29 novembre 2022
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
22/01993
1ere Chambre
N° RG 22/01993 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LL7J
C2
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL CABINET EZINGEARD MAGNAN
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 29 NOVEMBRE 2022
Appel d’une décision (N° RG 22/00141)
rendue par le Tribunal judiciaire de VALENCE
en date du 04 mai 2022
suivant déclaration d’appel du 20 mai 2022
APPELANTE :
Mme [D] [U]
née le [Date naissance 5] 1958 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée et plaidant par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
M. [L] [Z]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté et plaidant par Me Valérie EZINGEARD de la SELARL CABINET EZINGEARD MAGNAN, avocat au barreau de VALENCE
LA SCI ROCHEBOU prise en la personne de son représentant légal en exercice,
domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
M. Laurent Desgouis, vice président placé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 octobre 2022 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
Exposé du litige
FAITS ET PROCEDURE
Par acte notarié du 20 juillet 2009, Mme [D] [U] et M. [L] [Z] ont constitué la SCI ROCHEBOU, dont le capital social a été réparti entre eux à hauteur de 51 parts pour la première et de 49 parts pour le second.
La SCI ROCHEBOU a acquis en 2009 un bien immobilier situé à St Peray ( Ardèche) au prix de 175.000 euros financé par un emprunt bancaire de même montant.
Les associés ont occupé cet immeuble jusqu’à la séparation du couple intervenue en 2012, et Mme [U] a occupé seule le bien jusqu’à sa revente le 12 octobre 2018 moyennant le prix de 228.000 euros.
Un litige est survenu entre les parties quant à la répartition du prix de cession, sur lequel M. [Z] a procédé au remboursement à son profit de son compte courant d’associé à concurrence d’une somme de 115.658,38 euros.
Mme [U] a contesté cette opération et par ordonnance de référé du 2 octobre 2019, confirmée en appel le 30 juin 2020, M. [Z] a été condamné à restituer à la SCI la somme prélevée de 115.392,14 euros.
En exécution de cette condamnation la somme de 115.392,14 euros a été séquestrée sur le compte CARPA de l’avocat de Mme [U].
Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur l’apurement des comptes et sur la dissolution de la SCI.
C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier du 28 février 2022, Mme [U] a fait assigner M. [Z] ainsi que la SCI ROCHEBOU devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Valence à l’effet d’obtenir la désignation d’un administrateur provisoire chargé de :
obtenir la sortie des fonds séquestrés d’un montant de 79.081,03 euros au profit de la SCI,
procéder à la répartition de ce solde entre les parties au prorata de leur participation au capital en l’absence de comptabilité,
procéder à la dissolution anticipée de la SCI et in fine à sa liquidation amiable avec en tant que de besoin transfert de son siège social,
procéder généralement à toutes mesures utiles à l’administration de la SCI jusqu’à la clôture de la liquidation,
prélever les frais de sa mission sur le compte CARPA.
Sans s’opposer à la désignation d’un administrateur provisoire, M. [Z] a fait valoir que Mme [U] est à l’origine de la mésentente entre les associés, puisqu’elle est redevable envers la SCI d’une indemnité d’occupation de l’immeuble depuis la séparation du couple jusqu’à la revente, qu’une comptabilité a été régulièrement tenue, que la répartition des fonds contre les associés ne peut intervenir qu’après paiement de l’ensemble des dettes sociales et que l’administrateur provisoire ne peut recevoir pour mission de procéder à la dissolution/liquidation de la société qui relève exclusivement de la prérogative des associés.
Il a ainsi proposé de confier à l’administrateur la seule mission d’actualiser la comptabilité, d’établir le montant des comptes courants d’associés, de déterminer l’indemnité d’occupation due par Mme [U] et de procéder au remboursement des comptes courants d’associés après compensation.
Par ordonnance de référé en date du 4 mai 2022 la présidente du tribunal judiciaire de Valence :
a désigné la SELARL SBCMJ en qualité d’administrateur ad hoc de la SCI ROCHEBOU avec la mission proposée par M. [Z] , ainsi que celle de convoquer une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire afin qu’il soit délibéré sur la dissolution anticipée de la SCI et sur la désignation d’un liquidateur amiable,
a dit que les frais et honoraires du mandataire seront considérés comme charges générales de la société,
a dit que chacun des associés versera à l’administrateur désigné la somme de 600 euros dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,avec faculté donnée à chaque partie de se substituer à la partie défaillante et d’obtenir le remboursement de son avance sur les fonds sociaux disponibles,
a débouté les parties du surplus de leurs demandes, a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et faisant masse des dépens, a dit qu’ils seraient partagés en deux masses égales et mis à la charge de chacune des parties.
Le juge des référés a considéré en substance qu’en l’absence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent, il convenait de désigner, non pas un administrateur provisoire, mais un mandataire ad hoc pour remédier au blocage dû à la mésentente entre les associés, avec mission d’actualiser la comptabilité et d’établir les comptes entre les parties avant de convoquer une assemblée générale en vue de la dissolution/liquidation de la société.
Mme [D] [U] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 20 mai 2022 aux termes de laquelle elle critique l’ordonnance de référé en ce qu’elle a commis la SELARL SBCMJ avec mission d’établir le montant de l’indemnité due par elle à la SCI au titre de la jouissance du bien, d’actualiser la comptabilité existante, d’établir le montant des comptes courants d’associés, d’effectuer le remboursement des comptes courants d’associés après compensation pour elle des sommes dues au titre de la jouissance du bien et de convoquer une assemblée générale en vue de délibérer sur la dissolution anticipée de la SCI et sur la désignation d’un liquidateur amiable.
L’affaire a reçu une fixation à bref délai dans le cadre de l’article 905 du code de procédure civile.
Moyens
Vu les conclusions déposées et notifiées le 6 juillet 2022 Mme [D] [U] qui demande à la cour :
de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a désigné un administrateur ad hoc,
d’infirmer en revanche l’ordonnance sur la mission confiée à ce mandataire et statuant à nouveau de ce chef de charger ce dernier d’obtenir la sortie des fonds séquestrés au compte CARPA du barreau de Lyon d’un montant de 79.081,03 euros au profit de la SCI ROCHEBOU, de procéder à la répartition de ce solde entre les parties au prorata de leurs droits sociaux en l’absence de comptabilité, de procéder à la dissolution anticipée de la SCI ROCHEBOU et in fine à sa liquidation amiable avec au besoin transfert de son siège social et plus généralement de procéder à toutes mesures d’administration utiles jusqu’à la clôture de la liquidation,
de condamner M. [Z] à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
que la situation de blocage provoquée par M. [Z], qui s’oppose à la libération du solde des fonds séquestrés( après déblocage à chacun d’un acompte de 20.000 euros) et à sa répartition entre les associés, lui cause un préjudice alors qu’elle est sans ressources,
que la mission confiée à l’administrateur ad hoc par le juge des référés ne répond pas à l’objectif de la procédure qu’elle a mise en ‘uvre, alors que la comptabilité établie unilatéralement par M. [Z] est totalement contestée en ce qu’elle est erronée et mensongère et qu’elle a elle-même effectué des apports en comptes courants contrairement à ce qui est soutenu.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 29 juillet 2022 par M. [L] [Z] qui sollicite la confirmation de l’ordonnance déférée et le rejet de toutes les demandes formées par Mme [U], dont il prétend obtenir la condamnation à lui payer la somme de 2.000 euros pour frais irrépétibles.
Il fait valoir :
que l’attribution des fonds aux associés d’une société civile immobilière soumise au régime fiscal de l’impôt sur le revenu ne peut intervenir qu’après paiement de l’ensemble des dettes de la société, lesquelles sont constituées en l’espèce des apports en comptes courants effectués par les associés afin d’assurer le règlement des échéances de l’emprunt en l’absence de toute perception de loyers,
que l’administrateur ne peut donc nullement recevoir pour mission de procéder à la répartition du solde de trésorerie sans prendre en compte le passif social,
que par ailleurs Mme [U], qui a occupé le bien jusqu’à sa revente, est redevable envers la SCI d’une indemnité d’occupation, dont il doit être tenu compte avant répartition,
que contrairement à ce qui est affirmé sans aucune preuve, il a tenu une comptabilité régulière faisant apparaître les apports effectués par chacun des associés en vue du règlement des frais d’acquisition et des échéances de l’emprunt,
qu’il ne peut être confié à un administrateur ad hoc ou à un administrateur provisoire la mission de procéder à la dissolution anticipée d’une société et in fine à sa liquidation amiable, alors que cette prérogative n’appartient qu’aux associés.
Vu l’assignation à comparaître devant la cour contenant signification de la déclaration d’appel signifiée le 17 juin 2022 à la SCI ROCHEBOU en la personne de M. [Z], cogérant, qui n’a pas constitué avocat.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 11 octobre 2022.
Motivation
MOTIFS
L’appel ne porte pas sur le principe de la désignation d’un administrateur ad hoc, dont chacune des parties reconnaît qu’elle est nécessaire en l’état d’une situation de blocage.
Seule la mission confiée à ce mandataire est discutée, l’appelante prétendant notamment que ce dernier doit être chargé d’une part d’obtenir la libération du solde des fonds séquestrés en vue de sa répartition immédiate entre les associés au prorata de leurs droits sociaux, et d’autre part de procéder lui-même à la dissolution anticipée de la SCI et in fine à sa liquidation amiable.
Les prétentions de Mme [U] ne sauraient être accueillies alors :
que selon l’article 1844’7 du code civil la dissolution anticipée de la société est décidée par les associés, ou par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs,
qu’en application de l’article 1844’8 du code civil, le liquidateur amiable est nommé conformément aux statuts ou dans le silence de ceux-ci par les associés, ou à défaut par décision de justice,
qu’en vertu de l’article 1844’9 du code civil, le partage de l’actif est effectué entre les associés après paiement des dettes et remboursement du capital social.
C’est donc en contradiction totale avec l’ensemble de ces dispositions que Mme [U] demande que soit confiée à l’administrateur mission de répartir la trésorerie disponible avant détermination du passif et paiement des dettes sociales et de procéder lui-même à la dissolution/liquidation de la société alors que cette prérogative n’appartient qu’aux associés.
Il est par ailleurs justifié de la tenue d’une comptabilité régulière (balance, grand livre, journaux) au titre des exercices 2009 à 2018. En l’état de la contestation sur ce point c’est opportunément que mission a été confiée à l’administrateur de vérifier et d’actualiser ces documents comptables qui permettront notamment de déterminer le montant des comptes courants d’associés en vue des opérations de partage.
S’il n’appartient pas à l’administrateur de fixer la dette d’indemnité d’occupation de Mme [U], qui ne conteste pas avoir occupé seule l’immeuble entre 2012 et 2018, il peut opportunément lui être donné mission de proposer une évaluation des sommes dues à ce titre.
En cas de désaccord des parties sur la liquidation de cette indemnité, il devra alors être procédé comme en matière de partage des successions ainsi que le prévoit l’alinéa 2 de l’article 1844’9 du code civil.
L’ordonnance déférée sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a désigné la SELARL SBCMJ en qualité d’administrateur ad hoc de la SCI ROCHEBOU avec mission de convoquer une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire afin qu’il soit délibéré sur la dissolution anticipée de la SCI et sur la désignation d’un liquidateur amiable, dit que les frais et honoraires du mandataire seront considérés comme charges générales de la société, dit que chacun des associés versera à l’administrateur désigné la somme de 600 euros dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,avec faculté donnée à chaque partie de se substituer à la partie défaillante et d’obtenir le remboursement de son avance sur les fonds sociaux disponibles et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par voie de réformation partielle de la décision, il sera en revanche donné mission complémentaire au mandataire désigné :
de proposer une évaluation de l’indemnité d’occupation due par Mme [U] et de rechercher l’accord des parties sur ce point,
de vérifier et d’actualiser au besoin la comptabilité existante afin de déterminer notamment le montant des comptes courants d’associés en vue des opérations de partage,
de provoquer le partage amiable de l’actif en tenant compte des créances et des dettes des associés postérieurement à la décision des associés de dissoudre et de liquider la société, et à défaut d’unanimité de renvoyer les parties à la procédure de partage judiciaire.
L’équité ne commande pas de faire application en cause d’appel de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
LA COUR
statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a désigné la SELARL SBCMJ en qualité d’administrateur ad hoc de la SCI ROCHEBOU avec mission de convoquer une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire afin qu’il soit délibéré sur la dissolution anticipée de la SCI et sur la désignation d’un liquidateur amiable, dit que les frais et honoraires du mandataire seront considérés comme charges générales de la société, dit que chacun des associés versera à l’administrateur désigné la somme de 600 euros dans le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,avec faculté donnée à chaque partie de se substituer à la partie défaillante et d’obtenir le remboursement de son avance sur les fonds sociaux disponibles et en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,
Réforme l’ordonnance déférée pour le surplus et statuant à nouveau sur l’étendue de la mission confiée à l’administrateur dit que ce dernier sera également chargé :
de proposer une évaluation de l’indemnité d’occupation due par Mme [U] et de rechercher l’accord des parties sur ce point,
de vérifier et d’actualiser au besoin la comptabilité existante afin de déterminer notamment le montant des comptes courants d’associés en vue des opérations de partage,
de provoquer le partage amiable de l’actif en tenant compte des créances et des dettes des associés postérieurement à la décision des associés de dissoudre et de liquider la société, et à défaut d’unanimité de renvoyer les parties à la procédure de partage judiciaire,
Dit n’y avoir lieu en cause d’appel à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties,
Fait masse des dépens d’appel et les partage par moitié entre les parties.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT