30 janvier 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/02784
1ère CHAMBRE CIVILE
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 30 JANVIER 2023
N° RG 22/02784 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MXUY
S.A.R.L. ETUDES MOREAU NOTAIRES
c/
[X] [F] [P]
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 10 mai 2022 par le Président du Tribunal de Commerce de BORDEAUX (RG : 2022R00232) suivant déclaration d’appel du 08 juin 2022
APPELANTE :
S.A.R.L. ETUDES MOREAU NOTAIRES agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Maître Thomas PERINET de la SELARL QUESNEL ET ASSOCIES, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître BOURDOT substituant Maître Virginie LE ROY de la SELEURL SELARL MAITRE VIRGINIE LE ROY, avocats plaidants au barreau de PARIS
INTIMÉE :
[X] [F] [P]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître FOURNIER substituant Maître Alexandre RIOU de la SARL AR CONSEIL, avocats plaidants au barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Exposé du litige
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Le 3 décembre 2019, Mme [X] [F] [P] a conclu avec la SARL Etudes Moreau Notaires un contrat d’apport de fonds libéral relatif à son étude de notaire située à [Localité 5], en contrepartie de l’attribution de 152 parts sociales.
Par courrier préalable du 15 novembre 2019, un engagement a été pris par la société bénéficiant de l’apport à rémunérer la nouvelle associée d’un montant de 4.000 € net mensuel la première année, puis de 10.000 € nets mensuels.
L’apport a été effectif suite à l’arrêté du ministre de la justice du 4 janvier 2021 et l’attribution des 152 parts émises au bénéfice de personne ayant apporté son fonds suite à l’assemblée générale de la SARL Etudes Moreau Notaires du 21 janvier 2021.
Par courrier électronique du 12 novembre 2021, la SARL Etudes Moreau Notaires s’est prévalu d’un compte courant d’associé débiteur de Mme [F] [P] résultant selon elle des résultats déficitaires et des prélèvements effectués par sa cocontractante avant l’intégration dans sa structure, pour un montant de 81.004,13 €.
L’assemblée générale de la SARL Etudes Moreau Notaires, par procès-verbal du 11 janvier 2022, a décidé de compenser le remboursement du compte courant précité avec la rémunération de la nouvelle associée d’un montant de 4.000 €.
Par acte d’huissier en date du 31 mars 2022, Mme [F] [P] a fait assigner en référé la SARL Etudes Moreau Notaires aux fins notamment de contester la décision de l’assemblée générale précitée du 11 janvier 2022, la convention de compte courant d’associé, la suspension des paiements de compte courant et de sa rémunération.
Par ordonnance en date du 10 mai 2022, la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux a :
– Décidé la suspension des effets des délibérations prises par l’assemblée générale des associés de la SARL Etudes Moreau Notaires en date du 11 janvier 2022, en ce compris la convention de compte courant dont il est fait état ;
– Condamné cette même société à payer à Mme [F] [P] la somme de 26.129€, montant dû à compter du 1er janvier 2022 jusqu’au 31 mars 2022, outre la somme mensuelle de 10.000 € par mois à compter du 1er avril 2022 et ce, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter du septième jour après la signification de cette décision, et ce pendant 3 mois, passé ce délai il sera à nouveau fait droit ;
– Dit se réserver la liquidation de cette astreinte ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires à donner accès à Mme [F] [P] à la totalité de la comptabilité de l’office de [Localité 5] et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du septième jour après la signification de cette décision, et ce pendant 3 mois, passé ce délai il sera à nouveau fait droit ;
– Dit se réserver la liquidation de cette astreinte ;
– Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de Mme [F] [P] tendant à juger que, à défaut de saisine du juge du fonds dans un délai de 6 mois à compter de la signification de cette ordonnance, les mesures provisoires ordonnées prendront fin ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires à payer à Mme [F] [P] la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires aux dépens.
La SARL Etudes Moreau Notaires a relevé appel de cette décision par déclaration du 8 juin 2022.
Moyens
Par conclusions déposées le 18 novembre 2022, la SARL Etudes Moreau Notaires demande à la cour de:
– Réformer l’ordonnance du 10 mai 2022 précitée en ce qu’elle a:
– Décidé la suspension des effets des délibérations prises par l’assemblée générale des associés de la SARL Etudes Moreau Notaires en date du 11 janvier 2022, en ce compris la convention de compte courant dont il est fait état ;
– Condamné cette même société à payer à Mme [F] [P] la somme de 26.129€, montant dû à compter du 1er janvier 2022 jusqu’au 31 mars 2022, outre la somme mensuelle de 10.000 € par mois à compter du 1er avril 2022 et ce, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter du septième jour après la signification de cette décision, et ce pendant 3 mois, passé ce délai il sera à nouveau fait droit ;
– Dit se réserver la liquidation de cette astreinte ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires à donner accès Mme [F] [P] à la totalité de la comptabilité de l’office de [Localité 5] et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du septième jour après la signification de cette décision, et ce pendant 3 mois, passé ce délai il sera à nouveau fait droit ;
– Dit se réserver la liquidation de cette astreinte ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires à payer à Mme [F] [P] la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SARL Etudes Moreau Notaires aux dépens ;
Et statuant à nouveau,
– Constater que les délibérations prises par l’assemblée générale des associés de la SARL Etudes Moreau Notaires en date du 11 janvier 2022 sont légales, conformes aux statuts et ne caractérisent pas un trouble manifestement illicite ;
– Constater que l’intégralité des demandes de Mme [F] [P] auxquelles le président du tribunal de commerce a fait droit se heurte à l’existence de contestations sérieuses ;
– Débouter Mme [F] [P] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner Mme [F] [P] à lui payer la somme de 5.000 € au titre des frais visés à l’article 700 du code de procédure civile relatifs à la première instance, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance ;
Y ajoutant,
– Condamner Mme [F] [P] à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Par conclusions déposées le 29 août 2022, Mme [F] [P] demande à la cour de:
– La déclarer recevable en ses demandes ;
– Débouter la SARL Etudes Moreau Notaires de l’ensemble de ses demandes ;
– Confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bordeaux le 10 mai 2022 ;
– Condamner la SARL Etudes Moreau Notaires à lui payer 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
L’affaire a été fixée à l’audience du 5 décembre 2022.
L’instruction a été clôturée le 21 novembre 2022.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
I Sur la délibération du 11 janvier 2022.
L’article 873 du code de procédure civile prévoit que ‘ Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.
L’article R.223-20 alinéa 4 du code de commerce énonce que ‘Sous réserve des questions diverses, qui ne doivent présenter qu’une minime importance, les questions inscrites à l’ordre du jour sont libellées de telle sorte que leur contenu et leur portée apparaissent clairement, sans qu’il y ait lieu de se reporter à d’autres documents’.
La société Etudes Moreau Notaires reproche à l’ordonnance attaquée d’avoir suspendu la délibération adoptée le 11 janvier 2022 par son assemblée générale du fait du trouble manifestement illicite. Or, elle rappelle qu’en application de l’article L.223-21 du code de commerce, les découverts en compte courant d’associés sont interdits dans les sociétés à responsabilité limitée. Elle soutient que l’apport de l’entreprise individuelle réalisé par l’intimée a eu pour effet de convertir son compte d’entrepreneur individuel en un compte d’associé, ce qui a généré une difficulté du fait du déficit relevé.
Elle affirme que le déficit résulte de prélèvements excessifs par l’entrepreneur individuel pouvant s’analyser en un détournement d’actif.
Elle estime qu’il revenait à son assemblée générale de procéder à la compensation entre le compte courant débiteur et la rémunération de Mme [F] [P], afin de régler la créance, notamment en application de l’article 1347 du code civil, et qu’il n’existe pas de trouble manifestement illicite à ce titre.
Elle avance qu’il s’agissait d’une décision mesurée, ayant eu la possibilité de révoquer le mandat de gérant de son adversaire, voir à chercher son exclusion, alors que Mme [F] [P] n’a proposé aucune solution pour rétablir la situation.
Se prévalant des articles R.223-19 et R.223-20 du code de commerce, l’appelante observe que Mme [F] [P] n’ignorait pas que l’ordre du jour de l’assemblée générale du 11 janvier 2022 prévoyait la constatation de l’existence d’un compte courant d’associé débiteur, les modalités de remboursement de celui-ci et l’approbation de la convention de compte courant, outre des questions diverses. De plus, elle souligne avoir alerté la partie adverse sur l’existence du compte courant, l’ayant interrogée sur les modalités pour remédier au solde débiteur de celui-ci et permettre son apurement.
Elle considère que la deuxième résolution relève de l’ordre du jour, n’aborde aucun problème nouveau et est conforme aux dispositions du code de commerce.
***
La cour constate toutefois, comme l’a justement fait le premier juge, que la résolution votée le 11 janvier 2022 par l’assemblée générale de la société Etudes Moreau Notaires présente des différences substantielles avec celle mentionnée dans la convocation remise à l’intimée.
Tout d’abord, il sera relevé que la convention de compte courant qui devait être signée entre les parties à la présente instance a été signée par la seule gérance de l’appelante. Il en est de même pour la convention de remboursement, alors même que le principe du consensualisme mis en avant par la convocation n’a pas été respecté, la solution retenue ayant abouti à une compensation avec la totalité du revenu de l’intimée sans l’accord de celle-ci.
Il résulte de ces différences un traitement éloigné de ce à quoi l’intimée pouvait s’attendre de la part de ses associés, ce d’autant que celle-ci contestait la nature de la dette.
Cette situation, en ce qu’elle a eu pour effet de priver Mme [F] [P] unilatéralement d’une contrepartie prévue à l’apport de fonds libéral objet du présent litige n’a pu que lui causer un dommage imminent et un trouble manifestement illicite.
Il s’ensuit que la société Etudes Moreau Notaires sera déboutée de ses prétentions de ce chef.
II Sur l’accès à Mme [F] [P] à la comptabilité de l’office de [Localité 5].
Il sera relevé sur ce point que si cette question a fait l’objet d’un recours de la part de la société appelante, celle-ci n’a cependant pas exposé en droit ou en fait les motifs de sa contestation.
Par conséquent, l’ordonnance en date du 10 mai 2022 sera également confirmée de ce chef en application de l’article 954 du code de procédure civile.
III Sur les demandes connexes.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, la société Etudes Moreau Notaires, qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande que la société Etudes Moreau Notaires soit condamnée à verser à Mme [F] [P] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
CONFIRME l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux le 10 mai 2022 ;
y ajoutant,
CONDAMNE la société Etudes Moreau Notaires à verser à Mme [F] [P] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Etudes Moreau Notaires aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,