28 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/20662
Pôle 5 – Chambre 8
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 28 MARS 2023
(n° / 2023, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/20662 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXMY
Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation du 20 Octobre 2021 ( Pourvoi n° Y20-11.095 ) d’un arrêt de la de la chambre 9 du pôle 5 de la cour d’appel de Paris rendu le 21 novembre 2019 ( RG 19/03655 ) sur appel d’un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 février 2019 ( RG 2016068486 )
DEMANDEUR A LA SAISINE
Monsieur [D] [C]
Né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 6]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Marion CHARBONNIER de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-CHARBONNIER, avocate au barreau de PARIS, toque : D0947,
Assisté de Me Frédéric SCHNEIDER de la SELEURL CLB Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1851,
DÉFENDERESSE A LA SAISINE
S.E.L.A.F.A. MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES ‘MJA’, prise en la personne de Maître [J] [G], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL BM & VT, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 504 587 346, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de PARIS du 12 mai 2015,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509,
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,
Assistée de Me Kristell QUELENNEC de la SELEURL Kristell QUELENNEC Avocat, avocate au barreau de PARIS, toque : P0411,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 1037-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour, composée en double rapporteur de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré composé de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame [X] [K] dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François Vaissette, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 4 mars 2022 et ses observations orales lors de l’audience.
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
Exposé du litige
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La SARL BM&VT,constituée le 24 mai 2008 à parts égales entre M. [D] [C] et Mme [E] [A], avait pour pour activité principale l’achat et la distribution sur internet de champagne de qualité. A la création de la société chacun des associés a consenti un apport en compte courant d’un montant de 132.223,77 euros pour MmeTaittinger et de 129.274,37 euros pour M. [C], le capital social étant de 10.000 euros.
M. [D] [C] en était le gérant depuis le 15 juin 2011.
Dans un premier temps, la société BM&VT s’est approvisionnée auprès d’un négociant (la société Champagne Janisson) et a commercialisé des bouteilles sous le sigle ‘marque acheteur’ sous la marque'[E] T’, puis a produit elle-même son champagne sous le sigle ‘ négociant manipulant’.
Pour obtenir ce statut, effectif en avril 2014, Mme [A] a constitué, dès le 22 octobre 2010, la société Le Nectar des Dieux au sein de laquelle elle possédait 499 actions sur les 500 composant le capital social, la dernière part appartenant à son mari. Cette société est devenue le fournisseur exclusif de la société BM&VT à compter de la fin de l’année 2012.
En 2014, les relations entre les associés se sont fortement dégradées, chacun reprochant à l’autre de mettre en péril les intérêts de la société.
Le 27 avril 2015, M. [C] a régularisé une déclaration de cessation des paiements et par jugement du 12 mai 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société BM&VT, fixé la date de cessation des paiements au 28 avril 2015, et désigné la Selafa MJA, en la personne de Me [J] [G] en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 2 juin 2017, le conseil de la selafa MJA, ès-qualités, se fondant sur les dispositions de l’article 17 des statuts de la société BM&VT, a demandé à M.[C] de communiquer la décision collective ayant autorisé le remboursement de son compte courant d’associé d’un montant de 160.370,40 euros, intervenu le 19 décembre 2014.
Le 21 juin 2017, M.[C] a répondu par l’intermédiaire de son avocat qu’il n’existait pas de décision collective d’autorisation et que le dit remboursement, qui n’était pas encadré, ne saurait être considéré comme fautif.
Le 3 août 2016, la selafa MJA, ès qualités, a vainement mis en demeure
M. [C] de lui rembourser la somme de 160.370,40 euros.
Par acte du 15 novembre 2016, la Selafa MJA, ès qualités, a fait assigner M.[C] en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Par jugement du 5 février 2019 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris s’est déclaré compétent par application de la loi française, a jugé que M. [D] [C], en sa qualité de gérant, avait commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif et l’a condamné à verser à la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [G], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société BM&VT, la somme de 160.370,40 euros, ainsi que la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Pour juger que M.[C] avait commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, le tribunal a d’une part relevé, que c’était en violation de l’article 17 des statuts qu’il avait procédé au remboursement de son compte courant, d’autre part, qu’en 2014, les difficultés financières de la société étaient avérées et ses liquidités réduites, que le retrait d’une somme aussi importante de la trésorerie de la société, dans une période difficile que M. [C], qui en était le gérant, ne pouvait ignorer, mettait à l’évidence en péril ses capacités de remboursement, que ce remboursement était intervenu à l’insu de Mme [A], qui avait consenti 6 mois plus tôt un prêt de 540.000 euros à la société, qu’en usant ainsi des pouvoirs que lui conférait sa qualité de gérant, il avait privilégié ses droits au détriment des autres créanciers et au mépris de l’affectio societatis, que l’insuffisance d’actif aurait pu être réduite d’autant si la trésorerie n’avait pas été indûment prélevée.
Sur appel relevé par M.[C], la cour d’appel de Paris, par arrêt du 21 novembre 2019, a écarté l’existence d’une faute de gestion, infirmé le jugement et débouté la SELAFA MJA, ès qualités de toutes ses demandes.
Sur pourvoi de la SELAFA MJA, la Cour de cassation, par arrêt du 20 octobre 2021, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 21 novembre 2019, remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée. La Cour de cassation a considéré que les motifs retenus par l’arrêt du 21 novembre 2019 étaient impropres à exclure à eux seuls la faute du gérant à qui le liquidateur reprochait d’avoir procédé au remboursement de son compte courant d’associé en parfaite connaissance des difficultés financières de la société et particulièrement de sa situation de trésorerie pour privilégier sa situation personnelle, peu important le caractère potestatif attribué à l’article 17 des statuts dont le refus d’application par la cour d’appel ne suffisait pas à écarter le caractère fautif du retrait des fonds dans les circonstances invoquées par le liquidateur.
Moyens
Par déclaration de saisine le 22 novembre 2021, M.[C] a saisi la cour de renvoi.
Par conclusions n°2 déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 avril 2022, M. [C] demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondé en son appel, infirmer le jugement en toutes ses disposition, statuant à nouveau, juger qu’en l’absence de toute stipulation contraire, les comptes courants des associés de la société BM&VT étaient remboursables à vue, que l’article 17 des statuts de la société BM&VT n’institue aucune procédure préalable d’autorisation du remboursement des comptes courants d’associés par la collectivité des associés, dans l’hypothèse où il serait retenu que l’article 17 des statuts de la société BM&VT instituerait une procédure préalable d’autorisation du remboursement des comptes courants d’associés par la collectivité des associés, juger que la clause statutaire recèle une condition purement potestative au sens des articles 1770 et 1774 du code civil, déclarer ladite clause nulle et non écrite, juger qu’ainsi les comptes courants d’associés étaient en toute hypothèse remboursables à vue, que le remboursement qu’il a effectué de son compte courant d’associé n’est pas constitutif d’une faute de gestion, débouter la SELAFA MJA ès-qualités de l’ensemble de ses demandes à son encontre, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour qualifierait de fautif le remboursement de son compte courant le dispenser de toute condamnation, en toute hypothèse, condamner la SELAFA MJA ès-qualités, à lui payer la somme de 12.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.
Dans ses conclusions notifiées le 10 mars 2022 déposées au greffe et notifiées par RPVA, la SELAFA MJA, prise en la personne de maître [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BM&VT, demande à la cour de la recevoir en ses demandes et les déclarer bien fondées, en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaître de la présente action et faire application de la loi française, en ce qu’il a constaté que M.[C] avait commis une faute à l’origine de l’insuffisance d’actif de la société BM & VT, et l’a condamné au paiement de la somme de 160.370,40 euros, ainsi que celle de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, a ordonné l’exécution provisoire du jugement, y ajoutant, condamner M.[C] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et de condamner le même aux dépens.
Dans son avis notifié par RPVA le 4 mars 2022, le ministère public conclut à la confirmation dans son principe du jugement qui a condamné M.[C] à verser la somme de 160.370,40 euros au titre de l’insuffisance d’actif et s’en remet à l’appréciation de la cour quant au montant qui pourrait être ramené à 100.000 euros.
Motivation
SUR CE
Liminairement il sera relevé s’agissant de la compétence du tribunal de commerce de Paris, que si M.[C] sollicite l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions, il ne développe aucun moyen pour contester la disposition du jugement ayant reconnu la compétence du tribunal de commerce de Paris. Le liquidateur concluant quant à lui à la confirmation de la décision entreprise, ce chef du jugement sera confirmé.
– Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif
Selon l’article L 651-2 du code de commerce,’Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée’.
Il résulte de ces dispositions que le liquidateur doit établir l’existence d’une insuffisance d’actif, d’une faute de gestion ne se limitant pas à une simple négligence, ayant contribué à l’insuffisance d’actif.
– sur l’insuffisance d’actif
Au vu des explications non contestées du liquidateur sur ce point, le passif définitivement admis après vérification s’élève à 816.140,41 euros, l’actif recouvré à 217.671,15 euros, de sorte que l’insuffisance d’actif, qui est certaine, s’élève à la somme de 598.469,26 euros.
– sur la faute de gestion
Le liquidateur soutient que M.[C] a commis une faute de gestion en procédant au remboursement de son compte courant à l’insu de son associée, en contrevenant à l’article 17 des statuts de la société BM&VT qui ne présente pas de caractère potestatif, en effectuant ce remboursement alors que la société avait contracté auprès de la société Le Nectar des Dieux un prêt de 540.000 euros, qu’il n’ignorait pas que la société rencontrait d’importantes difficultés financières à cette période, le remboursement de la somme de 160.370,40 euros ayant brutalement privé la société d’une part importante de sa trésorerie provoquant ainsi son état de cessation des paiements et empêchant le paiement de ses créanciers et la poursuite de son activité. Il en conclut que M.[C] a délibérément privilégié ses intérêts au détriment de ceux conjugués de la société et de ses créanciers.
M.[C] conteste toute faute lors du remboursement de son compte courant. Il fait tout d’abord valoir que l’article 17 des statuts, relatif au remboursement des comptes courants d’associé, ne fixe en aucune façon une obligation préalable de consultation ou d’autorisation de la collectivité des associés, qu’en l’absence de convention particulière régissant les modalités de retrait, le principe est celui du paiement à vue des comptes courants. Il soutient qu’en toute hypothèse, s’il fallait considérer que l’article 17 impose que le remboursement d’un compte courant d’associé soit soumis à la collectivité des associés, cette clause serait purement et simplement non écrite car potestative au sens des articles 1770 et 1774 du code civil, l’autorisation étant soumise au bon vouloir de l’autre associé. Il affirme que le remboursement a été dûment inscrit dans les comptes sociaux de l’exercice 2014 et qu’il n’a pas été réalisé à l’insu de l’autre associé, lequel exerçait un contrôle total sur toute l’activité de la société, qui n’était consacrée qu’au développement de sa propre notoriété.
Il indique ensuite qu’au jour du remboursement la situation de la société n’était pas encore obérée, que la date de cessation des paiements a été fixée au 28 avril 2015, qu’il n’existait pas en décembre 2014 de difficultés financières, la société disposant sur ses comptes français de 225.000 euros et 15.000 euros, qu’il a effectué la déclaration de cessation des paiements, non pas à cause de difficultés financières, mais du fait de la décision brutale de la société Le Nectar des Dieux et de Mme [E] [A] de cesser toute livraison tant que ses factures n’auraient pas été réglées. Il relève en outre que le poste le plus important du passif est constitué par un ‘ prêt’ de 540. 000 euros consenti par la société le Nectar des Dieux à la société BM&VT puis cédé à Mme [A], dont l’exigibilité se situait en 2025 et qu’il s’agissait en réalité d’une opération de trésorerie menée par Mme [A] dans un intérêt purement personnel, étant précisé que le chiffre d’affaires de la société Le Nectar des Dieux ne cessait de croitre depuis 2015. Subsidiairement, il demande à la cour, si elle jugeait fautif le remboursement de son compte courant, de le dispenser de condamnation compte tenu des circonstances dans lesquelles il est intervenu, ayant été gérant non rémunéré pendant 7 ans d’une société qui n’était qu’un vecteur du développement de Mme [A], laquelle profite à l’heure actuelle du travail qu’il a effectué.
Le ministère public fait valoir que M.[C] a effectué un remboursement conforme aux statuts de la société, et dans l’hypothèse où les statuts imposeraient une autorisation de la collectivité des associés pour effectuer le remboursement du compte courant, il s’agirait d’une condition potestative qui serait réputée non écrite, que cependant ce remboursement n’en est pas moins fautif du fait qu’il est intervenu dans un contexte de difficultés financières pour la société qui a été privée de trésorerie suffisante pour le paiement de ses créanciers et de son activité et que la volonté de M.[C], qui a précipité la société vers la liquidation judiciaire, a été de privilégier sa situation personnelle au détriment des créanciers, de sorte que cet acte est contraire à l’intérêt social et constitue une faute de gestion ayant aggravé l’insuffisance d’actif pour un montant identique à la somme remboursée, soit 160.370,40 euros. Il ajoute toutefois que la cour pourrait réduire le montant de la condamnation, au regard de la situation personnelle de M. [C] qui n’a pas été rémunéré pendant son mandat et du fait que le créancier qui bénéficiera du comblement de passif est Mme [A] dont la société Le Nectar des Dieux a profité du travail de M. [C].
Il est constant que M.[C] s’est fait rembourser par la société BM&VT le
19 décembre 2014, l’intégralité de son compte courant d’associé s’élevant à 160.370,40 euros, le montant du compte courant n’étant pas en lui-même contesté.
Ni l’allégation, contestée par le liquidateur, selon laquelle le remboursement du compte courant serait intervenu sans violation d’une clause statutaire, ni le fait qu’en l’absence de convention spécifique, un compte courant d’associé peut donner lieu à remboursement à tout moment sur demande de l’associé créditeur ne suffisent à exclure toute faute dans le remboursement par le dirigeant de son compte courant. S’agissant d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, c’est avant tout au regard de la situation de la société, qu’il convient de rechercher si les circonstances dans lesquelles le remboursement est intervenu caractérisent ou non une faute de gestion.
Le remboursement est intervenu le 19 décembre 2014, moins de cinq mois avant la déclaration de cessation des paiements effectuée par M.[C].
Il ressort des comptes versés aux débats, que la société BM&VT a réalisé au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2014 un chiffre d’affaires de 570.229 euros et une perte comptable de -92.566 euros.
Les exercices de 2009 à 2013 ont été constamment déficitaires soit respectivement de – 78.044 euros ( 2009), – 23.238 euros (2010), – 27.511 euros (2011), -110.671 euros
( 2012) et – 80.356,10 euros ( 2013). L’augmentation des pertes au cours entre les exercices 2013 et 2014, ne permettait pas, à date, de conclure à une situation favorable de la société BM&VT.M.[C] en a d’ailleurs tiré les conséquences en procédant rapidement à la déclaration de cessation des paiements.
En outre, l’assemblée générale du 30 juin 2011 a constaté, en sa 4ème résolution, des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.
Lors de l’assemblée générale réunie le 16 janvier 2015, appelée notamment à se prononcer sur les comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2013, Mme [A] a soulevé le fait que les capitaux propres n’avaient pas été reconstitués depuis le 30 juin 2011 et qu’aucune action n’avait été mise en place par la gérance. L’assemblée a constaté dans sa troisième résolution que les résultats de l’exercice 2013 ne permettaient pas de reconstituer les capitaux propres de la société.
En juin 2014, la société BM&VT sous la signature de M.[C] a reconnu devoir à la société Le Nectar des Dieux, détenue par Mme [A], la somme de 540.000 euros pour les sommes avancées en compte courant à la société, cette somme, majorée d’un intérêt au taux Euribor majoré de 2,5%, étant stipulée remboursable en une fois le 30 juin 2025. Si M.[C] discute la véritable nature de cette opération, il n’en demeure pas moins que cette somme importante constituait un passif de la société BM&VT, la circonstance que la société Le Nectar des Dieux a cédé sa créance à Mme [A] le 29 décembre 2014 étant sans incidence sur l’appréciation de la faute de gestion reprochée à M.[C]. Si le remboursement du capital était à échéance lointaine, bien que la convention ait prévu la faculté pour la société de rembourser de façon anticipée par fraction d’au moins 10% à compter du 30 juin 2016, les intérêts étaient quant à eux payables trimestriellement.
M.[C] soutient toutefois que la trésorerie existant au jour du remboursement sur les comptes LCL de la société, ouverts en France, permettait ce remboursement.
Le premier compte ouvert à la banqueLCL présentait un solde créditeur au
26 novembre 2014 de 156.978,74 euros. Après le prélèvement du montant du compte courant et compte tenu des autres opérations intervenues au cours du mois,le solde créditeur n’était plus que de 83.959,76 euros au 31 décembre 2014. Sur le second compte (compte devises), le solde était créditeur de 155 euros au 26 novembre 2014 et de 14.918,87 euros au 31 décembre 2014.
Si le remboursement du compte courant pour un montant de 160.370 euros n’a pas absorbé toute la trésorerie de la société, il l’a toutefois significativement amputée, rendant dès lors difficile le respect par la société de ses obligations, étant relevé qu’au 31 décembre 2014, les dettes fournisseurs et comptes rattachés figuraient au bilan pour un montant de 153.860,45 euros.
Le remboursement de la totalité de la somme de 160.370 euros le 19 décembre 2014 n’était en conséquence pas compatible avec les difficultés que rencontrait la société et ce d’autant que les dissensions entre les deux associés étaient déjà très marquées, reproche étant notamment fait à Mme [A] de manquer à son obligation de loyauté et d’utiliser la société BM&VT à des fins personnelles pour développer sa société Le Nectar des Dieux, et ne laissaient pas augurer un retournement favorable de situation. Ces dissenssions se concrétiseront d’ailleurs trois mois plus tard par l’introduction de contentieux de part et d’autre.
Ainsi que le relève le liquidateur, en se remboursant de son compte courant une dizaine de jours avant la clôture de l’exercice clos au 31 décembre 2014, le gérant, qui était amené à suivre les comptes de la société, ne pouvait ignorer ces résultats.
En procédant de la sorte, M.[C], qui se trouvait en conflit avec son associée, elle-même titulaire d’un compte courant dans la société BM&VT qui ne lui a pas été remboursé, a préservé ses intérêts au détriment de l’intérêt social, peu important que ce remboursement ne soit pas intervenu en période suspecte.
Le moyen de M.[C], pris de ce que la déclaration de cessation des paiements trouverait son origine dans les agissements déloyaux de Mme [A], à supposer ceux-ci avérés, n’est pas opérant dans la présente instance, puisque la connaissance par le gérant des risques de défaillance de la société BM&VT s’en trouvait confortée.
La circonstance que M.[C] a géré la société durant 7 années sans être remunéré est sans incidence sur la caractérisation d’une faute de gestion et n’est susceptible d’être prise en compte que dans l’appréciation de la sanction.
En procédant au remboursement de son compte courant pour un montant important au regard des résultats de la société, M.[C] a privé la société d’une partie significative de sa trésorerie. Cette opération constitue une faute de gestion d’une gravité certaine puisqu’elle a favorisé la défaillance de la société BM&VT.
La perte de cette trésorerie, 4 mois et demi avant la caractérisation de la cessation des paiements, a directement contribué à l’aggravation de l’insuffisance d’actif.
A ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu que M.[C] avait commis une faute de gestion ayant contribué à aggraver l’insuffisance d’actif.
– Sur la sanction
M.[C] demande à la cour de le dispenser de condamnation arguant de son absence de rémunération en tant que gérant de la société BM&V, des investissements qu’il a réalisés au profit de la société, et du fait que le passif social étant composé pour l’essentiel des créances de Mme [A], il n’y a pas lieu au regard des agissements de cette dernière contraires à l’intérêt social, qu’elle bénéficie de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Le liquidateur s’oppose à toute dispense, arguant que le gérant ne peut justifier ses agissements par les fautes qu’il impute à Mme [A].
Il n’est pas contesté que M.[C], désormais âgé de 62 ans, a dirigé la société BM&VT à partir du mois de juin 2011, sans être rémunéré et que la gestion de la société dans laquelle il avait investi des fonds a été rendue difficile par l’existence de dissensions avec son associée et son fournisseur, la société Le Nectar des Dieux.
Cette situation conduit la cour à modérer la sanction financière prononcée par le tribunal. Infirmant le jugement sur le quantum, la cour condamnera M.[C] à payer au liquidateur, ès qualités, une somme de 50.000 euros.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Si M.[C] voit sa condamnation diminuée en appel, il n’en demeure pas moins sanctionné, de sorte qu’il lui appartient de supporter les entiers dépens et qu’il ne peut prétendre au paiement d’une indemnité procédurale.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M.[C] à régler au liquidateur ès qualités une indemnité de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, la cour dira n’y avoir lieu d’y ajouter en appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement sauf sur le montant de la condamnation au titre de la contribution à l’insuffisance d’actif,
Statuant du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne M.[D] [C] à payer à la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société BM&VT, la somme de 50.000 euros à titre de contribution à l’insuffisance d’actif,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M.[D] [C] aux dépens d’appel et dit qu’ilspourront être recouvrés directement par la SELARL Ingold & Thomas avocats, en la personne de Maître Ingold en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT