25 avril 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
22/02391
1ere Chambre
N° RG 22/02391 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LNIF
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me David HERPIN
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 04 AVRIL 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/02500)
rendue par le Tribunal judiciaire de VALENCE
en date du 14 juin 2022
suivant déclaration d’appel du 20 juin 2022
APPELANTES :
Mme [K] [N]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 8]
S.C.I. LM, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentées et plaidant par Me David HERPIN, avocat au barreau de VALENCE
INTIME :
M. [D] [V]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Sandrine DUROCHAT avocat au barreau de de la Drôme
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle BLATRY, conseiller
Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 février 2023 où l’affaire a été mise en délibéré au 4 avril 2023 prorogé au 24 avril 2023 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
Exposé du litige
****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [K] [N] détient 99’% des parts sociales de la SCI LM dont elle est la gérante et qu’elle avait constitué avec son époux M. [X] [I] dont elle a divorcé le 23 mai 2006. Cette société est propriétaire d’un immeuble bâti sur la commune de [Localité 8] (26), lieudit [Adresse 7].
M. [D] [V] a partagé la vie de Mme [N] de 2010 à 2019 en vivant au domicile de celle-ci à [Localité 8], dans le bien immobilier de la SCI LM. Ils se sont séparés le 24 février 2019.
Le 5 avril 2019, M. [V] s’est présenté accompagné d’un huissier de justice au domicile de Mme [N] afin de récupérer ses effets personnels et les biens meubles qu’il disait avoir financé de ses deniers personnels durant leur vie commune.
Le 11 juin 2019, M. [V] a fait signifier à Mme [N] un acte de cession de parts sociales daté du 15 mars 2010 aux termes duquel elle lui cédait ses 99 parts sociales composant le capital de la SCI LM «’à titre de dation en paiement d’un prêt consenti par M. [D] [V] le 6 décembre 2009 d’un montant de 100.000€ à Mme [K] [N] pour lui permettre de construire un appartement dans le local pour agrandir sa maison d’habitation’; ce qui est expressément reconnu par cette dernière’».
Contestant avoir signé ce document, Mme [N] a déposé plainte le 12 juin 2019, pour faux et usage de faux et pour vol des titres de propriété de ses parts sociales et des papiers relatifs à la SCI LM.
Par ordonnance sur requête du 30 juillet 2019, du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Valence a autorisé M. [V] à inscrire une hypothèque provisoire au visa de l’article L.511-1 du code des procédures civiles d’exécution sur le bien immobilier de la SCI LM en garantie de la créance qu’il disait détenir à son encontre du chef des travaux réalisés à ses frais dans cet immeuble.
Cette ordonnance devait être infirmée ultérieurement par arrêt de la cour de céans du 29 mars 2022 qui a ordonné la mainlevée de cette inscription d’hypothèque provisoire.
Suivant acte extrajudiciaire du 4 septembre 2019, M. [V] a assigné, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, Mme [N] et la SCI LM devant le tribunal de grande instance de Valence pour voir juger parfaite la cession de parts sociales du 10 mars 2010 et juger qu’il détient à l’encontre de la SCI LM une créance d’un montant de 350.000€ à parfaire ou à diminuer au résultat de l’expertise judiciaire qui sera sollicitée, et à l’encontre de Mme [N], une créance d’un montant provisoirement fixé, sauf à parfaire, de 50.000€, sans préjudice des frais de procédure et des dépens.
Il faisait valoir, en substance, qu’il avait financé de ses deniers personnels diverses dépenses pour le compte de sa compagne et les travaux de construction et d’aménagement d’un hangar appartenant à la SCI afin de le transformer en maison d’habitation.
Mme [N] et la SCI LM ont saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à voir juger prescrites les demandes de M. [V].
Par ordonnance du 7 janvier 2022, le juge de la mise en état a renvoyé sans clôture l’examen de l’incident à l’audience collégiale du 5 avril 2022.
Suivant jugement contradictoire du 14 juin 2022, le tribunal précité, devenu tribunal judiciaire, a’:
débouté Mme [N] et la SCI LM de leur fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes en paiement formées à leur encontre par M. [V],
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 9 septembre 2022 pour au besoin toutes conclusions récapitulatives des parties et éventuelle fixation de la clôture,
laissé les dépens de l’incident à la charge de Mme [N] et la SCI LM.
Par déclaration déposée le 20 juin 2022, Mme [N] et la SCI LM ont relevé appel de ce jugement.
Moyens
Dans leurs dernières conclusions n° 2 déposées le 3 octobre 2022 au visa des articles 2224 et suivants du code civil, Mme [N] et la SCI LM demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il les a déboutées de leurs fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes formulées à leur encontre par M. [V] et que statuant à nouveau, elle’:
déboute M. [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
déclare prescrite l’action de M. [V] sur le fondement de l’enrichissement sans cause à l’encontre de la SCI LM , ou à tout le moins, déclare prescrite l’action de M. [V] au titre des factures suivantes’:
facture de la SARL Bouquet de Lavande d’un montant de 17.402,23€ en date du 29 avril 2011,
facture Pétrochimie d’un montant de 3.263,99€ en date du 8 février 2011,
facture de la société Chausson d’un montant de 61,53€ en date du 13 septembre 2012,
facture de la société Garcia d’un montant de 7.815,28€ au nom de M. [V] en date du 4 janvier 2012,
facture Soc au nom de M. [V] d’un montant de 408,49€ en date du 7 avril 2011,
facture de la société TMG d’un montant de 172,20€ en date du 10 août 2012,
devis n°610 d’un montant de 22.164,50€ en date du 29 décembre 2010,
facture de la société Icard d’un montant de 2.888,56€ en date du 24 février2011,
déclare prescrite l’action de M. [V] sur le fondement de l’enrichissement sans cause à l’encontre Mme [N], ou à tout le moins déclare prescrite l’action de M. [V] au titre des demandes suivantes :
le véhicule Peugeot 207 [Immatriculation 5], avec le bon de commande pour un montant de 18.696, 99€ en date du 20 mai 2009,
les factures des révisions dudit véhicule, factures établies au nom de Mme [N] en date des 28 février 2014, 17 avril 2014, 25 juin 2014, 8 juin 2010,
le bijou d’un montant de 9.000€ en mars 2014,
condamne M. [V] à leur payer à chacune la somme de 4.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [V] aux dépens de l’instance.
Elles soutiennent essentiellement que’:
il appartenait à M. [V] de réclamer le remboursement des travaux allégués réalisés au profit de la SCI LM dès l’émission des factures qu’il invoque et à considérer que la cession d’actions du 15 mars 2010 soit valide, il aurait dû se comporter en associé en faisant inscrire ces financements sur son compte courant d’associé; le fait que la validité de cet acte de cession ne soit pas encore tranchée est sans incidence sur le caractère prescrit de la demande de M. [V] à l’encontre de la SCI LM, peu important qu’il soit ou pas associé de cette société, dès lors qu’il s’en déclare simplement créancier au titre de dépenses qu’il dit avoir exposées au profit de celle-ci’; la prescription doit donc courir au jour de l’établissement de ces factures, et non pas du jour auquel il déclare avoir pris connaissance de la «’fourberie’» de Mme [N] initiée en mars/avril 2019 consistant à vouloir vendre le bien immobilier de la SCI LM,
le tribunal a ajouté au texte de l’article 2224 du code civil en retenant que la communauté de vie avec Mme [N] s’apparentait à un cas de force majeure et rendait de fait impossible toute action de M. [V] à son encontre’; la prescription doit courir du jour de l’émission des factures que M. [V] soutient s’être acquitté pour son compte.
Par dernières conclusions n° 2 déposées le 5 janvier 2023, M. [V] sollicite la confirmation du jugement querellé en toutes ses dispositions et entend voir condamner Mme [N] et la SCI LM au paiement d’une indemnité de 4.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et ce , en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Il développe en substance que’:
s’estimant propriétaire légitime des 99 parts sociales de cette société en vertu de cette cession, les investissements réalisés par lui-même dans le bâtiment de cette société ne constituaient pas un enrichissement d’autrui par son appauvrissement, mais bien une amélioration de son patrimoine personnel’; il n’avait donc aucune obligation d’inscrire au fur et à mesure le montant des factures payées en compte courant d’associé et d’en réclamer le remboursement à la SCI , c’est-à-dire à lui-même’; son action en enrichissement sans cause à l’encontre de la SCI LM n’a donc pas pu se prescrire en l’absence de décision statuant sur la validité de l’acte de cession’du 15 mars 2010,
il était dans l’impossibilité morale d’agir en reconnaissance de son droit de créance durant sa vie commune avec Mme [N] et n’a connu les faits lui permettant d’exercer son droit au sens de l’article 2224 du code civil qu’à partir de la date à laquelle elle a mis fin à leur communauté de vie, ayant alors la révélation de sa «’véritable fourberie’» , à savoir, qu’elle n’avait pas effectué les formalités subséquentes à la cession de parts qu’elle lui avait consenti, afin de pouvoir «’envisager, sans bourse déliée, une importante plus-value sur l’immeuble’» de la SCI.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2023.
Motivation
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé que la cour n’est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes, et ne doit statuer que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières conclusions des parties.
Sur la recevabilité de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause
Cette action constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun.
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Le point de départ d’un délai de prescription légale ne peut dépendre que d’un fait objectif et non d’un événement que l’une des parties a le pouvoir de faire arriver ou d’empêcher, ce qui caractériserait une condition purement potestative’; à ce titre, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les allégations contraires des parties notamment quant à la «’fourberie’» de Mme [N], ou la décision de celle-ci de mettre en vente le bien immobilier de la SCI LM.
En tant que dirigée à l’encontre de la SCI LM,
M. [V] conclut, en adoptant la motivation des premiers juges, qu’en l’absence de décision quant à la validité de l’acte de cession du 15 mars 2010, la prescription liée à son action en enrichissement sans cause initiée à l’encontre de la SCI LM n’a pas pu courir, précisant avoir engagé les dépenses de travaux dans l’immeuble appartenant à celle-ci en pensant légitimement qu’il était devenu propriétaire des 99 parts sociales de cette société à la suite de l’acte de cession du 15 mars 2010, de sorte qu’il enrichissait son patrimoine personnel.
Ce qui ne peut être retenu.
En effet, quelle que soit l’issue de la décision à intervenir au fond sur la validité de l’acte de cession du 15 mars 2010, il n’en demeure pas moins que M. [V] excipe, en son nom personnel, d’un droit de créance à l’encontre de la SCI LM au titre des travaux qu’il indique avoir financé avec ses deniers personnels.
Mme [N] est en conséquence fondée à conclure que la qualité de M. [V] (associé ou pas de la SCI) est indifférente.
Ayant nécessairement eu connaissance au jour de l’établissement des factures de travaux, que l’importance de ceux-ci excédait sa participation aux dépenses de la vie courante, le point de départ de la prescription quinquennale doit être fixé à la date de chacune d’entre elles.
Dès lors, la demande en paiement ayant été faite par assignation du 4 septembre 2019, la demande en paiement de M. [V] est prescrite à l’égard des factures de travaux pour la période antérieure au 4 septembre 2014 telles que visées au dispositif des dernières conclusions d’appel de Mme [N], (la cour n’étant pas saisie du cas des autres factures figurant dans le corps desdites conclusions, mais non reprises dans leur dispositif) et du devis n°610 en date du 29 décembre 2010 .
Le jugement est infirmé en conséquence.
En tant que dirigée à l’encontre de Mme [N],
Le jugement déféré doit être infirmé en ce qu’il a retenu au visa des dispositions de l’article 2234 du code civil, la thèse de M. [V] selon laquelle sa situation de concubinage avec Mme [N] était constitutif d’un cas de force majeure l’ayant placé dans l’impossibilité morale d’agir avant leur rupture, date à partir de laquelle la prescription quinquennale a commencé à courir ; en effet, cette relation ne relève pas au sens de ce texte d’un empêchement né de la loi, de la convention ou encore moins de la force majeure, cette relation, de par sa durée et sa réciprocité, n’empruntant pas les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité propres à la force majeure.
En tout état de cause, M. [V] ne rapporte pas la preuve d’un empêchement résultant de la loi, ni d’une convention ou de situation de force majeure l’ayant empêché d’agir pour solliciter le remboursement des dépenses engagées dans l’intérêt personnel de Mme [N].
Ainsi, le point de départ de prescription quinquennale ne doit pas être fixé au jour de la séparation des concubins en février 2019, sinon à la date de chacune de ces dépenses. La demande en justice ayant été initiée par l’assignation du 4 septembre 2019, il en résulte que sont prescrites les demandes en paiement de M. [V] pour la période antérieure au 4 septembre 2014, à savoir celles portant sur le remboursement des dépenses exposées au titre du véhicule Peugeot 207 [Immatriculation 5] acquis selon bon de commande du 20 mai 2009, des factures de révision dudit véhicule établies au nom de Mme [N] en date des 28 février 2014, 17 avril 2014, 25 juin 2014, 8 juin 2010, et du bijou d’un montant de 9.000€ acquis en mars 2014.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce sens.
Sur les mesures accessoires
Les parties succombant partiellement dans leurs prétentions, il y a lieu de leur laisser la charge de leurs dépens personnels de première instance et d’appel ainsi que celle de leurs frais de procédure, le jugement entrepris étant également infirmé de ce chef.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 9 septembre 2022 pour au besoin toutes conclusions récapitulatives des parties et éventuelle fixation de la clôture,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,
Dit irrecevable comme prescrite l’action en paiement initiée à l’encontre de la SCI LM par M. [D] [V] fondée sur l’enrichissement sans cause au titre des factures suivantes’:
facture de la SARL Bouquet de Lavande d’un montant de 17.402,23€ en date du 29 avril 2011,
facture Pétrochimie d’un montant de 3.263,99€ en date du 8 février 2011,
facture de la société Chausson d’un montant de 61,53€ en date du 13 septembre 2012,
facture de la société Garcia d’un montant de 7.815,28€ au nom de M. [D] [V] en date du 4 janvier 2012,
facture Soc au nom de M. [D] [V] d’un montant de 408,49€ en date du 7 avril 2011,
facture de la société TMG d’un montant de 172,20€ en date du 10 août 2012,
facture de la société Icard d’un montant de 2.888,56€ en date du 24 février 2011,
devis n°610 d’un montant de 22.164,50€ en date du 29 décembre 2010,
Dit irrecevable comme prescrite l’action en paiement initiée à l’encontre de Mme [P] [N] par M. [D] [V] fondée sur l’enrichissement sans cause au titre des dépenses suivantes’:
le véhicule Peugeot 207 [Immatriculation 5], avec le bon de commande pour un montant de 18.696, 99€ en date du 20 mai 2009,
les factures des révisions dudit véhicule, factures établies au nom de Mme [K] [N] en date des 28 février 2014, 17 avril 2014, 25 juin 2014, 8 juin 2010,
le bijou d’un montant de 9.000€ en mars 2014,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, y compris en appel,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens personnels d’incident exposés en première instance et en appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT