23 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/04694
CHAMBRE 2 SECTION 1
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 23/03/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/04694 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UQW4
Jugement n° 2022000700 rendu le 21 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Douai
– Sanctions professionnelles –
APPELANT
Monsieur [F] [I]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 4], de nationalité française
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Stéphanie Calot-Foutry, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Douai
représenté par M. Christophe Delattre, substitut général
SELARL [Z] [C] en la personne de Me [W] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL MBR Protection, désigné à cette fonction suivant jugement du tribunal de commerce de Douai en date du 8 avril 2020
sise [Adresse 1]
représentée par Me Manuel de Abreu, avocat constitué, substitué par Me Geoffrey Bajard, avocats au barreau de Valenciennes
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
DÉBATS à l’audience publique du 19 janvier 2023 après rapport oral de l’affaire par Dominique Gilles, président de chambre.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président, et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 janvier 2023
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M. [I] était dirigeant de la SAS MBR Protection, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Douai le 8 avril 2020, en conversion d’un redressement judiciaire, ouvert le 19 février 2020, sur l’assignation du comptable public chargé du recouvrement responsable du pôle recouvrement spécialisé. L’administration fiscale reprochait en effet à la société MBR Protection une dette fiscale impayée faisant suite à un redressement lui-même consécutif à une vérification de comptabilité portant sur des périodes d’imposition allant de 2013 à 2015. La SELARL [K] [Z] et [W] [C], mandataire judiciaire, a été désignée liquidateur par le tribunal de la procédure collective. La cessation des paiements a été provisoirement fixée au 18 novembre 2019 par le jugement d’ouverture du redressement judiciaire et n’a pas été modifiée par la suite. Par avis du 18 décembre 2020, l’administration fiscale a ouvert une seconde vérification de la comptabilité de la société MBR Protection, portant sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019. Le procureur de la République du tribunal judiciaire de Douai a saisi ce même tribunal, par requête du 15 mars 2022, demandant le prononcé à l’encontre de M. [I] d’une mesure de faillite personnelle d’une durée de 10 années.
C’est dans ces conditions que, par jugement du 21 septembre 2022, le tribunal de commerce de Douai a prononcé à l’encontre de M. [I] une mesure de faillite personnelle de 10 années, ordonné les publications de cette sanction au casier judiciaire national et au registre du commerce et des sociétés, dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire, au motif que celle-ci était de droit, ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Ce jugement a été signifié à M. [I] le 28 septembre 2022 à la diligence du greffe du tribunal de commerce.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 7 octobre 2022, M. [I] a interjeté appel de ce jugement, intimant le procureur général et le liquidateur. L’appel défère expressément à la cour chacun des chefs du jugement entrepris.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 11 janvier 2023, M. [I] demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé une mesure de faillite personnelle de 10 années à son encontre, en ce qu’il a ordonné que le jugement soit publié conformément aux dispositions de l’article 768 du code de procédure pénale et de l’article R.653-3 du code de commerce et en ce qu’il a ordonné qu’en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fasse l’objet d’une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire du jugement, celle-ci étant « de droit » ;
– évoquant l’affaire et statuant à nouveau :
– dire que l’exécution provisoire n’était pas de droit, entraînant que la décision ne pouvait produire aucun effet de droit en raison de l’appel ;
– à titre principal, dire irrecevables et en tous les cas mal fondées les demandes du « Parquet de Douai » en faillite personnelle et à défaut en interdiction de gérer pour une durée de 10 années ;
– subsidiairement, réduire la sanction prononcée à deux années d’interdiction de gérer ;
– faire masse des dépens de première instance et d’appel et statuer comme de droit.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 9 décembre 2022, la SELARL [K] [Z] et [W] [C] ès qualités, prie la cour de confirmer le jugement et, à titre subsidiaire de prononcer contre M. [I] une mesure de 10 années d’interdiction de gérer. En tout état de cause, le liquidateur demande à la cour de condamner M. [I] à lui verser 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 8 décembre 2022, le ministère public de cour d’appel requiert l’infirmation du jugement entrepris et le prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer de 10 années contre M. [I].
L’ordonnance de clôture est du 12 janvier 2023.
SUR CE
Exposé du litige
LA COUR
Il est constant que l’appel est recevable comme ayant été interjeté dans les délais prévus par la loi.
M. [I], bien qu’il mentionne l’irrecevabilité de la requête initiale du parquet de première instance en sanction, ne précise aucun moyen contre celle-ci. Il est établi que la requête initiale du procureur de la République à Douai date du 15 mars 2022, que par ordonnance du président du tribunal de commerce de Douai du 22 mars 2022, M. [I] a été convoqué devant le tribunal de commerce, que la requête et l’ordonnance lui ont été signifiées le 6 avril 2022 et qu’il a comparu devant cette juridiction. L’irrecevabilité mentionnée est donc mal fondée.
S’agissant de la sanction, le jugement entrepris a retenu contre M. [I] la poursuite abusive dans un intérêt personnel d’une activité devenue déficitaire, ne pouvant conduire qu’à l’état de cessation des paiements telle que sanctionnée par l’article L.653-4,4° du code de commerce. Il s’agit de la seule faute examinée par le tribunal de commerce.
Les premiers juges ont retenu que M. [I] avait connu les différents contrôles fiscaux comme interlocuteur des services fiscaux, et qu’ainsi il ne pouvait ignorer les difficultés connues par la société MBR Protection (l’entreprise). Ils ont souligné que dans la mesure où M. [I] affirme avoir adapté sa rémunération au cours des exercices 2017, 2018 puis 2019, il a admis avoir eu conscience de ces difficultés. Ils lui reprochent d’avoir poursuivi l’activité devenue lourdement déficitaire, en présence d’un passif fiscal devenu insurmontable, avec maintien de la rémunération bien que réduite, mais au-delà des bénéfices distribuables, peu important que le compte courant d’associé débiteur ait été réduit. Ils relèvent que cette poursuite d’activité s’est faite au détriment des créanciers qui ont perdu toute chance d’obtenir le paiement de leur créance alors que les sommes encaissées par l’entreprise étaient prélevées par le dirigeant. Ils ont conclu qu’il convenait de prononcer une sanction particulièrement sévère.
Si la poursuite abusive d’une activité déficitaire n’ayant pu conduire qu’à la cessation des paiements a été la seule faute examinée par les premiers juges, le ministère public de cour d’appel, à l’instar de celui de première instance, ainsi que le liquidateur ès qualités, reprochent encore à l’appelant les fautes suivantes :
– d’avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ;
– d’avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ;
– la tenue d’une comptabilité irrégulière ;
– la déclaration tardive de la cessation des paiements.
M. [I] conteste chacune des fautes qui lui sont ainsi reprochées.
La cour considère que les faits suivants sont établis.
La procédure collective de la société MBR Protection a été ouverte à la demande du comptable public du pôle de recouvrement spécialisé du Nord, par une assignation du 4 octobre 2019, mentionnant un passif fiscal manifesté par une vérification de comptabilité de l’entreprise pour la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 pour l’ensemble des déclarations fiscales et jusqu’au 30 septembre 2015 pour la TVA. A l’issue de ce contrôle, la somme de 109 319 euros a été mise à la charge de la société au titre de rappels de TVA pour la période du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2015 et l’impôt sur les sociétés du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. La majoration de 40% pour manquement délibéré a été appliquée. Des avis à tiers détenteur ont commencé à être émis à partir du 12 janvier 2017. Ils avaient été précédés de vaines mises en demeure.
En outre, l’administration fiscale a procédé à une nouvelle vérification de comptabilité de la société MBR Protection, du 14 janvier 2021 au 30 avril 2021, sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019.
M. [F] [I] affirme que lorsque l’entreprise s’est trouvée en état de cessation des paiements, le 18 décembre 2019, il n’en était le « gérant » que depuis quelques mois seulement, à cause de la maladie de son père adoptif, [R] [I], lequel lui a alors transmis la responsabilité de l’entreprise, avant de décéder trois semaines plus tard. M. [I] conteste les énonciations du jugement entrepris selon lesquelles il avait accepté la gérance dès la constitution du 20 mai 2002 et qu’il avait toujours agi comme son représentant légal, reprochant aux premiers juges de s’être déterminés sur ce point par motifs péremptoires.
Toutefois, l’extrait Kbis au 23 janvier 2020 et les extraits de publications au BODACC du 15 mars 2009 et du 20 janvier 2015 démontrent que M. [F] [I] a bien été seul gérant de droit, depuis l’immatriculation de la SARL MBR Protection le 31 mai 2002 jusqu’à sa transformation en société par actions simplifiée le 1er décembre 2014 et que, à l’occasion de cette transformation, il en est immédiatement devenu le président, qualité dont rien n’indique qu’il l’avait perdue avant l’ouverture du redressement judiciaire, le 19 février 2020. M. [I] reconnaît expressément avoir été le « gérant » de l’entreprise à la date de la cessation des paiements.
En outre, rien n’est prouvé contre la proposition de rectification faisant suite à la vérification de comptabilité adressée au liquidateur par l’administration fiscale au mois de mai 2021, qui indique que M. [F] [I] était le responsable légal de l’entreprise.
Par conséquent, le moyen de M. [I] visant à dénier sa qualité de dirigeant, en particulier sur les périodes vérifiées par l’administration fiscale, est mal fondé.
Sur ce point, le jugement entrepris sera confirmé.
En outre et par conséquent, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont dit que M. [I] avait poursuivi abusivement une activité déficitaire, qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la SARL MBA Protection.
A ces justes motifs, il sera ajouté que M. [I] ne peut valablement prétendre qu’il n’a pris conscience de l’état de cessation des paiements qu’en décembre 2019. Alors que rien n’indique qu’il ait été exclu de l’exercice effectif de ses fonctions de dirigeant par le fait de son père adoptif, il était au contraire au courant des causes de l’assignation du 4 octobre 2019 délivrée par les services fiscaux pour provoquer l’ouverture d’une procédure collective de la société MBR Protection et faisant état d’une créance fiscale en recouvrement forcé de 243 201,91 euros au titre de périodes comprises entre 2013 et 2015.
Moyens
Si M. [I] se prévaut de difficultés ayant opposé la société et les associés garants dont lui-même à la Banque Populaire du Nord depuis 2016, il connaissait le passif fiscal résultant du fait que la TVA n’était plus entièrement payée depuis 2013, le redressement et son montant très important étant au demeurant connu par M. [I]. Alors que M. [I] fait valoir avoir diminué son salaire dès l’exercice 2018 et n’en avoir pas perçu du tout en 2019, l’administration fiscale avait, dès le 12 janvier 2017, délivré des avis à tiers détenteurs qui avaient précédés de vaines mises en demeure de payer. Les niveaux de rémunération apparaissant sur le compte courant associés en 2017 atteint 9 333 euros par mois en 2017 et n’a été réduit qu’à 6 384 en 2018. Il s’agit là de niveaux importants.
La poursuite d’activité en connaissance de cause et dans l’intérêt personnel du dirigeant est donc prouvée.
Il est encore établi par la proposition de rectification déjà mentionnée et son annexe 2 que le compte courant d’associés, ne concernant pas seulement M. [I], était habituellement débiteur. Ainsi, au 1er janvier 2017, ce compte courant d’associés était débiteur de 32 272,20 euros. Au 31 décembre 2017, il était devenu débiteur de 203 531 euros, soit une augmentation de l’endettement des deux seuls associés – à savoir Mme [L] [I] et M. [F] [I], celui-ci étant le dirigeant de la société-, à l’égard de cette société, d’un montant de 171 258,80 euros.
La cour souligne qu’il résulte de la proposition de rectification, en l’absence de preuve contraire, que la comptabilité de la société ne comportait qu’un compte unique qui était le compte courant des associés, sans sous-compte au nom de chacun des associés. Cette circonstance a contraint l’administration à analyser le fonctionnement de ce compte global pour identifier, enregistrement par enregistrement, les opérations qui apparaissaient au nom de M. [I].
Le liquidateur judiciaire considère que M. [I] a effectué « ce qui s’apparente à un abus de biens sociaux » et le ministère public de cour d’appel considère que la comptabilité fait apparaître au titre de l’exercice 2017, un compte courant débiteur de l’ordre de 139 138 euros lequel a été ramené à 51 764,72 euros pour l’exercice 2018 ; il considère que cette circonstance, jointe au défaut de réponse de M. [I] aux demandes d’explication de l’administration fiscale sur le compte courant débiteur caractérise la faute de l’article L.653-4 3° du code de commerce.
L’article L.653-4 3° du code de commerce dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant ayant fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement. Si le comportement du dirigeant qui accepte que les associés soient en dette à l’égard de la société au travers d’un compte courant commet en soi un grave manquement, il incombe cependant au ministère public et au liquidateur de prouver en l’espèce que M. [I] a poursuivi un intérêt personnel à l’occasion du fonctionnement du compte courant débiteur.
A cet égard, l’administration fiscale a déterminé, dans le cadre de la vérification de comptabilité et dans le cadre de sa proposition de rectification, que la somme de 139 138 euros devait être considérée comme distribuée à M. [I] à partir du compte courant d’associés entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2017. Elle indique, en effet, que l’examen du compte courant lui a permis de constater et d’isoler les apports et prélèvements concernant M. [I] au titre de l’exercice 2017, ce qui lui a permis de déterminer cette position débitrice de 139 138 euros. Elle a encore considéré que, pour le solde de 32 121 euros (203 531 ‘ 32 272 ‘ 139 138 = 32 121 euros), il n’était pas possible de distinguer lequel des deux associés avait apporté et prélevé les sommes.
L’administration fiscale a également déterminé qu’au 31 décembre 2018, le compte courant d’associés, après qu’elle eut constaté et isolé les apports et prélèvements concernant M. [I], apparaissait en position débitrice à hauteur de 51 764,72 euros, du chef de l’utilisation du compte par ce dirigeant seul. Elle indique qu’une fois extournés les apports et prélèvement identifiés au nom de M. [I], la position de solde du compte courant restait créditrice de 26 503,97 euros, mais que les opérations de vérification n’ont pas permis de savoir si les règlements à titre personnel des factures mentionnées en apport du compte courant ont été établis parM. [I] ou son associée. Elle en a conclu que le solde débiteur imputable à M. [I] et correspondant à la somme de 51 765 euros devait être considéré comme distribuée à celui-ci en 2018. Cependant, le solde débiteur global du compte courant, qui était de 203 531 euros au 31 décembre 2017 était de 228 792,24 euros au 31 décembre 2018 (cf. proposition de rectification, page 12/50).
Concernant le compte courant en 2017, M. [I] soutient, pour contester toute notion d’abus de bien social et toute sanction commerciale du chef de ce compte courant, que selon la requête initiale du parquet de Douai, la somme de 139 138 euros lui est imputée, au titre du fonctionnement débiteur du compte, « au prétexte que le solde de 32 121 euros ne permettait pas de distinguer qui des deux associés a apporté et prélevé les sommes. » Il soutient qu’aucun solde au 1er janvier 2017 n’avait été repris par l’inspecteur des finances publiques, « gonflant ainsi mécaniquement les sommes » qui lui avaient été distribuées en 2017, faisant valoir que le solde de début d’exercice correspond à des sommes qu’il avait pu percevoir au titre des exercices antérieurs et qui se sont reportées d’exercice en exercice. Pour 2018, M. [I] soutient qu’au contraire la requête du parquet a repris le montant global des deux associés. Il considère avoir apporté au cours de cet exercice plus qu’il n’avait pris et qu’il avait donc remboursé une partie des sommes appréhendées par lui en 2017, à concurrence de 87 374 euros (139 138 ‘ 51 764 = 87 374). Il reproche, d’une part, à l’administration fiscale de ne pas avoir constaté « le remboursement partiel du compte courant de 2017 » pour la détermination de l’imposition et, d’autre part, aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de ce remboursement partiel au titre de la sanction.
Sur ce point M. [I] considère à tort que les premiers juges lui ont imputé cette faute, alors que ce n’est pas le cas, puisqu’ils ne l’ont pas abordée dans leur motivation.
M. [I] se prévaut des termes de la réclamation adressée par son conseil fiscaliste à l’administration, dans laquelle il est reproché à celle-ci d’avoir retenu la somme de 139 138 euros pour 2017 sans reprise du solde au 1er janvier, alors que seule la variation positive du solde débiteur du compte courant peut faire l’objet d’une taxation. Cette réclamation soutient également, pour 2018, que seuls seraient repris les prélèvements et non la variation du compte courant entre le 1er janvier 2018 et le 31décembre 2018. M. [I] produit le détail du compte courant pour 2018, faisant apparaître notamment les sommes inscrites au crédit du compte courant. Ce document ne prend pas néanmoins parti sur le montant des crédits imputables à M. [I]. M. [I] s’attribue dans ses écritures, et sur la base des documents fiscaux, un remboursement partiel du compte courant en 2018 de 87 374 euros : 139 138 ‘ 51 764 = 87 374 euros. Il critique l’administration fiscale pour ne pas lui avoir attribué en 2018 les crédits en compte-courant comme elle l’avait fait pour 2017, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’avoir une position différente.
Toutefois et d’une part, la détermination du montant des impositions est sans incidence sur le présent litige. D’autre part, peu important l’analyse prétendue du parquet de première instance dans la requête initiale en sanction, les termes du débat sont fixés tant par les constatations de l’inspecteur des finances publiques figurant dans la proposition de rectification, que par le détail du compte courant 2018 et la lettre de réclamation produits par M. [I], pièces qui sont soumises à la discussion des parties dans le cadre du présent litige.
Or, l’annexe 3 de la proposition de rectification démontre, en effet, que la somme de 139 138 euros a été déterminée sans inclure le solde au 1er janvier 2017, qui était le report à nouveau. L’annexe 5 se présente comme la liste des écritures du compte courant associés, avec tous les débits et tous les crédits, entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2018, mais sans le report à nouveau au 1er janvier. Ce document se présente semblablement au document établi par l’expert-comptable de M. [I], lequel ne mentionne pas non plus le report à nouveau au 1er janvier 2018. L’expert-comptable trouve un solde débiteur de 25 255,06 euros au 31 décembre, alors que l’administration fiscale trouve 25 260,75 euros, ce qui est assez similaire. L’annexe 6 du document fiscal, qui détermine la position débitrice de 51 764,72 euros du solde du compte courant du chef de l’utilisation qu’en a faite M. [I], ne fait figurer au crédit que les rémunérations non perçues, tandis que le document produit par M. [I] lui impute très largement les autres opérations en crédit qu’il revendique avoir payées pour le compte de la société.
L’administration reconnaît comme crédits consentis par M. [I] au travers du compte courant la somme de 70 229,5 euros. Il s’agit seulement de ses rémunérations non versées. Le total des crédits recensés par l’administration s’élève à 115 939,16 euros (annexe 5). Il n’est pas allégué ni établi, notamment en considération du document établi par l’expert-comptable – lequel n’a pas fait apparaître la somme de ces crédits- que la somme des crédits soit d’un ordre de grandeur significativement différent de 115 939 euros.
Ll’administration a estimé que, pour 2018, contrairement à 2017, elle n’avait pas eu la possibilité de vérifier que M. [I] avait effectué les autres opérations au crédit du compte.
Il n’en demeure pas moins qu’au total, le solde débiteur du compte courant associés s’est encore aggravé, passant de 203 531 euros au 31 décembre 2017 à 228 792,24 euros au 31 décembre 2018.
Cependant, la preuve n’est nullement rapportée que l’aggravation de la position débitrice de ce compte courant ait été causée par des dépenses contraires à l’intérêt de l’entreprise exposées par M. [I] dans le but de poursuivre un intérêt personnel. Rien ne prouve au contraire que ces dépenses n’ont pas été exposées pour les seuls besoins de l’exploitation. La poursuite d’activité dans un intérêt personnel, qui ne se confond pas avec la faute présentement examinée, est par ailleurs déjà retenue.
La faute reprochée à M. [I] prise d’avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement n’est donc pas établie en l’espèce.
S’agissant du détournement d’actif de l’article L.653-4 5° du code de commerce, le ministère public de cour d’appel estime, sur le fondement de la vérification de comptabilité, qu’une partie du chiffre d’affaires a été détournée, tel que révélé par le rapprochement entre les déclarations de TVA et les éléments comptabilisés. Le liquidateur considère également que la faute est caractérisée dès lors que les liasses fiscales des exercices 2017 et 2018 fournies par M. [I] ne sont pas totalement représentatives du chiffre d’affaires réel de la société MBR Protection et qu’il est manifeste que M. [I] a détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif social, ce qui a directement causé la liquidation. Les écarts relevés par l’administration fiscale démontrent, selon celui-ci, que la société a bénéficié d’une TVA collectée sans procéder au reversement global de celle-ci à l’administration fiscale.
Sur ce point, il est établi par la proposition de rectification que pour la TVA, au titre de 2017, le rapprochement entre les éléments comptabilisés par la société elle-même et la TVA déclarée a donné lieu à un rappel de TVA de 65 285 euros. Cela ne caractérise pas le détournement d’actif allégué, en particulier de chiffre d’affaires, qui n’est pas autrement prouvé pour cet exercice.
