25 novembre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/05878
2ème Chambre
2ème Chambre
ARRÊT N° 596
N° RG 19/05878 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QCKX
(1)
M. [O] [M]
Mme [H] [K] épouse [M]
C/
SA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Bruno SEVESTRE
-Me Louis NAUX
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 Septembre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Novembre 2022, après prorogation, par mise à disposition au greffe
****
APPELANTS :
Monsieur [O] [M]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 8] (37)
[Adresse 4]
[Localité 6]/FRANCE
Représenté par Me Bruno SEVESTRE de la SELARL SEVESTRE AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [H] [K] épouse [M]
née le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 6] / FRANCE
Représentée par Me Bruno SEVESTRE de la SELARL SEVESTRE AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Louis NAUX de la SELARL INTERBARREAUX NANTES SAINT-NAZAIRE LRB AVOCATS CONSEILS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
2
Exposé du litige
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon convention du 14 janvier 2005 modifiée par avenants des 23 janvier et 27 décembre 2007, la société 3 S Immobilier a ouvert un compte courant auprès de la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire (la Caisse d’épargne).
Puis, par contrat de prêt du 22 avril 2006, la banque lui a, en vue de financer des travaux d’agencement et un besoin en fonds de roulement, consenti un prêt de 25 000 euros au taux de 4 % l’an, remboursable en 60 mensualités de 467,29 euros après un différé de remboursement de 18 mois.
Préalablement, par acte sous signature privée du 25 juillet 2003, M. [O] [M], associé de la société emprunteuse, et Mme [H] [K], son épouse, se sont portés cautions solidaires de tous engagements de celle-ci à hauteur de la somme de 22 900 euros en principal majorée des intérêts, frais et accessoires.
Par jugements des 16 septembre 2008 et 18 novembre 2009, le tribunal de commerce de Saumur a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société 3 S Immobilier puis arrêté un plan de continuation de l’entreprise.
La Caisse d’épargne a déclaré ses créances qui ont été admises par le juge-commissaire pour les montants de 25 248,32 euros au titre du solde débiteur du compte courant et de 15 457,30 euros au titre du prêt, outre les intérêts.
Mais, par une nouvelle décision du 27 octobre 2010, le tribunal de commerce d’Angers a prononcé la résolution du plan et la liquidation judiciaire de la société 3 S Immobilier, la banque ayant à nouveau déclaré ses créances le 27 décembre 2010 pour les montants actualisés de 25 248,32 euros au titre du solde débiteur du compte courant et de 10 694,72 euros outre les intérêts contractuels au titre du prêt.
Prétendant avoir vainement mis les époux [M] en demeure d’honorer leurs engagements de caution par lettres recommandées des 28 décembre 2010 et 21 octobre 2011, la Caisse d’épargne les a, par acte du 28 mai 2014, fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Nantes.
Moyens
Les défendeurs ont invoqué la nullité des cautionnements, la disproportion de leurs engagements de caution, le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, et ont sollicité un délai de grâce.
Par un premier jugement du 30 mai 2017, les premiers juges ont :
débouté les époux [M] de leur demande d’annulation des contrats de cautionnement,
jugé que la Caisse d’épargne peut se prévaloir des contrats de cautionnement,
déchu la Caisse d’épargne de son droit aux intérêts conventionnels au titre du compte et du prêt depuis l’origine des contrats, et dit que les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre les cautions et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette,
avant dire droit sur les autres demandes, ordonné la réouverture de débats et invité la Caisse d’épargne à produire l’historique du compte depuis l’origine et de nouveaux décomptes de ses créances au titre de ce compte et du prêt expurgés des intérêts conventionnels conformément à la déchéance prononcée ci-dessus.
Puis, par une seconde décision du 28 mai 2019, ils ont :
condamné les époux [M] solidairement à payer à la Caisse d’épargne la somme de 8 099,67 euros au titre du prêt du 22 avril 2006, avec intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2011,
condamné les époux [M] solidairement à payer à la Caisse d’épargne la somme de 21 390,03 euros au titre du compte courant, avec intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2011,
dit que chacune des cautions ne sera tenue à l’égard de la banque que dans la limite de 22 900 euros,
condamné les époux [M] in solidum aux dépens,
ordonné l’exécution provisoire de l’ensemble des dispositions qui précèdent,
débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Les époux [M] ont relevé appel de ces deux décisions le 30 août 2019, pour demander à la cour de les réformer, sauf en ce qu’elles ont déchu la Caisse d’épargne de son droit aux intérêts conventionnels, et de :
à titre principal, annuler pour dol les engagements de caution souscrits les époux [M],
débouter la Caisse d’épargne de ses demandes,
à titre subsidiaire, juger la banque ‘déchue’ des engagements de caution des époux [M],
débouter la Caisse de ses demandes,
en tout état de cause, condamner la Caisse d’épargne à payer aux époux [M], chacun, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La Caisse d’épargne conclut quant à elle à la confirmation des décisions attaquées, mais demande cependant la condamnation des époux [M] au paiement de la somme principale de 25 248,32 euros, et non 21 390,03 euros, au titre du solde débiteur du compte courant, et de fixer la limite de la somme recouvrable par la banque sur les deux cautions à 22 500 euros majorée des intérêts, frais et accessoires.
Elle sollicite en outre la condamnation solidaire des époux [M] au paiement d’une indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour les époux [M] le 29 novembre 2019 et pour la Caisse d’épargne le 18 février 2020, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 juin 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Sur la nullité du cautionnement
Au soutien de leur demande d’annulation des contrats de cautionnement, les époux [M] font grief à la Caisse d’épargne d’avoir sollicité leur garantie en dissimulant que la situation de la société 3 V Immobilier était ‘des plus délicates’ du fait de l’existence d’un important découvert en compte et de l’abandon par M. [M] de son compte courant d’associé, alors que M. [M], bien que gérant de la société, ne ‘maîtrisait pas tous les aspects techniques et financiers de la gestion d’une entreprise’, que Mme [M] était quant à elle totalement profane en la matière, et que le couple avait précisément opté pour le régime matrimonial de la participation aux acquêts afin de mettre le patrimoine de l’épouse à l’abris d’une éventuelle déconfiture de l’entreprise.
Cependant, M. [M], qui était le gérant de la société emprunteuse, ne pouvait ignorer quelle était la situation financière de son entreprise au moment où il s’est engagé en qualité de caution, et ne peut donc prétendre avoir été trompé par la banque.
En tout état de cause, les époux [M] ne démontrent nullement qu’à cette époque, ou même à l’époque où les concours de 2005 et 2006 ont été octroyés, la situation de la société 3 S Immobilier était obérée, alors que, d’une part, son compte courant bénéficiait d’une autorisation de découvert, que, d’autre part, la procédure de redressement judiciaire n’a été ouverte que le 16 septembre 2008, plus de cinq ans après la souscription des actes de caution, et qu’enfin, elle a bénéficiait d’un plan de continuation le 18 novembre 2009 qui n’a été résilié que sept ans plus tard, le 27 octobre 2010.
Sur la disproportion
Les époux [M] excipent par ailleurs de la disproportion de leurs engagements de caution sur le fondement de l’article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, aux termes duquel un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.
Cependant, il est de principe que ces dispositions légales, issues de la loi du 1er août 2003, ne sont pas applicables aux cautionnements conclus antérieurement à son entrée en vigueur, comme c’est le cas des engagements de caution des époux [M] contractés le 25 juillet 2003.
Il était cependant, avant l’entrée en vigueur de ce texte, de jurisprudence établie que les cautions non averties étaient fondées à rechercher la responsabilité de la banque en raison d’une disproportion entre le montant de leur engagement et leur capacité financière, les cautions averties ne pouvant toutefois invoquer la faute de la banque que dans le cas où celle-ci aurait eu, sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de l’opération entreprise par la société cautionnée, des informations qu’elles-mêmes auraient ignorées.
À cet égard, la Caisse d’épargne, à laquelle incombe la charge de cette preuve, ne démontre nullement que les époux [M] étaient des cautions averties, la qualité de gérant de M. [M] ne suffisant pas à caractériser sa compétence ou son expérience du financement d’une entreprise, et celle de simple salariée de son épouse moins encore.
