait paiement, 2.000 euros au titre de l’indemnité de recouvrement de 7%, outre les intérêts légaux à compter du 10 avril 2019, dans la limite de 15.554,60 euros,
– Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant, reprenant certains des éléments non infirmés du dispositif du jugement à des fins de clarté :
– Déclare la société Crédit Agricole du Morbihan – Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel déchue de son droit aux intérêts au titre du prêt n° 10000161133, à compter du 16 février 2021,
– Condamne M. [P] à payer à la société Crédit Agricole du Morbihan – Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel , au titre du prêt n° 10000161133, la somme de 4.672 euros,
– Condamne M. [P] à payer à la société Crédit Agricole du Morbihan – Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel , au titre du prêt n° l0000l502l2, la somme de 9.458,16 euros en principal, 193,62 euros d’intérêts contractuels et 131,07 euros d’intérêts de retard, avec intérêts au taux contractuel à compter du 9 juillet 2018 jusqu’au parfait paiement, dans la limite de la somme de 15.554,50 euros,
– Déclare irrecevable la demande formée par la société Crédit Agricole du Morbihan – Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel au titre de l’indemnité de recouvrement de 7%,
– Rejette les autres demandes des parties,
– Condamne M. [P] aux dépens d’appel.
Le greffier Le président