Au titre de l’année 2018, le rapprochement entre les éléments comptabilisés par la société elle-même et la TVA déclarée a donné lieu à une minoration de 22 390 euros. Le détournement d’actif n’est donc pas démontré pour cet exercice.
Au titre de l’année 2019, la société n’a pu fournir ni comptabilité ni factures. L’inspecteur des finances publiques a reconstitué l’activité à partir des encaissements bancaires. Si le rapport explique que « les encaissements constatés au titre de 2019 ne sont pas totalement représentatifs du chiffre d’affaires réel » c’est uniquement pour tenir compte du recours à l’affacturage qui diminue l’encaissement en fonction de la rémunération du prestataire d’affacturage. Comme pour 2018, il est apparu que la société avait trop versé de TVA et une minoration de 41 974 euros lui a été consentie. Au total, le rappel sur les trois années n’est que de 921 euros.
Le détournement d’actif allégué par le ministère public et le liquidateur n’est pas prouvé.
Cette faute n’est pas caractérisée.
S’agissant de la faute de l’article L.653-5 6° du code de commerce, le ministère public et le liquidateur soutiennent que la vérification de comptabilité par les services fiscaux a clairement mis en évidence des manquements dans la tenue de comptabilité ayant abouti à un redressement au titre de la TVA pour la période du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2015 et au titre de l’impôt sur les sociétés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 pour une somme globale de 109 319 euros, avec majoration de 40% pour manquement délibéré. Ce fait, qui est corroboré par l’assignation de l’administration fiscale en procédure collective du 4 octobre 2019 et qui est admis par M. [I] caractérise en effet un fait fautif passible de sanctions personnelles contre le dirigeant. M. [I] soutient qu’on ne peut lui reprocher des faits afférents à des exercices anciens. Toutefois, il ne précise pas de raison juridique à cette impossibilité prétendue. En outre, les faits ayant donné lieu à la vérification de comptabilité pour les exercices 2017 à 2019 démontrent, pour 2019, ainsi que cela a été déjà exposé, que nulle comptabilité régulière n’était plus tenue. C’est vainement, dans ces circonstances, que M. [I] oppose l’intervention de l’expert-comptable de la société ou les rapports d’enquête du mandataire de début 2020, qui n’ont pu en connaissance de cause énoncer que la comptabilité était régulièrement tenue avec le concours d’un expert-comptable.
Cette faute est donc établie.
En conséquence des fautes déjà retenues, qui toutes sont prévues à peine de faillite personnelle, il doit être considéré que leur particulière gravité révèle, en général, une inconscience caractérisée de M. [I] à l’égard des obligations de dirigeant, déniées en l’espèce et, en particulier, une inconscience persistante malgré les avertissements, à l’égard des obligations fiscales de l’entreprise qu’il a dirigée.
Il s’ensuit que la sanction de la faillite personnelle est mieux adaptée aux agissements de M. [I] que l’interdiction de gérer qui, de ce fait, ne sera pas envisagée.
Il n’est par conséquent pas besoin d’examiner le grief de déclaration tardive de cessation des paiements.
En outre, il convient d’écarter durablement M. [I] de la vie des affaires, à cause de la défaillance persistante de son sens des responsabilités, qu’il a démontrée comme dirigeant de la société MBR.
Le jugement qui a prononcé une mesure de faillite personnelle à l’encontre de M. [I] pour une durée de 10 ans sera confirmé.
S’agissant de l’exécution provisoire, les premiers juges ont cru pouvoir affirmer que celle-ci était de droit, alors qu’il s’agit d’une erreur.
En effet, l’article R.661-1 du code de commerce dit, au contraire, que les jugements rendus en matière de faillite personnelle ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire.
Le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef.
Pour le surplus, le jugement qui a exactement statué sera confirmé.
En équité, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure au titre de l’article 700 du code de procédure civile au liquidateur ès qualités.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu’il a dit que son exécution provisoire était de droit ;
Pour le surplus et y ajoutant,
Confirme le jugement entrepris ;
Ordonne l’emploi des dépens d’appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire de la société MBR Protection ;
Déboute le liquidateur ès qualités de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le greffier Le président
Valérie Roelofs Dominiques Gilles