En revanche, les époux [M], auxquels incombe cette fois la charge de cette preuve, ne démontrent quant à eux nullement l’existence de la disproportion alléguée.
Ils prétendent en effet que, mariés sans contrat de mariage le 26 avril 1980 et ayant adopté un régime séparatiste de la participation aux acquêts le 27 juin 2000, leurs revenus salariaux et fonciers étaient grevés par de lourdes charges de remboursement de prêts immobiliers destinés à financer leurs diverses acquisitions immobilières personnelles ou commune, ainsi que de prêts à la consommation, et que M. [M] était déjà engagé en qualité de caution de la société 3 S Immobilier à hauteur de 46 039,60 euros.
Cependant, la Caisse d’épargne souligne avec raison que ce dernier ne justifie par de l’existence de cet encours de cautionnement antérieur à l’engagement litigieux du 25 juillet 2003, et elle produit en outre une fiche de renseignement patrimoniaux établie le 13 mai 2003 de laquelle il ressort notamment l’existence d’une épargne totale de 89 234,54 euros, dont, respectivement, 23 935,09 euros et 62 294,13 euros en contrats d’assurance-vie.
Or, alors qu’il appartient aux appelants d’établir la disproportion de leurs engagements de caution respectifs, ils ne fournissent aucune explication, ni aucune pièce de nature à établir que cette épargne serait la propriété personnelle de l’un des époux et que l’autre n’aurait sur celle-ci que des droits inférieurs au montant de son engagement de caution de 22 900 euros.
Dès lors, quand bien même leurs revenus étaient inférieurs à ceux déclarés dans cette fiche de renseignement, et qu’ils aient été intégralement absorbés par la charge de remboursement de crédits antérieurs, et à supposer même que la valeur nette de leurs divers actifs patrimoniaux aient été nulle après déduction du capital restant dû sur les emprunts contractés en vue d’en financer l’acquisition, l’état de leur épargne suffit à écarter toute faute de la banque lors de la souscription de leurs engagements de caution.
Sur la déchéance du droit du prêteur aux intérêts et la créance de la banque
Par un premier jugement du 30 mai 2017, les premiers juges ont déchu la Caisse d’épargne de son droit aux intérêts au titre du compte courant et du prêt, après avoir relevé que la banque ne prouvait pas avoir satisfait à son obligation d’information annuelle des cautions.
Il a aussi dit que chacune des cautions ne serait tenue à l’égard de la banque que dans la limite de 22 900 euros.
Bien que demandant, dans le dispositif de ses conclusions, la confirmation pure et simple des deux jugements attaqués, la banque sollicite, au titre du prêt, la condamnation des époux [M] à une somme supérieure à celle allouée par les premiers juges en conséquence de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, et de dire que les cautions seront tenus dans la limite de 22 900 euros majorée des intérêts, frais et accessoires.
La Caisse d’épargne n’invoque cependant, dans le corps de ses écritures, aucun moyen de réformation des dispositions des jugements ayant prononcé la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, arrêté les sommes dues, au titre du compte courant, à 8 099,67 euros et, au titre du prêt, à 21 390,03 euros outres les intérêts légaux, et limité le montant total des sommes dues par les deux cautions à 22 900 euros.
Les décisions attaquées ne pourront donc qu’être confirmées, sauf à dire que les époux [M] ne sont pas condamnés solidairement, mais, chacun, au paiement des sommes principales de 8 099,67 euros au titre du solde débiteur du compte et de 21 390,03 euros au titre du prêt, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2011, dans la limite de 22 900 euros.
Sur les frais irrépétibles
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la Caisse d’épargne l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme les jugements rendus les 30 mai 2017 et 28 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Nantes, sauf à dire que les époux [M] ne sont pas condamnés solidairement, mais, chacun, au paiement, dans la limite de 22 900 euros, des sommes principales de 8 099,67 euros au titre du solde débiteur du compte courant et de 21 390,03 euros au titre du prêt, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2011 ;
Condamne in solidum les époux [M] à payer à la Caisse d’épargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les époux [M] aux dépens d’appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT